Sci-Néma 177
Christian SAUVé [CS] et Hugues MORIN
Exclusif au Volet en ligne (Adobe Acrobat, 1.68Mo) de Solaris 177, Hiver 2011
Skyline
Avertissement : 2011 sera l’année de l’invasion extraterrestre ! Avec Monsters, Skyline, I Am Number Four, Battle : Los Angeles, Paul, le remake de The Thing, Cowboys & Aliens, The Darkest Hour et (prévoit-on) Super 8, vous oublierez les vampires et les apprentis sorciers, car Hollywood s’est trouvé un nouvel os à ronger.
Avec autant de productions sur un même thème, on peut s’attendre à une variété d’approches. Skyline [Horizon] se démarque en tentant quelque chose d’inusité : un hybride entre le spectacle à grand déploiement et le drame à petit budget. Tout commence avec la visite d’un couple chez des amis logeant dans un gratte-ciel en périphérie de Los Angeles. Un mauvais choix de date de voyage, car la nuit suivante les extraterrestres descendent et se mettent à aspirer tous les humains dans le ciel – «aspirer» n’étant pas une métaphore dans ce cas-ci. Coincés dans un condo alors que Los Angeles autour d’eux est la scène d’un affrontement entre forces militaires et extraterrestres, les protagonistes doivent décider de la meilleure façon de survivre.
à tout le moins, on admirera l’audace conceptuelle des frères scénaristes/réalisateurs Strause. La rumeur veut que Skyline ait coûté à peine dix millions de dollars : 500 000 $ pour le tournage lui-même, le reste étant consacré aux nombreux effets numériques. Pas surprenant si le film alterne entre les scènes dramatiques dans l’appartement des héros, plutôt moches et granuleuses, et la vue panoramique de l’invasion bourrée d’effets spéciaux au rendu léché. Il faut dire que les frères Strause sont propriétaires de la compagnie ayant assuré les effets numériques du film, et ils savent ce qui fonctionne.
Les quelque neuf millions et demi d’effets spéciaux ont été bien investis. Si vous voulez voir des humains aspirés dans les airs par une lumière bleue, de gigantesques monstres écrabouiller une voiture sport, des personnages échapper au crash d’un avion de chasse détraqué, un affrontement entre drones humains et aéronefs extraterrestres, ou bien un vaisseau prendre une bombe nucléaire en pleine gueule, ce film est pour vous.
Est-ce à dire que le seul intérêt de Skyline réside dans ses effets spéciaux ? Presque. La grande faiblesse du film est le scénario. Le choix de raconter une grande histoire à travers des moyens intimistes avait été bien mieux réussi dans Cloverfield. Le film traîne en longueur lorsque les effets spéciaux sont absents, et les amateurs de SF chevronnés seront presque insultés lorsqu’ils découvriront la raison de la présence des extraterrestres. «Mars Needs Brains !» n’est-il pas déjà un cliché de parodie ?
Certains se plaignent que les humains «gagnent toujours» dans les films d’invasion extraterrestre, souvent au détriment de la vraisemblance la plus élémentaire. Mais Skyline démontre par l’exemple que le renversement du motif n’est pas nécessairement plus heureux. Une fois établi que les extraterrestres arrivent sur Terre avec des moyens d’une supériorité écrasante par rapport aux nôtres, les laisser gagner laisse une impression de vacuité d’un point de vue dramatique. Pourquoi raconter une histoire si celle-ci se termine de façon platement vraisemblable ? Disons que Skyline se termine soit cinq minutes trop tard, ou quinze minutes trop tôt. On annonce une suite : ce n’est pas une excuse pour un premier volet si décevant.
Never Let Me Go
à sa parution en 2005, le roman Never Let Me Go de Kazuo Ishiguro avait acquis une certaine notoriété littéraire tout en étant basé sur des éléments bien familiers aux fans de SF. Prenant place dans une Angleterre parallèle où des clones sont élevés jusqu’à maturité dans un cadre scolaire, puis moissonnés pour leurs organes, Never Let Me Go n’a pourtant pas été accueilli avec enthousiasme par la communauté SF, comme c’est souvent le cas lorsqu’un écrivain de littérature générale se risque à la science-fiction : aucune nomination pour les prix spécialisés, et peu de mentions comme un roman marquant dans le genre.
