Collectif, Contes et récits d’aujourd’hui (Hy)
Collectif
Contes et récits d’aujourd’hui
Montréal, XYZ, 1987, 69 p.
Ce recueil de nouvelles inédites a été produit dans le cadre de l’exposition « La Fête autour du conte » présentée à la Maison Chevalier. Cette exposition s’adressait surtout aux enfants mais comme les contes et légendes intéressent aussi les adultes, le Musée de la Civilisation, instigateur du projet, s’est associé à XYZ pour commander des textes de nouvellistes et romanciers québécois dont certains spécialistes de Fantastique et de SF.
Sur les dix nouvelles, huit se rapprochent du genre fantastique : symbiose entre un vieillard et une falaise anthropomorphique, hallucinations visuelles, sirènes, rencontre d’une fée, rétroaction dans le temps, rêverie et fantasmes, exorcisme. Pour certaines, on peut retrouver une source d’inspiration dans les contes et légendes anciennes : le champ du potier d’André Carpentier tiré tout droit de la Bible, la fée d’Anne Dandurand qui tient des sorcières de Grimm, la vigie de Daniel Gagnon n’est pas sans rappeler les sirènes d’Ulysse et l’histoire de Soledad d’Hélène Rioux se rapproche des contes des Milles et une Nuits.
Voyons plus en détail chaque nouvelle. « Le Champ du potier » d’André Carpentier raconte l’étrange relation entre un vieux potier et une falaise sculptée naturellement en forme de visage ; ils finiront par se ressembler et mourir ensemble. Écrite avec le ton de la confidence, cette nouvelle captive et intrigue jusqu’à la fin. La citation de l’évangéliste Mathieu en introduction fait que tout au long du récit, on cherche le lien – le champ de Mathieu et celui de Carpentier – qui ne se révèle qu’à la toute dernière phrase. Un texte bien écrit, au vocabulaire riche et recherché, où le terme juste est de rigueur, dans lequel on reconnaît chez l’auteur un talent indéniable de conteur.
Pierre Chatillon dans « Outardes » dépeint l’hallucination de Marcel Côté parti observer comme à chaque printemps les outardes ; mais ce ne sont plus que des morts libérés de la terre à la recherche de leur propre bonheur qu’il voit voler. Un texte fantastique qui se veut troublant un peu à la manière d’Edgar Poe mais à mon avis trop court pour bien rendre toute la profondeur du sujet, bref un croquis habilement esquissé, avec quelques pointes de lyrisme qui gagnerait à être retouché.
« La Vigie de la pointe » de Daniel Gagnon se veut une gardienne bien singulière qui attire tous ceux qui s’approchent de ses récifs, protège les amoureux et fait périr les autres. On retrouve dans le folklore des insulaires ce genre de récit où beaucoup de questions restent sans réponse, comme à la fin de ce texte. L’auteur énumère certaines hypothèses mais ne répond à aucune. Un récit aussi fluide que son contenu, sans grande nouveauté mais honnête, écrit de façon régulière sans coup de plume éclatant, qui procure un divertissement certain.
« La Roseraie » d’Esther Rochon sert de prétexte à une rêverie où se côtoient passion et destruction. À travers une géode, une jeune femme se perd dans ses pensées les plus lointaines. Derrière l’écriture toute douce et poétique, se cache une violence à peine contenue. Les têtes tombent et se transforment en roses. Dans ce récit hautement symbolique qui semble décousu au premier abord, il faut voir une recherche de l’équilibre et de l’harmonie entre les êtres. Il faut détruire la passion pour faire naître l’Amour, le Vrai, le Pur, l’Unique entre les gens.
Daniel Sernine dans « Une petite limace » verse dans la science occulte avec l’exorcisme de Stanislas emmuré vivant par une secte secrète. Et comme les esprits vivent très mal en vase clos, tous les moyens sont bons pour en sortir, jusqu’à la démolition de l’édifice. La petite limace, Stanislas l’a dans l’oreille quand on découvre son corps, mais elle était présente à chaque incident qui se produit dans l’édifice (suicide, meurtre, empoisonnement, etc.). Cela rappelle les malédictions des récits de fantastique classique du XlXe siècle.
Chantal Gamache avec son « Jeu de cailloux » tombe carrément dans le délire mental d’un gardien de phare laissé trop longtemps seul avec lui-même et qui décide que les galets de la plage contiennent les paroles du monde. Nouvelle insolite plus que fantastique où l’auteure se perd autant que son personnage qui essaie de faire parler ses galets. D’ailleurs, elle « perd » aussi ses lecteurs. Dommage, le fond est intéressant mais le rendu est embrouillé.
Hélène Rioux avec « Torreblanca, septembre, dans un siècle ou dans l’autre » fait revivre son personnage dans un autre temps, dans un autre monde. En vacances, un nom lui revient sans cesse, Soledad. Attiré par un palais Maure, il s’imagine différentes situations que cette jeune femme aurait vécues. L’auteure utilise ici la technique du retour en arrière pour bien marquer les visions qui hantent le personnage. Au fait, ces visions sont-elles le fruit de l’imagination débordante du personnage ou, par un phénomène d’identification passé, est-ce qu’il se remémore – ou revit ? – son existence antérieure avec Soledad ? Le texte laisse le lecteur dans l’expectative.
Restent deux nouvelles sans rapport avec le fantastique : « Un conte pour adultes seulement » de Claire Dé, récit érotique digne d’Anaïs Nin qui décrit l’insatisfaction Woolfienne d’une femme seule avec sa propre déchirure et « Marché conclu » de Pierre Karch, triste visite d’un musée par deux jeunes gens aux conceptions artistiques opposées et fable sur l’incommunicabilité.
Au total, un collectif de bon niveau, malgré deux textes plus faibles, et qui fait la part belle au fantastique.
Louise SAINT-PIERRE