Sci-Néma 158
Daniel SERNINE [DS], Hugues MORIN [HM] et Christian SAUVé [CS]
Exclusif au Volet en ligne (Adobe Acrobat, 613Ko) de Solaris 158, Printemps 2006
Saints-Martyrs-des-Damnés
Si comme moi, vous aviez raté Saints-Martyrs-des-Damnés à son passage en salles, n’hésitez pas à vous reprendre en louant le DVD, qui est sorti à la fin de février.
Ce premier film de Robin Aubert – qui est aussi un acteur, aperçu notamment dans Le Nèg de Robert Morin – raconte l’histoire de Flavien Juste, un journaliste à l’emploi d’une publication spécialisée dans l’incroyable de pacotille (enlèvements par les extraterrestres, femmes aux trois seins, mariage de l’homme gorille et de la drag queen à trois jambes, et autres histoires du même acabit). Accompagné de son copain Armand, photographe, Flavien est envoyé dans un village reculé où il se passe des choses étranges et où les gens disparaissent mystérieusement. Ce village, c’est Saints-Martyrs-des-Damnés. à peine quelques heures après leur arrivée, Armand disparaît et Flavien se lance dans une quête aussi bizarre que frustrante pour trouver des informations sur les étranges habitants du village et tenter de retrouver son ami. Il en découvrira éventuellement plus qu’il ne l’aurait souhaité.
Je dois dire que dès le départ, le film intrigue et ne lésine pas sur les effets d’étrangeté propres aux films fantastiques gothiques. L’aspect visuel très soigné vaut à lui seul le détour. Les effets spéciaux et sa direction photo sont impeccables, le montage et ses prises de vues originales sont parfaitement dans le ton. On n’hésite pas non plus à utiliser des effets sonores pour effrayer ou surprendre, flirtant avec le cliché mais sans jamais tomber dans l’exagération qui ferait décrocher le spectateur.
Sur le plan de l’intrigue, la première moitié du film mélange l’insolite, le surnaturel et les bizarreries. Littéralement, tous les habitants du village sont anormaux d’un point de vue ou d’un autre – le seul qui semble mener une vie normale est trisomique. Ce mélange a assez bien fonctionné avec ce cinéphile-ci; je n’ai pas pu m’empêcher de penser à David Lynch et Twin Peaks.
Malheureusement, l’intérêt diminue à mesure que le film progresse et disparaît à toute fin pratique quand le cinéaste – également scénariste – s’attarde à fournir une explication à tous ces phénomènes. Les deux premiers tiers baignent dans le fantastique alors que sa finale est une tentative de science-fiction qui ne fonctionne pas. Saints-Martyrs-des-Damnés souffre donc d’un effort de rationalisation. Pour l’amateur éclairé de science-fiction et de fantastique, le film semble souffrir du syndrome du créateur qui ne connaît pas les genres qu’il manipule. Comme il était impossible pour Aubert de rattraper toutes les ficelles qu’il avait laissé pendre depuis le début et d’intégrer tous les éléments en une explication cohérente et satisfaisante, j’aurais préféré qu’il se cantonne à ce qu’il réussissait très bien et qu’il laisse le spectateur sans voix et sans réelle piste pour comprendre ce qui s’était passé.
Le film a été produit avec un budget relativement confortable pour un film de genre québécois et j’ai l’impression que l’enthousiasme du producteur trahit aussi un manque de connaissance de nos genres de prédilection. Il est clair que le succès de productions comme Grande Ours, à la télé, et Sur le Seuil, au cinéma, ont joué dans cet engouement pour un film dont les deux tiers sont si bizarres. En tant qu’amateur, on serait fou de se plaindre que l’on produise enfin des films qui sortent de l’ordinaire. Il y a seulement cinq ans, il aurait paru impensable de voir un tel film sur nos écrans au Québec.
Dans une entrevue accordée à Radio-Canada lors de la sortie du film, Robin Aubert expliquait que son but premier était de créer une œuvre différente de ce qui se faisait en télévision. S’il a en partie échoué comme scénariste, il a par contre parfaitement réussi comme réalisateur. [HM]
Le film, meilleur que le livre… Et si c’était vrai?
Just like heaven est une comédie romantique qui vient de sortir en DVD après avoir connu une carrière relativement courte au cinéma l’automne dernier. Ce film est adapté du roman Et si c’était vrai… du français Marc Lévy, qui avait fait parler de lui il y a quelques années et dont vous trouverez une critique dans la rubrique «Lectures» de Solaris 137.
