Une Asie fantastique et merveilleuse
Petite bibliographie commentée
par René BEAULIEU
Exclusif au supplément Web (Adobe, 903Kb) de Solaris 142, été 2002
Cet article, guide de lecture et choix volontairement incomplet et limité à ce qui est disponible en français, mais bien représentatif, n’esquisse certes pas un paysage exhaustif des mythes et légendes asiatiques à travers l’œuvre des auteurs de l’imaginaire (il aurait bien fallu plus de cent pages ici!), mais une présentation de certains des plus intéressants récits de fantastique et fantasy comprenant des thèmes, mythes, personnages ou décors de l’Extrême-Orient. Des choix difficiles se sont imposés durant cette ballade en merveilleux oriental, surtout pour des raisons pratiques.
J’ai donc écarté des parutions aussi excellentes et indispensables que The Elephant Vanishes de Haruki Murakami (Knopf), What The Maid Saw: Eight Psychic Tales de Yasutaka Tsutsui (Kodansha International), The Embroidered Shoes de Can Xue (Holt), la superbe novella «The Fairy Of Ku- She» («The Snow Fairy») de Lucie Chin dans Terri Wilding (anth.), Feary! (Ace Books), le «Little Beauty’s Wedding» de Chang Hwang, dans Ellen Datlow et Terri Windling (anths.), The Year’s Best Fantasy and Horror: Tenth Annual Collection (St. Martin’s/Griffin), l’excellent recueil Wong’s Lost and Found Emporium and Other Oddities, de William F. Wu (Pulphouse Publishing), la série des cinq livres plein d’humour et de magie consacrés au raconteur d’histoires Kai Lung par Ernest Bramah (Oxford University Press), les extraordinaires romans The Nightingale (Ace Books) et Little Sister (Harcourt Brace) de Kara Dalkey, les tout aussi superbes et poignants The Unconquered Country (Bantam Books) et The Child Garden (Bantam Books) de Geoffrey Ryman, les très bons livres pour jeunes de Laurence Yep ou certaines nouvelles de Jane Yolen, l’unique The Magician Out of Manchuria de Charles G. Finney (Donald M. Grant), Silk Road de Jeanne Larsen (Holt), l’hilarant Escape From Kathmandu de Kim Stanley Robinson (Tor Books), l’uchronique Journey To Fusang de William Sanders (Popular Library), et l’émouvant «Whispers» de Maurenn F. McHugh et David B. Kisor, (Isaac Asimov’s Science Fiction Magazine, mars 1993) ainsi que plusieurs dizaines d’autres et qui feront probablement l’objet d’un prochain article.
Je ne parlerai pas non plus de récits de voyages réels ou en partie imaginaires, comme Le Livre des merveilles de Marco Polo, et ne ferai qu’effleurer le vaste domaine des mondes asiatiques cachés ou perdus, ne retenant que les ouvrages les plus représentatifs.
Pour le reste, dans mes recherches et mes souvenirs de lecture, j’ai souvent privilégié comme critère la disponibilité des livres et nouvelles, ne mentionnant que les éditions les plus pratiques ou courantes.
Comme pour toutes les littératures semblables de par le monde, on notera que, surtout à l’origine, on y emprunte fortement aux traditions du conte oral, des mythes, religieux ou profanes, aux légendes, textes sacrés, voyages fantastiques, utopies et autres visions morales ou même philosophiques. Les choix faits ici en tiennent compte, mais sans excès.
R. B.
Auteurs asiatiques
Kôbô Abe, Les Murs, Philippe Picquier éditeur.
