Lectures 159
par Pascale Raud, Jean Pettigrew et Richard D. Nolane
Exclusif au Volet en ligne (Adobe Acrobat, 1 382Ko) de Solaris 159, été 2006
Philip K. Dick: Dernière conversation avant les étoiles
Gwen Lee et Doris Elaine Sauter (éd.)
Paris, L’éclat, 2005, 240 p.
Les conversations retranscrites dans le présent ouvrage se sont déroulées en janvier 1982, soit deux mois avant que Philip K. Dick ne succombe à une crise cardiaque à l’âge non vénérable de 54 ans. Loin d’offrir une entrevue froide et classique, Dick bavarde joyeusement avec la journaliste Gwen Lee, ce qui nous permet de mieux apprécier le personnage à l’état naturel. La jeune femme est devenue au fil des années une proche de Dick, par l’intermédiaire de Doris Elaine Sauter, amie de longue date, qui fut brièvement une des nombreuses compagnes de l’auteur. M’est avis que Gwen Lee n’est pas une excellente interlocutrice, mais vous devinerez que Dick occupe la place comme il faut. Je ne m’attendais à rien de particulier: j’ai lu de nombreux romans et nouvelles de Dick, mais peu de livres sur sa vie ou sur son œuvre. Petite parenthèse: je n’aime pas nécessairement en savoir trop sur un auteur, car non seulement la personne et l’auteur sont souvent deux entités bien distinctes (à de rares exceptions près), mais le biographe ne peut s’empêcher d’y mettre sa patte. Mais ici, il était trop tentant de découvrir la face réelle et pas si cachée d’un auteur mythifié à l’extrême.
Première constatation: la gentillesse de Dick me saute aux yeux. Il est joyeux, humoristique et même bon vivant. Deuxième point: il est très disposé à parler. De son processus d’écriture, de ses idées de romans, de son goût pour le bon vin ou de n’importe quoi qui vient sur le tapis. étonnant à quel point il peut avoir l’air normal. Mais ce n’est qu’une impression. L’ouvrage est divisé en six parties, enregistrées sur deux jours (le 10 et le 15 janvier), bien que Doris Elaine Sauter précise dans l’introduction que Gwen Lee l’avait rencontré trois fois pour l’entrevue (le mystère reste entier).
Dick s’enthousiasme pour le film Blade Runner, basé sur son roman Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques, ainsi nommé en 1968, puis rebaptisé Blade Runner (J’ai Lu, 1985): Ridley Scott, alors jeune réalisateur, vient d’en finir le tournage et en est au montage final. Dick n’en a vu que des extraits et mourra sans voir le film au complet. Triste paradoxe pour un auteur qui n’en était pas à son premier (moi, par contre, je me replonge ce soir dans le film qui m’a fait découvrir l’univers dickien que j’aime tant). Dick parle également du roman qu’il compte écrire bientôt, The Owl in Daylight, qui n’est resté qu’à l’état de projet. Cette partie des conversations reflète bien le mode de création de Dick. Il crée quasiment à voix haute et élabore le concept de base du roman: des extraterrestres qui ne connaissent pas le son et dont le mode de communication est la couleur, cherchent à ressentir une expérience divine par le biais d’une micropuce implantée dans le cerveau d’un musicien. Pour ceux qui commençaient à croire que Dick était sain d’esprit, c’est raté! Et moi je retrouve à ce moment-là l’auteur que je connais. Sa pensée est complexe, comme classée par étage. Les concepts qu’il élabore lui échappent, mais il sent qu’il est sur la bonne voie, car ils lui ont été dictés lors d’une expérience mystique et sacrée. Ce côté-là de sa personnalité est d’ailleurs largement argumenté dans les parties 4 et 6, où il explique à quel point le religieux et le sacré sont le centre de son existence, qu’il transcende par le biais de l’écriture. Il perd souvent la maîtrise de son sujet, bien qu’il ne sache pas la fin du roman qu’il n’a pas encore écrit (il veut voir comment ça va évoluer, comme si ses personnages étaient des êtres indépendants). D’ailleurs, il vérifie souvent que l’enregistrement est bien en route, car il risque d’oublier tout ce qu’il vient de créer. Il est à la fois organisé – il lit beaucoup sur les sujets qu’il explore, et est très cultivé – et complètement brouillon – ses idées émanent directement de ses visions mystiques.
Il semble conscient, voire obsédé par la finitude de l’être humain, et sent que sa santé est déclinante; il est ressorti dévasté de son dernier roman, La Transmigration de Timothy Archer, troisième et dernier tome de la «Trilogie Divine» (réédition complète en Folio SF cet été), dont le thème principal (entre autres) est le deuil d’un être proche. Pressent-il sa fin? Sa bonne humeur démontre l’inverse, mais il sait que l’écriture le tue à petit feu. D’où de nombreux blancs de mémoire, de répétitions. Lors de la dernière partie des conversations, il tombe inévitablement dans le délire mystico-philosophico-littéraire religieux qui n’aboutit pas: Gwen Lee a-t-elle supprimé un passage proprement impubliable ou bien s’est-elle enfuie avant que le prêche mystique ne devienne un délire paranoïaque et schizophrène?
