Lectures 184
M. Arès, V. Bédard, R. Bozzetto, S. Chartrand, P.-A. Côté, M. Fortin, M. Ross Gaudreault, A. Gélinas, J.-P. Laigle, S. Roy
Exclusif au Volet en ligne (Adobe Acrobat, 1.27Mo) de Solaris 184, Automne 2012
Jonathan Reynolds, Ariane Gélinas et Pierre-Luc Lafrance
Agonies
La Maison des viscères, 2012.
Agonies est le premier-né des éditions La Maison des viscères, dirigée par Alamo Saint-Jean et Frédéric Raymond, deux jeunes gens présents depuis assez d’années dans le milieu pour qu’il devienne gênant de parler d’eux en terme de petits nouveaux. Il en va de même pour les auteurs…
Ayant un faible pour le genre blood and gore (sang et tripes, en français de traduction qui sonne mal) tant en livre qu’en film, je me suis procuré sans tarder le premier recueil officiellement gore «bien de chez nous». Les éditeurs nous promettent le livre québécois à la plus forte densité de gore… Et tant qu’à moi, ils tiennent promesse.
Certains pourraient s’objecter à la simple existence du genre gore, à l’inutilité, voire même la perversion qu’il représente. Or, de tout temps, l’humanité a été fascinée par la violence, le sang et la souffrance, qu’on pense aux jeux du cirque, aux bûchers du Moyen-Âge, aux écrits du Marquis de Sade ou à notre cinéma d’horreur contemporain. Je crois personnellement que cette fascination fait partie de ce que nous sommes, qu’on le veuille ou non. Assumer ladite fascination en lisant ou en regardant du gore est un choix personnel. Et, non, le gore ne rend pas nos jeunes fous furieux ou suicidaires, le heavy metal et les Beatles non plus. Les jeunes ont leur famille pour ça. Ceci dit, je ne laisserais pas mes neveux et nièces mineurs lire Agonies… C’est d’ailleurs clairement déconseillé sur la couverture du livre.
La première novella, «Sam», de Jonathan Reynolds, nous raconte l’histoire de Samantha, une adolescente des Cantons de l’est dont les parents et amis sont massacrés à tour de rôle… Les cadavres s’entassent autour d’elle… littéralement. Car Sam, une jeune fille anorexique souhaitant avoir une vie d’ado normale, a tout sauf ça ! En effet, quelle étudiante du secondaire doit se battre quotidiennement contre un tueur sadique qui va et vient dans sa vie comme il le veut ? D’autant plus que le tueur en question est un goinfre de moins en moins discret qui sème les reliefs de ses victimes un peu partout derrière lui.
«Sam» est l’aboutissement de l’histoire que Reynolds avait débutée dans La Nuit du tueur (Série Obscure, aux Zailées). Dans Agonies, Reynolds a amélioré son écriture et l’intrigue est plus fluide. L’auteur est un grand amateur de cinéma d’horreur de type slasher (dont Halloween est un des classiques) et cette novella est clairement un hommage au genre. L’auteur est originaire de l’Estrie et a choisi d’y situer son intrigue. Bon choix : on reconnaît les paysages admirables de ce coin et la présence de quelques noms anglophones n’y est pas incongrue.
Pour ce qui est de l’intensité des scènes de gore, les amateurs vont être servis. Les scènes de violence sont du niveau d’American Psycho de Brett Easton Ellis, alors vous voilà avertis. Des trois novellas du livre, c’est «Sam» qui remporte la médaille d’or du sanglant. L’histoire elle-même m’a cependant moins intéressée. J’avoue ne pas être une vraie fan des slasher movies et je crois que c’est un prérequis pour pleinement apprécier les péripéties un peu répétitives et la trame sous-jacente plutôt classique de «Sam». Par contre, le désespoir de l’héroïne est bien rendu, la rédaction à la première personne fonctionne. La scène finale est réussie et touchante.
Signalons que Reynolds n’en est pas à ses premières armes et a publié plusieurs nouvelles dans divers magazines et fanzines et de courts romans aux éditions Les Six Brumes et aux éditions Les Z’Ailées.
