imagine… 39 (vol VIII n˚4)
imagine… 39 (avril 1987)
Longtemps attendu, le numéro d’avril d’imagine… est paru à la mi-mai : un spécial « SF pour jeunes », la quatrième des initiatives annuelles de la rédactrice en chef Catherine Saouter pour réunir écrivains et dessinateurs autour de thèmes communs. Sous une couverture fort colorée qui aura peut-être surpris ses abonnés non prévenus. imagine… a rassemblé pour cette occasion douze écrivains et quatorze dessinateurs, les textes étant regroupés en catégories « pour les petits », « pour les moyens » et « pour les grands ».
Un seul conte pour les bambins, « Petit-Robot » par Danielle Fernandez. « Pour les moyens », six nouvelles dont deux auraient été davantage à leur place dans la section suivante. Le choix de la tranche d’âge était laissé aux auteurs et la majorité n’avaient pas d’expérience en littérature de jeunesse. C’est le cas du « Retour de Per-noël » de Français Jacques Boireau, texte assez abscons (relativement au public visé), et lardé de phrases telles « Mais aucune théorie n’avait fait autant de bruit que celle de ce savant qui avait soutenu face à l’incrédulité générale que son île natale n’avait été autrefois qu’une partie – « la corne », disait-il – du continent massif et voisin. » Tout pédagogue vous dira qu’une telle phrase est très difficile pour un écolier du niveau primaire.
« La Montre » de Guy Bouchard est l’histoire d’une montre qui dévore le temps du gamin qui l’a reçue et fait de lui un vieillard. « Les Derniers Érables » de Daniel Sernine est une fable écologiste sur les pluies acides et le dépérissement des forêts, avec des personnages apparentés à ceux des « Voyages imaginaires » paru dans Planéria1. Dans « Le Robot » de Mercédes Nowak, un robot en Lego investi par un esprit extraterrestre se met au service de son jeune constructeur. Dans « Cher ancêtre », Francine Pelletier raconte avec un humour gentil l’histoire d’un fantôme qui hante une bibliothèque, occupé à faire sa généalogie, et de la petite Herminie qui ne veut pas le voir emménager chez elle. Esther Rochon vise juste, elle aussi, avec sa nouvelle « Pardessus la tête » où Marcil, prenant son bain, s’évade en compagnie des petits Zwips apparus sous l’eau. C’est toutefois le texte de Michel Bélil qui m’a enchanté le plus : « Le Perrobot de ma voisine » narré par une enfant éprise du pommetier qu’on a planté pour elle – une enfant ailée originaire de la planète Psitt. Bélil manie le conte avec son talent habituel, et est encore plus à l’aise dans le registre pour jeunes.
À mi-chemin du numéro on rencontre une énigmatique histoire en cinq images de Jac Lapointe, représentant cinq photos-souvenirs avec pour seul texte les légendes laconiques de ces instantanés. On regrette que l’oeuvre soit sans titre et ne figure pas de plein droit au sommaire. Il est faux toutefois que ce soient là ses premières illustrations publiées, comme l’avance la notice en fin de revue : imagine… elle-même en a publié dans son numéro 37 (décembre 1986) !
Dans la section « Pour les grands », deux des textes s’adressent en fait aux adultes, comme ces clins d’oeils qu’on se fait pardessus la tête des gamins. Ce me semble être le cas de « Courir » de Bertrand Bergeron, narré par une enfant des manipulations génétiques, et celui de « La Machine à écrire » de Denis Côté, un texte centré sur ses préoccupations personnelles comme c’est souvent le cas, mais cette fois-ci il s’amuse à s’y mettre en scène directement, avec une ironie féroce, « ploguant » la plupart de ses livres et de ses marottes tout en usant de québécismes comme celui-là. Vient ensuite « Lukas 19 », nouvelle pas très intéressante du jeune Jean-Louis Trudel, texte grevé de quelques maladresses montrant un adolescent clôné à la recherche de ses origines. L’ensemble s’achève sur la belle et poétique histoire d’« Abel Arbre » qui a choisi de devenir un arbre et se retrouve un jour papier sous la plume des écoliers, un hommage de Michel Lamart au support muet de toute création littéraire.
Au total, un très bon recueil de texte brefs à mettre entre les mains des écoliers : les enseignants sont toujours en quête de lectures courtes, pour une génération que cet exercice rebute souvent. Mais on peut craindre que cela ne se fasse pas à une grande échelle car les écoles et les bibliothèques pour jeunes ne constituent pas le public habituel d’imagine…
Alain LORTIE