Les causes de ce manque d’enthousiasme sont identifiables et même compréhensibles. écrit avec sensibilité, le roman d’Ishiguro n’offre pas la prose directe favorisée par les amateurs de SF réfractaires à tout ce qui peut ressembler à de la «littérature raffinée». La structure est encore plus atypique. Le roman consacre beaucoup de pages à décrire en détail l’éducation bien hypocrite que reçoivent les personnages : la minutie des boarding schools britanniques, les placements qui attendent les clones-protagonistes après leur graduation, et ainsi de suite. Quand se révèle l’effroyable réalité de cette société parallèle qui se nourrit des dons d’organes des clones, le lecteur de science-fiction est choqué, non pas à cause de l’inhumanité de cette société, mais à cause de son invraisemblance. Indignité suprême, Never Let Me Go est surtout un roman qui prône la résignation à son sort : pas de défiance triomphante, encore moins de révolte contre le système. Bref, il s’agit d’un roman de SF pour ceux qui ne lisent pas de SF, et les réactions parfois hostiles des fans (lisez les critiques d’Amazon pour vous en convaincre) en révèlent autant sur les attentes et les poncifs du genre que sur les faiblesses du roman proprement dit.
S’il faut consacrer autant de lignes à parler du livre, c’est qu’on retrouve à peu près les mêmes défauts et qualités dans l’adaptation. Le fan de SF dira que c’est une œuvre longue, ennuyeuse, prétentieuse, peu crédible et déprimante. Le cinéphile dira que c’est une œuvre finement contrôlée, pleine de subtilités, émotionnellement captivante, mélancolique, solennelle, et déprimante. Et les deux auront raison… ce qui rendra d’autant plus intéressant le film pour ceux capables d’apprécier ces deux registres.
Car il est exact qu’en termes strictement rationnels et science-fictifs, Never Let Me Go [Auprès de moi toujours] est de la foutaise soutenue par des absurdités. Les clones sacrifiés pour leurs organes ne sont pas simplement tués, puis utilisés dans une variété de transplantations. Non, ils sont amputés organe par organe dans des opérations successives, les docteurs étant surpris qu’ils ne vivent pas plus longtemps au fur et à mesure qu’on leur enlève un organe vital supplémentaire. Se donner le mal d’élever des clones comme des humains normaux est non seulement sadique, mais inefficace et inutile. Clairement, les choses ne se passeraient pas ainsi «dans le vrai monde», ou tout au moins celui idéalisé par les fans de SF.
En revanche, sur le plan dramatique, c’est un film diablement efficace. Les trois acteurs principaux sont bons et la réalisation pousse délibérément tous les boutons sentimentaux à sa disposition. La mythologie que s’est imaginée la société de clones, pleine de légendes qui s’avèrent toutes aussi fausses les unes que les autres, est fascinante. Et seuls les plus durs de cœur resteront de glace devant une finale qui fauche systématiquement tous les personnages du film. Si vous voulez connaître votre allégeance – «cinéphile» ou «amateur de SF pure et dure» –, l’écoute de ce film serait un bon test.
Tron Legacy
Tron est une œuvre de science-fiction marquante du début des années quatre-vingt pour une simple raison : ce fut un des premiers films à reconnaître l’impact grandissant des technologies de l’information sur la classe moyenne américaine. Deux ans avant le roman Neuromancer de William Gibson, à une époque où WordPerfect et le Commodore 64 venaient d’être introduits (!), Tron mettait déjà en scène des humains aspirés dans un univers virtuel bourré d’effets spéciaux étourdissants pour l’époque, où les mécanismes de jeu semblaient régner comme lois de l’univers. Oubliez la réaction critique ou commerciale de l’époque ; la vérité est que le film a eu un impact considérable sur l’imaginaire de toute une génération de geeks qui allait, quinze ans plus tard, mener la révolution Internet.
