Collectif, imagine… 10
La publication d’oeuvres fantastiques et de SF ayant diminué depuis quelques temps, il nous est loisible, maintenant que la production récente a été recensée, de revenir en arrière pour commenter certaines expériences jugées moins prioritaires à l’époque.
Le numéro 10 d’imagine…, paru au moment de Boréal 1981, contient dix textes d’autant d’écrivains différents qui ont pour thème commun le Nord. Numéro thématique, donc, qui conviait les écrivains de science-fiction à réfléchir sur la nordicité et à inscrire ce thème au coeur de leur création. Pour des Nord-Américains, voilà un thème qui devrait aller de soi. Pourtant, de ces dix textes, seulement quelques-uns ont fait du nord un élément essentiel au développement de leur fiction. Ce sont de Jean-François Somcynsky de Jean-Pierre April et de Claude Gaudreau.
Les autres textes utilisent le thème proposé comme un accessoire tout au plus. On sent que son utilisation ne répond à aucune nécessité intérieure et qu’il est plaqué là pour répondre à une commande. L’action pourrait se passer aussi bien sous les tropiques qu’au sud et cela ne changerait pas grand-chose au texte. Il ne suffit pas de décrire un paysage ou un environnement nordique pour que d’emblée, le thème du nord soit essentiel à l’économie du texte.
La courte nouvelle d’Huguette Légaré, « Les Trains-bulles de janvier », en fournit un exemple éloquent. Les éléments propres au nord (le froid, la neige, les difficultés de transport) y sont mais ils ne justifient pas leur nécessité. De même, il suffit d’enlever le mot « bulle » aux divers moyens de transport et le texte n’a plus aucune référence à la SF. On croirait lire la relation du voyage d’un couple qui a emprunté les services de Via Rail à l’époque des Fêtes, il y a quelques années. La société de la couronne avait alors connu des difficultés d’opération en raison de la température exceptionnellement froide et de la surabondance de voyageurs.
La nouvelle de Jean-Pierre April, « KébekéleKtriK », ne souffre pas de ce défaut même si elle fait référence à la réalité québécoise. Le nord est présenté comme un territoire au potentiel économique énorme avec ses gisements de minerais de toutes sortes et ses cours d’eau qui peuvent fournir des ressources hydro-électriques inépuisables. La conquête du Nord apparaît comme un outil économique qui assurera finalement au Québec son indépendance politique.
Le projet nationaliste d’April n’est pas sans rappeler celui de Florent Laurin dans Erres boréales (voir une critique de ce roman paru en 1944, dans Solaris 47). Mais chez l’utopiste, la technologie répondait à toutes les attentes, tandis que chez April, le super-camion, le Multi-Motor 23, semble éprouver des ennuis techniques et met en péril le projet accéléré d’exploitation des ressources minières du nord québécois. Mais l’ennui, c’est que l’auteur ne précise pas ce qui menace le super-camion. On croit qu’il sera victime d’un sabotage mais la fin ne nous éclaire pas sur le sujet.
Je crois que le problème vient du fait que cette nouvelle est un extrait d’un roman en préparation, ce que l’éditeur aurait dû souligner si c’est le cas. Cela expliquerait aussi la confusion qui règne dans cette nouvelle au niveau des points de vue. L’auteur passe du « il » impersonnel au « je » sans pour autant réussir à donner plus de vérité au personnage de Jérémie dont le rôle paraît essentiel, car il fut un témoin privilégié de la première expédition du Multi-Motor 23, mais dont le sort reste mystérieux.
Visiblement, la nouvelle de Jean-Pierre April soulève beaucoup de questions dont les réponses se trouvent ailleurs. Son défaut majeur provient donc de sa construction car le sujet lui-même incarne très bien la réalité québécoise et conserve toute son actualité avec les événements qui viennent de se produire à Schefferville (fermeture de l’Iron Ore) et qui menacent de se répéter dans les autres villes nordiques.
La nouvelle qui, dans ce numéro spécial réussit le mieux à concilier les exigences de l’écriture et de l’imagination est signée Jean-François Somcynsky « Histoire d’un voyage inutile » raconte la quête du Nord par un groupe de guerriers d’un peuple ayant vécu dans la région où se sont installés par la suite les Mayas. Cette quête mystique qui amène l’expédition jusqu’au Pôle Nord constitue « le dernier espoir d’une civilisation aux abois ». Trois membres seulement reviennent plusieurs années plus tard, sans avoir trouvé ce qu’ils cherchaient. « C’était, encore une fois, le bilan atroce d’une recherche de l’espoir, quand on oublie de le chercher dans son coeur ou quand le coeur est trop plein de la volonté d’atteindre un nord quelconque. »
Le prêtre maya qui lit ce récit trouvé dans un coffret de pierre sent que son peuple est aussi à un carrefour car Cortès et ses hommes approchent de jour en jour. Sont-ce les dieux tant attendus ? Somcynsky a réussi une très belle nouvelle dont le sens philosophique serait le suivant : « Les civilisations meurent de leurs propres maladies ; et leur mort est irrémédiable, comme celle des hommes. »
La nouvelle de Claude Gaudreau, « Contact » appartient à cette même veine mystique sans avoir la même envergure. Il ne s’agit pas du destin d’un peuple et d’une civilisation mais du destin de quelques habitants de stations polaires qui ne peuvent résister à l’appel des grands espaces et qui atteignent un état second qui leur permet de survivre dans le dénuement et l’ascétisme le plus complet. On les appelle les marcheurs et toutes sortes de légendes courent à leur sujet. Le nord apparaît ici comme un lieu privilégié pour la méditation et l’introspection. Il est un personnage, il s’incarne dans le marcheur.
