Lectures 155
par Roger Bozzetto, Richard D. Nolane et Pascale Raud
Exclusif au Volet en ligne (Adobe Acrobat, 870Ko) de Solaris 155, été 2005
Neal Asher
L’écorcheur
Paris, Fleuve Noir, 2005, 305 p.
Neal Asher est un auteur anglais d’une quarantaine d’années, qui a déjà publié cinq romans et nombre de nouvelles. Ce roman, dont le titre original est The Skinner (2002) a obtenu le prix SF Reviews Best Book. Il semble que ce soit son premier roman traduit en France, mais une de ses nouvelles, «Spatterjay», qui renvoie au même univers que L’écorcheur, a été traduite dans Bifrost 38.
Cet univers est original. Des virus y transforment les hommes, le sang de ces derniers est remplacé par des fibres, ils peuvent régénérer leurs organes et des blessures qui, ailleurs, seraient mortelles, ne les affectent guère. De plus, ils possèdent une longévité qui se calcule en siècle. Ajoutons que ces humains ont aussi la possibilité de se transférer dans d’autres corps et que, parmi les personnages, se trouvent un «réifié» – un mort dont le cerveau est conservé et qui est monté sur un outillage spécial qui lui redonne sa motricité humaine – qui a décidé de se venger en détruisant certains criminels, des décervelés utilisés comme esclaves, des extraterrestres en forme de crabes et un monstre qui donne son nom au titre du roman. Le tout est sous la surveillance d’un Gardien situé sur une lune de la planète, et ce Gardien utilise des drones guerriers, libres de marchander leur appui pour faire régner un ordre mouvant. Ajoutons enfin des frelons reliés par l’esprit à une ruche située sur une autre planète et à qui l’un des personnages sert de relais et vous aurez une idée de l’ensemble.
Le roman mêle plusieurs trajectoires dans cet univers où la faune est dangereuse au possible, la flore imprévisible et où des armes impensables sont utilisées. On entre dans ce roman sans préjugé et l’on est tout de suite pris par l’étrangeté des personnages, des situations et des contextes de toutes sortes. Ce monde ne renvoie à rien de connu dans la SF, à moins d’imaginer des palimpsestes ou des hybridations de romans de Vance, de Van Vogt, de Dick et de Brussolo. Mais ce cocktail exerce une grande fascination. Le thème est cependant plus reconnaissable: il s’agit d’un ou de plusieurs voyages en bateau qui convergent vers l’île où se recompose l’écorcheur. Quant à ce dernier, il vise la destruction de l’ensemble des marins qui s’y rendent afin «d’effacer» toute trace de ses propres crimes…
évidemment, on aura compris que je ne donne là qu’une vague idée de cet univers, de ces personnages et de leurs affrontements qui font de ce roman une sorte de chef-d’œuvre.
Roger BOZZETTO
Philippe Ward
La Fontaine de Jouvence
Black Coat Press (Rivière Blanche 2004), 2004, 148 p.
Rivière Blanche est sans doute une des plus étonnantes aventures éditoriales du moment dans le paysage de la SF française. En effet, cette collection s’est donnée pour mission rien moins que de ressusciter la défunte et mythique Anticipation du Fleuve Noir! Au point d’en poursuivre la numérotation, ce qui explique son démarrage par un étrange numéro… 2002.
Bien que les livres (en bon vieux papier, pas un de ces horribles e-books!) de Rivière Blanche soient surtout disponibles via le site web www.riviereblanche.com et encore très peu distribués en librairie (pas du tout au Québec, NDLR), un certain nombre d’auteurs pros du moment ont répondu présents ainsi que quelques-uns de ceux de la période classique de Anticipation comme Jean-Pierre Andrevon (du temps où il signait Alphonse Brutsche), p. J. Hérault, Louis Thirion, Dominique Rocher, Max-André Rayjean et même Richard Bessière! La nostalgie et la belle qualité d’impression des livres en format «moyen», mais reprenant les couvertures blanches et bleues des formats livre de poche de la fin des années 1960, y sont sans doute pour quelque chose.
