Denis Côté, Le Voyage dans le temps (SF)
Denis Côté
Le Voyage dans le temps
Montréal, La Courte Échelle (Roman Jeunesse, 18), 1989, 92 p.
Le jeune Maxime trouve dans sa chambre, le soir de son anniversaire, d’antiques bottines qui, aussitôt qu’il les chaussera, le ramèneront dans le passé avec sa copine Jo. Rendus à Québec en 1889, ils cherchent la femme à qui ces bottines appartiennent, « la Charbonneuse » considérée comme une sorcière et accusée d’avoir causé une épidémie de variole. Eux-mêmes poursuivis par la populace en colère, Maxime et Jo trouveront l’ancienne maîtresse d’école tant haïe, et apprendront qu’elle a fait des expériences magico-scientifiques débouchant sur le voyage temporel. Elle les renverra chez eux par une machine en forme d’horloge géante à pendule.
Le Voyage dans le temps, et particulièrement la visite de quartiers ouvriers en 1889, offrent à Denis Côté l’occasion de donner brièvement libre cours au misérabilisme qui teint une bonne partie de son œuvre : pauvreté, maladie, enfants battus, persécution…
Quelques anachronismes échapperont au jeune lecteur, comme la croyance généralisée aux sorcières, fin dix-neuvième siècle, ou comme le langage de la Charbonneau, où se glisse parfois un embarrassant « aérodynamique » (p. 81) ou « une période d’intense épanouissement intellectuel » qui détonne dans le contexte, sinon dans l’époque (p. 73).
Les incontournables du voyage temporel sont au rendez-vous, la scène obligée où les personnages finissent par comprendre qu’ils sont au siècle précédent. Mieux venu est le dialogue où Gabrielle Charbonneau, comme le H. G. Wells du film de Nicholas Meyer, Time after Time, demande avec espoir :
L’avenir ? Je crois que les connaissances que nous acquerrons peuvent changer le monde. Que la science soulagera les misères de l’humanité. Qu’elle nous aidera à construire un monde meilleur. (…) Est-ce que je me trompe ? (pp. 77-78)
Une interruption dispense momentanément ses jeunes interlocuteurs de la détromper.
Le narrateur est le même que dans Les Prisonniers du zoo, candide et spirituel, brave et vulnérable. Avec sa compagne, il se retrouve au cœur d’une intrigue qui, comme celle de Nocturne pour Jessie, se cherche une place précaire entre merveilleux et SF. Non-cohérence et rationalisation se disputent certaines parts du scénario. Ainsi les bottes-à-remonter-le-temps se retrouvent, le temps d’un besoin narratif, bottes-à-téléportation, sans qu’on sache ce qui a présidé à ce providentiel changement de fonction. Quant à la sorcière, cultivée et indépendante d’esprit, qui n’est pas une sorcière et dit ne pas croire à la magie, elle a conçu des bottes qu’il faut bien qualifier de merveilleuses à défaut d’une rationalisation quelconque (comme par exemple celle, fût-elle seulement visuelle, de l’horloge à remonter dans le temps, qui a au moins les allures d’une machine). Pour comble du paradoxe, ces bottes magiques, la sorcière les a fait manufacturer dans une cordonnerie-usine ! Le recours au canot de la chasse-galerie pour échapper aux poursuivants achève de camper le merveilleux dans ce roman, mais sans que la SF n’en soit évacuée.
Toutefois, rien de cela ne dérangera le jeune lecteur, qui y verra une aventure bien menée : Côté démontre toujours son sens poussé de l’intrigue et son habileté à ménager des mystères. Le roman est bien servi par une narration que j’appellerais ingénieuse, ou inventive, dans ses images et ses comparaisons, dans la justesse des mots d’esprits prêtés au jeune narrateur. Et puis, quelle satisfaction de ne rencontrer aucune des rugosités qui abondent chez tant d’auteurs québécois : faux emplois, excès lexicaux, tournures erronées, phrases gauches. Rien de cela chez Denis Côté, seulement l’éclat discret d’une écriture élégante, polie, sobre sans être terne, et maniée avec une aisance qui se savoure. Les belles illustrations de Stéphane Poulin ne font qu’ajouter au plaisir.
Alain LORTIE