Sci-Néma 141
Chapitre 9:
La SF et les Oscars
ou
Pourquoi The Fellowship of the Ring n’avait aucune chance de remporter l’Oscar du meilleur film.
par Hugues Morin [HM] et Daniel Sernine [DS]
Exclusif au supplément Web (Adobe, 850Kb) de Solaris 141, printemps 2002
La SF et les Oscars
Comme dans la précédente livraison, nous accueillons dans cette livraison de «Sci-néma» Daniel Sernine, qui deviendra un collaborateur régulier. Nous espérons que sa présence saura apporter un ton différent et complémentaire dans cette chronique, ainsi qu’une plus grande variété de point de vue.
Mais avant d’examiner les plus récents films de fantastique et de science-fiction présentés sur nos écrans depuis le début de l’année, revenons un peu sur la cérémonie des Oscars qui vient de récompenser les films de 2001. J’ai cru qu’un survol historique des performances des films de SF aux Oscars serait instructif et permettrait à nos lecteurs de mieux comprendre pourquoi The Fellowship of the Ring, le premier volet de The Lord of The Rings de Peter Jackson, n’avait aucune chance de remporter la statuette du meilleur film. Et ceci pour une raison très simple : les films de SF – au sens large, j’inclus ici le fantastique et la fantasy – ne gagnent jamais aux Oscars.
Oh, inutile de mentionner ici les six statuettes remportées par Star Wars (1977) ou celles de E.T. The Extra-Terrestrial (1982), ou même les Oscars remportés par Aliens (1992), Batman Returns (1992) et Abyss (1989). Dans tous ces cas, il s’agissait d’Oscars techniques : meilleurs effets visuels, meilleurs effets sonores et meilleur son. C’est particulièrement le cas depuis l’explosion technologique post-Star Wars au niveau des effets spéciaux. De temps à autre, un film de SF remporte l’Oscar de la meilleure musique originale, ou, plus rarement, de la meilleure direction artistique, des costumes ou des maquillages.
Mais, lorsque l’on consulte les archives de l’Académie, dans les catégories dites majeures, celles récompensant les acteurs, actrices, réalisateurs, scénaristes et bien sûr celle de meilleur film de l’année, la SF ne remporte jamais la statuette, purement et simplement.
Au fil des ans, et en ratissant large, on retrouve huit films de SF en nomination pour l’Oscar du meilleur film: Dr. Strangelove (1964), A Clockwork Orange (1971), Star Wars (1977), E.T. (1982), The Green Mile (1999), The Sixth Sense (1999), Crouching Tiger Hidden Dragon (2000) et The Fellowship of The Ring (2001). Aucun n’a remporté l’Oscar.
Examinons en détail, en prenant les choses d’un point de vue chronologique.
Le premier comédien à remporter la récompense du meilleur acteur a été Frederic March pour sa performance de 1932 dans Dr. Jeckyll et Mr. Hyde. Pendant les trente ans qui ont suivi, les films de SF ont été absents de toutes les catégories. Pas de nomination, même technique.
C’est grâce à Stanley Kubrick que la SF fait un retour à l’Académie, en 1964 avec Dr. Strangelove, qui obtient des nominations comme meilleur film, meilleur scénario adapté, meilleur acteur (Peter Sellers), et meilleur réalisateur. Le film ne remporte aucun de ces Oscars.
Après quatre autres années de silence, c’est encore Kubrick qui, en 1968, nous représente à la cérémonie avec 2001: A Space Odyssey, en lice pour la réalisation et le scénario original. Il ne remportera ni l’un ni l’autre. La même année toutefois, Cliff Robertson remporte l’Oscar du meilleur acteur pour sa performance dans Charly, un film adapté du roman de Daniel Keyes, Flowers for Algernon. Robertson est donc le second acteur à remporter cette récompense pour un rôle dans un film de SF. Il demeure le dernier à avoir accompli ce miracle.
Kubrick, toujours lui, permet à la SF de réapparaître aux Oscars en 1971 avec A Clockwork Orange, qui obtient des nominations dans les catégories meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur scénario adapté. Le film ne remporte aucune des trois statuettes convoitées.
