Lectures 138
Exclusif au supplément Web de Solaris 138, été 2001
Stephen King
La Petite Fille qui aimait Tom Gordon
Paris, Albin Michel, 2000, 331 p.
Stephen King
Coeurs perdus en Atlantide
Paris, Albin Michel, 2001, 553 p.
On ressent une sorte de confort de lecture lorsque l’on débute un livre d’un auteur que l’on a beaucoup lu et apprécié par le passé. Je n’appellerais pas ça un préjugé favorable, simplement un confort qui n’existe pas lorsqu’on se prépare à aborder un auteur inconnu. Depuis le temps que je lis King, je retrouve cette sensation à chaque nouvelle histoire, et La Petite Fille qui aimait Tom Gordon n’a pas fait exception. C’est l’histoire de Trisha, une petite fille qui se perd dans les bois lors d’une randonnée avec son frère et sa mère. Elle n’a pas beaucoup de ressources, l’un d’elles est son walkman sur lequel elle arrive à capter un poste de radio diffusant les matchs de baseball des Red Sox de Boston, son équipe favorite. C’est au rythme de cette partie que Trisha vivra son périple dans les bois et elle puisera son courage dans l’idéalisation qu’elle fait de son lanceur fétiche : le releveur Tom Gordon. Ainsi, l’auteur a intitulé ses chapitres en empruntant la terminologie d’une partie de baseball : première manche, fin de la quatrième, etc.
Bien que le livre soit écrit avec une compétence évidente et, dans le cas de King, une économie de mot remarquable – un peu plus de trois cents pages – il demeure moins effrayant que je ne l’avais prévu (espéré ? craint ?). Même si l’histoire démarre assez rapidement (Trisha se retrouve dans les bois dès la fin du premier chapitre) et que je ne puisse pas réellement identifier de temps morts, j’ai trouvé tout le périple de Trisha un peu longuet, curieusement. On retrouve toutefois plusieurs éléments intéressants habituels chez King. C’est le cas des personnages secondaires, qui n’apparaissent que par la mémoire de Trisha, ou encore de la présence physique de Tom Gordon à ses côtés dans des moments difficiles, ou de la sombre créature qui semble suivre Trisha et n’attendre qu’une erreur de sa part pour s’emparer d’elle définitivement. Lors de ma lecture, ce dernier élément m’a rappelé plusieurs aspects du roman Gerald’s Game – Jessie dans sa traduction française – et, ma foi, maintenant que j’y repense, les deux romans se ressemblent beaucoup. C’est peut- être pourquoi je l’ai trouvé moins bon que ce que j’avais espéré, que j’ai eu une impression de déjà-lu…
Bref, ce n’est pas un mauvais roman. Pour les amateurs de King, il est intéressant de le voir renouer avec un jeune protagoniste, mais je m’attendais à un peu plus, surtout avec le recul et le contraste par rapport à Coeurs perdus en Atlantide, un autre livre de King lu juste après La Petite Fille qui aimait Tom Gordon.
D’autant plus que, même si le confort attendu était présent lors du début de ma lecture de Coeurs perdus en Atlantide, je m’y suis néanmoins plongé avec un préjugé un peu défavorable. Je me disais que si King m’avait paru longuet sur trois cents pages, qu’est-ce que ce serait d’en lire cinq cent cinquante ?
Coeurs perdus en Atlantide est un recueil. Je n’ose pas écrire «de nouvelles», puisque la première histoire fait à elle seule près de trois cents pages… C’est un recueil d’histoires indépendantes avec des sujets variés, toutefois reliées entre elles par les personnages et le contexte socio-historique; les années soixante et la guerre du Vietnam.
La première histoire s’intitule «Crapules de bas étage en manteau jaune» et raconte un été dans la jeunesse de Bobby Garfield, un été où il a rencontré et s’est pris d’amitié avec Ted Brautigan, un étrange retraité, et ceci en dépit du fait qu’il le croit un peu cinglé. En effet, Ted craint ceux qu’il appelle les Low Men, et il engage Bobby pour que celui-ci surveille le quartier. Il lui fera en même temps découvrir la lecture. Bobby découvre aussi l’amour avec sa première copine Carol, s’amuse avec son meilleur ami Sully-John, et se fait l’ennemi d’écoliers plus vieux que lui, dont William Sherman qui commettra un acte d’une rare violence.
