Le Premier Colloque de SF arabe
par Kawthar AYED
Exclusif au Volet en ligne (Adobe Acrobat, 1 022Ko) de Solaris 164, Automne 2007
«La science-fiction dans la nation arabe» est l’intitulé du premier colloque sur la science-fiction arabe tenu à Damas en Syrie les 3 et 4 juin 2007. Les organisateurs ont choisi le nom de Lucien de Samosate le Syrien comme sous-titre, voulant se réclamer d’un héritage littéraire qui puise ses origines loin dans le temps. C’était une tactique plutôt astucieuse pour convier le public à s’intéresser davantage à la SF arabe, genre nouveau, certes, mais qui aurait eu des formes atypiques dans le passé. D’ailleurs, cinq communications ont abordé la question des origines, partant de Lucien de Samosate allant jusqu’à Al-Farabi, en passant par Les Mille et une nuits. Quatre autres communications ont porté sur la question de l’anticipation politique et scientifique, trois sur la SF occidentale, américaine en l’occurrence. Les autres ont abordé le cinéma, le positionnement critique arabe et occidental, le rapport de la fiction à la science et la différence entre fantastique et SF.
à la recherche d’autres mondes, de Taleb Omran, organisateur du colloque
Des discussions fort intéressantes ont été engagées avec l’auditoire. Certains ont posé le problème de la traduction des termes et des œuvres, d’autres ont soutenu l’idée d’une proto-science-fiction et d’une SF atypique. Le rapport de la fiction à la réalité et la réflexion sur la science ont également suscité un vif intérêt dans l’assistance.
Par ailleurs, cinq auteurs ont pris la parole pour présenter un éventail de leurs expériences d’écriture et expliquer ce qui a motivé leur choix.
Taleb Omran, auteur Syrien et organisateur du colloque, a insisté sur l’aspect critique de la SF envers des sujets d’actualité tels que la pollution, le réchauffement de la planète, la dictature et le totalitarisme. Selon lui, la SF se doit d’avertir un homme trop enlisé dans ses élans de jobardise. Sa formation dans le domaine de l’astronomie et son désenchantement face à la réalité politique, scientifique et économique de la planète ont été les véritables stimulants pour faire ce choix d’écriture. Ses nombreux romans et nouvelles proposent des réflexions profondes sur l’avenir de l’homme et de la Terre. Dans son discours, il n’a pas manqué de rendre hommage à d’autres auteurs de SF qui ont beaucoup donné au genre depuis plusieurs années et qui n’ont pas été reconnus à leur juste valeur, comme Nihad Cherif à qui il a donné la parole.
Nihad Cherif, auteur égyptien et pionnier de la SF arabe, s’est saisi de l’occasion pour expliquer que dans ses romans, ce sont les rêves et les angoisses de l’homme qui le préoccupent. Il a défendu l’idée d’un progrès dont les apports seraient positifs et non destructeurs ce qui, malheureusement, prime aujourd’hui. Un souhait qui se manifeste largement dans ses écrits. Il a néanmoins parlé de l’influence de certains textes de SF atypiques arabes qui remontent au IXe et au Xe siècles en soulignant qu’on ne peut dérober au genre ses origines lointaines.
Les Habitants du second monde, par Nihad Cherif
Lina Kilani, femme écrivain syrienne, a précisé à son tour que son choix d’écriture a été motivé par la volonté d’élucider le rapport de l’homme à la science et l’importance de déterminer un positionnement éthique à l’approche scientifique. Science sans conscience, nous rappelle-t-elle, n’est que ruine de l’âme. Elle a expliqué que sa formation d’ingénieur lui a permis de traiter la question du clonage et des mutations génétiques. La présence de l’élément science est, souligne-t-elle, centrale pour créer une fiction de science-fiction. C’est le moteur de cette littérature qui permet même de transformer les mythes anciens en réalité. Son roman Cendrillon, par exemple, donne le meilleur exemple de la possibilité que fournit aujourd’hui la science d’expliquer certains mythes du passé. La SF nourrit l’imaginaire scientifique et peut inciter à la création et littéraire et scientifique.
De son côté, Teba Al Ebrahim, femme écrivain du Kuweit et mathématicienne, a mis l’accent sur l’aspect féministe de ses écrits. N’a-t-elle pas imaginé que la femme, grâce au progrès de la biologie et de la génétique, parviendrait enfin à se reproduire d’elle-même sans recours à l’homme, ce qui amènerait la disparition de ce dernier, progrès oblige?
Quant à Salah Maati il nous a plutôt parlé de l’amitié qui l’a relié à Nihad Cherif et comment celui-ci l’avait encadré et formé pour devenir écrivain de SF. J’ai trouvé ce témoignage très important dans la mesure où il met l’accent sur la nécessité de mettre en rapport les jeunes auteurs et les pionniers. Un aspect qui n’a malheureusement pas été débattu. Néanmoins l’idée a été clairement annoncée et j’espère que cela encouragerait les auteurs à se rencontrer plus souvent et à aider les plus jeunes.