Il faudra attendre 1977 pour revoir la SF en nomination dans des catégories importantes. C’est une année-clé pour la présence des films de SF aux Oscars. StarWars de Georges Lucas obtient dix nominations, dont meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario original et meilleur acteur de soutien (Alec Guiness), alors que Close Encounters of The Third Kind de Steven Spielberg obtient neuf nominations dont meilleur réalisateur et meilleur actrice de soutien (Melinda Dillon). Bien que StarWars remportera six Oscars et Close Encounters deux, ni l’un ni l’autre ne quittera la cérémonie avec un Oscar pour une catégorie majeure. Woody Allen remporte la statuette de meilleur réalisateur et son Annie Hall celle du meilleur film. Cette tendance à récompenser les films d’arts ou d’artistes se poursuivra encore quelques décennies.
Steven Spielberg revient à la charge en 1982 avec les neuf nominations pour E.T. The Extra-Terrestrial, dont meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur scénario original. Le film ne remporte aucune des trois catégories.
De 1983 à 1998, la SF est plutôt absente de la cérémonie des Oscars. Mentionnons pour cette période les nominations de Wargames (1983), Back to the Future (1985) et Brazil (1985) pour le meilleur scénario original, celle de Jeff Bridges comme meilleur acteur pour Starman, celle de Sigourney Weaver comme meilleur actrice pour Aliens (1986) et celle de Brad Pitt comme meilleur acteur de soutien pour 12 Monkeys (1995). Aucun ne remportera l’Oscar. Une seule exception, Don Ameche est récompensé comme acteur de soutien dans Cocoon en 1985.
Ce qui fait illusion pendant ces quinze ans, c’est l’omniprésence des films de SF dans les catégories techniques, où la lutte se fait la plupart du temps entre films de SF. Mentionnons par exemple l’Oscar remporté par Batman (1989) pour la direction artistique, alors que Abyss était en lice dans la même catégorie, ce dernier remportant par contre la statuette décernée aux effets visuels sur Back to The Future II. En 1992, Death Becomes Her l’emporte sur Alien 3 et Batman Returns pour les effets visuels mais le film de Tim Burton remporte l’Oscar pour le maquillage au détriment de Bram Stoker’s Dracula de Francis F. Coppola.
Un retour de la SF dans les catégories majeures est effectué avec The Truman Show (1998), qui est en nomination comme meilleur film, meilleur scénario original et meilleur acteur de soutien (Ed Harris). évidemment, aucune statuette n’est remportée pour ces performances.
L’année 1999 est une autre année-clé puisque pas moins de trois films de SF sont en nomination dans des catégories majeures. Du jamais vu depuis 1977. The Green Mile est en lice dans quatre catégories dont meilleur film, meilleur acteur de soutien (Michael Clarke Duncan) et meilleur scénario adapté. The Sixth Sense est en nomination dans six catégories dont meilleur film, meilleur réalisateur (M. Night Shyamalan), meilleur acteur de soutien (Haley Joel Osment), meilleure actrice de soutien (Toni Colette) et meilleur scénario original. Enfin, Being John Malkovich concourt dans les catégories meilleur réalisateur (Spike Jonze), meilleur scénario original et meilleure actrice de soutien (Catherine Keener). Pas une seule de ces treize nominations ne mènera au podium.
Mais tout de même, après une année aussi faste en nominations, suivie en 2000 par les dix nominations pour Crouching Tiger Hidden Dragon, et les treize nominations pour The Fellowship of The Ring en 2001, on peut avoir l’impression que l’Académie évolue lentement et que depuis trois ans elle sait mieux reconnaître les films de SF de qualité. Peut-être. Les membres de l’Académie changent, vieillissent, se diversifient. N’empêche que Crouching Tiger Hidden Dragon n’a pas remporté l’Oscar du meilleur film, ni celui du scénario original, ni celui du meilleur réalisateur (Ang Lee).
Quand au film de Peter Jackson, récompensé pour ses aspects techniques, il a vu lui passer sous le nez les statuettes décernées au meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario adapté et meilleur acteur de soutien (Ian McKellen).
Si nous récapitulons, nous nous rendons compte que dans toute l’histoire des Oscars, seuls trois acteurs ont été récompensés pour un rôle dans un film de SF. Aucune actrice, aucun réalisateur et aucun scénariste n’est monté sur le podium pour son travail sur un film de SF. Enfin, aucun film de SF n’a jamais remporté la statuette décernée au meilleur film.
