Sci-Néma 161
par Hugues MORIN [HM], Christian SAUVé [CS] et Daniel SERNINE [DS]
Exclusif au Volet en ligne (Adobe Acrobat, 1 133Ko) de Solaris 161, Hiver 2007
Mémoires collectives d’un genre récent: La SFFQ en DVD
Les films de science-fiction et de fantastique scénarisés, réalisés et produits en français au Québec sont une réalité relativement récente. Il me semble que nous sortons à peine d’une période d’optimisme en ce qui concerne cette manifestation de la SFFQ. Il y a quelques mois encore, après la sortie de films comme Sur le seuil, La Peau blanche et Saints-Martyrs-des-Damnés, nous imaginions un futur prometteur pour le genre.
Pourtant, au moment où je commence cet article, Téléfilm Canada a refusé de financer les productions de Francis Leclerc et éric Tessier, a retiré son soutien au film en développement de Daniel Roby (entre autres) et nous parlons maintenant d’une période sombre. Décidément, l’histoire du cinéma SFFQ est bien jeune!
Comme les organismes subventionneurs semblent bouder le genre (espérons-le temporairement), on peut toujours se rabattre sur les DVD de notre petit corpus. On me dira qu’il est tôt pour revoir ces films, mais les suppléments offerts sur les DVD nous permettent parfois de jeter un regard nouveau sur une œuvre cinématographique. C’est dans cette optique de redécouverte que j’ai décidé de revisiter nos films de SFFQ et de m’attarder à ce qu’ils offrent à l’amateur de DVD.
J’ai exclu cinq films récents de ce reportage. Tourné en grande partie à Montréal avec en vedette la Québécoise Caroline Néron, éternelle (scénarisé et réalisé par Sanchez et Liebenberg) a été tourné en anglais et se rapproche donc plus du corpus de films canadiens anglais. Karmina et sa suite K2, ainsi que Dans une galaxie près de chez vous, sont des comédies de situation burlesques et parodiques dont le but est de faire rire, pas d’explorer les enjeux de la SF ni du fantastique. Dans le même ordre d’idée, L’Odyssée d’Alice Tremblay est une fable fantaisiste et non un véritable film de fantastique. On pourrait argumenter que telle ou telle vieille production relève éventuellement de nos genres, mais cet article ne se veut pas un historique exhaustif et pointilleux. Il s’agit plutôt de voir où nous en sommes depuis qu’il se fait assez de cinéma de SFFQ pour que l’on parle d’un milieu en développement.
Pour des critiques détaillées de chacun de ces films, je vous renvoie à l’index en ligne de Solaris et sa chronique «Sci-néma» (voir la filmographie en fin d’article).
Les films
On en conviendra, il y a une différence importante entre voir un film et le revoir. Nous comprenons plus clairement parfois les raisons pour lesquelles nous avons aimé (ou pas) l’œuvre. Il est fréquent que certains films, appréciés au premier visionnement, survivent mal à un second. Le contraire est aussi possible. On peut alors imaginer que les seconds passeront mieux l’épreuve du temps que les premiers. Toutefois, comme bien peu de temps s’est écoulé depuis la sortie des films dont je parlerai ici, je serai prudent avant de me prononcer sur leur pérennité pour le moment.
Je dois avouer que j’aurais aimé avoir la surprise de redécouvrir un film que je n’avais pas compris ou apprécié en salle, mais la chose ne s’est pas produite, du moins pas parmi les longs-métrages. Pour les séries télévisées, par contre, le DVD est certes une bénédiction pour les amateurs qui, comme moi, n’ont pas la discipline nécessaire pour les suivre semaine après semaine à la télévision. Au moment d’écrire ceci, la série La Chambre n˚ 13 n’est pas encore disponible, mais on peut se procurer Grande Ourse et L’Héritière de Grande Ourse.
Si un second visionnement de Sur le seuil, La Peau blanche, Mémoires affectives et La Turbulence des fluides m’a permis de remarquer plusieurs détails de scénario ou de réalisation qui avaient échappé à mon premier visionnement, des films au scénario plus faible (ou plus flou) comme Le Marais et Saints-Martyrs-des-Damnés ont moins bien supporté l’expérience, les trous et les faiblesses apparaissant plus évidents au spectateur qui connaît déjà l’histoire.