Récits du futur,
par Lina Kilani
Le colloque était placé sous l’égide du ministère de la culture. Le ministre a donné le discours d’ouverture en défendant la science-fiction et en réclamant un intérêt plus prononcé pour cette littérature. Il a également honoré Nihad Cherif pour sa créativité et son intérêt pour la SF que ce soit dans le domaine de l’écriture, à la radio ou au cinéma. L’une de ses œuvres a, en effet, été adaptée au cinéma égyptien en 1985. Par la même occasion, un hommage a été rendu à Mouhammad Azzam, critique syrien de SF, en raison de ses nombreux travaux sur la science-fiction.
Les journaux ont bien couvert l’événement. Plusieurs articles dans différents journaux arabes, traditionnels et électroniques ont été publiés sur le colloque, presque une dizaine. Il est vrai que la présence du ministre de la culture et l’intérêt qu’il porte à la SF a largement contribué à cette médiatisation et a donné de l’importance à ce colloque. La télévision a également été présente. Des interviews avec les participants ont été enregistrées dont une partie diffusée. Des entretiens avec Nihad Cherif et d’autres participants continuent encore à être diffusés lors d’une émission télévisée présentée tous les mardis par Taleb Omran dont le sujet porte justement sur la science-fiction. Des auteurs et spécialistes de la SF ont été invités lors d’une émission en direct sur la chaîne syrienne pour essayer de rapprocher le concept de l’auditoire. Les questions posées par les téléspectateurs étaient très intéressantes car elles confirment bien qu’il y a urgence à clarifier les concepts et à codifier le genre pour dépasser certaines questions-stéréotypes. Ce qui ne met absolument pas en cause l’intérêt que plusieurs portent au genre. Des questions très pertinentes ont été posées: le rapport entre la fiction et la réalité, le positionnement de cette littérature dans les différents pays du monde, les raisons possibles du fait que la SF fleurisse en Occident et non ailleurs, et d’ailleurs est-ce vrai que ce soit une littérature occidentale? Un foisonnement de questions qui a énormément enrichi cette émission.
L’événement le plus marquant reste évidemment l’annonce du projet d’une convention de SF arabe. En effet, Taleb Omran, l’organisateur du colloque, a bien confirmé lors du discours de clôture, la naissance de la convention qui ne tardera pas à être officiellement déclarée. Aidé de Lina Kilani et de Raed Hamed, il a recueilli l’avis des participants en laissant libre champ à l’auditoire pour proposer des idées et discuter du projet. Une charte est en train d’être fixée et la procédure administrative est désormais enclenchée.
Les Yeux d’Einstein,
par Salah Maati
Pour cette raison, un second colloque a été annoncé dans six mois pour célébrer la naissance officielle de la convention. Ce colloque accueillera des participants occidentaux pour établir les ponts avec l’autre rive de la planète et préparer peut-être une rencontre de deux ou plusieurs conventions – l’expérience de Boréal à l’Université de Concordia cette année ne peut que donner de bonnes idées. L’idée d’une revue de SF a été annoncée et on espère voir paraître bientôt le premier numéro.
Certains détails restent néanmoins à améliorer tel que le choix d’un thème précis pour éviter la dispersion des sujets, d’autant que le public non habitué à la SF a du mal à assimiler certains concepts. D’où d’ailleurs toute l’importance d’un travail sur les concepts de la SF, qui reste une priorité. Le temps accordé aux participants était un peu limité (quinze minutes); des communications de vingt ou vingt-cinq minutes permettraient de mieux étayer la réflexion et de déclencher les discussions.
La présence du public a été satisfaisante mais on aurait espéré plus de monde, ce qu’on souhaite lors du prochain colloque.
Cependant, le colloque a été très réussi pour une première du genre. Et on ne peut que louer les efforts titanesques de Taleb Omran et de son équipe très jeune. Une excellence qui préparera l’avènement d’autres manifestations d’une plus grande envergure.
Kawthar AYED
Une vue de Damas, en Syrie, lieu du colloque
Kawthar Ayed est une doctorante tunisienne en 3e année de thèse sous la co-direction de M. Roger Bozzetto et Guy Larroux, à l’Université d’Aix-en-provence (France) et de Sousse (Tunisie). Sa thèse porte sur la fiction d’anticipation occidentale et arabe et l’expression de la crise. Elle a publié des articles et participé à des colloques en Tunisie, en France, en Espagne et au Québec, bien sûr, puisqu’on a pu la rencontrer au congrès Boréal en 2007.
Mise à jour: Septembre 2007 –