David est architecte paysagiste et vient d’emménager dans un nouvel appartement de San Francisco après la mort de sa femme. Il fait rapidement connaissance avec Elizabeth, l’esprit de la jeune femme qui habitait l’appartement avant lui. S’ensuit une recherche de la part des deux protagonistes afin de comprendre le phénomène qui permet à la jeune femme de demeurer parmi les vivants, et à David d’être le seul à communiquer avec elle. évidemment, à se côtoyer dans une semi-intimité, les deux célibataires développent des sentiments amoureux malgré leur situation inhabituelle.
Le film de Mark Waters suit la ligne directrice du livre dont il s’inspire, mais prend beaucoup de liberté avec les détails. Une heureuse initiative de la part des scénaristes puisque le souvenir que m’avait laissé le livre était plutôt tiède alors que le film fonctionne très bien. Le scénario met de côté l’aspect trop sérieux du roman pour jouer plus franchement la carte de la comédie sans toutefois tomber dans le ridicule, les créateurs ayant su équilibrer leur film sans jamais en faire trop. Mark Ruffalo et Reese Withersppon créent deux personnages attachants et le potentiel comique et romantique de ces deux personnages est très bien exploité. Il se dégage donc de Just like heaven un sentiment de légèreté et l’ensemble se laisse regarder avec un sourire, et parfois même un rire.
L’amateur de fantastique restera évidemment sur sa faim puisque, comme dans le livre, le fantastique exprimé par la voie de l’esprit d’Elizabeth est plus un prétexte qu’un réel ressort de l’intrigue. De plus, pour accentuer le potentiel romantique ou comique de plusieurs scènes, on n’hésite pas à ignorer certaines questions ou même certaines invraisemblances. Ultimement, on n’aura jamais de réponse satisfaisante à la prémisse fantastique du film, mais arrivé à la conclusion, la chose ne semble plus réellement importante: la chimie entre les acteurs principaux, une bonne dose de gags visuels ainsi qu’un traitement sans prétention nous aura fait passer un moment drôle et agréable. Le livre ne pouvait pas en dire autant. [HM]
«Soit belle et tire là»
à une époque où un film d’un grand studio américain coûte, en moyenne, près de 35 millions de dollars, on comprendra que l’originalité n’est pas exactement la vertu la plus prisée à Hollywood. D’où, peut-être, la bousculade actuelle de films de super-héroïnes tels Aeon Flux, Bloodrayne, Underworld: Evolution et Ultraviolet. Si on laisse les deux premiers de côté – une critique complète d’Aeon Flux se trouve dans «Sci-néma» du numéro 157, et les rares à avoir vu Bloodrayne nous hurlent que c’est pour masochistes seulement –, les deux autres méritent une brève discussion.
Une très brève discussion dans le cas d’Underworld: Evolution. Il s’agit d’une suite conforme en tout point à Underworld, le film d’action de 2003. Tellement conforme, en effet, qu’aucun jugement critique n’est nécessaire: si vous aviez aimé les combats d’armes automatiques entre vampires et loups-garous d’Underworld, vous n’aurez pas de difficulté à apprécier cette seconde mouture. Les décors sont un peu plus ruraux, mais la palette noir/bleu est de retour, tout comme Kate Beckinsale en costume moulant. L’histoire de ce second volet se situant dans le prolongement du premier, il est donc essentiel de l’avoir vu pour apprécier, ce qui nous ramène à notre premier jugement critique: si vous avez apprécié le premier film…
Dans le cas d’Ultraviolet, le film a beau être considéré une œuvre «originale», les cinéphiles ne se laisseront pas berner: il est clair que le scénariste/réalisateur Kurt Wimmer a profité d’un budget un peu plus étoffé et de la forte présence d’une Milla Jovovich en pleine forme dans le rôle-titre, pour nous refaire son propre Equilibrium. Certaines scènes d’action sont repiquées intégralement et la (mince) structure de l’intrigue est similaire.
Mais au grand dam des fans d’Equilibrium, Ultraviolet n’atteint pas le même niveau de qualité. Ce n’est pas qu’Ultraviolet manque de forces, mais celles-ci sont fort mal soutenues par les autres aspects du film. Autrement dit, on peut dire du bien d’Ultraviolet à condition de bien spécifier de quel aspect du film on parle.
On ne peut qu’être élogieux, par exemple, sur le design. Avec la moitié du budget d’un film comme Aeon Flux, l’équipe de production d’Ultraviolet a réussi à créer des décors spectaculaires et des séquences tout aussi saisissantes. Kurt Wimmer réussit à faire beaucoup avec peu, livrant des scènes d’action d’une énergie électrisante. Les effets spéciaux donnent à tout le film une patine de série B à la fois appropriée et, ma fois, pas déplaisante du tout.