Les deux séries de Grande Ourse partagent le même défaut de nous présenter en début de chaque épisode un rappel des épisodes précédents. Le procédé, utile et pertinent lors de la diffusion, nous incite à jouer de l’avance rapide lors d’une écoute en rafale. Décision encore plus étrange, on a aussi conservé le titre animé qui apparaissait au moment où il y avait des pauses commerciales lors de la diffusion à la télévision.
Les commentaires des créateurs
Pour certains cinéphiles, les commentaires de divers artisans du film qu’ils écoutent font partie des plus grands plaisirs que procure un DVD. La plupart des films visionnés présentent une trame de commentaire, même pour les films au budget étriqué. Ce genre de bonus, comme plusieurs suppléments proposés en DVD, est d’autant plus intéressant quand on a apprécié le film. Saints-Martyrs-des-Damnés et Mémoires affectives n’en proposent malheureusement pas. Dans le premier cas, j’aurais aimé avoir le point de vue de l’auteur-réalisateur Robin Aubert sur le déroulement du film, et dans le second, j’ai été déçu de ne pas pouvoir partager quelques moments avec les créateurs de ce film splendide.
Le lecteur de Solaris saura apprécier les commentaires de La Peau Blanche et Sur le seuil et reconnaîtra avec un sourire les scénaristes Joël Champetier et Patrick Senécal, deux auteurs bien connus de nos lecteurs. Si le premier demeure très effacé, laissant la part belle à son complice Daniel Roby (coscénariste et réalisateur) ils livrent toutefois à leur deux un regard intérieur et intimiste sur la création de leur film et du processus de création en général. Les auteurs rappellent à quelques reprises à quel point le budget était serré; lorsque l’on constate la qualité de La Peau blanche, cela renforce la théorie selon laquelle des moyens restreints forcent une plus grande créativité de la part des cinéastes. Senécal et éric Tessier (lui aussi coscénariste et réalisateur) se penchent pour leur part sur leur expérience avec un peu plus de volubilité et de bonhomie – ils sont même interrompus par le passage du directeur artistique. Leurs nombreux commentaires sur le passage du livre au scénario, puis au film, sont très intéressants pour l’amateur qui porte un intérêt au processus créatif des deux médiums.
On excusera facilement le fait que les deux séries Grande Ourse ne proposent pas de commentaires sur chaque épisode, vu les vingt heures d’émissions que contiennent les DVD, mais j’aurais apprécié entendre les créateurs s’exprimer sur un ou deux épisodes. C’est un moyen terme raisonnable auquel d’autres séries en DVD nous ont habitués. Notez que je préfère que leur budget ait été dépensé sur la série plutôt que sur les suppléments, puisque ceux-ci trouvent leur pertinence dans la qualité première du produit de base.
Les scènes supplémentaires
Voilà certainement l’autre bonus le plus apprécié des amateurs de DVD. Disons tout de suite qu’au Québec, nos diffuseurs de DVD ne sont pas très généreux de ce côté. On me dira que pour insérer des scènes non retenues au montage final, il faut d’abord que ces scènes aient été tournées! Ce qui n’est pas nécessairement évident considérant le budget de la plupart des films d’ici. Il ne faut donc pas trop s’étonner si seulement quelques productions proposent ce bonus.
Ainsi, ne cherchez pas de scènes coupées sur Mémoires affectives, La Turbulence des fluides, pas plus sur les deux Grande Ourse. Le Marais n’en propose qu’une (mais propose par contre des «bloopers»). Sur les DVD qui en offrent, l’intérêt et la pertinence de ces scènes varient d’un film à l’autre. Celles de La Peau blanche révèlent que la plupart des scènes tournées s’inscrivaient parfaitement dans l’histoire et que leur présence aurait permis de mieux accepter quelques raccourcis rapides du scénario. Les très rares scènes alternatives montrent aussi que Daniel Roby ne s’était pas couvert de trente mille façons, ce qui démontre une grande confiance en son scénario.