Un ensemble de six excellentes nouvelles (pour la plupart fantastiques) de l’un des meilleurs auteurs de la littérature contemporaine japonaise (Prix Nobel, entre autres), qui touche très souvent aux domaines de l’imaginaire et dont même les textes mainstream font la part belle à l’étrange, avec une écriture parfois difficile ou presque «expérimentale», mélangeant littérature occidentale et fond culturel des îles du Soleil-Levant. On trouvera ici des labyrinthes, la recherche de l’identité, l’exploration de la très mince et parfois bien poreuse frontière entre le rêve, l’imaginaire, le réel et l’illusion (un peu comme chez p. K. Dick), l’exploration des mondes «intérieurs» et «extérieurs» des personnages et même quelquefois ce qui ressemble à de la science-fiction, le tout enveloppé dans un style superbe.
Ueda Akinari, Contes de Pluie et de Lune, Le Livre de Poche.
Un admirable recueil de neuf nouvelles fantastiques, variantes originales et habiles écrites à partir de sources folkloriques, se rapportant essentiellement au thème du revenant (amoureuses disparues ne pouvant quitter l’être aimé, guerriers revenus sur les lieux de leurs anciennes batailles, femmes jalouses devenues esprits vengeurs et rancuniers, retour au monde causé par la folie de la passion exclusive, visite de l’esprit de l’or, de la neige, des arbres), par un superbe écrivain «classique» des lettres japonaises, à l’écriture ample et poétique, un peintre extrêmement habile à créer et rendre atmosphères, paysages, ambiances particulières et surtout la lente irruption du surnaturel durant ces époques de la «Lune des Pluies» évoquées par le titre de l’ouvrage et toujours particulièrement propices aux diverses manifestations de l’autre monde et de ses habitants. Un livre capital du fantastique de l’Archipel, dont la lecture s’avère essentielle et pleine de plaisirs nombreux et renouvelés.
Jirô Asada, Le Cheminot, Philippe Picquier.
Une tempête de neige dans l’île d’Hokkaidô et un vieux chef de gare qui voit apparaître le fantôme de sa petite fille. L’étonnement et même les miracles semblent alors faire irruption dans la réalité la plus ordinaire pour la transformer.
Wu Ch’eng En (Wou Tch’eng Ngen), Hsi Yu Ki (Le Pèlerinage vers l’Occident), Seuil et Gallimard/La Pléiade (autres titres: Si You Ki (Le Voyage en Occident) ou La Pérégrination vers l’Ouest).
Cet énorme roman chinois du XVIe siècle, œuvre majeure et bien dans la tradition nationale (mélange de roman de voyages et d’aventures fantastiques, picaresques et philosophiques, autant que poétiques et… métaphysiques, ou presque) forme une unique et très étonnante espèce de «trilogie de fantasy» de cent chapitres dont la première section nous décrit une création de la Terre par la pure essence et émanation du Paradis où, par exemple, un rocher pourra devenir «enceint» par magie et donner naissance à un singe de pierre (basé sur un personnage de contes et légendes très connu et très important de la mythologie chinoise) bien désireux d’étudier les arcanes de l’ésotérisme et de la philosophie. Une seconde section décrit le voyage de l’étudiant simiesque qui deviendra l’un des quatre compagnons protecteurs de Hsuang Tsang (un moine bouddhiste réel et historique, envoyé en Inde par l’Empereur de la Terre-du-Milieu pour ramener en Chine des écrits sacrés), durant lequel, avec son intelligence et sa magie, le Singe affrontera et triomphera de dragons, ogres et mauvais esprits de tous genres. Dans la troisième section, le Singe deviendra un saint bouddhiste. C’est un chef-d’œuvre, à la fois beau, profond et absurde au sens lewiscarrollien du terme, et il tracera la voie d’une bonne part de la future fantasy chinoise. Pour ceux qui voudraient s’y initier en douceur, peut-être un peu effrayés par l’ampleur de l’œuvre, on conseillera la lecture d’un bel épisode extrait du roman, très bien et abondamment illustré, paru sous le titre Le Roi des singes chez Folio Junior.
Collectif, Contes du Japon (4 volumes) : La Danse des chats, Le Miroir de Matsuyame, Le Prince éclipse et le prince éclat, Le Moineau à la langue coupée, Philippe Picquier éditeur.