Dernière conversation avant les étoiles est un ouvrage pour les admirateurs inconditionnels de l’auteur, sinon il est difficile de suivre le contenu. Cela ne m’a pas beaucoup éclairé sur l’auteur (une bonne lecture de ses romans est plus efficace), ni appris grand-chose de nouveau, mais j’ai eu la sensation de pouvoir être assise dans son salon pendant quelques heures, spectatrice privilégiée d’une conversation que je peux à tout moment abandonner puis reprendre (verbomoteur, Dick est difficile à suivre, voire saoulant). C’est un document de valeur qui donne l’heure juste sur un homme avec qui il était impossible de vivre et sur un auteur fou à lier que l’écriture a sauvé et tué à la fois… et sans qui la SF n’aurait pas le même visage. Si j’osais, je dirais que le livre aurait mérité le titre de Confessions d’un barjo. Un pur délice.
Pascale RAUD
Jean-Luc Triolo
L’Année de la fantasy -3
Amiens, Encrage (Travaux 48), 2005, 351 p.
Oui, je sais, il se publie beaucoup de fantasy, peut-être même trop. C’est bien pourquoi l’annuel de Jean-Luc Triolo, qui en est à sa troisième parution, devrait être envisagé comme un achat incontournable malgré sa relative cherté (près de 50 $ qui vous permettront cependant de sauver temps et argent en évitant à coup sûr tout ce qui ne vous intéressera pas).
L’ouvrage se présente comme une série d’index (auteurs, collections, genres, illustrateurs, séries, titres, traducteurs, articles, critiques, essais et études, etc.), mais c’est dans le premier que se trouvent les descriptifs (p. 11 à 163). Ces index prennent en compte la production québécoise, une fois n’est pas coutume, et il faut ajouter à ces index ceux de la fantasy en bande dessinée (joli dossier, là aussi), au cinéma, dans les jeux de rôle, les magazines et revues spécialisées (Solaris est là, ne craignez rien).
Ce troisième millésime présente la production de l’année 2004. Paru à la fin de 2005 dans la collection Travaux, chez Encrage (voilà un livre qui reflète parfaitement le nom de la collection qui l’héberge!), on ne peut qu’être admiratif devant le boulot accompli par Triolo, l’animateur bien connu des Chroniques de l’ailleurs, et son collègue Matts Lüdunw.
Une somme que je recommande chaudement à tous les amateurs; une série de livres que se doit de posséder toute bonne bibliothèque!
Jean PETTIGREW
Richard Bessière
Une route semée d’étoiles
Paris, L’Œil du Sphinx, 2005, 380 p.
Après le volume consacré à Maurice Limat (L’Entreprise du rêve, 2002), et en attendant ceux sur Max-André Rayjean et sur Jimmy Guieu, les éditions de l’Œil du Sphinx poursuivent leur exploration de l’œuvre des grands auteurs du Fleuve Noir avec ce gros et beau volume sur Richard Bessière, l’homme qui a lancé la mythique collection «Anticipation» en 1951.
Le livre s’articule autour d’un long texte autobiographique inédit de Richard Bessière (120 pages!) intitulé «Ma route semée d’étoiles», complété par une longue interview réalisée par Philippe Marlin, et de 120 autres pages consacrées à une impressionnante bibliographie commentée de l’auteur due à Remy Lechevalier, le maître d’œuvre de l’ouvrage, ce qui, au passage aurait mérité d’être mieux signalé. également au sommaire des articles de Paul Maugendre sur les romans de cape et d’épées de Richard Bessière, de Joseph Altairac sur les critiques des livres de l’auteur parues dans Fiction, de Remy Lechevalier sur les pistes pour explorer l’œuvre de Richard Bessière, et de votre serviteur sur les nombreuses traductions de celui-ci qui en font toujours l’auteur de SF français le plus publié à l’étranger. Et pour terminer, on trouvera aussi un gros index bibliographique par année et par titre, plus quelques petites fictions et poèmes de l’auteur.
L’impression qui reste une fois le volume refermé est que Richard Bessière est un personnage haut en couleurs et assis sur une œuvre impressionnante qui déborde largement les frontières du Fleuve Noir, notamment du côté du théâtre, du music-hall et de l’opérette, ou du paranormal… Face à ce flot d’informations et de révélations, on restera indulgent pour les quelques énormités proférées par l’auteur, en particulier dans son texte autobiographique. L’homme n’a jamais eu bon caractère et cela a joué beaucoup dans ses relations tendues avec le milieu de la SF, au point de lui attacher définitivement une image de «mauvais coucheur». D’un autre côté, il faudrait être d’une fameuse mauvaise foi pour nier que Richard Bessière a signé nombre de bons ou même de très bons romans en «Anticipation» dont il restera à jamais un des auteurs fétiches (je resterai plus réservé sur ses «Espionnage», sous le nom de F. H. Ribes).
à ce propos, la collection SF «Rivière Blanche» (www.riviereblanche.com) vient de publier un inédit de Bessière, Panique dans le temps, et éons (www.eons.fr) ressortent en un beau volume l’intégrale des Conquérants de l’Univers ainsi que les versions réactualisées des romans de la série débridée de «La Machine», plus un autre omnibus regroupant les trois volumes de la série «Si l’histoire des hommes m’était contée»!
L’Œil du Sphinx n’étant malheureusement pas distribué au Québec, il vous faudra passer par son site (http://www.oeildusphinx.com), où les publications intéressantes et originales foisonnent, pour commander cette somme sur Richard Bessière au prix de 26 Euros (environ 36 CAN$) + le port.
Richard D. NOLANE
Mise à jour: Juin 2006 –