La seconde novella, «Amarante», nous plonge dans un univers onirique et inquiétant. Ariane Gélinas nous propose une croisière aussi éthérée qu’angoissante. Son héros, un jeune traducteur nommé Charles, noie dans l’alcool les deuils successifs qui ont ponctué sa vie. Le dernier en liste est le suicide de sa compagne Laura, une artiste-peintre douée mais psychologiquement fragile, portée sur l’auto-mutilation. Dépressif et lui-même suicidaire, Charles adopte pour ses beuveries quotidiennes un bar lugubre, L’Achéron, situé près du port. Un habitué de la place nommé Charron l’accoste et lui propose un coupon d’embarquement pour un paquebot dont il est le passeur. Charron promet à Charles un changement radical d’existence qui lui permettra de comprendre ce qui est arrivé à Laura. Estimant qu’il n’a rien à perdre, Charles accepte l’offre.
L’Amarante n’a rien d’un bateau de croisière… Les marins sont saouls en permanence et l’étrange capitaine du bateau signale à Charles dès son arrivée qu’une loi implacable régit le vaisseau décrépit : les passagers de l’Amarante ne doivent s’attacher à personne. Et que dire desdits passagers ! Une voisine de cabine nymphomane et court-vêtue, des couples adeptes de sado-masochisme, une hystérique, une naine mutilée… Sans oublier des artistes pour qui la chair et le sang sont les médiums favoris. Tout ce beau monde ne semble pas concevoir d’extases artistiques ou sexuelles sans souffrances, blessures ou mutilations.
Je dois avouer avoir un faible pour l’écriture d’Ariane Gélinas, dont j’ai particulièrement apprécié le premier livre, L’Enfant sans visage (XYZ) qui s’est d’ailleurs mérité le prix Boréal de la meilleure nouvelle en 2012. Je reconnais chez elle l’atmosphère onirique que j’aimais tant chez Marcel Béalu ; ses personnages ambigus et pervers aux relations interpersonnelles pour le moins malsaines ne sont pas sans rappeler ceux de Natasha Beaulieu ou de Serena Gentilhomme.
Sur l’Amarante, le voyage vire progressivement au cauchemar, avec une violence bien présente mais de mon point de vue moins déstabilisante que l’atmosphère de décadence et de désespoir qui imprègne le récit. Le lecteur se retrouve plongé dans un monde sans loi ni limites hormis celle mentionnée plus haut par le capitaine Morel. Si l’auteure insiste moins sur le côté gore de son histoire, l’ambiance glaçante de cette dernière plonge le lecteur dans un profond malaise. Pour ma part, l’expérience ne m’a pas du tout déplu ! Et les pointes d’humour dont elle parsème «Amarante» sont délicieuses…
Parler de délices nous amène justement au «Baptême de sang» de Pierre-Luc Lafrance : on y suit l’inspecteur Frédéric Boisclair et son équipe de la police de Québec venant juste de mettre la main au collet d’un jeune homme d’apparence inoffensive, sans aucun casier judiciaire… qui a commis un meurtre effroyable teinté de cannibalisme. L’interrogatoire tourne mal : Leclerc, un vieux de la vieille, abat le suspect au moment où ce dernier casse ses menottes et se jette sur lui. Un autre corps policier est donc appelé à enquêter sur ce violent incident…
Vous donner plus de détails sur l’histoire serait commettre un impair. Le plus grand charme de la novella consiste à remonter le temps et les méandres de l’enquête.
Cette dernière nous mène en effet à une autre, avec de courtes scènes entrelacées qui ne prendront tout leur sens qu’à la fin du récit. Et s’il y a du blood and gore en masse, «Baptême de sang» n’en reste pas moins un excellent récit policier. Les personnages sont crédibles, les scènes de crime aussi malgré leur extrême violence ; l’auteur évite de tomber dans le grand guignol. Et la trame fantastique m’a aussi beaucoup plu, même si certains la trouveront peut-être trop classique. Et en passant, bravo pour la description des soirs pluvieux de novembre à Québec, glauques et déplaisants à souhait. On s’y croit !