Contes anciens et légendes, le plus souvent fantastiques, recueillis sur place par des Britanniques, avec la présence, entre autres, de chats spectres, de joyaux qui contrôlent les marées et de miroirs qui doivent assurer la fidélité. Un accès utile à certains récits du folklore japonais.
Collectif, Voyages en d’autres mondes, Philippe Picquier-Bibliothèque Nationale.
Recueils de cinq contes, mythes et récits présentant mondes merveilleux, palais de dragon, pays éternel, mont des immortels et êtres de légendes.
Ling Mong-tch’ou et Feng Mong-long, L’Honnête Commis Tchan – Contes chinois, Folio Junior.
Ce recueil fantastique offre certaines des plus célèbres nouvelles du genre parues en Chine ancienne, toutes basées sur des récits et mythes populaires. Des quatre écrites par le premier auteur, on retiendra particulièrement «La Déesse de la mer amoureuse d’un marchand» (rare représentation positive de la profession mercantile, considérée comme peu honorable à l’époque), «Le Manuscrit» (dans la tradition des écrits et objets magiques, souvent maléfiques) et «Les Trois Lettres de l’immortel» (au sujet évident). Et quant à la très célèbre nouvelle titre, du deuxième auteur, un classique des histoires de fantômes, si son caractère moralisateur a un peu vieilli (faire son travail honnêtement, se méfier des tentations de la richesse ou de «l’amour des mauvaises femmes» et surtout écouter sa mère aimante…), elle demeure un conte plein de verve et de trouvailles fort plaisantes. Dans ce domaine précis, ce me semble une lecture indispensable.
Collectifs, Anthologie des mythes et légendes de la Chine ancienne, Contes de la Montagne sereine, L’Antre aux fantômes des collines de l’Ouest, Gallimard.
Presque tout est déjà dit dans les titres de ces trois livres remplis de légendes, de folklore et d’exotisme : fantômes féminins faussement fragiles ou diaphanes, sombres magiciens, objets magiques, lieux enchantés, hantés ou marqués par des événements dont les habitants préfèrent ne pas se rappeler, horreurs pendues dans les forêts secrètes ou les villages des campagnes superstitieuses, amours uniques et impossibles, sages moines, marchands, bandits et voleurs, aventuriers intrépides, peurs nocturnes, cruautés raffinées, humour et absurde. Ce sont d’indispensables ouvrages de base pour se faire raconter de bien étonnantes histoires.
Taïsen Deshimaru, Le Bol et le Bâton, Albin Michel.
Un ensemble de cent vingt contes bouddhistes chinois et japonais traditionnels d’excellent niveau, plein d’humour et d’invention. Le surnaturel s’y fait une large place et le livre est une bonne initiation à cette «littérature d’ailleurs».
Shaogong Han, Femme, Femme, Femme, Philippe Picquier éditeur.
Nouvelles de mystère, de légendes et de fantastique dans les montagnes, les champs, les villages et le long des cours d’eau de la campagne chinoise. L’étrange à la rencontre du roman paysan…
Tomiko Inui, Le Secret du verre bleu, Fernand Nathan.
Un roman de fantasy moderne pour jeunes, tout empreint de lumière et de poésie, mais aussi des heurts entre la terrible réalité politique d’une certaine époque de l’histoire japonaise et les mondes magiques de l’enfance et du Petit Peuple. La famille Moriyama, et plus particulièrement la jeune Youri, sont en désaccord avec les gouvernants et leur politique d’expansionnisme agressif. Ils hébergent secrètement des lutins venus d’Angleterre, petits êtres descendant de nains et de fées qui se cachent dans leur jardin et leur maison à la merveilleuse bibliothèque. Gens ordinaires mis en présence d’une irruption de l’extraordinaire dans leurs vies, c’est là leur combat et leur résistance, secrets, discrets mais résolus, bercés par les histoires et les légendes issues des deux pays qui se déchirent dans la Guerre mondiale.