C’est aussi le cas de Sur le seuil, où l’on peut comprendre le bon sens des créateurs de couper certaines scènes, notamment celle des «tripes de Villeneuve» lors de la confrontation finale à l’hôpital, image trop gore qui aurait fait décrocher ce cinéphile-ci.
En fait, c’est Saints-Martyrs-des-Damnés qui est la production la plus généreuse du lot et qui se démarque totalement des autres du point de vue des scènes non retenues. Il y en a plus d’une douzaine, dont quelques-unes tellement amusantes ou étranges qu’elles constitueraient facilement de délicieux petits courts-métrages indépendants du film. Je pense entre autres à «l’interrogatoire», à la version longue du «rêve de Flavien», ou à «Rosy et le méchant au resto». Les autres scènes sont des variations ou des idées qui sortent complètement du scénario final retenu. Par exemple, les créateurs ont filmé une version où Armand survit et s’évade de Saints-Martyrs-des-Damnés. Ces scènes démontrent que, disposant d’un budget plus conséquent, Robin Aubert avait eu le loisir d’explorer diverses avenues, et qu’il a déterminé le scénario final au montage du film. Notons toutefois qu’aucune des scènes supplémentaires n’ajoute à la compréhension du film.
Quelques courts-métrages
Ce ne sont pas tous les DVD qui offrent des courts-métrages en bonus. Je vous avouerai que pour ma part, j’aime bien, car le court est au long ce que la nouvelle est au roman en littérature.
J’avais déjà vu «Viens dehors» d’éric Tessier lors de sa projection au cinéma dans le cadre du festival Roberval 2K, et ce court-métrage offert sur le DVD de Sur le seuil est aussi succulent quelques années plus tard.
Le court de Rosa Zacharie «Une éclaircie sur le fleuve», sur le DVD de Mémoires affectives, est une dramatique sur la thématique d’une relation père-fille sur le tard. Si le film est très beau, il est un peu longuet pour son thème; mentionnons aussi, puisque nous sommes dans Solaris, qu’il ne s’agit pas de fantastique ni de science-fiction.
Ce n’est pas non plus à ces genres qu’appartient «Quelques instants dans la vie d’une fraise», de Daniel Roby, sur La Peau blanche, mais à un genre quand même, le polar. Un court qui a tout pour plaire, par son rythme, l’interprétation des personnages, les dialogues, avec un scénario qui n’aurait pas mal paru au sommaire d’une revue comme Alibis.
Bandes annonces, reportages et autres suppléments
Je dois avouer ne pas être un grand amateur de galeries de photos et de reproductions de pages de scénarios, mais parfois, revisiter les bandes annonces cinéma après avoir vu le film a quelque chose d’amusant. En ce sens, si la plupart des films loués dans le cadre de cet article proposent leur bande-annonce en bonus, mes préférées sont celles de Mémoires affectives. Le DVD en comporte trois, toutes excellentes et accrocheuses, dont plusieurs des scènes ont été tournées exclusivement pour les bandes annonces puisqu’elles ne se retrouvent pas dans le fil narratif du film.
Comparer les bandes annonces québécoises et françaises de La Turbulence des fluides est un autre exercice intéressant par ce qu’il révèle des deux marchés cibles et de l’ambiance que l’on tente de créer pour attirer ces publics différents.
Si vous êtes comme moi, les reportages que l’on retrouve sur nombre de DVD que vous louez ne vous intéresseront que si le film lui-même vous a plu. (Par exemple, je me souviens encore de mes bâillements lors du visionnement de Hulk, et d’avoir à la fin tout simplement remisé le disque dans son boîtier double en ignorant les nombreuses heures de suppléments généreusement ajoutés par la production.) Le problème ne se pose pas pour certains films, car ni La Peau blanche ni Sur le seuil n’en offre, et que ceux de La Turbulence des fluides sont des scènes de tournage sur fond musical sans commentaires. Dans ces trois cas, il faut se contenter des informations et anecdotes de tournage dans les commentaires des scénaristes et réalisateurs.
