Daniel Sernine, Argus : Mission Mille (SF)
Daniel Sernine
Argus : Mission Mille
Montréal, Paulines (Jeunesse-Pop), 1988.
Outre quatre romans du cycle de Neubourg et Granverger, Daniel Sernine avait déjà publié deux romans de SF dans la collection Jeunesse-Pop : Organisation Argus et Argus intervient1. Il nous revient avec un troisième livre, Argus : Mission Mille, qui fait plus ou moins suite aux deux premiers. Ceux-là nous ont déjà présenté Argus, cette organisation utopique formée d’anciens Terriens qui ont quitté leur planète pour s’établir sur Érymède et sur une base lunaire afin d’oeuvrer à la paix mondiale.
Nous retrouvons Marc Alix, Cari Andersen et Cynthia McKinnon, chargés par Argus de veiller sur la santé d’une personnalité influente du gouvernement canadien. Grâce à ses ressources, Argus apprend qu’un événement dramatique se prépare, événement qui empêchera la résorption du conflit israélo-palestinien. Selon les prévisions d’Argus, Yves Sonier, ministre canadien des Affaires extérieures, sera une clé dans la résolution de ce différend. Et cette opération d’Argus, la millième, visera à prévenir les conséquences qu’aurait un attentat contre Sonier.
Le début du roman est un peu lent, on nous présente des manoeuvres de neutralisation de satellites terriens voués à la défense stratégique, et on a droit à de brefs (trop brefs) aperçus de la vie des Éryméens sur leur base lunaire. Mais, par la suite, le roman s’anime, l’intrigue devient plus enlevante.
Par cette trame de politique-fiction, Sernine, chez qui on sent le désir d’édifier le lecteur, a le souci de donner de la crédibilité à l’action. L’écriture est précise, parfois trop, peut-être. Visiblement, Sernine vise ici un public plus mûr qu’au début de la série. Les nombreuses références scientifiques et technologiques risquent de décourager les plus jeunes lecteurs de la collection. Quant au contexte politique du conflit israélo-arabe, malgré sa grande actualité, il n’est pas nécessairement au centre des préoccupations des jeunes. Reste que, depuis quelques années, la collection nous a habitués à ce genre de récits SF plus développés.
Les structures narratives du récit nous donnent accès à la pensée de plusieurs personnages, tout en contribuant à divers degrés au bon succès de la mission. Si bien qu’on garde l’impression qu’aucun personnage n’a à lui seul l’initiative de l’opération.
Celui qu’on pourrait qualifier de personnage central, Marc, est envoyé à Montréal, sa ville d’origine, après neuf ans d’absence. Tout comme les autres membres de la mission, Marc fera ce qu’il a à faire et, à ce titre, il est un excellent exécutant. Mais jamais il ne manifestera le désir de reprendre contact avec les siens, quoiqu’il éprouve une certaine compassion pour de jeunes Montréalais mêlés à cette aventure malgré eux.
Dans un article antérieur2, j’avais émis l’hypothèse que le héros québécois de SF pour jeunes était devenu migrateur, au tournant des aimées 80, et que sa quête le menait hors du cadre québécois. Sernine réintroduit, du moins pour un temps, un décor québécois (urbain) : le « héros » est de retour chez lui, mais il repartira. Ce décor ne lui donne pas le goût de rester.
En fait, le véritable héros du récit, c’est Argus, l’organisation utopiste, un pieu paternaliste, aux préoccupations morales élevées, qui dans ce roman prend toute la place. Il sera peut-être difficile à un jeune lecteur de s’identifier à un personnage plutôt qu’à un autre, la plupart étant des actants de l’Organisation. Ce qui laisse croire qu’on retrouve davantage ici des préoccupations de jeunes adultes.
Argus accomplit bien sa mission, plutôt mille fois qu’une.
Luc BERNIER