André Lévy, Histoires extraordinaires de la Chine ancienne, GF-Garnier-Flammarion.
Une anthologie de contes, nouvelles et légendes fantastiques et mythologiques, encore une très bonne initiation à l’imaginaire chinois traditionnel.
Ku Long, Les Quatre Brigands du Huabei, Philippe Picquier éditeur.
Bien dans la tradition de ces énormes romans d’aventures et de voyages de la littérature chinoise ancienne, parfois héroïques ou encore picaresques et humoristiques comme Le Voyage en Occident, où quatre bandits bons vivants et audacieux – presque sortis de l’esprit d’un improbable Dumas qui serait aussi fils du ciel – affrontent fantômes et créatures diverses et résolvent secrets ou énigmes dans un foisonnement d’interventions surnaturelles. On s’en fera une petite idée en évoquant les deux films bien connus sur les Histoires de fantômes chinois, mais il ne s’agit là que d’une comparaison très précaire pour donner au lecteur une meilleure idée de ce qui l’attend dans ces pages particulièrement mouvementées.
Kenji Miyazawa, Le Bureau des Chats, Philippe Picquier éditeur.
Contes de fantaisie et de mystère, d’histoires et de fables magiques, d’enfants, d’animaux, de plantes et même… d’étoiles.
Haruki Murakami, La Fin des temps, Le Seuil, Points.
Un thriller de SF satirique et très littéraire dans un futur proche, avec parfois une ambiance de roman policier hardboiled et une catastrophe majeure en vue, par un excellent auteur, très moderne et qui touche souvent aux genres de l’imaginaire : une guerre informatique se déroule dans un Japon tenu sous la coupe des puissants conglomérats de banques d’informations et de sociétés de communication. Le récit mélange deux histoires vues par un même narrateur pris dans la terreur entre deux mondes, le sien, un bien impitoyable, terrifiant et contemporain «pays des merveilles» et l’autre, une contrée onirique de licornes à la robe d’or, celui de la fin du monde. Les deux fils se rejoignent en une fable étrange et presque mythologique, avec un effet bien particulier et très intriguant. On pourra lire également La Course au mouton sauvage et La Ballade de l’impossible (tous les deux dans la collection Points), deux romans d’une sorte de réalisme magique à la japonaise suprêmement étrange, à l’écriture intéressante, qui empruntent encore eux aussi au roman policier pour achever ici le mélange des genres.
Lek Nakarat, Jeanine Nakarat et Charles Juliet, La Goutte de miel, Philippe Picquier éditeur.
Un ensemble de douze contes populaires traditionnels thaï, d’inspiration bouddhiste, souvent fantastiques, sur la quête de la fortune ou de l’amour.
Nguyên-Xuân-Hùng, 30 Contes Du Viêt-nam, Flammarion.
Des récits d’animaux et de légendes traditionnelles du Viêt-nam expliquant, entre autres choses magiques et étonnantes, pourquoi les tigres ont des rayures ou pourquoi le Génie des Montagnes et celui des Eaux sont les pires des ennemis, tout en dénonçant cupidité, jalousie ou envie et en proposant l’humour, la fidélité, l’amitié et le recours à l’intelligence.
Songling Pu, Chroniques de l’étrange, Philippe Picquier éditeur.
Contes chinois écrits par un érudit du XVIIIe siècle, histoires de renards et de fantômes dans la grande tradition des mythes locaux, pleines de prodiges, maléfices et métamorphoses, entre merveilleux, fantastique et horreur, que l’on pourrait situer entre Charles Perrault et E. T. A. Hoffman, une comparaison presque désespérée pour faire saisir ou comprendre l’importance et la résonance ultérieures que cette œuvre allait avoir sur le fantastique produit ensuite par les écrivains de l’Empire du Milieu!