Le reportage de Mémoires affectives vous fera certainement réaliser les inconvénients d’un tournage d’hiver, dans la neige ou sur la glace, par des températures de moins quarante alors que ceux, nombreux, de Saints-Martyrs-des-Damnés, feront des jaloux parmi les réalisateurs québécois, quand ils verront les conditions et la liberté dont disposait Robin Aubert pour faire son film. (Accessoirement, on y apprend qu’Aubert considère son film comme un suspense de SF.) Les amateurs de technique seront ravis des extras proposés par Le Marais, qui comporte pas moins de six reportages sur le storyboard, la coloration, la finition numérique et la direction artistique, entre autres.
Les suppléments de Grande Ourse et L’Héritière de Grande Ourse sont plus représentatifs de l’origine télévisuelle de la production. Les documentaires «à l’origine», «Personnages» et «La vision» sont du type semi-promotionnel qui est parfois diffusé une semaine avant que la série ne soit mise en ondes, pour intéresser les spectateurs plus que pour informer les amateurs de la série a posteriori. Un de ceux-ci est constitué d’une longue entrevue avec le réalisateur Patrice Sauvé. Bien que le procédé soit très artificiel, il est intéressant dans la description de son approche réaliste de l’action et des personnages afin de pouvoir mieux faire croire au surnaturel qui est omniprésent en arrière-plan. Tous ces suppléments – on trouve aussi un économiseur d’écran sur Grande Ourse! – sont étrangement disséminés sur les deux premiers disques de chaque série, qui en comportent quatre chaque. On pourrait d’ailleurs se demander pourquoi l’ensemble ne tient pas sur trois disques par série, puisque les deux derniers ne comportent que deux épisodes d’une heure chacun.
Huit beaux films
En guise de conclusion, je terminerai sur une appréciation bien personnelle du travail de direction artistique et de direction photo de chacun des films revisités. Ce sont de beaux films. Si on compare notre petit corpus de SFFQ avec ce qui se produit ailleurs, ça démontre non seulement que nous avons ici des artisans de grande compétence, mais aussi que les réalisateurs et producteurs québécois ont à cœur d’offrir des films visuellement intéressants, même ambitieux, pas juste des films d’action ou d’horreur avec un vague prétexte de F&SF. Dommage que nous n’ayons pas les budgets, vous imaginez les scènes d’hélicoptères dans Chronoreg? [HM]
Filmographie:
- Le Marais, de Kim Nguyen, Film Tonic, Christal Films, 2002.
- La Turbulence des fluides, de Manon Briand, Max Films, Alliance Atlantis Vivafilm, 2002.
- Grande Ourse «N’ajustez pas vos appareils!», de Patrice Sauvé, Point de Mire, Radio-Canada Télévision, 2003.
- Sur le seuil / Evil Words, d’éric Tessier, Go Films, Alliance Atlantis Vivafilm, 2003.
- La Peau blanche / White Skin, «Elles sont parmi nous», de Daniel Roby, Zone Films, Séville Pictures, 2004.
- Mémoires affectives / Looking for Alexander, de Francis Leclerc, Palomar Films, Alliance Atlantis Vivafilm, 2004.
- Saints-Martyrs-des-Damnés «Un corps peut-il vivre sans âme?», de Robin Aubert, Max Films, Christal Films, 2005.
- L’héritière de Grande Ourse «Le mystère arrive en ville», de Patrice Sauvé, Point de Mire, Radio-Canada Télévision, 2005.
The Prestige: Tour de magie cinématographique!
Début du XXe siècle. Alfred et Robert sont deux apprentis magiciens de talent travaillant pour le même mentor. Après qu’un drame ait causé la mort d’une collègue, ce qui était alors une rivalité amicale tourne rapidement à la jalousie et à la haine. Alfred et Robert s’affrontent au fil des ans, pour conquérir les foules, mais aussi pour surpasser leur rival, voir même le détruire, si bien qu’aucun ne sortira indemne de cette confrontation.