Mais il y a l’envers de la médaille: le film ne fait pas dans la subtilité. Tout est tonitruant, souligné à gros traits. L’intrigue ne vaut pas la peine de s’y attarder, les dialogues au stylo-feutre sont tout simplement affreux. Des scènes sirupeuses sans intérêt sont insérées n’importe comment et disposées comme si le réalisateur voulait s’en débarrasser le plus vite possible. Pire encore: les scènes d’action sont répétitives et à ce point excessives qu’elles sabotent toute tentative de maintenir une tension dramatique – Wimmer n’a manifestement aucune idée de comment entretenir un suspense.
Le film a au moins le bon sens de commencer par un générique explicitement calqué sur des couvertures de comics. Mais même classer ce film comme une histoire de super-héros n’excuse pas la paresse qui contamine le reste du film. Kurt Wimmer a du talent, mais ne semble pas suffisamment discipliné pour en profiter. On a l’impression qu’il s’est contenté de filmer de près son actrice principale en lui disant «Soit belle et tire là: nous ajouterons les ennemis en postproduction.» C’est dommage. [CS]
Three Extremes
Voici un programme triple sino-nippo-coréen daté 2004, quoi qu’on n’ait pu le voir en salle à Montréal qu’à la fin de 2005 (si on l’avait manqué au festival Fantasia). Le titre se justifierait ainsi: extrêmement horrible, extrêmement cruel et extrêmement ennuyeux, chaque qualificatif s’appliquant à l’un des moyens-métrages de 30 à 35 minutes qui forment l’ensemble.
Le Chinois Fruit Chan a réalisé le segment «Dumpling» où une actrice sur le retour, pourtant fort belle encore, consulte une avorteuse clandestine dont les dumplings ont des propriétés rajeunissantes. L’horreur résiderait dans les deux scènes d’avortement, mais elles sont montrées plutôt sobrement, somme toute. Et si le réalisateur comptait sur l’effet de surprise, c’est loupé puisqu’on devine bien vite l’ingrédient principal de la recette de «tante Mei». Néanmoins, un petit zeste final rachète l’histoire.
Le Sud-Coréen Chan-wook Park enchaîne avec «Cut», l’histoire d’un réalisateur doué et populaire dont l’épouse pianiste est prise en otage par un paumé qui a été figurant dans chacun de ses films et qui lui envie sa fortune. Il commence à couper les doigts de la captive un par un, et menace de lui trancher les mains pour forcer le cinéaste à commettre un meurtre, dans une mise en scène particulièrement tordue. Une partie du supplice réside dans les dialogues excessivement bavards, mais «Cut» s’est avéré à mes yeux le meilleur service de ce repas oriental.
Le Japonais Takachi Niike signe «Box», où une écrivaine se remémore son enfance au sein du cirque familial (micro-cirque) dans lequel sa sœur et elle, délicates contorsionnistes, se laissaient enfermer dans des boîtes d’où leur père magicien les faisait «disparaître» d’un coup de dard. Inceste et jalousie menèrent à un drame – mais ce drame est-il un souvenir, un rêve, ou une histoire de fantôme inventée par l’écrivaine? Le coup de théâtre final satisfait l’intellect du spectateur, du moins celui qui ne s’est pas endormi durant ce segment glacial et lancinant.
Les trois réalisateurs ont chacun des filmographies substantielles à leur crédit; sans doute les habitués du festival Fantasia les connaissent-ils. Leur maîtrise de la caméra et de la mise en scène en témoigne d’ailleurs. Mais aucun de ces soi-disant «extrêmes» n’est parvenu à désennuyer ce cinéphile-ci. C’était comme lors de ces repas réunissant une trop grande tablée, où le hasard vous assoit à côté de gens avec lesquels vous ne partagez aucune affinité; un minimum de talent pour la conversation (le leur ou le vôtre) parvient à sauver la soirée du désastre, mais tout juste… [DS]
Finale, Destination?
J’étais prédestiné à voir Final Destination 3, ayant vu les deux premiers. Même si je savais que les critiques avaient été sévères – dans les médias qui avaient daigné commenter le film –, même si je savais qu’il s’agissait d’un de ces nombreux films pour ados qui pressent le citron d’une idée trop usée…
Sorti un samedi après-midi afin d’échapper aux corvées domestiques, avec pour prétexte une course à faire en ville, je trouve qu’il fait trop froid pour flâner et je m’arrête «en passant» au Paramount afin de voir ce qui figure à l’affiche à l’heure qui l’est. Destin, je vous dis: Final Destination 3 commence dans un instant. Je sais que la rubrique «Sci-néma» du volet Internet s’annonce particulièrement maigre cette saison, alors je me résigne à voir le dernier opus du tandem James Wong et Glen Morgan (Morgan, scénariste du premier Final Destination, mais pas du deuxième).