Songling Pu, Contes étranges du Cabinet Leao, Philippe Picquier éditeur, et Contes extraordinaires du Pavillon du Loisir, Gallimard.
Un choix de courtes nouvelles étranges, magiques et fantastiques, décrivant la quête de vérité d’un homme voyageant des mondes connus aux inconnus, entre séduction amoureuse et enchantements mystérieux. Les thèmes de ces textes ont été souvent réutilisés ou modifiés ensuite par les auteurs chinois de fantastique ou de fantasy. Une influence majeure et indéniable sur une bonne partie de l’imaginaire chinois ancien et contemporain.
Songling Pu, Le Studio des Loisirs, 10/18.
Un ensemble des divers contes et fables fantastiques anciens réunis et rédigés durant des décennies par ce fin lettré, entre crépuscule et nuit, femme et renard. Ce livre se situe dans la droite ligne des deux précédents.
Akutagawa Ryûnosuke, Rashômon et autres contes, Gallimard, Le Livre de Poche.
Un véritable chef-d’œuvre que ce recueil de quinze nouvelles situées dans le passé, mais écrites par un des plus grands et des plus célèbres auteurs japonais du siècle précédent. La plupart de ces histoires, fantastiques ou psychologiques, explorent sans concession les mystères sombres et toujours complexes de l’âme humaine, souvent jusqu’au bord de sa perte dans l’irrationnel, en une écriture limpide et continuellement élégante, suscitant un complet ravissement. Le réalisateur Akira Kurosawa, à partir des récits «Dans le Fourré» et «Rashomon», a créé un admirable chef-d’œuvre cinématographique. Voilà un véritable classique dans toute l’acception du terme, un livre à lire et à relire.
Shi Nai-an (et Luo Guan-zhong), Au bord de l’eau, Gallimard (La Pléiade) et Folio (2 volumes).
L’ultime saga et classique roman-fleuve picaresque de brigands, d’arts martiaux et d’aventures, parfois magiques ou extraordinaires. On y abat des arbres d’un seul coup de sabre et des tigres à poings nus, on y invoque le fantôme de son frère, on y rencontre un «messager magique», on décoche des «flèches froides», on assiste à des «victoires par magie», à l’apparition de la Déesse du Neuvième Ciel ou à l’envoi d’écrits «célestes», on combat des Rois-Démons armés d’épées magiques et des «généraux mages de l’Eau et du Feu» et même les plus braves y tremblent devant une «vision de cauchemar». Bref, c’est un livre énorme (plus de 2000 pages!), au souffle immense, d’une forme très dialoguée, tout en «histoires racontées ou rapportées», parmi les plus populaires de l’antique littérature chinoise, un livre torrentiel, plein d’inventions et de truculence, de bravoure et de farce, de ruse, de courage incroyable, de ribauderie et de poésie. Tous les justiciers, les hors-la-loi gentilshommes au grand cœur (des centaines de personnages, hommes et femmes, tous très colorés et particuliers, dont les 108 «brigands d’honneur», autant de représentants complexes et bien dessinés des différents membres de la société du temps), les victimes d’injustices, les révoltés du Céleste Empire, s’y rassemblent progressivement au fil des hasards, rencontres et batailles (autant d’occasions de nouvelles aventures pleines de rebondissements, de retours en arrière et de nouveaux récits dans le récit). Retranchés dans un repaire perdu dans des marais impénétrables (le «bord de l’eau» du titre), ils en sortent pour piller les riches, combattre les autorités, leurs agents et autres soldats et, parfois, redresser les torts, tels de joyeux compagnons d’un Robin des Bois asiatique. Le tout est écrit dans un style très vivant, alerte et savoureux, plein de verve et hautement réjouissant C’est un captivant monument de délires divers, le miroir vivant d’une partie de la culture chinoise, un équivalent des pavés d’Homère ou de Dumas, dont la rédaction collective s’est poursuivie pendant des siècles, une œuvre à la lecture indispensable et au plaisir garanti.
