Danielle Simard, La Revanche du dragon (SF)
Danielle Simard
La Revanche du dragon
St-Lambert, Héritage (Pour Lire), 1992, 125 p.
Un jeune amateur de Nintendo se retrouve par hasard en possession du prototype d’une nouvelle cassette de jeu. Cela vous rappelle quelque chose ? Un jeune fanatique de jeux vidéo se retrouve dans la peau de son personnage bidimensionnel.
Bien que ces deux éléments de base du roman aient déjà été vus, et maintes fois, Danielle Simard tire bien son épingle du jeu – vidéo, il va sans dire. D’abord son roman est plus substantiel que le consternant Super Débile 5 de Pierre Pigeon. Et la partie « réaliste » de son intrigue est moins rocambolesque que celle du Mystère du Marioland.
Danielle Simard parvient à alterner de manière captivante les joutes potentiellement répétitives du Projet Dragon, et les tranches de vie du jeune Luc. C’est que ce pauvre Luc, à chaque partie, se retrouve littéralement dans la peau du preux chevalier qui doit affronter un dragon, entre autres dangers. Il partage les sentiments du chevalier comme s’il s’agissait d’une vraie personne. Transfert partiel, néanmoins. qui se fait sans que Luc perde tout à fait contact avec le monde réel et son temps (à la différence des romans cités plus haut). Mais ce n’est pas la seule manière dont ce jeu révolutionnaire influe sur Luc : à chaque défaite qu’il subit face au dragon, une écaille lui pousse sur la peau. D’abord sur le ventre, puis sur tout le torse, puis sur les membres, sans compter le début de queue qu’il se sent pousser au bas du dos. Transformation de plus en plus difficile à cacher à ses parents et à ses camarades de classe. Et seule une victoire décisive – croit-il – lui permettra de retrouver sa peau virginale de gamin. Cette transformation, permet à l’auteure d’esquisser subtilement une métaphore de la puberté, avec humour et pudeur.
Mais ce n’est pas tout : dans l’univers de l’écran vidéo, Luc retrouvera Antoine, le concepteur du jeu, disparu mystérieusement juste après lui avoir confié la fameuse cassette, et il aura l’occasion de le sauver des malfaiteurs qui l’ont kidnappé pour vrai.
Avec un sujet devenu éculé en quelques années seulement, Danielle Simard – qui en est ici à son premier roman après avoir écrit et illustré des albums pour enfants – se débrouille pour signer un récit bien ficelé et rondement mené. Le lecteur adulte doit faire attention de ne pas trop tirer sur les brins de cette ficelle, car l’auteure n’offre aucune une explication sur les transferts entre monde réel et monde vidéo. Pas trop de « comment ? » ni de « pourquoi ? », s’il vous plaît.
On peut parler de SF parce que les inventeurs – ils sont deux frères, apprend-on vers la fin – nient qu’il s’agisse de magie et parlent du Projet Dragon comme du produit de recherches très avancées. On veut bien.
Une remarque, quand même, pour déplorer l’intention avouée des éditeurs de racoler un jeune public vidéophage en lui proposant des romans sur le thème du jeu vidéo.
Dans ce cas précis, il s’agissait d’une commande de la directrice de la collection, qui avait proposé ce thème – avec celui des communautés ethniques – dans une lettre circulaire envoyée aux auteurs potentiels. Si les « figures imposées » peuvent offrir d’intéressants défis en création littéraire, on peut quand même déplorer que le marketing en vienne à remplacer l’imaginaire personnel comme principe moteur de l’inspiration des écrivains.
Alain LORTIE