On serait porté à croire que l’horreur a mieux réussi que la SF, lorsque l’on se souvient de l’Oscar de la meilleure actrice décernée à Kathy Bates pour Misery (1990) ou des Oscars de meilleur film, meilleur scénario adapté, meilleur réalisateur (Jonathan Demme), meilleure actrice (Jodie Foster) et meilleur acteur (Anthony Hopkins) décernés pour Silence of The Lambs (1991). Mais ce serait oublier qu’il s’agit là d’horreur mainstream, de suspenses terrifiants, certes, mais sans le moindre élément fantastique.
Je n’avais personnellement jamais réalisé à quel point la crise de la SF aux Oscars était profonde, à quel point, pour ce cinéphile-ci, l’abondance des Oscars techniques et des nominations de quelques films célèbres ont masqué cette réalité. Or, c’est peut-être même pire encore si au lieu d’examiner la situation chronologiquement, on la regarde par catégorie.
D’abord, les réalisateurs. Ils sont les chefs d’orchestre des films de SF. Stanley Kubrick n’a jamais remporté d’Oscars – un fait qui relève presque de la SF ! On a remis à Georges Lucas le Irving Thalberg memorial Award en 1991, la même distinction ayant été remise à Steven Spielberg en 1986. Ce prix récompense surtout le talent de producteur des deux cinéastes. Ridley Scott a été nominé à quelques reprises (jamais pour de la SF), sans toutefois remporter d’Oscars. La seule nomination de Terry Gilliam a été pour le scénario de Brazil (1995). Tim Burton n’a même jamais été en nomination et il a fallu A Beautiful Mind (2001) pour que Ron Howard obtienne une nomination (et un Oscar). Enfin, James Cameron a été récompensé pour Titanic (1997), Steven Spielberg pour Schindler’s List (1993) et Robert Zemeckis a remporté l’Oscar pour Forrest Gump (1994).
Une conclusion s’impose donc: l’Académie reconnaît le talent de ces réalisateurs mais n’est jamais prête à reconnaître que ce talent est à son meilleur avec des films de SF. Des films comme Blade Runner (1982), Alien (1979), Gattaca (1997), The Matrix (1999), Bram Stoker’s Dracula (1992), What Dreams May Come (1998), Interview With The Vampire (1994) ou encore Contact (1998) n’ont reçu que des nominations techniques. Dark City (1998) et The Shining (1980) n’ont reçu absolument aucune nomination, même pas pour leur remarquable cinématographie ! L’Académie semble se donner bonne conscience en remettant des Oscars spéciaux, comme celui décerné à Star Wars (1977) pour les effets sonores pour la réalisation de certaines voix, par exemple.
La piètre performance des acteurs et des actrices semble plus explicable. Il est vrai que dans plusieurs films de SF, l’accent est mis sur l’histoire, les idées ou l’action, et moins sur les personnages (voir ma critique de The Fellowship of The Ring, dans Solaris 140, à titre d’exemple). En ce qui concerne les scénarios (adaptés ou originaux), c’est plus difficile à comprendre. En effet, la SF est censée être le genre par excellence au niveau des idées – et des idées originales de surcroît. Alors que se passe-t-il ? On a adapté les œuvres d’auteurs comme Arthur C. Clarke, Isaac Asimov, Stephen King, J.R.R. Tolkien, Ray Bradbury et Philip K. Dick, pour ne nommer que ceux-là, tous des auteurs récompensés par plusieurs prix SF, mais pourtant, aucun scénario adapté ne s’est vu récompensé aux Oscars.
Une partie de l’explication provient du fait que les meilleurs romans de SF sont très forts et riches en idées, mais certainement moins axé sur l’action. Comme, règle générale, les adaptations de ces romans éliminent une partie des idées au profit de l’action, il en résulte des scénarios moins forts que les œuvres qui les ont inspirés, ce qui diminue les possibilités de nomination.