Cette histoire est exceptionnelle. J’y ai retrouvé des émotions que King ne m’avait pas fait ressentir depuis longtemps. Après coup, on pense aux enfants de Ça ou à d’autres romans mettant en scènes des adolescents ; on pense aussi et surtout à l’horreur ressentie lors d’une des pires scènes de Simetierre, la scène de famille au funérarium de l’enfant.
Pour les spécialistes de King ou les amateurs de sa série La Tour Sombre, mentionnons que «Crapules de bas étage en manteau jaune» est directement lié à cet univers, mais que sa lecture reste passionnante pour ceux qui ne connaissent pas cet univers ou qui ne verront pas les liens.
La seconde histoire, d’une ampleur romanesque également, s’intitule «Chasse-coeurs en Atlantide». Les coeurs dont il est question sont ceux du jeu de carte du même nom (Hearts, en v. o., est en fait le jeu que l’on appelle La Dame de pique au Québec !) et le continent perdu est une métaphore qui illustre à merveille l’esprit des années soixante. Nous suivons l’histoire de Pete, étudiant au collège, et de tous ses collègues qui deviennent accrocs de parties de cartes. Pete se retrouvera en compétition quasi constante avec Ronnie Malenfant qui est le champion en titre et ainsi, délaissera de plus en plus ses études au profit des cartes et de sa nouvelle petite amie, Carol – celle qui était la copine de Bobby dans «Crapules…» dont l’action se déroule quelques années plus tôt.
L’époque est troublée et les étudiants qui ne se concentrent pas sur leurs études ou dans les cartes manifestent pour la plupart contre la guerre en général et contre la présence américaine au Vietnam en particulier.
Ces deux romans sont suivis de trois nouvelles qui se déroulent des années plus tard, après les années soixante, après le retrait du Vietnam, avec des personnages marqués par leur enfance au sein de cette étrange époque.
«Willie l’aveugle» raconte une journée dans la vie d’un aveugle qui quête au coin d’une rue de New York. C’est un ex-combattant du Vietnam, rongé par la culpabilité en raison de plusieurs actes qu’il a commis dans sa vie. Il s’agit de William Sherman, dont le passé a croisé celui de Bobby Garfield, qui a aussi croisé Sully-John et Ronnie Malenfant au Vietnam et dont la mémoire ne fait jamais défaut à propos de ce qu’il a fait à Carol…
«Pourquoi nous étions au ViêtNam» raconte aussi une seule journée : celle des funérailles d’un ancien du Vietnam, occasion de retrouvailles entre deux compagnons de troupe, dont l’un est SullyJohn. La rencontre fournira aux deux hommes l’occasion de ressasser le passé et l’impact de la guerre sur leur vie ainsi que sur la vie de leurs proches, notamment sur la vie de Carol qui se sera profondément impliqué dans les manifestations contre la guerre.
«Ainsi tombent les ombres célestes de la nuit» est la cinquième et dernière histoire du recueil, et pour boucler la boucle on revient à Bobby Garfield et à une étrange rencontre qu’il fera à l’occasion des funérailles d’un ami d’enfance, ainsi que des curieuses circonstances qui ont rendu cette rencontre possible. Il est difficile de résumer ces histoires sans trop les déflorer, ce qui diminuerait certainement le plaisir que l’on a à découvrir les liens et l’évolution des personnages de ce recueil. La structure assez libre de l’ensemble fournit à King une excellente occasion de peindre avec une très large palette d’émotions et il s’y adonne avec brio. Je n’avais pas été aussi bouleversé à la lecture – et après la lecture – d’un livre de Stephen King depuis très longtemps. Lire Coeurs perdus en Atlantide transcende le plaisir et le confort, c’est une expérience bouleversante vécue avec les personnages. Cela fait plusieurs jours que j’ai reposé le livre sur son étagère et ses personnages me manquent encore. Et je suis certain que je vais penser encore à eux dans le futur.
Hugues MORIN
Mise à jour: Août 2001 –