Thich Nhat Hanh, L’Enfant de Pierre et autres contes bouddhistes, Albin Michel.
Un ensemble de dix récits merveilleux ou horrifiants visant à apprivoiser et transformer peur et souffrances de la vie.
Auteurs d’origine asiatique
Annick Perrot-Bishop, Les Maisons de Cristal, Logiques et Fragments de Saisons, Vent D’Ouest.
Il faut lire les courtes nouvelles de cette auteure d’origine vietnamienne habitant Terre-Neuve, petits bijoux de SF ou de fantastique finement ciselés dans une langue superbe et somptuaire, mélangeant souvent la mythologie amérindienne pour les thèmes et une sensibilité asiatique pour l’atmosphère et la philosophie proposée, dans un contexte canadien ou un univers de science-fiction parfois inspiré de ces deux mondes bien différents. Ces contes, inquiétants ou enchanteurs, sont ramassés mais terriblement évocateurs. Il est vraiment dommage que cette auteure ne soit pas plus connue des autres lecteurs francophones.
Pham Duy Khiêm, Légendes des Terres Sereines, Philippe Picquier éditeur.
Contes du folklore annamite, vaguement taoïstes, souvent poétiques et subtils, écrits en français, offrant des histoires d’amour et d’amitié pleines de fées et de génies, de femmes triomphant par leur intelligence, mais satirisant aussi avec bonheur les autorités ou ceux qui dirigeaient cette «Terre sereine» qu’était l’ancien Viêt-nam.
Nouvelles
S. p. Somtow (Somtow Sucharitkul), «Chui Chai», dans Phénix 41, Lefrancq.
Une nouvelle lyriquement terrifiante et très inhabituelle, étrange plongée d’un «yuppi» Californien dans un terrible maelström sexuel et émotionnel, une passion consumante et maladive pour une ensorcelante jeune Thaï. Le texte commence très fort, avec un premier paragraphe exemplaire, et continue implacablement sur sa lancée jusqu’aux abîmes qui engloutissent tout. Une très grande réussite.
S. p. Somtow, «Loterie macabre», dans Patrice Duvic (anth.), Futurs pas possibles, Pocket.
Somtow utilise encore ici, à bon escient, son héritage de légendes du pays thaï dans une histoire efficace oscillant constamment entre humour et frayeur, capable de moqueries envers ses compatriotes, mais du même regard ironique sur les préjugés occidentaux à leur égard.
S. p. Somtow, «Une soupe d’aileron de dragon», dans André-François Ruaud (anth.), Fées et gestes, Bifrost/étoiles vives.
Une excellente nouvelle de magie, science chinoise, géomancie et fantasy urbaine se déroulant à Bangkok.
Auteurs européens ou nord-américains
Charles G. Finney, Le Cirque du Docteur Lao, J’ai lu.
Un bien étrange cirque et ses êtres mythiques, dirigés par un mystérieux et puissant Chinois, le Docteur Lao, arrivent dans une petite ville campagnarde des états-Unis, provoquant d’abord le scepticisme, puis la curiosité, et enfin une véritable fascination sur la gente locale. Le cirque abrite en effet d’étonnantes créatures : licorne, changeforme, gorgones, chimère, sphinx, nymphes et satyre. Des événements étonnants, impliquant la population et révélant ses craintes, ses travers ou sa sensualité réprimée, commencent alors à se produire, la magie et le fantastique déferlant jusqu’à ce que le spectacle se termine dans une violence terrible et frénétique. Le cirque reprendra alors sa route, laissant les habitants qui furent les témoins de l’extraordinaire sans aucun souvenir de tout cela et libres de revenir à leur petite vie ordinaire…
Ce roman insolite et déroutant, complète réussite sur tous les plans y compris celui de l’écriture, n’est pas sans rappeler un peu, même si tous les deux sont profondément personnels et originaux, le magnifique Cristal qui songe de Theodore Sturgeon. Il exerça, de l’aveu même de Ray Bradbury, une influence certaine sur son livre La Foire des ténèbres. Un pur délice, par un auteur trop rare qui passa quelques années en Chine et dont une bonne partie de l’œuvre en conserve la trace.