Alors à quand le moment historique ? Le secret est peut-être dans le tournage d’un film de SF par un cinéaste qui ne provient pas de la SF, un réalisateur et scénariste déjà oscarisé ou très apprécié de l’académie. Quelqu’un comme Steven Soderbergh, par exemple…
Mais d’ici là, jetons un regard sur la cuvée de ce premier trimestre de 2002. Vous noterez que nous n’avons pas eu l’occasion de voir Dragonfly et Rollerball, deux films qui ont trop rapidement quitté les écrans. Dans les deux cas, la critique a été assassine. [HM]
The Time Machine: Temps pas tout à fait perdu
Je n’allais certes pas voir The Time Machine comme spectateur vierge. La version de Georges Pal (1960) est le premier grand film de SF que j’aie vu en salle (j’écris «grand» par opposition aux films de série B ou même aux films d’Ed Wood) ; j’ai dû le voir vers dix ans et les Morlocks avaient dès lors hanté mon imagination.
Je pense aussi le plus grand bien de Guy Pearce, l’acteur britanno-australien en vedette dans l’inoubliable Memento, acteur qui s’en tire honorablement dans ce film-ci.
The Time Machine 2002 a été réalisé par l’arrière-petit-fils d’Herbert Georges Wells. Cela pourrait présager du meilleur comme du pire ; cela s’avère un facteur neutre, dans un film neutre. Mes attentes étaient assez basses, la critique ayant été plutôt mitigée. à la différence de mon collègue Hugues Morin, je n’ai rien à reprocher au film ; mais je n’ai pas matière non plus à en faire un vibrant éloge. à quarante et un ans, Simon Wells n’est pas un novice, mais il avait réalisé ou co-réalisé jusqu’ici des films d’animation, comme The Prince of Egypt et An American Tail : Fievel goes West.
Le film est bien fait, quoique le rythme défaille par moments. Et on ne saisit pas très bien pourquoi l’histoire commence désormais à New York plutôt qu’à Londres. La guerre nucléaire mondiale a été remplacée par un cataclysme planétaire : la Lune accidentellement fragmentée lors d’explosions déclenchées par les ingénieurs terriens. 800 000 ans plus tard, les fragments ne se sont toujours pas éloignés de la Lune, et ne sont pas non plus retombés sur elle (mais bon, le voyage dans le temps, ça ne se peut pas non plus…).
Ce qui s’avère le mieux réussi, c’est l’aspect visuel: la machine elle-même est cool, avec des éléments qui rappellent la version de 1960. Le bibliothécaire holographique (Orlando Jones), avec son petit clin d’œil aux trekkies, est sympathique ; son principe de fonctionnement est intéressant, quoique pris en défaut au moins une fois lorsque l’hologramme touche le crâne de son défunt interlocuteur.
Jeremy Irons a dû prendre son pied à faire une apparition goulesque à souhait (gouléenne ?) en chef des Morlocks. Dans un tout autre registre qu’en 1960 (plus énergique mais probablement moins apeurant — mais comment puis-je comparer en ayant à mon actif trente-cinq ans de plus de fréquentation cinématographique ?) les Morlocks s’avèrent efficaces.
Côté esthétique, le village rupestre des élois est fort réussi, et je mettrais ma main au feu que l’un des trois directeurs artistiques est amateur de Riven et d’Exile.
Une question en terminant: qu’est-ce que les critiques de films d’il y a trente ans trouvaient à conclure à la place de «louez le vidéo quand il sortira et jugez par vous-mêmes» ? [DS]
Queen of the damned : Trop peu, trop tard
Laurine Spehner, avec qui je suis allé voir The Queen of the Damned, opinait : «C’est un film qui arrive dix ans trop tard.» Nous cherchions à cerner ce qui nous avait laissés sur notre faim (ce qui nous avait assourdis nous le savions : je n’ai rien entendu d’aussi bruyant au cinéma depuis Armageddon). Et c’est vrai que le film de Michael Rymer est esthétiquement typé : on pense à The Crow de 1994 (peut-être à cause de Vincent Perez, vedette du second film de ce nom, mais aussi à cause de l’esthétique sombre-urbaine). Or la mode «goth», la mode «Masquerade» sont en déclin. The Queen of the Damned est un bruyant hymne à cette mode, monté sur un rythme de vidéo-clip, avec des effets de vol qui ne vont pas à la cheville de ce qu’on a pu voir dans Crouching Tiger Hidden Dragon ou The Matrix.