Dans la nouvelle de Jean Pettigrew, « Fragments d’une interférence : la maison close sur le nord » le nord apparaît surtout comme un décor propice aux manifestations étranges notées par un couple et qui pourraient être assimilées au phénomène des aurores boréales. L’île Résolution est le théâtre d’un phénomène cosmique qui a une influence sur les humains. Pettigrew mêle fantastique et SF dans cette nouvelle dense, riche et étouffante qui ne livre pas son mystère.
Michel Bélil tente aussi ce mélange des genres dans « La Maison des quatre saisons » L’expédition spatiale mise sur pied par les Trigmukiens a pour but de ramener l’âme de la divinité Phae et la prospérité sur la planète. C’est également l’argument de la nouvelle de Somcynsky mais Michel Bélil fait du nord une terre d’exil involontaire plutôt qu’une destination choisie.
Après des siècles de survie, les descendants des membres de l’expédition peuvent repartir à bord du vaisseau spatial. Les quatre terriens conscrits pour prendre les commandes du vaisseau n’ont cependant aucune caractéristique particulière qui les désigne pour remplir cette mission. Pourquoi ont-ils été choisis ? Quant à l’allégorie qui associe le rite initiatique de crever l’abcès d’une dent, marquant ainsi le passage de l’enfance à l’âge adulte, à la délivrance finale du vaisseau qui gicle soudain de la mer elle manque de subtilité et de rigueur
La seule contribution à ce numéro thématique qui ne soit pas québécoise est due à Alexandre Amprimoz qui signe une nouvelle intitulée « Contre le nord, contre les Canodoïdes ». Dès le début on est pris par le climat étrange et étouffant qui se dégage du récit d’Amprimoz. On pense spontanément aux Princes de Jacques Benoit avec, en prime, une transposition politico-sociale de la guerre de Sécession ou de la dualité canadienne.
Mais le projet tourne court quand l’écrivain adopte le ton du burlesque et recherche l’effet gratuit du mauvais jeu de mot. L’intérêt fait place à l’ennui à mesure que s’accumulent les insignifiances du genre : « Ah ! Ah ! Vous lisez Derrida pendant la Corrida ! – Non, seulement dans le corridor en attendant le matador. Ou encore, savez-vous la différence entre une des mes couilles et un citron ? Un citron, c’est acide, suce ma couille et tu verras. » Amprimoz a-t-il voulu écrire un texte drôle ou sérieux ? Il n’a réussi ni l’un ni l’autre.
Au moins, chez François Barcelo, même si le thème du nord est virtuellement absent de sa nouvelle, on sait à quoi s’en tenir. « Écrivains XXIII » se place sous le signe de l’humour et reste fidèle à son projet de départ. La chute est réussie et ne manque pas d’ironie. C’est d’ailleurs le seul texte du recueil dont l’approche est résolument humoristique. Il aurait dû être placé plus tôt dans le cours du livre.
Enfin, deux textes qui participent de l’écriture expérimentale complètent ce recueil. Chez Jean Pelchat, dans « La Goutte glacée dans l’eau de Paule » l’écriture rappelle le formalisme dont on trouve de nombreuses applications dans la poésie québécoise depuis une dizaine d’années. Il est très difficile de saisir le portrait d’ensemble proposé par Pelchat alors que ce n’est pas le cas dans « Blitz de Blizzards » de Clodomir Sauvé. La syntaxe de cette nouvelle demeure, somme toute, traditionnelle. La difficulté réside plutôt dans l’utilisation d’un vocabulaire qui peut bien exister mais qui ne correspond à aucune image connue chez le lecteur. Le père du dictionnaire utilisé par Sauvé serait Claude Gauvreau, le poète automatiste.
Néanmoins chez Pelchat, comme chez Sauvé, si j’ai bien compris, l’idée de base était de superposer le nord et le sud, de détruire les signes de référence qui identifient ces deux notions, de substituer les référents de l’un à ceux de l’autre. L’approche de Pelchat est théorique. L’identification nord/sud se vérifie dans la juxtaposition de termes antinomiques qui défient la réalité : « tigre polaire », par exemple.
L’approche de Sauvé est romanesque et globale. Les nombreuses descriptions contenues dans sa nouvelle établissent qu’il s’agit d’un décor nordique mais cette réalité est mise en doute par le personnage principal, Clovis Free, qui croit que tout cela n’est qu’un simulacre et que la ville de Zeulr est située en Guyane. Je préfère de loin la nouvelle de Clodomir Sauvé car la fiction conserve ses droits.
En somme, ce numéro spécial d’imagine… est assez varié dans sa composition mais le résultat est très inégal. Le thème du nord ne réussit pas à s’incarner avec conviction dans chacune des nouvelles. Ce numéro thématique apparaît plus comme un « trip » de directeur littéraire qu’une réflexion sur le nord.
imagine…, Le Nord. Numéro 10, automne 1981, 144 pages.
Claude JANELLE