Juste un petit bémol pour une ou deux expressions boiteuses et le fait que l’auteur montre un personnage revenant d’un cinéma où il a assisté à un «programme double». En 2012 ? Si vous pouvez m’en signaler un ailleurs que dans un ciné-parc, je vous paye une bière. à date, j’ai lu quelques nouvelles «pour adultes» de Pierre-Luc Lafrance que j’avais appréciées (il a aussi publié plusieurs titres en littérature jeunesse), mais «Baptême de sang» m’a fait tourner les pages avec grand plaisir et j’ai hâte de lire encore cet auteur !
Pour terminer, je lève mon chapeau à ce premier opus de La Maison des viscères, qui a eu le guts de publier du gore ouvertement, sans se cacher ni avoir peur des mots…
Lâchez pas, les gars ! J’attends votre prochaine publication…
Valérie BéDARD
Orson Scott Card
La Porte perdue
Nantes, L’Atalante, 2011, 413 p.
Orson Scott Card est l’un de ces rares auteurs qui sont parvenus à me surprendre. C’était avec La Stratégie Ender, roman qui a marqué la consécration de cet écrivain connu pour avoir gagné le prix Hugo deux fois d’affilée. Outre ses romans de science-fiction et de fantasy, Card est aussi un théoricien intéressant à lire en matière d’écriture – nombre d’aspirants-écrivains devraient méditer ses idées. C’est aussi un auteur qui a la réputation d’avoir gâché ses chefs-d’œuvre en les déclinant en suites et préquelles à la qualité inégale. Quoi qu’il en soit, il reste toujours agréable à lire, et ses systèmes magiques aux règles rigoureuses suscitent toujours l’intérêt. J’ai donc été intrigué par La Porte perdue, premier tome de sa nouvelle trilogie Les Mages de Westil.
Le postulat de base : les dieux païens (ceux des Vikings, des Grecs, des égyptiens, des Mésopotamiens, etc.), dont les cultes ont régné jusqu’à l’Antiquité tardive, étaient en fait des mages issus d’une autre planète, Westil, à des années-lumière de la Terre. C’est grâce à un système de portes dimensionnelles créées par magie que ces êtres aux pouvoirs surnaturels pouvaient voyager entre notre monde et le leur.
Mais en 632, Loki a fermé toutes les portes et enlevé la majeure partie de leurs pouvoirs aux dieux restés sur Terre. Aujourd’hui, les descendants de ceux-ci vivent cachés parmi les humains. Issu de la lignée des dieux nordiques, le clan North – une vaste communauté constituée de plusieurs familles – vit sur un domaine secret en Virginie, se lamentant continuellement sur leur grandeur perdue.
C’est dans cette communauté que Danny North, un jeune adolescent de treize ans, grandit sans se découvrir le moindre pouvoir, s’attirant moqueries et humiliations de la part des autres. Mais un jour, Danny découvre qu’il possède les mêmes pouvoirs que Loki, soit celui d’ouvrir des portes dimensionnelles à volonté. Dès ce moment, Danny doit fuir pour protéger sa vie : après la trahison de Loki, les descendants des anciens dieux ont en effet juré de détruire les créateurs de portes…
En voyant le personnage de Danny fuir sur les routes américaines, j’ai craint un instant que La Porte Perdue s’enlise dans un long et pénible road novel, un peu comme Le Talisman du duo Stephen King/Peter Straub, dont j’avais fini par décrocher. Mais au lieu d’aligner des épisodes répétitifs qui n’apprennent que peu de choses au lecteur, Card fait progresser son intrigue : chaque épisode apporte un mystère, une information, une péripétie qui relance l’intérêt et transforme le roman en un vrai page turner.
Je l’ai lu en deux soirées, accroché par l’histoire, et m’émerveillant devant le système magique imaginé par l’auteur – quoique celui-ci m’ait paru confus à quelques endroits. Le personnage de Danny est agaçant parfois, oscillant entre la stupidité et l’intelligence, mais comme les créateurs de porte ont une réputation de farceurs incontrôlables et grandiloquents, cela peut se justifier. Et bon, le livre fourmille de bien d’autres personnages savoureux !
