Jean-Michel Lienhardt, La Mémoire des hommes (SF)
Jean-Michel Lienhardt
La Mémoire des hommes
Montréal, Paulines (Collection Jeunesse-Pop), 1988.
Daniel, un garçon d’une douzaine d’années, se trouve seul avec son chien dans l’abri antinucléaire de ses parents, de riches industriels de Québec, quand se déclenche la catastrophe. Bien préparé par ses parents à cette éventualité, le garçon va survivre à un (court) hiver nucléaire, puis quitter l’abri pour explorer son environnement bouleversé. Avec d’autres survivants, il apprendra à conserver vivace « la Mémoire des hommes ».
Voilà l’argument du premier roman d’un nouvel auteur qui possède déjà d’indéniables qualités. Le récit est bref, ponctué de nombreux mouvements de scène et de beaucoup d’action, ce que les jeunes lecteurs ne manqueront pas d’apprécier. Les personnages sont intéressants, même les méchants que l’on ne rencontre que brièvement. Et que dire du personnage de Raymond, l’homme qui ne vit que pour retrouver les livres (qui forment, eux, la Mémoire des hommes) ? Passager dans le récit mais important (puisque porteur du message de l’auteur), Raymond est l’un des personnages les plus réussis.
De plus, on devine derrière l’auteur l’influence du cinéma (des références à The Quiet Earth et à The Day After) : on visualise parfaitement les décombres décrits par l’auteur. Les voitures, paralysées par l’explosion nucléaire, y apparaissent comme autant de cadavres, autant de rappels poignants des vies ainsi interrompues (sans compter les vrais cadavres que le jeune héros découvre…). Lienhardt utilise toute une imagerie post-cataclysmique familière aux amateurs de SF et, surtout, réaliste.
Le roman a, bien sûr, ses faiblesses. Les dialogues sont maladroits, exploitant mal le registre de la langue parlée : on y passe de l’argot (« tu piges ») à des expressions purement québécoises.
Mais la plus grande faiblesse du récit se situe au niveau des émotions qui n’arrivent pas à toucher le lecteur (du moins la lectrice adulte que je suis). Et pourtant, combien de temps forts pourraient être vécus dans ce roman ! Les peurs de l’enfant qui devine ses parents morts dans la catastrophe, la perte de son chien et seul compagnon, la perte d’un second compagnon, humain celui-là… L’auteur nous dit qu’il se vit là des émotions intenses, mais jamais il ne nous les montre véritablement. À la limite, l’horrible est mieux rendu, quoi que parfois il donne lieu à des épanchements littéraires pour le moins excessifs.
Le narrateur envahit le récit, prenant toute la place au point d’occulter son personnage principal. Un narrateur à la première personne aurait-il réglé une partie de ce problème ? Lienhardt devra en tout cas apprendre à se faire discret et à user modérément des adjectifs s’il ne veut pas perdre le fragile contact établi avec le lecteur.
En attendant, j’espère que Jean-Michel Lienhardt se remettra très vite au boulot pour nous montrer ce dont il est (vraiment) capable.
Francine PELLETIER