Solaris aux Utopiales
Élisabeth Vonarburg
Exclusif au Volet en ligne (Adobe Acrobat, 1 491Ko) de Solaris 157, Hiver 2006
Pour la version complète de ce reportage, avec toutes les photos, consultez le volet en ligne. (Adobe Acrobat, 1 491Ko)
Bienvenue aux Utopiales 2005!
Nantes, la ville où est né Jules Verne, 2005; le centenaire de la mort de Jules Verne. Un rendez-vous spécial s’imposait, même si les Utopiales existent depuis au moins six ans, filles de l’auteur de SF Pierre Bordage, natif du coin, et de Patrick Gyger, directeur de la Maison d’Ailleurs (musée de la SF et de l’utopie, sis à Yverdon et legs du regretté Pierre Versins). Mais occasion spéciale ou non, voilà un festival qui fait rêver à ce qu’on peut accomplir lorsqu’on a le soutien des élus municipaux: quatre jours pleins, quelque trente-sept mille visiteurs, dans un centre des congrès dont l’entrée ne paie pas de mine mais qui révèle ensuite un magnifique espace aux hauteurs quasiment cathédralesque. C’est ce qui a permis de mettre en valeur tout le volet plastique du festival (tableau, sculptures, projections), voire son volet sonore puisqu’il y avait des intermèdes musicaux (plus ou moins réussis…)
C’est dans cette aire centrale vaste et magnifique que les conférences étaient présentées.
La librairie, située à la mezzanine de l’aire centrale, prise d’assaut par la foule.
On ne peut qu’applaudir le soin et l’intérêt apporté au volet visuel du festival, avec la collaboration de nombreux artistes: non seulement les souvent très beaux tableaux, mais une exposition de machines verniennes, des maquettes fabriquées avec amour par Jean-Marc Deschamps à partir des illustrations d’époque et des descriptions trouvées dans les romans. Et bien sûr, le cinéma était à l’honneur, puisque l’un des invités de marque était Ray Harryhausen. Mais aussi des courts métrages de jeunes réalisateurs, et des films de SF et de fantastique venus d’un peu partout (on regrette que La Peau blanche et Sur le seuil n’aient pas été du lot…).
Les invités pouvaient se restaurer en famille. Ce midi-là, à notre table, il y avait Christian Tarale, Danielle Martinigol, Pierre Bordage (venu pour la photo) et éric Lhomme.
Le salon, devenu pour l’occasion le «Café littéraire», permettait d’assouvir toutes ses pulsions… et donc de boire, de fumer et de parler, parler, parler!
Le jeune public était particulièrement bien servi: non seulement il était très présent à des journées pédagogiques avec rencontres d’auteurs et à des animations à la Bibliothèque municipale, mais il bénéficiait sur les lieux du festival d’un volet entier consacré aux jeux de rôles et autres jeux, d’ateliers d’écriture et de gravure et, bien entendu, d’une quantité respectable de bédés à la librairie très bien pourvue. Nombre de bédéistes étaient d’ailleurs présents, ainsi que de nombreux illustrateurs parmi lesquels Jean-Pierre Dionnet, Manchu et Aleksi Briclot, lauréat du prix Art&Fact 2005.
La table ronde sur les revues a donné lieu à de vigoureux échanges, ce qui ne paraît guère ici. Dans l’ordre habituel: Joël Champetier, Laurent Queyssi, Pierre-Paul Durastanti, F. Jaccaud (modérateur de la table), Francis Valéry, Stéphanie Nicot et Artnur Evans.
Les tables rondes, réparties entre l’aire centrale et le café littéraire, étaient évidemment très centrées sur Jules Verne, même s’il s’agissait parfois d’un prétexte (surtout vers la fin du festival, où tout le monde avait une surdose de Jules…). La petite délégation québécoise est venue parler sur la scène principale de ce qui se fait au Québec, et Joël Champetier a tenu son bout dans la mouvementée table ronde sur la SF en revues. Quant à moi, sans doute victime d’un décalage horaire tenace, j’ai trouvé moyen d’arriver un peu en retard à mes deux tables rondes, une sur l’écriture et l’autre sur «Je est l’autre» – l’autre étant restée, de toute évidence, à l’heure de Montréal…
Quelques minutes avant le début de la table ronde sur la SFQ… De gauche à droite: Joël Champetier, Patrick Senécal, Jean-Claude Dunyach, la chaise d’Élisabeth Vonarburg et Jean Pettigrew, qui a pris le contrôle de la main gauche du modérateur.
