Jean-Pierre April, N’Ajustez pas vos hallucinettes (SF)
Jean-Pierre April
N’Ajustez pas vos hallucinettes
Montréal, Québec/Amérique (Clip #4), 1991 187 p.
C’est un recueil de nouvelles annoncées comme fantastiques – mais tordues au maximum vers la science-fiction – que nous offre ici Jean-Pierre April. Toutes les nouvelles qui le composent, sauf « Julie Joyal appelle les étoiles » sont des versions remaniées de textes déjà parus dans diverses revues, notamment Solaris et imagine…
L’illustration de la couverture est révélatrice du contenu et prévient à l’avance le lecteur de l’atmosphère qui dominera : sombre, bizarre, à la limite du compréhensible dans certains cas. Les thématiques sont pourtant classiques : guerre nucléaire, survivants misérables, hausse du crime, disparition des livres au profit de l’informatique, réanimation des morts, insémination artificielle… De ce point de vue, c’est même un peu banal, même si on sent qu’il y a toujours quelque chose dessous.
Le style est tout à fait approprié : humoristique, léger et clair, sauf dans la nouvelle titre, « N’ajustez pas vos hallucinettes » où la structure complexe du texte ne facilite pas la compréhension.
Le recueil commence avec « Les Orphelins de HoïTri » HoïTri est une ville asiatique ravagée par la Troisième Guerre Mondiale. On voit la vie de cette époque (pas très lointaine puisque les automobiles ont encore des roues et des tuyaux d’échappement !) à travers les yeux d’un adolescent rebelle qui fait partie de la bande des Dragons Blindés. C’est de loin la nouvelle la plus sombre du recueil. Elle pousse le lecteur à réfléchir au sort des pays sous-développés pris dans le jeu du American Dream.
« Jackie, je vous aime » semble se dérouler plus ou moins à la même époque, mais en Amérique cette fois. C’est l’envers de la médaille, d’une certaine façon. À New York Country, une technique a été mise au point pour ramener à la vie les morts congelés. C’est grâce à cette technologie que Jackie Kandy peut vivre une deuxième vie. Mais ce n’est pas parfaitement au point : les réanimés ne peuvent survivre qu’en suivant des cures médicales et Jackie n’échappe pas à cette obligation. Contrairement à la nouvelle précédente, « Jackie, je vous aime » est à la fois amusante et horrifiante. Les descriptions donnent la nausée, mais le texte est plein de traits d’humour et d’allusions à peine déguisées aux personnages marquants du vingtième siècle.
« Coma 70 » poursuit le thème de la vie après une pseudo-mort. Cette fois, un écrivain désirant explorer les prémices de la mort s’injecte des doses de thanatogène au cours d’expériences menées par son ami, le docteur Ratel. Mais l’expérience fonctionne mal et il meurt pour vrai, ou presque, car il finit par être ranimé dans le futur. Un futur où les livres n’ont plus de place, où le coût de la vie est astronomique, où le sang se vend au marché noir et où les trottoirs sont mobiles. Une autre vision de l’avenir, moins sinistre que celle de la Troisième Guerre Mondiale, mais malheureusement tout aussi possible.
« Voyage au centre de la planète Mer » et « N’ajustez pas vos hallucinettes » sont les deux textes les plus difficiles à saisir. Ils tiennent tous les deux du délire et, à force de vouloir lire entre les lignes, on finit par ne plus savoir où l’on en est et qui fait quoi dans l’histoire. L’écriture inusitée et très fantaisiste de Jean-Pierre April est souvent très efficace, mais c’est difficile à comprendre !
En définitive, seules deux nouvelles conviennent tout à fait à un public adolescent. « King Kong III » est un texte amusant où le roi Kong, troisième du nom, échappe à ses créateurs du monde cinématographique et détruit tout sur son passage, pendant que le maire de Manhattan utilise son instinct de chasseur pour mettre sur pied un piège à la mesure du grand singe. Sur un ton beaucoup plus sérieux, « Julie Joyal appelle les étoiles » raconte la rencontre d’une adolescente née d’une insémination artificielle et de son « parfait » papa biologique.
En définitive, c’est un recueil intéressant, sans doute plus pour de jeunes adultes que pour des lecteurs de quinze ans. Il force la réflexion. Reste à savoir si c’est tout le monde qui aime être amené à penser à la suite d’une lecture qui aurait voulu n’être qu’une distraction. Reste le style, une plaisante découverte dont on savoure chaque phrase.
Julie MARTEL