C’est dire que l’arrivée d’une suite en 2010 semble bien tardive. Tron était un des premiers films à profiter d’effets spéciaux numériques. Tron : Legacy [Tron : L’Héritage] arrive à la fin d’une année où tous les films hollywoodiens sont créés – ou au moins assistés – par des ordinateurs à chaque étape de leur production, depuis la scénarisation jusqu’au tournage, au montage et à l’étalonnage, sans même parler de la comptabilité et de l’administration. être aspiré dans un monde numérique fait quasiment partie du quotidien. Pas étonnant si cette suite se révèle finalement être un exercice en nostalgie contrôlée.
La mince trame narrative met en scène un jeune techno-rebelle, fils du héros du premier film, qui suit les traces de son père disparu en 1989 pour être numérisé à son tour dans un environnement virtuel. Le reste est familier. Des jeux vidéo glorifiés qui servent de prétextes à des scènes d’action ; un programme rebelle cherchant à s’échapper dans le vrai monde ; une romance bien sage et une collaboration entre père et fils.
L’intrigue paraîtra d’autant plus éparpillée aux simples spectateurs qu’elle s’appuie non seulement sur le film d’origine, mais aussi sur une bande dessinée et un jeu vidéo qui s’inscrivent dans l’intérim entre Tron et Tron : Legacy. Le rythme est inégal, et une bonne partie du scénario est imprévisible parce que sa logique n’est jamais expliquée : l’audience espère que quelqu’un, en quelque part, comprend ce qui se passe et pourquoi. Ni les dialogues ni les personnages ne sont particulièrement mémorables, et l’esthétique sombre du monde synthétique finit par lasser. On remarquera qu’entre les arrière-plans invariablement noirs et les couleurs néons des effets spéciaux, ce sont les visages des personnages qui ont tendance à disparaître dans le décor.
Tout ceci étant établi, il faut tout de même reconnaître que Tron : Legacy offre une superbe démonstration d’art visuel. Les combats entre cycles-lumières et aéronefs virtuels sont convenus, mais il y a un plaisir presque hypnotique à voir les lignes tracées par le mouvement à l’écran, les envolés somptueuses des véhicules ou le choc de la désintégration cubique des personnages. Ironiquement, l’effet visuel le plus impressionnant du film est la cure de jeunesse numérique que l’on a réussi à faire au visage de Jeff Bridges, qui incarne ici deux itérations d’un même personnage à trente ans d’intervalle : l’illusion est parfaite, surtout lorsque les deux versions se confrontent face à face. Finalement, les amateurs de musique électronique seront tout à fait comblés par une bande sonore orchestrée par Daft Punk.
Si vous avez l’impression que nous décrivons un «film de nerds», vous voyez juste. Tron : Legacy s’adresse à un public bien circonscrit (le même qui se rend annuellement à Comic-Con) et tente de leur faire plaisir sans trop faire d’effort pour rallier le grand public. Parions que ce public captif se procurera l’édition Blu Ray du film, que l’on espère truffée de suppléments au sujet des effets spéciaux…
The Chronicles of Narnia : The Voyage of the Dawn Treader
En discutant du deuxième volet cinématographique de la série Narnia de C. S. Lewis dans cette chronique, nous avions noté l’apparition d’un genre hollywoodien «tellement bien codifié que l’on a maintenant droit à des productions moyennes parfaitement prévisibles». Hélas, ce troisième opus de la série ne fait que confirmer cette observation. Une fois passés par la moulinette créative hollywoodienne, les livres de l’auteur anglais, estimés par des générations de jeunes lecteurs, ressemblent à n’importe quel autre film récent de fantasy à gros budget, et ceci jusqu’à l’angle de caméra choisi pour montrer les deux armées fonçant l’une sur l’autre lors de la bataille finale.
La bonne nouvelle au sujet de The Chronicles of Narnia : The Voyage of the Dawn Treader [Les Chroniques de Narnia : L’Odyssée du Passeur d’aurore], c’est qu’il s’agit tout de même du volet le mieux réussi jusqu’ici. Prenant place en grande mer, Dawn Treader s’éloigne un peu des clichés de la fantasy médiévale pour aborder l’épopée maritime, le tout épicé de picaresque. Rien de trop original dans le mélange : dragon, serpent de mer, sorcier, chevaliers perdus, puissantes épées, tentation par le mal… mais le changement de décor est le bienvenu.
