Lectures 160
par Jérôme-Olivier Allard, Roger Bozzetto, Jean Pettigrew et Richard D. Nolane
Exclusif au Volet en ligne (Adobe Acrobat, 448Ko) de Solaris 160, Automne 2006
K. J. Parker
Les Couleurs de l’acier
Paris, Bragelonne, 477 p.
Avec Les Couleurs de l’acier, le premier tome de sa Trilogie Loredan, K.J. Parker amorce une fresque alliant les caractéristiques des romans de fantasy, d’aventure et de cape et d’épée. Les éditions Bragelonne publient, pour la première fois en langue française, un titre de la romancière britannique qui a fait paraître une demi-douzaine de romans dans les dix dernières années.
Sa carrière de juriste ayant visiblement influencé ses goûts narratifs, Parker choisit, comme personnage principal de sa trilogie, un avocat. Or, Bordas Loredan n’a rien à voir avec le traditionnel mythomane en costume trois-pièces. Dans Les Couleurs de l’acier, pas de textes de loi, pas d’éloquents discours visant à embrouiller le jury; à Périmadeia, les causes se disputent à la pointe d’une épée.
Plus bretteur que menteur, Loredan ne se doute pas que sa retraite du barreau sera chambardée lorsqu’on lui confiera la défense de Périmadeia, la Triple Cité menacée par les terribles tribus barbares. Et même si le peuple clame qu’aucune armée ennemie n’a réussi à prendre Périmadeia depuis des millénaires, rien n’a préparé la cité aux dangers qui la guettent. Loredan doit choisir prudemment ses alliés, dans cette ville où espionnage et querelles intestines font maintenant partie du quotidien. Et c’est sans compter la malédiction que lui a lancée une jeune fille en quête de vengeance…
La magie, dans l’univers décrit dans Les Couleurs de l’acier, se rapproche plus d’une science philosophique que d’un art thaumaturgique. Le Principe est une énergie brute que seuls quelques initiés en quête de savoir parviennent à contrôler partiellement. Or, ceux-ci ne peuvent rien faire lorsque l’équilibre magique de la Triple Cité est menacé par l’arrivée d’un Spontané, doué de la capacité inconsciente de tordre le Principe selon ses désirs.
Les destinées de plusieurs personnages se croiseront dans ce roman interminable teinté d’un humour inepte qui, en raison de sa simplicité (et parfois même de son mauvais goût – les plaisanteries de chiot mort ne font rire personne), ne fait que très rarement mouche. Malgré les longueurs qui s’accumulent, le style d’écriture de Parker est efficace et épuré. Demeurent toutefois quelques maladresses attribuables à l’inexpérience d’une jeune auteure étant rapidement devenue, on se demande pourquoi, l’une des figures montantes de la fantasy britannique contemporaine.
Jérôme-Olivier ALLARD
Richard Comballot (ed)
Elric et la porte des mondes
Paris, Fleuve Noir, 2006, 450 p.
Préfacée par Michael Moorcock, voici une anthologie de dix-neuf textes originaux écrits par des auteurs français. Ils mettent en scène des aventures virtuelles d’Elric, aux prises avec toutes sortes de démons, de dieux et autres entités dans des paysages toujours plus sinistres. Cette mode des anthologies de textes originaux est intéressante. Comballot avait déjà, dans les années passées, rassemblé – ou provoqué – des textes autour d’Alice et de Peter Pan.
Ici, l’ensemble des nouvelles contribue à une symphonie d’hommages à ce personnage insondable d’Elric dont l’épée magique, Stormbringer, se nourrit d’âmes. Parmi les auteurs, l’on retrouve de vieilles connaissances comme Christian Léourier, Christian Vilà, Daniel Walther ou Pierre Stolze, des quasi disparus comme Jacques Barbéri, des actuels comme Xavier Mauméjan, Fabrice Colin, Pierre Bordage ou Johan Heliot, et des nouveaux tels Jonas Lenn ou Laurent Kloetzer.
Ce mélange de tons, de rythmes, de qualités imaginatives autour du même personnage, toujours dans des paysages morbides, crée une impression d’éternité du combat mythique contre l’entropie, au nom du Chaos.