Si le nom du réalisateur Michael Rymer ne vous dit rien, c’est normal ; si le visage de Stuart Townsend vous dit vaguement quelque chose, c’est que vous avez vu des films oubliables ou peu connus. Ici, Townsend réincarne Lestat ; il a une gueule intéressante mais ne parvient pas à habiter ce personnage plus grand que nature. Vincent Perez ne se montre guère convaincant en Marius (le «père» de Lestat) et Aaliyah, d’une présence quand même indéniable dans le rôle titre d’Akasha, est surtout célèbre pour être morte avant la fin du tournage de Matrix 2 (j’avoue ne pas avoir vu Romeo Must Die).
Le film, scénarisé par un nommé Scott Abbott, tente une synthèse extrêmement sommaire des romans 2 et 3 d’Anne Rice dans sa Chronique des Vampires: The Vampire Lestat (que j’avais bien aimé), et The Queen of the Damned (qui m’était tombé des mains après quelques chapitres ou même quelques pages). Autant Interview with the Vampire innovait en révélant le talent d’une nouvelle écrivaine et en recréant le mythe du vampire, autant Anne Rice est par la suite (vers la fin des années 80, disons) devenue une faiseuse de romans. Les films basés sur son œuvre ont, je le crains, suivi la même pente : le premier film, mettant en vedette Tom Cruise, Brad Pitt, Christian Slater, Kirsten Dunst et Antonio Banderas, trône près du sommet de mon palmarès de films fantastiques, avec Bram Stoker’s Dracula, de Coppola. Le rythme soutenu, les numéros d’acteurs, la foison d’images intenses et baroques, la qualité de l’œuvre d’origine, la caméra de Philippe Rousselot (La Reine Margot, The Emerald Forest, Diva), tout concourrait à faire du film de Neil Jordan un chefd’œuvre (je sais, mon opinion là-dessus est loin d’être partagée unanimement). Mais la suite… Dès le lendemain du visionnement, j’ai déjà peine à évoquer des images ou des moments forts du film. La crypte où «dort» la statue de la reine égyptienne, peutêtre, puis la scène finale ou Akasha s’émiette en petites tornades de cendres. Ensuite tout retombe dans l’oubli, et je crois que j’ai là mon mot de la fin : The Queen of the Damned est un film éminemment oubliable… [DS]
The Mothman Prophecies : Des feux de circulation comme présages
The Mothman Prophecies est l’un de ces films qui ne restera pas gravé dans la mémoire comme un Sixth Sense ou un Blair Witch Project, mais qui est produit de manière quasi irréprochable et auquel on ne trouve pas grand-chose à redire (sinon, dans ce cas précis, qu’on aurait peut-être dû en couper un quart d’heure car le film est long et, vers les deux tiers, on a le sentiment que l’histoire fait un peu de surplace).
Apparemment inspiré d’événements réels, The Mothman Prophecies est basé sur un livre de John A. Keel, ufologue et spécialiste du paranormal dont le nom revient en anagramme dans celui du personnage interprété par Alan Bates, Alexander Leek (manifestement son incarnation), un auteur jadis victime de prémonitions. «Victime» est bien le mot car, comme le savent les lecteurs de fantastique, la prescience n’est pas un cadeau. Les résidents de Point Pleasant, en Virginie occidentale, sont troublés depuis des mois par des incidents bizarres, par des voix, des visions ou des rêves quelquefois prémonitoires. Le personnage de Richard Gere, journaliste au Washington Post, veuf depuis deux ans, s’y retrouve sans trop savoir comment, lui qui se rendait à Richmond pour interviewer un sénateur. Panne de moteur nocturne sur une petite route de Virginie, temps arrêté ou «perdu», images en clair-obscur, appels anonymes sur cellulaire, chambre de motel mal éclairée, jours blafards : on se croirait dans un épisode des X-Files (visuellement, d’ailleurs, c’est aussi bien fait). Et le réalisateur, Mark Pellington, est celui qui a signé le très paranoïaque Arlington Road. ; je le verrais bien, du reste, collaborer avec Chris Carter sur le prochain film des X-Files.