Cette fois-ci, ce sont les deux plus jeunes membres de la famille Pevensie qui sont rappelés à Narnia (en compagnie de leur insupportable cousin Eustace) pour aider le prince Caspien à enquêter sur ce qui se passe sur les îles à l’est de ses terres. De valeureux chevaliers ne sont jamais revenus, et tous soupçonnent une influence maléfique. Heureusement que les Pevensies sont là, tout comme la souris Reepicheep. Tous à bord pour l’aventure !
Ceux qui se souviennent du roman noteront que la structure du film a été complètement remaniée. Des arcs dramatiques couvrent l’œuvre sur toute sa durée, à la place des péripéties rapidement résolues de l’œuvre littéraire. Une sous-intrigue au sujet d’épées magiques a été ajoutée pour resserrer la tension et la finale a été remaniée pour intégrer une bataille épique entre héros et monstre marin. De brefs rôles et allusions aux personnages précédents sont également présents pour assurer une meilleure continuité avec les deux premiers films.
Ceci dit, plusieurs défauts de la série Narnia continuent d’agacer. Le deus ex leo d’Aslan demeure un élément essentiel de l’intrigue : or l’allégorie chrétienne peut faire décrocher les spectateurs durant la conclusion. Le rythme du film n’est toujours pas particulièrement rapide, ce qui a tendance dans ce cas-ci à souligner la nature éparpillée de l’intrigue. Mais le plus gênant, c’est que le changement de décor n’atténue en rien l’impression de voir une œuvre dérivative, Les Pirates des Caraïbes ayant remplacé Le Seigneur des Anneaux.
Au moment de rédiger cette recension, le futur de la série Narnia au grand écran demeure incertain. Dawn Treader n’a vraiment pas rapporté les bénéfiques escomptés au box-office américain. Même en tenant compte du marché international et des ventes en DVD, le studio Fox ne doit guère être satisfait. On remarquera aussi que le troisième film conclut la «trilogie» qui met en scène les enfants Pevensie. Un quatrième volet devra introduire de nouveaux protagonistes, ce qui rompt la continuité. La série pourrait s’interrompre ici, la première boucle ayant été bouclée… ce qui ne serait déjà pas si mal étant donné le nombre grandissant de trilogies de fantasy qui meurent au feuilleton après l’échec du premier film.
Films d’animation numérique : Moisson 2010
Ces derniers mois, la chronique Sci-Néma a un peu délaissé le cinéma d’animation numérique. En 2010, seul How To Train Your Dragon a été mentionné dans Sci-Néma, ce qui est d’autant plus inexplicable que la plupart de ces films sont basés sur des prémisses fantastiques. Des jouets parlants, des savants fous dérobant la lune, un dompteur de dragons, un ogre vert, un super-vilain extraterrestre, une fille aux longs cheveux médicinaux…
Une belle collection de personnages fantastiques que l’animation numérique nous a offerte en 2010, connaissant souvent un vif succès autant critique que commercial, quatre des dix films les plus populaires ayant été en animation numérique.
La grande réussite de l’année, évidemment, est Toy Story 3 [Histoire de jouets 3]. Ce troisième volet de la série-phare des studios Pixar ne fait que renforcer leur réputation d’excellence. Non content d’offrir un scénario méticuleux, des images exceptionnelles ainsi qu’un mélange imbattable d’action et d’humour, Toy Story 3 fait resurgir des émotions universelles qui laisseront plus d’un spectateur dans un état second.