Parmi les meilleurs textes je choisirais, de Richard Canal, «Elric et l’enfant du futur» et, de Xavier Mauméjan, «Qayin».
La préface de Moorcock est très instructive, et la publicité nous rappelle que les neuf tomes du cycle d’Elric sont disponibles chez Pocket, ce qui donnera l’occasion à certains de comparer l’univers propre à Elric avec celui que les auteurs de l’anthologie ont inventé à son propos. Une anthologie à lire pour le plaisir de retrouver le survivant de Melniboné.
Roger BOZZETTO
Dan Simmons
Olympos
Paris, Robert Laffont (Ailleurs & Demain), 2006, 779 p.
Rappelez-vous: dans la cent cinquante-deuxième livraison de votre revue préférée, celle de l’automne 2004, je vantais en long et en large la première partie du volumineux diptyque de Dan Simmons, Ilium. Je vous y parlais de la guerre de Troie, littéralement manipulée par des posthumains ayant élu domicile sur Mars, au faîte du mont Olympos, mais aussi des moravecs, ces intelligences artificielles ayant élu domicile, elles, sur les satellites Europe et Io, et qui s’étaient immiscées dans les agissements des pseudos «Dieux» en constatant les bouleversements quantiques que ces derniers provoquaient à travers le système solaire. à la fin de ce premier volume, ces deux trames narratives se rejoignaient, les moravecs venant à la rescousse des héros de la guerre de Troie (Achille, Hector & cie) qui se révoltaient contre les Dieux en raison de la mort de Pâris, alors que la troisième trame, celle des «humains à l’ancienne», se concluait provisoirement sur la découverte d’une terrible mystification, à savoir celle du paradis posthumain qu’on leur promettait à la fin de leur siècle de vie alors qu’ils terminaient leur existence en servant littéralement de pâture à une créature monstrueuse, Caliban.
Dans Olympos, Dan Simmons reprend là où il nous avait laissés puisque, dans les premières pages du roman, nous assistons, par l’entremise de la belle Hélène, de Ménélas et de Hockenberry, un universitaire du XXe siècle ressuscité par les Dieux, aux funérailles de Pâris. Malgré l’aspect parfaitement surréaliste de cette séquence (en raison du trou de brane qui, au loin, perce le ciel et donne directement accès à la planète Mars terraformée, mais aussi de la présence des moravecs et de leur dôme de protection énergétique qui protège la cité des foudres des Dieux), j’ai bien failli décrocher tant Simmons se complaît à détailler de façon grandiloquente les jeux de coulisses et les stratagèmes ourdis par les personnages de l’Antiquité. Heureusement, l’histoire se met enfin en marche pour de bon à la page 50, quand le moravec Mahnmut propose à Hockenberry de se rendre sur Terre, non celle de l’Antiquité où ils se trouvent, mais celle qui est contemporaine de la Mars des posthumains et qui abrite les derniers «humains à l’ancienne». Vous aurez deviné que la trame narrative de ces derniers s’entremêlera bientôt aux autres et que, de liens en liens, de révélations en révélations, le lecteur ébahi, tout en ayant droit à un final à la hauteur de ses espérances les plus folles, comprendra enfin les tenants et les aboutissants de cette ambitieuse histoire future de l’humanité.
Malgré certaines longueurs, inévitables dans ce genre de pavé où la partie explicative prend une place importante, Simmons réussit dans les deux cents dernières pages à rendre vraisemblable ce qui, sous la plume d’un auteur moins doué, serait demeuré totalement invraisemblable (le passage le plus stupéfiant est sans doute la plongée d’Achille au plus profond des enfers – le Tartare, royaume de Démogorgon –, et sa rencontre avec Cronos et les autres Dieux antiques qui rappellent les fameux Grands Anciens de Lovecraft).
Ilium et Olympos témoignent de l’art de Simmons à créer du neuf avec du vieux. Il entremêle habilement littérature antique et poésie miltonienne, imaginaire shakespearien et prospective scientifique. Et comme il n’oublie pas les grandes questions politiques et écologiques de notre époque, le résultat se transforme en une œuvre certes exigeante, mais néanmoins incontournable!
