Grace L. Dillon (dir.), Walking the Clouds, An Anthology of Indigenous Science Fiction (SF)
Grace L. Dillon (dir.)
Walking the Clouds, An Anthology of Indigenous Science Fiction
University of Arizona Press, 2012, 260 p.
Ce livre, mélange d’essais, de fictions et d’extraits de fictions, date de 2012, mais il n’est jamais trop tard pour bien faire. Comme l’afro-futurisme en son temps, l’« indian futurism », ou « indigenous futurism » comme l’appellent les responsables de l’ouvrage, fait lentement son chemin à la fois dans les supports de publications (revues, collectifs, anthologies, maisons d’éditions « parallèles » ; on en a signalé quelques-uns dans Solaris au cours des dernières années) et dans le milieu de la recherche plus ou moins universitaire. Il semble cependant que l’effet de synergie soit plus lent à se déclencher pour le second « genre » que pour le premier. Les raisons en sont peut-être sociétales, la situation des Autochtones, d’où qu’ils soient, étant un peu différentes de celle des Afro-Américains, par exemple ; par ailleurs, la question de la survie physique individuelle et collective est peut-être plus pressante pour les uns que pour les autres, sans parler de celle du rapport au territoire. Je ne me risquerai pas plus loin dans ces questions, c’est d’abord aux Autochtones de les explorer. Ce qu’ils font du reste avec vigueur dans plusieurs essais et textes du présent ouvrage, divisé en cinq parties – chiffre symbolique dans les cultures autochtones américaines (au sens géographique du terme) : The Native Slipstream (Le slipstream indigène) ; Contact ; Native Science et Sustainability (Science et durabilité indigènes) ; Native Apocalypse ; “Biskaabiiyang”, Return to Ourselves (Revenir à nous). Chaque partie consiste en un article de fond suivi de textes ou extraits de textes illustrant le propos de l’essai ; on trouvera quelques noms un peu plus connus (Gerald Vizenor, Sherman Alexie, Celu Amberstone, Andrea Hairston, et Nalo Hopkinson, car il y a une intersectionnalité évidente, et nécessaire, entre afro-futurisme et futurisme autochtone). Le tout est fort clairement résumé dans l’introduction générale, « Imaginer le futurisme autochtone ».
Il est tout à fait fascinant de constater les convergences de tropes classiques de la SF avec les questionnements vécus par les auteurices indigènes, en particulier celui du contact (insérer ici le fil postcolonial) et celui de la Catastrophe – l’une découlant de l’autre en ce qui concerne tous les indigènes de la planète. La réflexion va cependant plus loin que cette évidence, avec la partie consacrée à la science indigène, des modes de connaissance divergents mais qui rejoignent souvent, dans un autre vocabulaire, les intuitions et découvertes de la physique moderne. Presque tous les textes critiques s’entendent, en tout cas, pour célébrer la science-fiction comme l’agent d’une libération par l’imagination, un territoire offrant la possibilité d’échapper au registre réaliste, nécessaire, certes, mais prisonnier du couple binaire désespérant accablement/colère. Les voix marginales ou marginalisées ont toujours été un espoir de renouveau pour la SF – ainsi, en leur temps et depuis, celles des femmes et des « minorités sexuelles », tout comme depuis quelques années les SFs non occidentales du monde dit développé, en particulier asiatiques. S’agit-il d’un de ces accès d’exotisme qui balaie de temps à autre le milieu éditorial anglophone, milieu encore principal du genre puisque la très grande majorité des fictions nous arrive le plus souvent d’abord en anglais ou en traduction anglaise ? L’avenir nous le dira. En attendant, on peut avoir l’œil et l’esprit à l’affût.
Élisabeth VONARBURG