L’intrigue s’inscrit dans la continuité des deux films précédents pour s’intéresser à un moment clé dans la vie des jouets : qu’arrive-t-il lorsque «leur enfant» est devenu trop vieux pour s’intéresser à eux ? Alors que leur propriétaire est sur le point de partir pour l’université, les jouets contemplent leurs options : l’oubli du grenier, l’ignoble poubelle, ou bien le sort incertain d’un don à un récipiendaire inconnu ? Un accident du sort envoie une bonne partie des jouets dans une prématernelle où ils doivent composer avec une sous-culture entièrement différente. Chemin faisant, alors que Woody tente de réunir toute la bande, ils auront l’occasion de découvrir jusqu’à quel point les jouets peuvent être traumatisés par l’abandon de leur propriétaire…
Rare troisième volet de trilogie rendu plus fort par ses rappels aux films précédents, il s’agit d’un autre petit triomphe pour le studio Pixar et de la démonstration que même un film entièrement synthétique peut être profondément humain. Sortez les mouchoirs, car le film réussit à faire craquer même les plus coriaces. Non seulement s’agit-il du film d’animation numérique le plus accompli de 2010, mais aussi d’un fort prétendant à n’importe quelle liste des meilleurs films de l’année. Nomination aux Oscars assurée.
L’autre succès incontestable de l’année est sans aucun doute How to Train Your Dragon, qui s’est mérité des bonnes critiques et un box-office honorable. Nous en avons parlé dans notre précédente édition : rappelons simplement que cette comédie d’action présente les efforts d’un adolescent Viking afin d’apprivoiser un dragon. Si les spectateurs plus blasés auront l’impression d’avoir déjà vu une bonne partie de tout cela, le film est visuellement superbe et globalement satisfaisant. D’autant plus que, pour une fois, la maison Dreamworks met l’accent sur les personnages et l’histoire plutôt que sur les clins d’œil parodiques et le recours aux célébrités pour les voix.
Rien de trop compliqué non plus dans Tangled, une présentation du conte de fée de Rapunzel. Quand un brigand fait irruption dans une tour isolée où s’ennuie une princesse captive aux longs cheveux d’or, celle-ci découvre le monde avec émerveillement. Malgré un canevas sentimental de «films de princesses» dans la veine classique de Disney, Tangled possède un rythme contemporain, des personnages charmants, des trouvailles au plan du scénario et des moments visuellement époustouflants. Qui plus est, le personnage de Rapunzel est une des jeunes héroïnes les plus réussies de Disney et le résultat sera captivant pour toute la famille. Les numéros musicaux sont fades, par contre, surtout comparés à ceux de The Princess and the Frog. Malgré quelques anicroches, ce film de Disney rappelle les meilleures années du vénérable studio, ce qui n’est pas rien.
Pour un peu plus d’excentricité, on penchera du côté de Despicable Me, une histoire de savant fou domestiqué dont la direction artistique s’inspire de Gorey et Addams. Réalisé par un studio d’animation basé à Paris, on ne sera pas surpris de constater que le film est possédé par un humour un peu anarchique, inhabituel et bon enfant. L’univers archétypal du savant fou est chambardé par l’arrivée de trois fillettes qui lui en font voir de toutes les couleurs. Rare film de science-fiction dans le lot des films d’animation, cette œuvre destinée à toute la famille s’intéresse bien plus à la relation entre le protagoniste et les trois fillettes, plus sympathiques qu’il ne l’espérait, et son adoucissement en bon père adoptif finit par constituer le cœur du film. En comparaison, son plan pour subtiliser la lune, sa rivalité avec un autre savant fou et les agissements de ses «minions» ne sont que des décorations amusantes. Le seul reproche qu’on peut faire, c’est que certains moments du film (surtout avec les «minions») proposent un humour plus anarchique qui ne cadre pas tout à fait avec le ton du film. Il est presque tentant d’attribuer ces moments incongrus à une saine tension créatrice entre les scénaristes américains et les exécuteurs gaulois. Au final, le film n’en demeure pas moins intéressant, voire même fascinant pour ceux qui seront charmés par son esthétisme audacieux.
Megamind emprunte aussi dans une veine parodique et révisionniste les clichés des super-héros et leurs super-ennemis. Prenant carrément le parti d’un vilain, plus incompris que véritablement méchant, le film virevolte d’une scène énergétique à l’autre, offrant plusieurs retournements de situation et des personnages irrésistibles. Le résultat semble même réussir à dire quelque chose de frais au sujet de ces affrontements plus grands que nature entre personnages archétypaux. L’esthétisme du film est clair et net – bien que les personnages soient plus angulaires que souhaités, fruit de sa filiation avec la série Madagascar –, les dialogues ne sont pas trop moches et l’intrigue est bouclée efficacement. Conçu pour jeunes, mais étonnamment digeste pour leurs parents, Megamind plaira particulièrement aux férus de bandes dessinées de super-héros.