Lafcadio Hearn, Le Mangeur de Rêves, 10/18 (paru également sous les titres Fantômes japonais, Union Générale d’édition et Kwaïdan, 10/18).
De superbes versions (courtes et denses) établies à partir des récits traditionnels, oraux ou littéraires, recueillies ou directement créées dans la manière des anciens par Hearn (un Américano-Irlandais qui vécut une bonne partie de sa vie au Japon, apprit la langue, s’intégra très bien et avec délices au pays et à sa société, devenant pratiquement japonais luimême).
Des nouvelles pour la plupart fantastiques, presque toutes excellentes, et respectueuses de la sensibilité, de la mythologie et de la littérature concernées, avec leur dose d’horreur et de terreur parfois, mais également leur poésie et des traces de philosophie bouddhiste. Elles explorent la plupart des thèmes classiques des contes, histoires et mythes nippons (émanations de la nature venues de la tradition shintoïste, esprits bénéfiques ou mauvais du panthéon bouddhiste, fantômes féminins, changeformes), offertes avec moultes images fortes, étonnantes et surréalistes avant la lettre, beaucoup d’élégance, un réel amour de la nature, du pays et de ses habitants et une écriture très précise, évocatrice, magnifique, mais sans excès, laissant l’histoire parler par elle-même. Certains de ces contes ont été adaptés par Masaki Kobayashi pour son excellent film Kwaïdan. L’ouvrage révéla toute une littérature au grand public à l’époque et demeure un classique, «véritable petit musée portatif de l’horrible et du fantastique» local par un de mes écrivains préférés.
Lafcadio Hearn, Mélanges japonais, Albin Michel.
Des contes courts, magiques, effrayants, poétiques, plein d’images frappantes (par exemple une montagne de crânes humains que l’on escalade), tous tirés du folklore japonais, racontés, inventés ou réinventés par un grand auteur américain dans un livre magnifique.
James Hilton, Horizons lointains, J’ai lu.
Un classique de la fantasy qui connut un considérable succès à l’époque, et reste probablement le roman de «mondes perdus» le plus lu et le plus important depuis le She de H. Ridder Haggard. Après un écrasement d’avion dans l’Himalaya, un groupe d’hommes et de femmes découvrent une vallée perdue et l’utopique Shangri-La en plein Tibet, avec pour chacun d’eux d’importantes conséquences psychologiques, spirituelles et surnaturelles. Le livre (avec quelques autres) initia à l’époque une nouvelle ouverture de l’Occident à la spiritualité de l’Orient, plus intime et surtout plus populaire, très différente de celle exprimée dans les terreurs fantasmées du Péril jaune ou encore les rêves d’opium exotiques relatés dans les carnets des voyageurs. Des deux films qui en furent tirés, on retiendra surtout le plus ancien, de Frank Capra, un peu daté mais qui mérite encore qu’on le visionne.
Barry Hughart, La Magnificence des Oiseaux, La Légende de la Pierre, Huit Honorables Magiciens, Denoël.
