Daniel Sernine, Les Contes de l’ombre (Fa)
Daniel Sernine
Les Contes de l’ombre (contes)
Montréal, Sélect, 1979, 190 p.
Daniel Sernine n’a pas besoin de carte de visite pour les lecteurs de Requiem. Ses faits et hautes œuvres sont dispersées tout au long de la collection, et il a remporté le Prix Dagon 1977. Les Contes de l’ombre est son premier livre. C’est un recueil de 16 contes dont quelques-uns ont été publiés dans Requiem.
Quel genre de contes ? Un narrateur/auteur nous les présente dans le prologue :
« Cette Voix, la Voix de l’Ombre, me raconte des histoires. Il y en a de fantastiques, il y en a d’horribles, il y en a d’inquiétants, d’autres simplement insolites. »
Cela nous donne une idée du ton général de l’ensemble qui est bien structuré. Toutes les histoires ont pour cadre général un coin imaginaire, légendaire, dont le centre est la ville de Neubourg, cité insolite qui recèle bien des secrets, repère de citoyens pas toujours au-dessus de tout soupçon, abri (surtout le quartier St-Imnestre) de sorciers redoutables, de tueurs mégalomanes, de démons horribles.
Je connais particulièrement bien Les Contes de l’ombre, pour les avoir lus, commentés, corrigés, avant leur publication. Il y en a que j’ai publiés (« La Tour du silence », « Le Coffret », « Brève Histoire de Gonzague Préjudice », etc.) parce que je les aimais, d’autres que j’ai refusés parce que je ne les aimais pas trop trop (ce qui ne signifie nullement qu’ils ne sont pas bons) ou parce qu’ils n’étaient pas vraiment « fantastiques ». Il y a là des petits bijoux comme par exemple « La Maison de l’éternelle vieillesse » (le meilleur du recueil) ou « Jalbert ».
Sernine est un oiseau de plus en plus rare dans la littérature, il fait partie de cette espèce en voie de disparition et que tous les écologistes de la SF et du Fantastique devraient défendre : les conteurs. Raconter une histoire pour le plaisir de la chose, avec un début, une fin, un développement, des personnages qui agissent, bref avec tout ce qu’il faut pour le lecteur qui aime se faire raconter des choses. Cela n’exclut pas les qualités littéraires. Les contes de Sernine sont bien écrits et je sais mieux que quiconque le travail suivi que représente la rédaction de chaque conte.
On a dit que les histoires de Sernine étaient trop « classiques ». So what ? Le sont-elles ? Il s’agit de son premier livre et il est peut-être inévitable qu’un auteur, en début de carrière soit influencé par des modèles, ou commette quelques erreurs qui seront corrigées à la longue, avec le temps et l’expérience (par exemple, il abuse déjà moins des adjectifs). Ce qui me parait primordial c’est que Daniel Sernine écrit CE QUI LUI PLAÎT, COMME ÇA LUI PLAÎT, sans se préoccuper des modes, des écoles, des traditions, etc. Il a une histoire en tête. Il s’arrange pour la raconter avec art et (lettres ?) plaisir. Et il réussit à communiquer ce plaisir au lecteur. Je défie tous les avant-gardistes d’en faire autant. Après ils pourront ouvrir leur grand clapet.
On a aussi dit de Daniel Sernine (et de Michel Bélil, incidemment) qu’il était un « auteur maison ». Rectification : Sernine n’est pas un « auteur maison » (ce qui pourrait signifier à la limite que nous publions du Sernine ou du Bélil quand nous n’avons rien d’autre sous la main…).
Pas du tout. La vérité est bien plus simple que cela. Sernine ne se contente pas de parler des textes qu’il pourrait écrire, ou voudrait écrire, de ces nouvelles mirifiques et géniales qu’il pourrait nous faire parvenir (s’il les termine, si le Lièvre de Pâques le permet, si l’inspiration ne tarit pas…) non, Sernine écrit. Des dizaines de récits, des bons, des moins bons et des (pour moi, parfois) des pas bons ou pas encore bons. Ces contes/récits/nouvelles il me les envoie pour que je les lise, les commente et éventuellement, bien sûr, que je les publie. Avec comme résultat que j’ai toujours une réserve de contes publiables. C’est l’histoire des hot-dogs et saucisses Hygrade (pardon Daniel, pour cette comparaison culinaire osée) : plus de gens en mangent parce qu’elles sont plus fraîches, et elles sont plus fraîches parce que plus de gens en mangent…
Sernine, comme Bélil, ou Jean-Pierre April, pour ne citer que les plus prolifiques, écrivent. Et ne se considèrent pas comme des prix Nobel de littérature parce qu’ils ont envoyé une nouvelle à Requiem. Il n’y a pas d’auteurs-maison. Il n’y a que des gens productifs, travailleurs, têtus, obstinés et passionnés qui aiment ce qu’ils font et qui envoient leurs textes là où ils sont susceptibles de connaître un vrai destin de textes : être publiés.
On n’a pas fini d’entendre parler de Daniel Sernine. Déjà il se met à écrire de la science-fiction. Avec beaucoup de succès, je dois dire.
Encouragez-le, lisez Les Contes de l’ombre. Ça en vaut la peine. Et on attend ses prochains livres avec une impatience qui n’a rien de diplomatique !
Norbert SPEHNER