Bouclant ce survol, on notera la performance honorable de Shrek 4 (ou Shrek Forever After, selon le marketing). Renouant avec la verve iconoclaste des premiers films de la série après un troisième volet inutile, Shrek 4 s’inquiète de l’ennui qui attend les héros d’aventures une fois qu’ils sont destinés à «vivre heureux et avoir beaucoup d’enfants». Ainsi, dès les premières minutes du film, Shrek est exaspéré par la vie parfaite obtenue à la suite de ses aventures précédentes. En pleine dépression, il conclut une entente avec un magicien pour aller explorer ce qui aurait pu advenir dans des circonstances différentes. L’histoire, située dans un monde parallèle où Shrek n’a jamais secouru Fiona, est destinée aux fans assidus de la série, bien sûr, mais la ré-invention des personnages et la compétence du scénario bouclent la série sur une belle note. Là encore, Dreamworks semble peu à peu s’affranchir des références et des clins d’œil à la culture populaire. Une sage décision, car le systématisme du procédé commençait à lasser.
Ce coup d’œil généralement bienveillant sur la production en animation numérique de l’année passe sous silence quelques films moins bien accueillis par la critique, qu’il s’agisse d’Alpha and Omega ou bien de Yogi Bear. En fait, même si la moisson 2010 a été un peu moins abondante que celle des années précédentes, la qualité moyenne est supérieure. On notera beaucoup moins de films d’animation «de série B» tel Igor ou Hoodwinked. Chez les cinq films cités, l’imagerie numérique est de plus en plus sophistiquée, le tout au service de scénarios qui tiennent la route, et pas seulement chez Pixar, même si ces derniers continuent d’offrir la crème de la production. L’animation numérique est presque en train d’assurer une garantie de satisfaction chez les spectateurs… pour peu que celui-ci ne soit pas allergique au genre, bien entendu !
Christian SAUVé
Les Rescapés : Voyageurs temporels malgré eux
Gérald Boivin est dans une impasse dans le cadre de son enquête sur une série d’incendies criminels à Montréal. Il se voit offrir quelques jours de vacances, mais avant son départ, fait la rencontre d’un homme qui lui remet une valise et lui donne rendez-vous sur le Mont-Royal en lui promettant des informations pour son enquête. Nous sommes en mai 1964. Gérald se rend donc au rendez-vous, avec voiture, roulotte et famille, juste avant ses vacances. Un éclair déchire le ciel, l’homme s’éloigne mystérieusement, et la famille Boivin réalise assez rapidement que le monde autour d’eux a changé. Nous sommes en 2010. Gérald Boivin, sa femme Monique, ses enfants Charles, Jeanne et Marco, ainsi que son père, ont fait un saut de quarante-six ans dans le futur. Leur vie vient de basculer et ils feront face à deux défis ; s’adapter dans un nouveau monde, et retrouver celui – ou ceux – qui est responsable de ce voyage, en espérant pouvoir rentrer «chez eux», en 1964.
Les Rescapés est une série télévisée réalisée par Claude Desrosiers et scénarisée par Frédéric Ouellet, l’auteur derrière Grande Ourse. On retrouve certaines habitudes de l’auteur dès le premier épisode – et dans la prémisse même de la série, qui mélange science-fiction, fantastique, religion et polar. Comme pour Grande Ourse, Les Rescapés comporte un humour bon enfant, des personnages typés et sortant de l’ordinaire, et un rythme soutenu à coup d’intrigues et de révélations bien dosées, le tout enveloppé dans un scénario intéressant aux dialogues souvent amusants.
La formule temporelle offre plusieurs avantages au réalisateur ; l’utilisation du noir et blanc pour le passé et de la couleur pour 2010, la multiplication des costumes et des références d’époque, le décalage technologique, les flashbacks, etc.