Voilà l’univers de The Prestige. Un univers où nous assistons à la descente aux enfers de ces deux magiciens, dans un crescendo d’affrontements douloureux, de tours de magie toujours plus impressionnants, de trahisons et de faux-semblants. Disons-le sans hésiter, The Prestige est un des meilleurs films du trimestre, et certainement le meilleur film de SF que j’ai vu depuis un bon moment. Car pour ceux qui se le demandent, il s’agit bien de SF. C’est à la fois une des forces de ce film, et un de ses paradoxes. Si on le compare au récent (et très bon) The Illusionist, The Prestige ne triche jamais avec l’auditoire, explique tous ses trucs (sauf un), et n’hésite pas à afficher ses couleurs, alors que The Illusionist tentait plutôt de se draper dans un voile de réalisme mystérieux en laissant le spectateur sur sa faim concernant au moins un aspect majeur du film.
Tourné par Christopher Nolan (à qui l’on doit les excellents Memento et Batman Begins), sur un scénario très solide, le film s’amuse à jouer avec le temps et les perceptions, deux éléments que l’on retrouve dans tous les films du réalisateur. Avec son schéma narratif volontairement déroutant, The Prestige exige un minimum d’attention de la part du spectateur qui ne veut pas perdre le fil. Il est difficile de faire autrement puisque la tension est maintenue sans arrêt, que l’interprétation, menée par Hugh Jackman, Christian Bale et Michael Caine, est solide, que les revirements sont nombreux et que l’univers de la magie qu’il dépeint est absolument fascinant. (Pour les amateurs, plusieurs trucs y sont dévoilés.)
Bref, The Prestige est un excellent film de SF sur le thème de l’illusion et du mensonge, qui vous fournira toutes les explications nécessaires à votre plaisir, sauf évidemment une, qui représente symboliquement le prestige du titre, et que vous pourrez discuter par la suite avec d’autres amateurs. Vous vous rendrez alors compte que deux explications sont possibles, et que chacune d’elle est une finale à la hauteur d’un des meilleurs scénarios de l’année 2006, tous genres confondus.
Que dire de plus, sinon courez voir ce petit chef-d’œuvre! [HM]
Renaissance : Polar futuriste solidement animé
Nous sommes à Paris, en 2054. Alors que tout semble géré par la technologie et la surveillance, la plus grande compagnie de la ville, Avalon, cultive les marchés de la jeunesse et de la beauté. Pourtant, lorsqu’une disparition survient, Karas, le policier qui enquête sur le cas, trouve Avalon et ses hauts dirigeants mêlés à des kidnappings et à d’obscures recherches scientifiques.
Renaissance est d’abord un polar pour adultes, à l’intrigue classique mais tarabiscotée. Le scénario est volontairement et parfois artificiellement tortueux, mais il permet le développement de personnages intéressants et un peu plus subtils que le point de départ peut laisser croire. Malgré une certaine naïveté – nous serions moins indulgents envers un film tourné avec de vrais acteurs –, le scénario parvient toutefois à maintenir l’intérêt en alternant habilement les scènes explicatives et les scènes d’action.
Bien qu’il s’agisse d’animation, c’est plus du côté japonais ou encore chez Sin City qu’il faut chercher une comparaison, que du côté des animaux chantants de chez Disney. Renaissance est un film en noir et blanc – et non en tons de gris, nuance importante – parti pris qui permet à son réalisateur, Christian Volckman, de jouer habilement avec les ombres, les profils, la lumière et les effets négatifs. Certaines scènes rappellent le style des mangas japonais. Cet aspect visuel unique, inspiré de Blade Runner et Dark City, donne tout son intérêt à Renaissance, qui ne devient jamais lassant visuellement et surprend par ses trouvailles et la qualité de son animation.
Pour les amateurs d’anecdotes, Renaissance est offert en anglais et en français. Les voix françaises ne sont pas assurées par des vedettes, mais celles de la version anglaise le sont, Daniel Craig (le nouveau James Bond) en tête, interprète Karas. De plus, le compositeur de la musique du film, Nicolas Dodd, est un collaborateur régulier de David Arnold, compositeur de la musique de plusieurs films de la série James Bond, dont Dodd a assuré l’orchestration.