La Porte perdue offre donc une intrigue intéressante et je suis curieux de voir, dans les prochains tomes, où Card veut nous conduire – même si je subodore une bien classique confrontation entre le Bien et le Mal. Le lecteur en manque de distraction risque d’y trouver son compte. Il devra toutefois, bien entendu, passer par-dessus quelques irritants communs aux fictions de Card que j’ai lues jusqu’à maintenant. Mormon pratiquant, Card est bien connu pour donner à ses récits un «style biblique», comme si les événements qu’il nous racontait appartenaient au patrimoine mythique de l’humanité. Dans ses livres de fantasy comme Espoir-du-Cerf, cela fonctionnait. Dans La Porte perdue, en revanche, un récit qui se déroule dans notre monde contemporain, ce ton biblique fait en sorte que l’auteur dit les choses plutôt que les montrer. Ce même ton donne aux dialogues un côté artificiel propre aux textes sacrés : ils ont sonné faux à mes oreilles, oscillant entre un niveau de langage populaire et un niveau soutenu. Ils prennent parfois tellement de place dans les scènes d’action que celles-ci m’ont parfois paru peu crédibles, voire bâclées (je pense notamment à l’intervention-surprise des North à la fin du roman).
Je dois aussi signaler que le texte, est, à quelques endroits, ponctué d’expressions argotiques françaises que je n’ai pas comprises – je ne peux dire s’il s’agit d’un reflet adéquat de la prose originelle de l’auteur ou des choix du traducteur.
Malgré tout, je suis prêt à passer par-dessus ces rugosités pour voir où l’auteur veut nous conduire dans les prochains tomes…
Philippe-Aubert CÔTé
Serge Brussolo
Le Cycle d’Almoha T.1 : La Muraille interdite
Paris, Bragelonne, 2012, 441 p.
Même s’il est paru récemment, ce roman de Serge Brussolo n’est pas un inédit : en effet, il a été écrit entre 1973 et 1977. Mais ce livre semblait accablé d’une malédiction : toutes les versions publiées étaient incomplètes ou censurées. Il aura donc fallu attendre jusqu’en 2012 pour que le premier tome du cycle d’Almoha soit édité dans sa version intégrale aux éditions Bragelonne.
En tant que lectrice assidue de Brussolo, dont j’apprécie particulièrement l’imagination sans mesure, j’attendais avec impatience cet opus des aventures de Nath, habitant du Royaume d’Almoha. Mais l’existence sur Almoha, planète jadis colonisée par les Terriens, n’est pas simple : l’ensemble de l’hémisphère Sud est recouvert par une plaine boueuse. De plus, la pesanteur de la planète est telle que ses habitants sont entravés dans leurs mouvements, ne pouvant effectuer trop longtemps des efforts importants.
Cette pesanteur a également des conséquences sur l’environnement, peuplé de nuages solides qui déversent des averses rocailleuses. Sans oublier les mutations subies par les peuplades des plaines, les «Têtes-molles», dont la morphologie s’est adaptée à la puissante attraction d’Almoha. Nioucha, la compagne de Nath, est justement l’une d’entre elles. Mais le danger rôde sur la plaine, que ce soient les lézards gigantesques, les mouvements des continents de boue, semblables à des sables mouvants, ou encore les nuages déviés de leur axe…
Après la mort de Nioucha, Nath partira à l’aventure sur la plaine, avant d’être embauché sur un navire «chasseur de nuages», de travailler dans une nécropole, de devenir l’assistant de la sentinelle d’un village… Comme vous pouvez le constater, les actions abondent dans ce récit qui nous fait visiter une pléthore d’endroits, au gré des chapitres. Mais le but ultime de Nath et de ses deux acolytes, Neb Orn, le harponneur de nuages, et Sigrid, son amie d’enfance, est d’atteindre la muraille interdite. Muraille derrière laquelle se trouverait un fabuleux jardin, dans lequel les habitants vivraient à l’abri des multiples dangers du continent de boue. Mais ce qu’ils découvriront les surprendra, bien loin de ce qu’ils avaient imaginé…
Brussolo possède un réel talent pour surprendre le lecteur, l’amener sur des sentiers qu’il n’aurait jamais pensé arpenter. Car, il est important de le répéter : l’auteur a une imagination vertigineuse, à la fois unique et généreuse. Son inventivité se retrouve dans nombre d’éléments du récit, tous plus étonnants les uns que les autres : les «nuages icebergs», les «chasseurs d’oubli» (trafiquants qui prélèvent une substance dans le cerveau des Têtes-molles), les «Rampants» (une communauté qui a décidé de vivre couchée, en harmonie avec la pesanteur), les statues de «boue jaune» (des humains calcifiés, qui ne sont d’ailleurs pas sans évoquer sa série préhistorique du Grand Crâne) et j’en passe !
