Aimer (Hy)
André Carpentier (dir.)
Aimer (collectif)
« La vitesse et la précision, dans le Grand Jeu, sont d’une importance littéralement vitale. »
Élisabeth Vonarburg, « La Carte du Tendre ».
SÉQUENCE 1 : Une femme en train de prendre son bain. Étendue dans la baignoire, elle somnole.
SÉQUENCE 2 : La pièce voisine, un cambrioleur vêtu de noir. On le voit qui force un petit coffret en bois.
Entre le cambrioleur et la femme nue, quelque chose va se produire, le spectateur le sait. Une tension s’installe car tout est possible dans une rencontre dont on ne peut dire encore si elle est réelle ou fictive.
C’est ce possible que tentent de saisir les dix écrivains du collectif d’André Carpentier, Aimer. Possible vécu ou imaginé, l’Amour est le plus vieux cinéma du monde, le plus apte à nous faire rêver car l’histoire y est toujours essentielle. Il ne suffit pas de mettre deux corps en présence pour que la magie opère, que la réaction chimique amoureuse ait lieu. Il faut une trame, si mince soit-elle, un fil conducteur qui instaure le jeu semblable à ces rails qui, parfois éloignent, parfois rapprochent les personnages de la nouvelle de Marie-Josée Thériault, « Mains-Maisons », mais où certains « …mots ont le pouvoir d’abolir la distance entre les deux wagons, et aussi les deux wagons. »
SÉQUENCE 3 : Panne de courant. L’homme et la femme sont brusquement plongés dans l’obscurité. La trame sonore (bruit d’un objet renversé, voix inquiète qui interroge) avertit le spectateur que la rencontre est devenue inévitable.
Le détail prend une importance capitale. Une image, une phrase isolée de son ensemble font figure de révélateur d’une relation ou d’un désir. Cela pourrait être un simple malentendu, la superposition d’un mot sur un autre comme dans « Le Serment de la cuisse » d’André Carpentier. La syllabe qui s’efface ainsi devient le reflet d’un autre effacement, celui d’un individu par sa compagne.
Cela pourrait être une mélodie entendue juste avant de traverser le seuil d’une pièce, musique qui ramasse en elle tous les espoirs, toutes les attentes d’une quête dont on sait à l’avance qu’elle sera déçue comme dans « Jouez-moi Dumka » de Suzanne Robert.
Ou bien une histoire plaisante et courte racontée par un des personnages du « Dernier Accrochage » de Diane-Monique Daviau et à travers laquelle se résume non seulement un rapport entre deux êtres mais le choc violent entre deux natures contradictoires.
SÉQUENCE 4 : Le spectateur se lève et, résolument, se dirige vers l’écran.
L’Amour vu du dehors. La machine semble banale, le mécanisme trop souvent éventé. Dans « Léa et Paul, par exemple », nouvelle au ton woodyallenien de Monique Proulx, le recul, seul, autorise l’ironie. Une autre direction s’avère possible, regarder la machine en surface, seulement s’attarder aux apparences. C’est à cet exercice que se livre Marc Provencher avec « L’Agression » en choisissant le schéma superficiel agresseur-victime pour introduire l’imprévu là où tout semblait réglé à l’avance.
Reste l’attitude inverse : tout cacher afin de mieux révéler. Dans « La Carte du tendre » d’Élisabeth Vonarburg, c’est le mystère qui parle. Le Grand Jeu n’est pas seulement son point culminant, la fusion d’un individu avec un autre. Chaque geste, chaque opération qui enclenchent son déroulement, sont soudés ensemble à travers un spectacle que le public tente de déchiffrer. Plus qu’une allégorie sur l’Amour, « La Carte du tendre » peut être lue comme un compte-rendu des forces qui s’affrontent lors de toute création.
SÉQUENCE 5 : Lumière. Salle de cinéma, les sièges sont vides. À la surface de l’écran, un corps se débat, mouche empêtrée sur un papier collant, le spectateur pris au piège.
Le jeu le plus simpliste prend un intérêt inattendu quand la mise y est hors de proportion. La fascination peut alors s’exercer, engendrer ses interdits, ses mythes où sont révélés notre peur (de tout perdre) ou notre désir (de tout gagner). Tout perdre, « La Grande Nuit blanche » d’André Major où amour et mort sont intimement liés, « Éliane et Fred » d’André Berthiaume, le monde extérieur, mécanique aveugle qui surgit afin de séparer deux êtres. Tout gagner, « Docteur l’indienne » de Victor-Lévy-Beaulieu, récit mythique où la « magie retorse » opère ses correspondances, ses transmutations sous les yeux de celle qui a voulu s’abandonner à son charme.
Idéalement, le rapport auteur-lecteur reproduit à sa façon le rapport amoureux. Tentative de séduction d’une part, acceptation ou rejet d’autre part. À la limite, l’enjeu est le même : rejoindre l’autre, réussir à le toucher. C’est ce pari qu’a voulu tenir le collectif d’André Carpentier. À lire.
Aimer, Montréal, Les Quinze, 1986, 187 p.
Michel LAMONTAGNE