Richard Gere (que je n’avais pas vu depuis un bon moment) est un de ces acteurs au jeu compétent et retenu (on pense aussi à Keanu Reeves, quoique certains emploient d’autres qualificatifs dans son cas). Il est efficace dans le rôle de ce veuf dont la femme, avant de mourir d’une rare forme de cancer du cerveau, avait elle aussi «vu» quelque chose, qu’elle avait tenté de rendre dans de sombres dessins évoquant à la fois des anges et des lépidoptères. Depuis l’au-delà, Mary tente-t-elle de le contacter ? Cette entité disant s’appeler Endrid Cold, aux apparitions traumatisantes et aux appels téléphoniques confus, est-elle en relation d’une manière quelconque avec Mary ?
Je n’en dis pas plus, sauf pour évoquer une ressemblance entre la finale de The Mothman Prophecies et certains films-catastrophes des années soixante-dix comme The Medusa Touch ou The Cassandra Crossing.
L’aspect cinématographique est intéressant. Pellington a peu ou pas fait appel à des effets spéciaux numériques, mais a tiré un parti fort habile de simples procédés optiques : mises au foyer ou hors foyer, lentilles filigranées, surexpositions ou hauts contrastes. à la fin de certaines scènes, j’ai relevé un procédé de fondu où l’image photographique se voit graduellement et brièvement supplantée par un traitement impressionniste de la même image, à la Sisley ou à la Monet (ou avec certains filtres de Photoshop, pour employer une analogie plus contemporaine).
La lumière, les lumières jouent d’ailleurs un rôle incident mais important dans The Mothman Prophecies, que ce soient les feux de circulation qui présagent le drame initial ou la catastrophe finale, les feux de positions, les lampadaires, les ampoules de Noël, les phares et gyrophares, les clignotants des barrières d’urgence de la voirie, ou encore ces plafonniers vus en perspective qui, filmés hors-foyer, évoquent la forme en Y d’une paire d’ailes.
Pas d’horreur ou d’effets-choc, ici, ni de suspense insupportable avec poignard à la clé. Pour ceux qui préfèrent leur fantastique sobre (je pense à The Others), The Mothman Prophecies est à louer sans faute lors qu’il sortira sur vidéo-cassette ou, mieux encore, sur DVD… [DS]
Ice Age : Un «Wile E. Coyote» de l’âge de glace
Après avoir été fort bien servi par Shrek et Monsters Inc. l’an dernier, et après avoir habilement été alléché par des bandes-annonces délirantes, c’est avec enthousiasme que je me suis présenté à la projection de Ice Age, un film d’animation réalisé par Chris Wedge. Ce dernier n’est pas un novice : il a été oscarisé pour son court-métrage d’animation Bunny en 1998, et il avait auparavant travaillé sur diverses productions de SF, de la programmation d’ordinateurs pour Tron en 1982 à Alien Resurrection en 1997.
L’action de Ice Age se déroule aux temps préhistoriques avant la dernière glaciation et raconte le périple de Manfred le mammouth et de Sid le paresseux qui tentent de ramener un bébé humain à sa tribu avant la saison froide. Ils s’associent à Diego, un tigre aux dents de sabre qui leur servira de guide, mais avec l’arrière pensée de livrer le mammouth à sa harde. Pendant ce temps, un écureuil-rat à dent de sabre appelé Scrat tente désespérément d’enterrer ses provisions avant l’hiver, provoquant diverses catastrophes.
Si l’humour de Ice Age est moins adulte que pour Shrek ou Monsters Inc., il n’en demeure pas moins que les gags plus enfantins alternent avec ceux plus subtils dont seuls les adultes pourront profiter (je pense entre autres à celui sur le réchauffement de la planète). Le film saura probablement plaire à tous, y compris aux plus âgé qui se souviendront avec joie et nostalgie des animations de Chuck Jones. Car les décors dépouillés de Ice Age, et sa suspension de certaines lois de la physique rappellent immanquablement certaines aventures de Bugs Bunny ou du Roadrunner. Scrat, qui ne prononce pas un mot du film, est un perdant imaginatif mais malchanceux qui rappelle immanquablement Wile E. Coyote. Ainsi, alors que la plupart des films d’animations récents jouent la carte du réalisme à fond, Wedge et son équipe n’ont pas hésité à créer un cartoon dans la plus pure tradition.