Brussolo a aussi l’habileté d’intégrer ses idées naturellement dans le récit, malgré leur aspect souvent fantasque. Néanmoins, le revers de cette imagination est parfois une certaine surenchère, les premiers romans de l’écrivain souffrant un peu de cette abondance (je pense par exemple aux Semeurs d’abîmes).
En outre, le récit va rapidement de rebondissements en rebondissements, ne laissant parfois pas le temps au lecteur d’explorer certains lieux à satiété (notamment la fascinante nécropole, hélas évacuée en quelques chapitres). Il en est de même pour la traversée en navire (qui n’a d’ailleurs pas été sans me rappeler son roman L’épave) que j’aurais souhaitée plus détaillée. Cela dit, ce rythme plutôt effréné a aussi la qualité d’éviter l’ennui en conservant l’intérêt du lecteur, qui se demande constamment ce que La Muraille interdite lui réserve.
Je souligne aussi le talent de l’auteur pour intégrer quelques scènes gore et macabres, sans doute censurées dans les premières versions publiées du cycle, comme celle-ci, assez réussie : «Et, serrant la carcasse pourrie entre ses bras, elle ouvrit les cuisses et se frotta à la charogne en mimant une copulation ignoble». (p. 176) Par contre, l’écriture est parfois inégale. Il en résulte un déséquilibre dans le style, qui oscille entre de très beaux passages : «La couleur de deuil des villes écrasées est toujours grise» (p. 49) et d’autres moins convaincants : «Ses tempes bourdonnaient telle une ruche en folie» (p. 206). Quelques coquilles sont aussi malheureusement de la partie, comme c’est souvent le cas dans les livres de Brussolo (comme si l’étape de la lecture des épreuves était escamotée).
La présentation des chapitres est aussi inconstante, ceux-ci sont tantôt chapeautés d’un titre, tantôt non. Mais, globalement, le récit est bien construit, haletant et d’une grande générosité, malgré quelques incohérences scénaristiques : par exemple, les colons terriens n’ont pas étudié la faune et la flore avant de s’établir sur la planète.
Bref, si vous appréciez les récits trépidants et imaginatifs, avec un côté surréaliste, La Muraille interdite risque de vous plaire. Pour ma part, j’ai hâte de suivre les nouvelles aventures de Nath dans le second tome, à paraître cet automne. Espérons que l’auteur terminera son cycle, contrairement à quelques-unes de ses autres séries (Le Grand Crâne, élodie et le maître des rêves, Les Animaux funèbres…).
Croisons aussi les doigts pour que Bragelonne, qui tend ces derniers temps à publier des romans mièvres, continue à faire paraître des romans de cet acabit, s’adressant aux lecteurs de littératures de l’imaginaire de qualité. à suivre, donc…
Ariane GéLINAS
Dan Simmons
Flashback
Paris, Robert Laffont (Ailleurs & Demain), 2012, 516 p.
La débâcle de la civilisation occidentale redevient un thème à la mode depuis la crise de 2008. Selon Simmons, la situation géopolitique a dramatiquement évolué jusqu’en 2035. Lâché par les USA, Israël a été atomisé et sa population massacrée. Le Califat Global aligne plus de dix mille ogives nucléaires, manipule l’ONU et domine plus de deux milliards d’habitants. Par la force de vagues d’immigration massives, il a imposé la charia au Canada et à la majeure partie de l’Europe balkanisée. L’Inde, l’Indonésie et la Chine sont en pleine anarchie. Le Japon néoféodal s’y taille un empire et profite de la faiblesse de nombreux autres pays pour étendre son emprise. Il prépare une guerre totale contre l’islam.
