Esther Rochon, L’Ombre et le cheval (Hy)
Esther Rochon
L’Ombre et le cheval
Montréal, Paulines (Jeunesse-Pop #78), 1992, 121 p.
À son retour de la ville où il a vendu ses œuvres et celles de son frère. Sim s’est « égaré » dans le vallon de la mort.
Se portant à son secours, son frère Anskad s’est sacrifié, il est mort réduit en cendres par le soleil dévastateur pour que Sim survive. Ella, petite-fille et héritière d’Anskad, ignorant le sort de son grand-père, se questionne sur son propre avenir en attendant un signe onirique de son aïeul.
Ce résumé ne peut rendre qu’approximativement le contenu du roman d’Esther Rochon, qui me laisse troublée à la fois par le contenu très dense et par la beauté de ses images, de ses chevaux gazeux prenant d’assaut le ciel dans la nuit du désert.
L’Ombre et le cheval est un roman sur l’héritage mais, pour les artistes présentés ici, héritage ne signifie pas imiter leurs prédécesseurs. Dans la communauté où évoluent ces personnages, la continuité existe par le bris des traditions : les machines de Sim et d’Anskad seront vidées des dernières œuvres de ces créateurs avant que d’autres prennent la relève. Ce geste fait de L’Ombre et le cheval un roman qui porte aussi sur l’acceptation du deuil : la visite finale et inexpliquée des chevaux du ciel dispersés, à la fin, constitue un signe de la part du disparu pour signifier à ses héritiers qu’il les approuve de l’Au-delà. Cette manifestation fantastique n’est pas la seule du récit : Ella tergiverse sur la conduite à tenir, attendant qu’un rêve lui transmette un message de son grand-père ; puis, « ayant vu le monde par les yeux d’Anskad » et sachant à quoi s’en tenir sur le sort de son grand-père, Ella ne peut que recueillir l’héritage, ce qu’elle fera au terme d’une curieuse période de méditation passée chez une ermite.
On aura compris que L’Ombre et le cheval n’est pas un roman d’action (mais s’attend-t-on à cela de la part d’Esther Rochon ?). Il s’agit d’une œuvre lente, où flotte pourtant un mystère qu’on aurait aimé voir durer plus longtemps. Le passage du rêve, où nous est révélé le sort d’Anskad, me paraît d’ailleurs le plus faible du roman. Le rêve d’Ella, même s’il était annoncé et attendu depuis quelques chapitres, constitue une manière bien facile de nous renseigner sur des événements survenus hors intrigue. Il me semble que toutes les informations contenues dans ce rêve se retrouvent, sous une forme ou une autre, à d’autres passages du roman, rendant ce chapitre redondant.
Roman de la différence, L’Ombre et le cheval n’est pas sans évoquer L’Espace du diamant et L’Épuisement du soleil, par cette opposition ville/désert, citadins/campagnards, les gens du village étant des créateurs alors que les citadins ne sont que des consommateurs. Les villes qu’Esther Rochon décrit dans ses romans ressemblent aux nôtres, ce sont des villes actuelles, proches de notre culture, tandis que les communautés isolées (Vrénalik dans les deux romans grand public et le désert dans L’Ombre et le cheval) nous paraissent vraiment étrangères. Or, le fait que nous partagions, en tant que lecteurs, le point de vue des gens du désert, et non d’un citadin, accentue l’effet de distanciation. Pour cette raison, j’espère que le lecteur adolescent n’aura pas trop de peine à s’identifier au personnage d’Ella, narratrice aux préoccupations très adultes. Du reste, le texte ne me semble pas très accessible. Rebutera-t-il le lecteur moins expérimenté ? Soyons optimistes : il se trouvera sûrement de jeunes lecteurs, dégoûtés par les salades faciles et périssables que leur servent tant de collections jeunesse, pour savourer tout comme moi l’étrange beauté de ce texte sur l’ombre, le désert, les chevaux du ciel et ceux qui les chevauchent en imagination.
Francine PELLETIER