Deux inconditionnels de la SF populaire française sont derrière tout ça, Jean-Marc Lofficier et Philippe Ward. C’est d’ailleurs l’idée de faire un «faux Fleuve Noir» pour publier Les Survivants de l’humanité de J.-M. & Randy Lofficier qui a lancé le projet dans l’esprit des deux complices…
Philippe Ward avait depuis des lustres en tiroir un roman hommage à Jimmy Guieu, un auteur qui, comme beaucoup d’entre nous, l’avait marqué. Jimmy Guieu avait même relu et corrigé la première version de cette Fontaine de Jouvence à qui la naissance de Rivière Blanche permet enfin de voir le jour.
Pur produit de la littérature populaire échevelée, cette première aventure de l’archéologue «ésotérique» Gilles de Grandin, qui manie aussi bien la mitraillette que le grec ancien, nous emmène dans les Caraïbes dans une sombre histoire pleine de rebondissements où se croisent descendants d’Atlantes, organisations secrètes et ovnis dans une course effrénée pour prendre le contrôle d’une source d’eau aux pouvoirs extraordinaires. Si le héros porte le nom du célèbre détective de l’occulte créé dans Weird Tales par Seabury Quinn, c’est du Gilles Novak de Jimmy Guieu qu’il tient à 99 %. Tout y est, même les fameuses notes «Authentique» de bas de page…
S’il n’a évidemment pas l’envergure des précédents romans de Philippe Ward, La Fontaine de Jouvence se lit d’une traite et avec un plaisir nostalgique. Et pour la prochaine aventure de Gilles de Grandin, l’auteur nous promet de faire encore plus fort dans le genre puisque son héros va se retrouver face à la sinistre Madame Atomos créée par André Caroff pour la collection Angoisse et dont Rivière Blanche va assurer la réédition des méfaits passés à raison de trois romans par volume… Ne manquez donc pas… Les Soucoupes volantes de Mme Atomos!
Richard D. NOLANE
Poppy Z. Brite
Petite Cuisine du diable
Vauvert, Au Diable Vauvert, 2004, 282 p.
Recette de la nouvelle à la Poppy Z. Brite.
Ingrédients (quantités pour 13 nouvelles):
- Un ou plusieurs personnages particulièrement savoureux (prenez garde à ce qu’ils ne soient ni trop verts, ni trop mûrs).
- Un restaurant dont la cuisine est un lieu de dévotion.
- Un héros (si vous avez le choix, choisissez plutôt une héroïne: elles sont plus goûteuses) dont la particularité est d’être un fin gourmet.
- Un lieu mystérieux: un marais, une église, une salle d’autopsie, un bayou, voire une librairie ésotérique.
- De l’ail, du citron, des tomates, des lardons, des figues, des crevettes, du beurre, du foie, des tripes, et tous les condiments qui traînent en bas du frigo.
- De l’humour (à votre choix), une pincée de cynisme (à défaut, vous pouvez utiliser de l’ironie), 1 tasse d’angoisse, 1 verre d’étrangeté, 1 doigt d’amour, 1 soupçon de froideur, beaucoup de noirceur.
- Quelques couteaux bien pointus, des scalpels, une pelle, un pistolet, de la pommade et du formol.
- Une ville contrastée (si vous avez de la Nouvelle-Orléans sous la main, c’est parfait).
- Des gays (là encore, cela peut être des bisexuels).
- Du fromage au lait cru.
Préparation:
- Mélangez tous les ingrédients dans l’ordre que vous voulez.
- Couvrez d’huile d’olive (ou de vinaigre).
- Laissez mariner au soleil pendant 282 pages.
- Mettez la préparation au frigo jusqu’à ce qu’elle soit bien fraîche.
- Remettez-la au soleil, puis de nouveau au frigo, puis au soleil!
- Répétez l’opération jusqu’à douter de votre raison.
- Servez avec un lit de caviar et de l’absinthe.
- Dégustez sans vous étouffer ni avaler de travers.
- Félicitez le chef pour son talent (insistez sur la carte des fromages, il en est très fier).
Astuces:
- N’essayez pas de soutirer au chef le secret de sa sauce, ni quelles épices il utilise, il préférerait mourir plutôt que de vous le dire: c’est une préparation qu’il élabore lui-même dans le plus grand secret des profondeurs abyssales de son cerveau.
- Si vous trouvez un aspect bizarre au plat, pas d’inquiétude: le meilleur est à l’intérieur.
Bon appétit!
Pascale RAUD
Mise à jour: Juin 2005 –