Mais l’auteur s’intéresse surtout aux USA (à la rigueur au Canada, considéré comme son arrière-cour, et à Israël, son extension). Depuis Barack Obama, le socialisme y règne : partage de la misère et fin du dynamisme. La sécurité sociale est gratuite mais aussi défaillante que les autres services publics. Il n’y a plus d’autobus, cibles préférées des terroristes. Les villes sont la proie des gangs ethniques et/ou politiques. La monnaie est dévaluée. Le Président a inauguré une mosquée à Ground Zero. L’armée mal équipée pacifie les conquêtes de l’empire japonais qui a annexé Hawaï. Il ne reste plus que 44 états et demi (pour le nord de la Californie) et le Nuevo Mexico envahit le reste du sud-ouest. Seul le Texas indépendant sauve l’honneur.
à cette déroute sociale et politique contribue la généralisation d’une drogue synthétisée dans des laboratoires japonais pour débiliter les USA : le flashback. Elle permet à ses usagers de revoir leurs expériences passées comme un film avec une telle acuité qu’ils arrivent à relire un livre disparu (l’édition est en pleine décadence). Ils s’en servent pour fuir la réalité, comme ce minable détective privé obsédé par ses instants de bonheur avec son épouse décédée. Le multimilliardaire japonais qui commercialise en secret le flashback le charge de trouver l’assassin de son fils, affaire à laquelle il a été mêlé quand il était policier. Il reprend l’enquête avec succès à la fois en utilisant la drogue et en parcourant l’ouest des USA.
Ce gros roman raconte les tribulations de l’enquêteur pendant une quinzaine de jours dans l’ouest des USA et sa remontée graduelle de l’addiction. Mais c’est surtout le prétexte à développer une fresque assez sinistre et réussie de la future décadence du pays, à vilipender les politiques sociale et extérieure considérées comme néfastes de B. Obama, à mettre en garde contre l’islam et l’impérialisme économique nippon. Sa parution en 2011 est révélatrice : il s’adresse aux électeurs états-uniens de 2012, mais aussi aux lecteurs étrangers dans la mesure où l’événement influencera leurs dirigeants. Il n’y manque en tout cas pas le message d’espoir avec l’irruption in extremis des rangers texans pour relever la bannière étoilée.
Encore est-ce une des deux interprétations que suggère l’auteur. Ce pourrait aussi bien être l’expérience induite par un perfectionnement du flashback sur le point d’être répandu aux futurs USA par un des ennemis désireux de les abattre : le flashback-deux qui condamne ses victimes à visionner une réalité factice dans un cocon où leurs fonctions vitales sont entretenues jusqu’à leur mort (quand elles ont de la chance). Punition ou récompense ? Qu’importe. Simmons a-t-il imaginé cette drogue parce qu’elle convient bien à un pays dont l’image (cinéma, télévision, bande dessinée) est devenue l’opium et qui l’a utilisée autant que les armes et l’économie pour s’imposer au reste du monde ? Ce serait piquant de la part d’un réactionnaire.
Jean-Pierre LAIGLE
Nathalie Henneberg,Didier Reboussin et Cyril Carau
Hécate
Marseille, Sombres Rets, 2012, 226 p.
Ce roman de Nathalie Henneberg (1910-1977), réfugiée russe blanche devenue écrivaine d’expression française de SF, fantastique et policier, était resté inachevé. Le manuscrit en circulait jusqu’alors en photocopies. Le voici complété – de seulement deux chapitres et un épilogue – par Didier Reboussin et l’éditeur Cyril Carau. L’accompagnent une préface, une postface, des souvenirs de Reboussin, une entrevue de l’auteure, sa biographie et sa bibliographie.
C’est un pas de plus dans la tentative d’exhumation de son œuvre par ses admirateurs, entamée par la réédition de La Plaie et Le Dieu foudroyé chez l’Atalante en 1999, Des ailes dans la nuit chez Terre de Brume et par le dossier présenté dans Lunatique 70 en 2006.
Hécate appartient à la veine semi-autobiographique de Nathalie Henneberg (et de son époux légionnaire Charles), relative à leur séjour au Proche-Orient encore colonisé. Elle comprend aussi deux romans de guerre, Trois légionnaires et Le Sabre de l’Islam (1952), et La Forteresse perdue (1962), un roman de SF transposant les combats de la Légion dans un cadre extraterrestre.