Eh bien, tout ce que j’avais lu sur ce troisième volet était vrai: le scénario s’avère une copie conforme des deux premiers, sans effort de sortir du moule. Des étudiants échappent à une mort atroce (dans des montagnes russes, cette fois) grâce à la prémonition de l’une d’entre eux. Frustrée, la Mort (une force plutôt qu’une entité) rattrape les survivants un à un, de manière particulièrement tordue – ces manières étant annoncées dans les photos numériques que l’héroïne a prises au parc d’amusement juste avant le drame. Comme la plupart des «survivants» sont plutôt détestables, chacun à sa façon, on attend que leur compte soit réglé en se demandant quel enchaînement précis d’incidents, d’imprudences et de maladresses finalisera leur destinée. L’on en connaît une ou deux si l’on a vu la bande-annonce, mais les astuces de la mise en scène rendent les autres pas tout à fait prévisibles.
On a droit à deux ou trois bons chocs.
Et l’on espère que c’est tout pour cette série. Passons à autre chose.
(J’étais prédestiné à livrer une mauvaise critique… comme si c’était écrit d’avance.) [DS]
L’envers du dessin
L’avant-veille de l’échéance pour «Sci-néma», je mets la main sur un DVD recommandé par une amie qui connaît bien mes goûts. Ce qui devait n’être qu’une tranquille soirée de vidéo se transformera en course pour ajouter un chapitre à cette chronique.
MirrorMask est né des talents narratif et visuel de deux complices de longue date, Neil Gaiman et le dessinateur Dave McKean (qui a illustré les graphic novels de Gaiman Signal to Noise et Mister Punch, ainsi que les couvertures de la série Sandman).
Un conseil au départ: ne laissez pas le nom de la Compagnie Jim Henson sur le boîtier vous induire en erreur. Dans ce film, vous ne verrez (Dieu merci) pas la moindre créature mignonne et pelucheuse, on ne vous imposera pas de chorégraphie chantante (sauf une, brève et exquise, mettant en vedette des automates organico-féminines jaillies de boîtes argentées dans une chambre pleine d’horloges).
Le ton est donné dès le générique d’ouverture (qui cite McKean comme concepteur visuel et réalisateur): une succession de plans avec décors réalistes et vrais acteurs, et de dessin animé auquel on a conféré une troisième dimension. Oubliez ici la notion moderne de CGI. MirrorMask est plus redevable au crayonné et aux collages de Dave McKean qu’à l’esthétique de Pixar. J’ai lu les qualificatifs «clockwork dreamscape» dans une critique américaine, et ces deux mots (il faudrait une phrase pour les traduire en français) résument bien le monde onirique où se déroulent les deux tiers du film.
Helena, quinze ans, jongleuse dans le petit cirque de ses parents et dessinatrice à l’imagination sans bornes, voudrait bien quitter son existence foraine et connaître «la vraie vie». La vraie vie lui administre toutefois une douche froide lorsque madame Campbell, mère de l’adolescente, est hospitalisée d’urgence avec ce qu’on devinera être une tumeur au cerveau. Le soir où l’on doit l’opérer, Helena bascule dans un long rêve dont les décors et la plupart des personnages – découvrira-t-elle rapidement – sont issus des nombreux dessins dont elle tapisse les murs de sa chambre. Dans cette ville baroque au cachet européen, aux teintes sépia et à l’ambiance crépusculaire, la Reine de Lumière est tombée dans un mystérieux sommeil tandis qu’une ombre tentaculaire menace de tout envahir. En compagnie d’un jongleur masqué appelé Valentin, Helena entreprend de trouver le sortilège – matérialisé sous forme de masque-miroir – qui ramènera à la vie la blanche (et maternelle) Reine. Pour resserrer la course contre la montre, une Reine des Ombres (elle aussi interprétée par l’actrice qui incarne la mère), met tout en œuvre pour capturer Helena, voyant en elle sa fugueuse de fille, la «Princesse». Et pour corser le tout, cette Princesse a pris la place d’Helena dans le monde réel, vêtue en punk et s’acharnant à détruire un par un les dessins qui sont à la fois la carte et le décor de l’univers onirique.
Dresser ici la liste des créatures biscornues, des édifices et artefacts prodigieux rencontrés par l’héroïne serait aussi vain qu’insuffisant. évoquons tout de même les géants aériens, les chats ailés à visage humain, les bancs de poisson qui nagent dans l’air… Dans cette cité fantastique où l’asymétrie a force de loi et où l’humour nonsensical anime même les vilains, un constant enchantement visuel pallie les rares moments où l’intrigue faseye un peu.
Bien que le DVD soit probablement classé dans la section jeunesse de votre vidéoclub, vous auriez bien tort de le laisser sur les tablettes – que vous ayez ou non des enfants à divertir. Vos yeux et votre sens du merveilleux vous en remercieront.
Et si vous êtes chanceux, vos prochains rêves se dérouleront dans un monde aussi fascinant que celui de Gaiman et McKean… [DS]
Mise à jour: Décembre 2005 –