Comme il s’agit d’un film à la distribution malheureusement restreinte, il ne sera peut-être plus à l’affiche au moment où vous lirez ces lignes, mais je vous suggère sans hésitation de le visionner lors de sa sortie en vidéo. [HM]
Grande Ourse: Entrez dans cette étrange constellation
Il est paradoxal que nous n’ayons pas parlé de Grande Ourse, ni de sa suite dans cette chronique. La raison en est bien simple; aucun des chroniqueurs n’avait pu suivre la série dans son ensemble lors de sa première diffusion, ni n’avait eu l’occasion de la louer et d’en faire une recension critique pour Solaris.
Dans le cadre d’un récent survol de la SFFQ disponible en vidéo (dont je parle plus haut), j’ai décidé de me lancer et d’écouter Grande Ourse. La série de dix épisodes, d’une diffusion originale d’une heure télé chacun, scénarisée par Frédéric Ouellet, a été réalisée par Patrice Sauvé, à qui l’on doit entre autres l’excellente télésérie La Vie, la vie.
Grande Ourse, c’est d’abord une petite ville éloignée (au nord du 50e parallèle) où vit une population de gens un peu particuliers et où il se passe des choses étranges. Louis-Bernard Lapointe, un journaliste désabusé dont la carrière à la télévision montréalaise est sur une pente descendante, est envoyé dans ce coin perdu pour faire un reportage. Jusque-là, rien de bien original: Saints-Martyrs-des-Damnés possède exactement le même point de départ. Lapointe arrive au moment où trois événements majeurs bouleversent Grande Ourse. Les antennes de télévision ne diffusent plus rien; la femme de George Ferron, un riche homme d’affaire régional, se suicide; et Blanche Von Trieck, la sorcière, confidente et voyante locale, est retrouvée assassinée après avoir confié au journaliste qu’il était le messager qu’elle attendait. Puis, tous les postes de télé se mettent à capter les mêmes images, celles d’habitants de la ville qui révèlent des secrets qui bouleversent leur vie et celles de leurs proches. Qui est derrière ces apparitions? Qui a tué Blanche et pourquoi? La femme de Ferron s’est-elle suicidée? Qui héritera des pouvoirs de Blanche? Où mènent les indices laissés par Blanche à Lapointe? Autant de questions que de pistes de solutions et d’intrigues qui seront explorées au fil des épisodes.
Lapointe sera accompagné par émile Biron, journaliste local timide et angoissé, dans ce qui deviendra la quête d’une explication aux phénomènes qui frappent la ville. Les disciples de Blanche, amateurs d’ésotérisme et sorciers du dimanche, tenteront de survivre à la mort de leur mentor. Gastonne, policière dont le père est à la fois maire et chef de police, tentera de son côté de faire son travail d’enquête sur les deux morts récentes… tout ceci avant que ne se pointe une agente de la sécurité nationale, accompagnée d’un scientifique (un neurologue, en fait) pour analyser ce qui se passe avec les ondes télé.
Voilà autant d’éléments et d’intrigues parallèles (et perpendiculaires, et obliques!) qui finissent par former un tout qui relève autant de la SF que du polar, du mystère et du fantastique. Comme Grande Ourse est une longue série, les créateurs avaient beaucoup d’espace de travail si on compare à la durée d’un long-métrage. Ainsi, ils ont eu tout le loisir de multiplier les intrigues, mettant en scène un lot de personnages originaux et amusants, certains pathétiques et d’autres intrigants, interprétés par des acteurs de premier plan qui donnent corps aux personnages, au point qu’on croit même à ceux qui sortent de l’ordinaire. La réalisation tire habilement profit du format, avec des hameçons précédant chaque pause commerciale et un punch efficace à la fin de chaque épisode. Comme il s’agit d’une histoire mystérieuse à souhait, le réalisateur a su créer une ambiance trouble, pleine de clairs-obscurs, d’ombres allongées, de pleines lunes et de lieux glauques. Si ce parti pris est un succès côté ambiance – on se sent à Grande Ourse lors du visionnement, et une inquiétante tension est omniprésente –, cela force un peu notre crédulité. C’est à croire que le soleil ne se lève jamais à Grande Ourse et qu’aucun de ses habitants n’allume la lumière chez lui! On reconnaîtra ici et là des influences télévisuelles telles Twin Peaks ou The X-Files, autant dans le scénario que la réalisation et la direction photo.