Jean PETTIGREW
Clotilde Cornut
La Revue Planète (1961-1968)
Paris, L’Œil du Sphinx, 2006, 284 p.
En 1960, Le Matin des magiciens de Louis Pauwels et Jacques Bergier bouleverse le monde de l’édition en France avec un succès aussi inattendu que phénoménal. Mais le livre fait plus que surprendre car il fascine les uns autant qu’il ulcère les autres, provoque des débats et installe subitement dans le langage une nouvelle expression qui va faire fureur: le «Réalisme Fantastique». Surfant sur le succès et la polémique, les deux compères et quelques autres décident sur un coup de tête de lancer en 1961 une revue de bibliothèque bimestrielle baptisée Planète, sans se douter que cette aventure allait durer 41 numéros jusqu’en 1968, tous vendus à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires. Et si Planète s’arrête à l’automne 1968, c’est essentiellement dû à l’usure de ses rédacteurs qui, à commencer par Louis Pauwels et Jacques Bergier, ont un peu envie de passer à autre chose, et à la sensation que la revue n’est plus aussi «unique» qu’avant dans un monde qui a incorporé bien des idées qu’elle véhiculait contre vents et marées. Planète à peine enterrée, Le Nouveau Planète prend le relais, toujours sous la direction de Pauwels (qui a beaucoup évolué après le choc de Mai 1968), mais surtout sans l’irremplaçable Jacques Bergier dont les suggestions éditoriales et les articles constituaient un des piments de la publication.
Le «phénomène Planète», comme on l’a appelé en son temps, attendait d’être étudié en détail et voilà qui est fait avec cette version livre du Mémoire de maîtrise en Histoire contemporaine soutenu en 1994 par Clotilde Cornut à l’Université de Lyon II. L’auteur y passe au peigne fin le contenu des 41 numéros de la revue pour en faire apparaître les lignes directrices, celles-là mêmes qui ont fait de Planète une publication d’avant-garde résolument optimiste, un ovni de la presse française parti atterrir ensuite dans plusieurs pays pour y déposer des éditions étrangères, elles aussi à succès. Clotilde Cornut expose aussi les raisons du succès de Planète qui se définissait avant tout par «ce qu’elle n’était pas» et par une volonté de promouvoir tout ce qui n’intéressait pas les autres. On verra aussi ici comment cette revue a apporté dans un monde un peu terne un vent de fraîcheur intense où l’imaginaire sous toutes ses formes, tel un spectre décidant de secouer une maisonnée endormie, prenait possession de la littérature, de l’art, des sciences, de l’érotisme et de l’histoire secrète du monde pour leur redonner de nouvelles couleurs. On pourra juste un peu regretter l’absence d’anecdotes pittoresques (compensée en partie par la présence d’une interview dynamique de Jacques Mousseau, le dernier rédacteur en chef survivant), mais ce n’est guère le propos d’un travail universitaire comme celui-ci, alors…
Agréablement illustré et présenté à l’identique de la revue, y compris les fameuses pages de couleur en fin de chaque numéro, La Revue Planète comprend aussi presque 100 pages signées Joseph Altairac et présentant, outre tous les sommaires détaillés de Planète, duNouveau Planète et de Planète troisième série, l’ensemble éclectique et impressionnant de la production des éditions Planète. L’essai universitaire, de lecture aisée, se double donc d’un outil bibliographique de premier ordre.
Pour se procurer ce livre hors de France, le mieux est de passer par le site Internet de L’Œil du Sphinx (www.oeildusphinx.com) qui propose le paiement par PayPal. Le prix de l’ouvrage est de 19,00 euros auquel il faut ajouter le coût postal selon votre pays de résidence.
Un achat qui s’impose aussi bien aux amateurs de fantastique et de SF qu’à ceux qui aiment deviser régulièrement avec l’Ange du Bizarre.
Richard D. NOLANE
Mise à jour: Juin 2006 –