Aude, Banc de brume (Hy)
Aude
Banc de brume
Montréal, du Roseau (Garamond), 1987, 144 p.
Nous sommes loin avec Banc de brume de ces « phrases interminables et essoufflantes » (p. 14) que Claudette Charbonneau-Tissot devenue depuis Aude – avait publiées en 1974 dans son recueil Contes pour hydrocéphales adultes.
Le récit-fleuve a laissé place à un style très dépouillé où la phrase, souvent courte, constitue un paragraphe d’à peine une ligne. Ce nouveau livre reste, par son écriture en pièces détachées, dans la manière de L’Assembleur, roman paru en 1985 au CLF.
Celles et ceux qui ont lu le « Jeu d’osselets » dans le spécial de nouvelles d’une page de XYZ (le n° 11) ont une idée plus précise de ce procédé. En six lignes et cinq paragraphes, Aude nous a offert un petit bijou de texte bref.
L’auteur obtient ainsi d’excellents effets par cette économie de langage et Banc de brume nous donne de fort bons passages l’illustrant. Parfois cependant, la technique du « compte-mot » devient trop systématique et la narration en souffre un moment.
C’est pourtant par cette marque particulière de style que l’écrivaine parvient souvent à créer ses atmosphères. D’aucuns de ses textes – surtout ceux relevant du fantastique – rayonnent d’une beauté qui les rend poétiques.
« Le Cercle métallique », « Soie mauve » ou « Rangoon » séduisent par leurs univers fantasmatiques où l’insolite est le réel, le normal. Des liens thématiques, on le remarquera, les unissent.
Dans le premier, on découvre une femme en cage de verre, simple objet de contemplation et de discussion pour spectateurs esthètes, sculpture vivante avec chaînette d’or au pied que l’on rangera lorsque sa grâce se fanera. C’est l’apprentissage de la parole qui la libérera de sa prison transparente. Mais la chaîne dorée demeure. Dans le dernier, c’est la cage faite femme-porcelaine. Elle a aussi de fines chaînettes aux pieds et aux poignets. En sous-titre de « Rangoon »,« l’imaginaire enclos », qui détalera sitôt sa Bastille éclatée. À lire.
« Soie mauve » nous révèle une femme étrange, dont le cou est toujours masqué par un foulard. La narrateur n’ose plus lui parler « de peur de briser quelque chose : la cloche de verre sous laquelle elle vit » (p. 71). Son corps se transformera, deviendra minéral.
Dans « Fêlures », c’est l’artiste qui voit son corps devenu porcelaine translucide s’effriter en une neige douce. Elle aura cherché à se retenir par des autoportraits et la présence de l’homme n’aura pas conjuré la dégradation.
La narratrice dans « Les Voyageurs blancs » circule « dans un train de verre entièrement transparent » (p. 41). Un lien l’unit aux trois autres passagers, qu’elle ne connaît pas. Ces compagnons de route ont le visage « presque translucide. Comme de la fine porcelaine qu’une lumière éclairerait de l’intérieur » (p. 41). Tous sont vêtus de blanc.
C’est la neige qui sert de toile à « La Montée du loup-garou ». Catherine raconte qu’elle a reçu trois lettres signées Ujjala. Qu’elle ne connaît pas. La jeune femme se sent atteinte dans « la bulle de [s]on intimité » (p. 77), tant le ton des écrits fait référence à sa vie privée. Elle ira rejoindre Ujjala à Morin Heights, malgré un temps de loup (garou, évidemment). C’est la rencontre. Leurs « corps se fondent en un instant, transparents, puis se traversent » (p. 83). – Faut-il préciser que c’est par cet artifice qu’Ujjala devient à son tour narratrice. Une jolie réussite pour Aude ! – Catherine est conviée à déballer les boîtes au pied du sapin (pas mal spécial) de Noël, chacune renfermant une poupée vivante « représentant Catherine à une époque différente de sa vie » (p. 84).
On pourrait poursuivre encore bien sûr. Mais la parenté des scénarios n’est pas aussi évidente. Il ne faut pas réduire Banc de brume à quelques tableaux narcissiques ou une femme au teint (tain) de glaçures est prise dans un jeu de miroirs plus ou moins fragiles. Il y a davantage dans ce recueil.
Ainsi, le personne de l’homme, lorsqu’il apparaît – même comme narrateur – demeure secondaire. Il est témoin, voyeur, spectateur confiné dans son rôle, simple accessoire de séance d’exhibitionnistes relativement discrètes et à peu près sans érotisme.
Mais ces récurrences, et d’autres, n’ennuient pas. Au contraire. Elles semblent d’ailleurs tenir à toute l’oeuvre de l’auteur. Banc de brume est un livre d’une facture agréable en dépit de ces faiblesses mineures. Chacun des récits a sa personnalité et ceux apparentés au fantastique nous semblent meilleurs. Mais peut-être est-ce là parti pris de les privilégier ?
Georges-Henri CLOUTIER