Dans le présent récit, l’auteure ne se contente pas d’évoquer la situation des troupes françaises tiraillées entre le régime de Vichy et la France Libre, compliquée par les pressions des Anglais et des Allemands. Tout indique qu’elle se met en scène en la personne de Sabine, mystérieuse jeune femme qui a le pouvoir de se changer en animal.
En 1941, les instances occultes du national-socialisme envoient une expédition dans le Caucase en quête des dépositaires supposés d’une puissance susceptible d’assurer leur victoire : le Vril (un emprunt à The Coming Race [1871] d’Edward Bulwer-Lytton). En Syrie, ses membres reçoivent l’aide peu empressée des militaires français en vertu des accords de 1940.
Malgré les bombardements anglais, la colonne allemande s’ébranle, bientôt suivie d’un petit convoi de fuyards de la Légion, dans la même direction générale, dans la mesure où il veut rejoindre les forces russes sous la conduite de Sabine qui semble avoir une connaissance innée du terrain. Méchants comme bons, ils se faufilent tant bien que mal dans l’Irak en révolte…
Le manuscrit original s’arrête là et l’auteure n’a laissé aucun résumé. Pourtant, elle y a inséré par fragments une de ses meilleures nouvelles, Exilées (1959), qui se déroule dans la même région mais dans l’antiquité : un successeur d’Alexandre, inquiet pour son pouvoir, envoie dans le Caucase un émissaire pour enquêter sur un peuple mystérieux. Il y trouve de troublantes créatures venues de la Lune, s’éprend de l’une d’elles et meurt.
Dans les chapitres complétant le roman, ses émules de 1941, français comme allemands, n’y parviennent pas et s’affrontent. Les principaux personnages se révèlent finalement être les réincarnations des protagonistes antiques. Privé du Vril, l’Axe sera vaincu. Une fin trop abrupte et décevante pour Nathalie Henneberg.
Dans plusieurs de ses romans, les personnages rencontrent une puissance (le plus souvent maléfique) et se mettent à son service, avant de l’affronter et de la détruire et/ou d’être détruits par elle. Ce schéma éprouvé était évident et plus logique. Il convenait bien mieux que le rattrapage hâtif, si astucieux soit-il, tenté par les deux continuateurs, mais il impliquait des développements plus conformes à leur modèle. Il est aussi dommage qu’ils aient conservé quelques erreurs dans son texte et l’aient truffé de notes comportant notamment des traductions inexactes. Il émane pourtant d’Hécate, qui ne peut être considéré comme complet, une atmosphère envoûtante où s’entremêlent historicité et fantastique, même si ce dernier aspect n’est qu’ébauché.
Jean-Pierre LAIGLE
Pierre Pelot
La Guerre olympique
Paris, Folio SF, 2012, 337 p.
Alors qu’en cette année 2012 le roman dystopique est mis de l’avant grâce à la très populaire série de livres et de films Hunger Games, le roman de Pelot est réédité dans la collection Folio SF pour le plus grand plaisir des lecteurs. Originellement publié en 1980, il s’agit en effet d’un récit hors normes et visionnaire, imparfait peut-être, mais qui continue de faire réfléchir au sujet du futur de notre société.
Nous sommes en 2222, année de la 12e Guerre olympique, qui consiste à réunir les plus grands champions de chaque pays dans deux camps opposés, Rouge et Blanc. Au terme de l’affrontement, près de dix millions de morts auront été prononcées, des morts qui permettront de purifier le monde, de montrer l’emprise que possède le gouvernement sur la société, d’alimenter certaines fibres patriotiques, mais aussi d’éradiquer les violeurs, arnaqueurs et autres menteurs.
On y suit le parcours de quatre protagonistes aussi différents les uns des autres qu’interreliés. Coggio est l’un des champions représentant la France dans le camp Blanc. Il est dopé et entraîné à l’extrême. Son amante Virginia, sous l’apparence d’une femme consternée par la participation de son amoureux à la Guerre olympique, dissimule une personnalité beaucoup plus sombre que l’on imagine. Yanni et Mager, quant à eux, respectivement du camp Blanc et Rouge, s