L’histoire principale est assez simple, mais le film n’en souffre pas du tout, l’humour reposant plus sur les gags visuels et les dialogues, souvent hilarants, principalement ceux de Sid, joué par un John Leguizamo en pleine forme. Et quand j’y réfléchis sérieusement, Ice Age est définitivement le meilleur film de SF que j’aie vu ce trimestre.
Vous vous souviendrez peut-être que 20th Century Fox avait envisagé la fermeture de son studio d’animation après l’échec de Titan A.E. Depuis que j’ai vu Ice Age, je ne peux que me réjouir qu’ils soient revenus sur cette décision. [HM]
Blade II : Super-vampires
Suite au succès de Blade en 1998, il n’est pas étonnant de voir que les producteurs de New Line aient décidé d’y aller avec une suite. Nous revoici donc dans l’univers bruyant de Blade (Wesley Snipes), un chasseur de vampires qui n’est lui-même qu’à demi-humain.
Cette fois-ci, Blade se voit proposer un pacte avec ses ennemis jurés. En effet, Damaskinos, le «chef» des vampires (une sorte de croisement entre Dracula et Palpatine) l’informe que des super-vampires, plus violents, plus assoiffés et affamés, se multiplient de manière exponentielle et risquent d’exterminer vampires et humains si on ne les en empêche pas. Notre chasseur s’associe donc temporairement à ses proies, menées par la belle Nyssa, la «fille» de Damaskinos (qui est pourtant très laid, lui).
Comme dans tous les films adaptés de comics, le scénario de Blade II est plutôt simple, mais s’élève au-dessus de la moyenne des films de ce genre. Car Blade II, ce n’est pas seulement un film d’horreur-SF, c’est surtout un film d’action. N’allons pas chercher dans ce film ce que ses créateurs n’ont pas voulu y mettre et profitons du divertissement Le traitement novateur du thème des vampires a perdu beaucoup de son impact depuis la sortie du premier film, mais les effets visuels et sonores sont tout aussi convaincants et réalisés avec compétence. La manière dont les vampires et super-vampires se décomposent quand Blade les extermine relève plus du spectacle graphique que de l’horreur sanguinolente. Quand aux inévitables scènes de combats, elles sont suffisamment bien chorégraphiées et assez courtes pour ne pas ennuyer le spectateur difficile, surtout qu’elles sont supportées par l’élément surnaturel de l’histoire.
Bon, après une heure et demie – le film fait un peu plus de deux heures -, on se lasse tout de même un brin, surtout que la finale est longuette et convenue. Tout de même, Wesley Snipes s’amuse et nous amuse encore avec son vampire cool qui ne se prend jamais réellement au sérieux. Bref, si vous aimez votre SF bien saignante, frénétique et assaisonnée aux arts martiaux, vous passerez un moment divertissant avec Blade II. [HM]
Et après?
Comme vous savez déjà que les films attendus ce printemps 2002 sont Spider-man, Star Wars Episode II et Minority Report, je vous laisse sur la nouvelle du tournage d’un film au titre prometteur : Solaris, d’après le livre de Stanislas Lem (et non en l’honneur de votre magazine préféré de SF), écrit et réalisé par Steven Soderbergh, avec Georges Clooney. La date de distribution prévue est le 13 décembre 2002, donc ne retenez pas encore votre souffle. Solaris fera-t-il mieux que Event Horizon, Sphere ou même Final Fantasy: The Spirit Within, qui s’inspiraient de thématiques similaires? Nous verrons bien.[HM]
Hugues MORIN et Daniel SERNINE
Nouvelliste, rédacteur, micro-éditeur et ancien coordonnateur de la revue Solaris, Hugues Morin œuvre principalement dans le milieu du cinéma depuis 1998. Il habite présentement Vancouver, en Colombie-Britannique.
Romancier et nouvelliste, directeur de la revue Lurelu et directeur littéraire de la collection Jeunesse-Pop (Médiaspaul), Daniel Sernine est aussi un des plus fidèles collaborateurs de Solaris, revue à laquelle il participe depuis 1975.
Mise à jour: Avril 2002 –