L’affaire démarre plutôt bien et permet d’abord aux créateurs de réaliser vingt-trois minutes de télé en noir et blanc en installant la prémisse et campant quelques personnages dans les années soixante. Une fois l’action transposée en 2010, des flashbacks permettent de révéler à petites doses les autres éléments pertinents ayant pris place dans le passé.
Les premiers épisodes sont dominés par les éléments et répliques humoristiques (Devant des graffitis : «les hommes du futur dessinent plus mal que ceux de l’ancien temps»). Sinon, malgré quelques coïncidences fort pratiques, les éléments de l’intrigue se mettent en place alors que nos héros malgré eux tentent tant bien que mal de s’adapter à la vie de 2010.
Puis, la série se divise rapidement en deux intrigues presque indépendantes l’une de l’autre et on passe lentement du burlesque à un ton plus dramatique, passage qui s’accentuera au fil de la saison. D’un côté, on suit les actions de Gérald, sur les traces des responsables de sa présence en 2010, qui découvre bientôt que son fils Charles n’est pas étranger à toute l’affaire. «L’arrivée» de Thérèse en 2010 – dont Charles était amoureux en 1964 –, sème à la fois la confusion et le doute quant à son implication dans leur mésaventure («Dans une histoire aussi bizarre que la nôtre, elle, c’est un peu trop normal, son affaire.»). Leur enquête les mènera sur le chemin de Gina, une policière qui est également la fille du patron de Gérald en 1964, ainsi que sur la piste de Stéphane Harton, un professeur de physique obsédé par ses calculs sur les portes temporelles. Cette portion de la série, un polar teinté de SF, en est à la fois le cœur et l’aspect le plus intéressant. Si l’intrigue comporte son lot de coïncidences utiles, comme la première rencontre de Gina avec les Boivin, l’ensemble est plutôt bien mené.
Les hommes Boivin seront confrontés à Viateur Bolduc, homme de main de Chabanel, celui qui est responsable de leur voyage temporel. Le spectateur suivra donc les agissements de ces «méchants» en parallèle, au fil des épisodes, et découvrira plus ou moins au même rythme que les Boivin les éléments composant la partie F/SF des Rescapés. Malgré quelques scènes intéressantes, cette portion des Rescapés est moins bien menée que la première ; les personnages de Bolduc et Chabanel sont trop typés, toujours entièrement dévoués à leur cause, trop constamment intenses et ne semblent jamais se reposer. Par contre, ces scènes permettent de faire avancer l’intrigue sur un mode parallèle à l’enquête de nos héros, de diluer les révélations ou de créer le suspense.
Pendant ce temps, les autres membres de la famille Boivin s’affaireront à créer un environnement permettant à nos enquêteurs de poursuivre leurs activités en tentant de s’adapter au monde dans lequel ils ont été parachutés. Ces segments, qui ne font que croiser l’intrigue principale à l’occasion, ne sont, finalement, qu’un prétexte pour montrer des scènes à caractères humoristiques. On comprend bien l’intention de l’auteur de confronter les valeurs et les croyances des Québécois de 1964 avec ceux de 2010, mais la plupart du temps, il s’agit de scènes peu utiles à la progression de l’intrigue globale et souvent, les aventures de Monique, Jeanne, Marco ou Pépère semblent un peu triviales. Passé quelques répliques rigolotes, on se lasse d’ailleurs assez rapidement du personnage du grand-père, aussi détestable qu’inutile dans toute l’affaire. Les problèmes de Monique avec les voisins du camping, à la pharmacie, à l’épicerie, ou devant les ordinateurs sont peut-être des opportunités pour faire rire, mais à chaque fois, on se demande à quoi servent ces scènes. Des problèmes de santé de Pépère à ceux de Marco avec la console Wii, les possibilités semblent inépuisables, mais une fois passés les moments amusants, le spectateur amateur de genre a plutôt hâte de voir avancer la vraie intrigue et se désintéresse rapidement des personnages secondaires. Cette portion des Rescapés contribue probablement à la popularité de la série auprès de diverses générations, mais démontre à quel point le mélange de genre est un pari risqué : certains trouvent les éléments polar-SF trop tarabiscotés, moi, j’ai trouvé encombrants les élément