Nous avons tous pu constater avec beaucoup de plaisir qu’il y a des lecteurs en tous genres et dans tous les genres en France, nombreux, acharnés, jeunes — et de plus en plus de femmes, ce qui m’intéresse tout particulièrement. D’ailleurs, il y a davantage d’écrivaines genrées en France: Sylvie Lainé, Sylvie Miller, Claire Alix-Panier, Catherine Dufour, (une sorte de Terry Pratchett à la française, dont je suis en train de lire l’hilarante trilogie Quand les dieux buvaient, chez Nestiveqnen); c’est encore une goutte d’eau proportionnellement à la population du milieu SF, mais on se prend à espérer.
Un aspect hypersympathique de ce festival, c’est que tous les inscrits peuvent manger ensemble sur les lieux, ce qui favorise rencontres et échanges – et contrebalance l’aspect moins agréable de l’ambiance, surtout pour des Nord-Américains: l’histoire d’amour perverse et irrésolue entre les Français et leurs cigarettes (surtout les écrivains, ça fait partie du kit à assembler, je suppose, avec l’alcool); la fumée opaque qui régnait au bar/café littéraire après deux heures de l’après-midi était pour certains un frein aux interactions sociales… au point même que des fumeurs allaient dehors, pour retrouver leur plaisir de fumer! Heureusement, on pouvait s’échapper dans la nef principale du festival en la compagnie des créatures extraterrestres de Patrice Hubert, amusantes ou inquiétantes sculptures mobiles qui n’ont cessé de bouger, clignoter et respirer pendant tout le festival.
Sur un autre plan que celui des interactions sociales, cette brève plongée dans le milieu français nous a également permis de constater les bonnes vieilles choses familières (les divers dysfonctionnements de la grande famille SF & F, les querelles entre éditeurs ou directeurs de revue, par exemple), la fascination pour la littérature anglophone (toute une brochette d’auteurs présents: Haldeman, Spinrad, Priest, Watson, Crowley, Stephenson, et on avait les moyens de leur fournir de la traduction instantanée), ce qui change (la présence des femmes et des jeunes, comme je disais plus haut, la prédominance de la fantasy, ironique renversement de tendances), et ce qui s’attarde, soit des conceptions de l’écriture et des écrivains assez particulières — même si elles semblent n’être défendues que par un petit nombre de tenants: par exemple, un écrivain qui gagne de l’argent avec ou à côté de son écriture, comme un éditeur au demeurant, est a priori suspect. Ou encore, on ne peut pas apprendre à écrire (les ateliers d’écriture sont encore regardés avec beaucoup de méfiance – même si on comprend pourquoi: les seuls modèles auxquels on pense ici sont les modèles états-uniens, très orientés sur le business…). Bref, les mythes de l’Artiste ne sont pas morts en France (je n’ai jamais tant entendu le mot «artiste» que dans ce festival). Il y a quand même des petites spécificités…
J’ai quant à moi retrouvé quantité de vieux amis — retrouvailles un peu étranges, avec un effet «voyageuse temporelle» des plus troublants, après parfois trente ans (Ian Watson), ou une dizaine d’années (Roger Bozzetto, Bertrand Méheust, Jean-Pierre Fontana, Stéphanie Nicot); mais il y a aussi ceux qui ne changent presque pas (Jacques Goimard, François Rouiller, Jean-François Thomas, Patrice Duvic, Pierre-Paul Durastanti, Jean-Daniel Brèque, André-François Ruaud…), et les petits nouveaux qu’on espère rencontrer encore longtemps et souvent (Sylvie Allouche, qui est déjà venue nous rendre visite, Frank Delannoy, Vincent Gessler…).
Bref, une expérience très positive, qui donne envie de revenir, ne serait-ce que pour prendre conscience du nombre et de la diversité des amateurs francophones de genres, ce qui n’est pas toujours évident au Québec. Mais on n’a jamais essayé chez nous un festival de la taille des Utopiales. Comme je le disais en commençant, on se prend à rêver…
D’origine française, mais résidente de Saguenay (anciennement Chicoutimi) depuis 1973, Élisabeth Vonarburg est reconnue dans toute la francophonie pour la qualité de ses nouvelles et de ses romans de science-fiction, notamment la monumentale série Tyranaël publiée chez Alire. Elle pratique avec autant d’assurance la traduction et la critique, a œuvré à Radio-Canada et à La Presse, en restant encore et toujours fidèle à Solaris. Elle s’apprête à publier chez Alire le troisième et avant-dernier volet de son grand roman de fantasy, Reine de Mémoire.
Mise à jour: Décembre 2005 –