Élisabeth Vonarburg, Comment écrire des histoires, guide de l’explorateur
Élisabeth Vonarburg
Comment écrire des histoires, guide de l’explorateur
Beloeil, La Lignée, 1986, 229 p.
Ceux et celles qui ont lu la série d’articles d’Élisabeth Vonarburg, « Écrire de la SF » parus dans Solaris (nos 32 à 44, 1980-82), connaissent déjà le souci pédagogique de cette auteure, enseignante de formation, animatrice depuis 1980 des ateliers d’écriture par où sont passé(e)s plusieurs auteur(e)s de la SFQ.
Le Guide publié à la fin de 86 se trouve être le prolongement et l’approfondissement des démarches antérieures ; la série d’articles dans Solaris présentait d’ailleurs sensiblement la même organisation du reste, il aurait fallu créditer la revue d’avoir la première ouvert ses pages à pareille initiative.
Longuement dans l’introduction, et quelquefois encore dans le cours du livre, l’auteure précise qu’elle ne prétend nullement énoncer des règles, ni proposer des recettes, ni promouvoir telle approche de l’écriture. Elle ne pose pas en maître(sse), détentrice de quelque vérité ou savoir absolus, mais se propose comme « compagne en écriture » et adopte un ton résolument personnel. Dégonfler les mythes (!) de l’Écrivain et de l’Écriture, promouvoir la communication, encourager l’exercice de l’écriture, telles sont les intentions constantes de l’auteure, qui répond dans son introduction à plusieurs des critiques qu’on pourrait faire de son entreprise, y compris le renoncement à l’organisation rigoureuse d’un manuel et le choix d’un itinéraire plus caractéristique de l’exploration d’où une certaine irritation possible chez le lecteur cartésien.
Disons-le tout de suite, le livre est à l’image de l’auteure : au premier abord il séduira ou horripilera, par son ton même, ou sa personnalité. On y reconnaîtra certaines idiosyncrasies de la personne Vonarburg, et j’ignore si elles seront goûtées de tous les lecteurs : guillemets ouverts mais jamais refermés, abréviations paresseuses (dans la première partie), humour absurde. Si toutefois on accepte de jouer le jeu (présenté ainsi, du reste), on a peine à poser le livre une fois ouvert : il est raconté comme une histoire, se lit tel un roman, avec de fréquentes touches d’un humour décapant qui m’ont fait rire tout haut à quelques reprises, moi qui connais pourtant une bonne part du répertoire de l’auteure. Se lit comme un roman, dis-je : je trouve dans mes notes ce lapsus révélateur (!) : « le corps du roman finit un peu brusquement ».
Quel en est le plan, justement ? Une première partie, « Les Structures narratives » traite de la narration (point de vue, temps et rythme). La deuxième partie, « Les Problèmes narratifs », étudie l’organisation de l’histoire, les stratégies pour livrer l’information nécessaire au lecteur, le développement de l’histoire, les personnages et les dialogues. Entre les deux, un « Entracte » ludique proposant des jeux sur l’écriture, plus utiles à ceux et celles pour qui l’écriture est un loisir, qu’à ceux et celles qui ont un projet fictionnel déterminé. Comme dans Solaris 43 et 44, la section finale nous propose de lire la nouvelle « L’Oiseau de cendres », puis les notes de rédaction à travers lesquelles on peut suivre la démarche créatrice de l’auteure. Cet « Oiseau de cendres » est l’une des belles pièces du recueil d’Élisabeth Vonarburg, Janus, paru en 1984 dans la collection Présence du Futur.
Le guide offre une organisation plutôt lâche, ou ouverte, mais aussi un développement qu’on suit, captivant, qu’on sent à la fois spontané et solidement articulé, nourri d’exemples qui, on le devine, se déployaient et se multipliaient dans l’esprit de l’auteure à mesure même quelle les formulait, la frustrant peut-être de ne pouvoir mener ses lecteurs dans toutes les directions qu’elle ouvrait. Et ceci, je le rappelle, en désamorçant constamment toute envie d’établir et de rechercher des règles absolues.
Le guide a été composé par un esprit constamment en éveil, et il ne sombre jamais dans le ronron d’un cours trop souvent donné : il est aussi stimulant que la conversation d’un animateur vif, articulé, intelligent. Cette intelligence n’est nulle part aussi évidente que dans le sous-chapitre sur la caractérisation des personnages, entre autres sur l’interface entre le personnage et le monde.
Tout cela dit, le livre ne satisfera sans doute pas ceux et celles qui sont déjà bien avancé(e)s en création littéraire (niveau universitaire, par exemple), ni leurs professeurs, a fortiori. Par le ton, par un certain manque de rigueur dans la démarche, le Guide se restreint peut-être à une clientèle de « loisir littéraire » et à une clientèle collégiale ou de niveau secondaire avancé.
Je n’ai pas fait l’expérience d’aborder le Guide autrement que par le début, comme nous y invite son auteure. Je soupçonne que l’abus des abréviations, explicitées seulement au début, laissera perplexe un lecteur qui s’y essaierait. Un abondant index, toutefois, aidera sans doute le lecteur qui veut magasiner dans ce livre.
Quelle est la valeur de ce Guide pour une personne débutant vraiment en écriture ? Éviter des pièges, exercer les articulations de l’écriture, sans doute ; mais plus globalement ? Je laisse les novices entreprendre eux-mêmes cette exploration, après leur avoir présenté la guide qui s’offre à eux.
Daniel SERNINE