Après s’être amusé à tirer dans toutes les directions, le scénario a tendance à s’essouffler un peu au moment – inévitable – où il faut fournir au spectateur quelques réponses. Ainsi, le rythme des quatre derniers épisodes est plus lent. Le visionnement de toute la série en rafale donne une impression de répétition lors de ces derniers épisodes, comme si les créateurs voulaient s’assurer que le spectateur avait bien compris. Peut-être était-ce inévitable dans le cadre d’une diffusion d’une heure par semaine?
En fait, ma seule réserve majeure résulte du mélange science-fiction et fantastique. Le mélange des genres est un exercice risqué, que le scénariste Frédéric Ouellet n’a pas maîtrisé de façon toujours convaincante. Je me serais passé des explications scientifiques qui, en fin de compte, n’apportent que peu d’éléments satisfaisants par rapport à ce qui relève du fantastique. Le suspense, par contre, est parfaitement bien mené, quoique la motivation du «coupable» me soit apparue un peu faible.
Si comme moi, vous aviez manqué Grande Ourse à la télé, n’hésitez surtout pas à louer la série en DVD. D’ailleurs, j’ai suffisamment apprécié l’expérience pour louer sa suite, L’Héritière de Grande Ourse, quelques jours plus tard! [HM]
L’Héritière de Grande Ourse: Encore des affaires étranges…
Après le succès populaire et critique de Grande Ourse, les créateurs ont récidivé avec une suite qui se déroule à Verdeuil, en banlieue de Montréal. C’est là qu’étudie Sarah Von Triek, petite-fille et héritière des pouvoirs de Blanche. Après trois semaines d’insomnie en raison de cauchemars le menant à une adresse de Verdeuil, Louis-Bernard Lapointe retrouve émile Biron pour enquêter sur ses rêves prémonitoires et une série de meurtres étranges qui frappe Verdeuil et son citoyen le plus éminent, Julien Beaumont. Or, par un hasard (dont même les personnages se rendent compte), d’autres habitants de Grande Ourse sont maintenant installés à Verdeuil, dont la policière Gastonne Belliveau, qui mènera l’enquête officielle.
J’avoue que le point de départ de cette suite m’a paru tiré par les cheveux, et que les événements des deux premiers épisodes m’ont semblé moins convaincants que ceux de la première série. Heureusement, dès le troisième épisode, la série trouve son souffle et instille le même sentiment d’anticipation d’un épisode à l’autre que le faisait Grande Ourse.
Le scénario souffre évidemment de la comparaison avec la série originale, puisque l’ensemble n’est plus une nouveauté pour le spectateur. La recette ayant fonctionné une fois, on prend peu de risques et utilise le même genre de mélange SF, fantastique, polar et mystère. Si trois des trames fonctionnent très bien, une fois encore, c’est tout le pan SF qui fait figure de maillon faible, autant sur le plan du concept que de son traitement.
Par contre, il y a un certain confort à retrouver des personnages connus, et c’est surtout vrai pour les deux journalistes interprétés par Marc Messier et Normand Daneau, qui sont excellents, comme tout le reste de la distribution d’ailleurs. L’ambiance est aussi efficace et réussie que dans la série d’origine, même si on se demande pourquoi l’action se passe à Verdeuil, car visuellement, cette petite banlieue de Montréal ressemble à s’y méprendre à Grande Ourse elle-même! Un bémol sur le personnage de Sarah, qui était absolument démoniaque et terrifiante d’immobilité à neuf ans dans Grande Ourse et qui ici, à quatorze ans, est doublée d’une vulnérabilité qui étonne (j’allais même dire détonne).
N’allez pas croire que ces réserves signifient que L’Héritière de Grande Ourse n’est pas une bonne série télé. Bien au contraire! Avec celle qui l’a inspirée, c’est certainement ce qui s’est fait de mieux dans nos genres de prédilection à la télé québécoise! [HM]
Déjà vu: Oui, mais ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose
Il existe plusieurs façons d’aborder Déjà vu, le plus récent film du duo Scott/Bruckheimer. On peut l’apprécier comme un techno-thriller policier, un drame romantique, une peinture représentative de son époque, une courtepointe r