Le premier livre de cette excellente et unique série de romans de fantasy à tendance policière se déroule dans une Chine miréaliste mi-imaginaire de l’époque des Tang, tirant sa matière fantastique des mythes et légendes chinois dans une vivante fusion de la magie et de l’histoire. Contrairement à la plupart des «rêves de Chine» occidentaux, on évite ici à la fois l’orientalisme faussement sophistiqué ou sensualo-décadent-maniéré et la description complaisante d’un monde asiatique cruel, inhumain, incompréhensible, fourbe et menaçant pour rejoindre au contraire la joyeuse tradition du roman d’aventures taoïste, picaresque, humoristique, pourvu de héros pittoresques, pleins de bon sens et aimant la vie : une tentative réussie de donner une version moderne du roman chinois de forme classique. Au début de la série, un désastre s’est abattu sur la bourgade de Ku-Fu, après une entreprise criminelle visant à détruire les récoltes de soie, et qui a également empoisonné les enfants du village. Il faut trouver la Grande Racine du Pouvoir, sorte de ginseng ultime, pour les guérir. Ayant découvert les coupables, le colosse Lou You, plus souvent appelé Bœuf Numéro Dix, et le vénérable et très sage Maître Li Kao entreprennent ensuite le long voyage de cette recherche. Mais si Maître Li est un sage, en effet, il est aussi loin d’être par trop honnête… Il entreprend donc d’initier Bœuf Numéro Dix aux multiples plaisirs du chant, du vin et de la fréquentation intime des femmes, au cours de leur quête tortueuse, semée de périls magiques ou prosaïques et de rencontres avec des personnages tous plus étonnants et mémorables les uns que les autres (incluant divinités, fantômes et un sorcier immortel), à travers dangers, voyages et labyrinthes menaçants ; ils y dissipent des fortunes aussi rapidement dépensées qu’acquises dans un déferlement d’aventures comiques ou tragiques. Le retour dans cette «ancienne Chine qui ne fut jamais», selon les mots bien choisis de l’auteur, avec ce deuxième roman riche et intelligent, joue avec habileté, humour et originalité dans les eaux du roman d’enquête policière comme des romans traditionnels de fantastique chinois. Les personnages de Maître Li (aussi brillant mais plus moralement ambigu qu’un Holmes chinois) et de Bœuf Numéro Dix doivent maintenant enquêter sur une série de décès étranges et de phénomènes surnaturels se produisant dans un monastère et une vallée hantés. Il faut ici écarter les comparaisons avec Le Nom de la Rose d’Umberto Eco tant les décors, l’ambiance et surtout la philosophie des personnages possèdent leur originalité propre. Même si l’on connaît un peu la Chine de l’époque, l’érudition est si approfondie qu’il est difficile, souvent, de départager le réel historique du féerique inventé. L’effet étrange, pour un Occidental contemporain, des descriptions de lieux, de mœurs, de personnages et d’institutions demeure constamment d’une nature presque aussi «fantastique» que celles des faits mythiques ou surnaturels. L’amateur d’humour, mais aussi celui d’intrigues, de mystères et de merveilleux trouvera de quoi se réjouir. Le troisième tome des enquêtes de nos deux compagnons débute par l’affaire de l’assassinat surnaturel d’un mandarin de la Cité Interdite et l’irruption d’une goule vampire pendant une exécution capitale. Le tout se poursuit avec la rencontre progressive des huit magiciens du titre, à un rythme plus effréné encore que celui auquel nous a déjà habitué l’auteur, avec abondance de créatures monstrueuses et menaçantes, de magie, de crimes, de massacres, une course de bateaux sur un fleuve de lumière, un aubergiste meurtrier, un bourreau ivre, la Peste Noire, un homme-singe, des oiseaux qui traversent les cieux dans des flammes de terreur incandescente, des fumées d’opium et même des recettes culinaires, le tout baignant dans une verve et un allant toujours aussi réjouissants. En prime, une possible Fin du Monde pourrait attendre le lecteur au détour des pages… On le comprend déjà, c’est peut-être le meilleur livre de cette excellente série même si c’est aussi, malheureusement, le dernier. On le regrettera fort, haut et longtemps.
Graham Masterton, Tengu, Pocket.
Un roman d’horreur sans étonnement, mais très efficace, où apparaît une créature monstrueuse, un japonais hideusement déformé survivant de la bombe atomique mais possédé par un Tengu, le plus terrible des esprits du Mal traditionnel de la mythologie locale, qui le dote d’une force surhumaine, lui fait accomplir assassinats et meurtres divers p