Sci-Néma 202
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Malgré certains propos acides à l’égard du cinéma à grand déploiement, « Sci-néma » n’entretient pas de dédain particulier envers Hollywood. Après tout, plusieurs des films de SF les plus réussis sont issus tout droit des studios californiens: quand un budget généreux permet à un cinéaste visionnaire d’aller au bout de ses ambitions artistiques, on obtient des classiques tels que 2001, Blade Runner, The Matrix et Inception. Mais ces succès sont souvent des exceptions: le film hollywoodien habituel, surtout à notre époque consacrée au profit à tout prix, a tendance à se réfugier dans les suites, les produits dérivés et les schémas narratifs convenus. Après l’exaspération bien perceptible de « Sci-néma » 201, la chronique se permet une édition spéciale dédiée aux films à petit budget.
Des quatorze titres présentés ici (voir tableau ci-dessous), aucun ne provient d’un studio hollywoodien. Presque tous ont un budget minuscule et une durée entre 85 et 100 minutes. Rares sont ceux qui mettent en vedette des acteurs (re)connus ou qui ont obtenu plus de 20 000 votes sur le site IMDB. Plusieurs sont des premières œuvres de jeunes réalisateurs prometteurs et tous sont des films où le réalisateur est aussi (co)scénariste. S’ils ont été projetés en salles, c’était à l’extérieur de l’Amérique du Nord, ou de manière presque confidentielle lors de festivals. La plupart sont sortis entre 2014 et 2016 et sont maintenant disponibles sur les chaînes câblées ou dans le catalogue canadien de Netflix. Pourtant, tous appartiennent franchement au domaine de la science-fiction et jouent avec des poncifs que les amateurs de genre apprécieront. Mieux encore : à l’exception d’une adaptation d’une nouvelle sélectionnée aux Prix Hugo, ce sont des histoires originales, habituellement cérébrales. Bref, voici une chronique sous le signe de la découverte. Car malgré leurs budgets de misère, une demi-douzaine de ces films méritent le visionnement… ce qui est trois fois plus que les productions hollywoodiennes de la chronique précédente.
Calibrer ses attentes
Au visionnement de ces quatorze titres, la première constatation s’impose est que le film de SF à petit budget a beaucoup changé. Jusqu’à tout récemment, il était synonyme de production de bas étage : trop souvent des thrillers post-apocalyptiques ou des histoires de monstres où l’horreur était (à peine) justifiée par de la mauvaise science. « Sci-néma » 175 s’était prononcé contre ces creature features uniquement distribuées sur le câble en espérant mieux, et en présentant des réussites comme Cube et Primer, preuve qu’il était possible de faire de la SF compétente à très petit budget.
Cinq ans plus tard, le corpus disponible est nettement plus reluisant. 1) Les techniques de production numérique donnent de meilleurs résultats à petit prix. 2) Les cinéastes, qui ont grandi en consommant des poncifs SF, n’ont pas à réinventer la roue puisqu’ils s’adressent à une audience tout aussi aguerrie. 3) Les canaux de distribution font en sorte qu’il est plus facile (et rentable) que jamais d’atteindre un public spécialisé comme celui (grandissant) des amateurs de SF franche. Combinez ces tendances et vous obtenez une belle sélection.
Mais avant de plonger dans le vif du sujet, prenons un instant pour discuter des attentes qu’il est raisonnable d’avoir en abordant des films à petit budget. Certaines sont pratiques, d’autres esthétiques… et d’autres inévitablement thématiques.
Les films dont la chronique s’apprête à discuter ne sont pas ceux qui sont mis de l’avant au multiplex, au supermarché ou dans les publicités de votre fournisseur de service cinématographique favori. Parfois, leur budget est si petit qu’ils ne sont même pas disponibles sur DVD, mais seulement grâce à la diffusion Internet. Heureusement, la montée de plateformes telles que Netflix les rend accessibles… en autant qu’on sache quel titre inscrire dans le moteur de recherche. En de telles circonstances, mieux vaut ne pas espérer de version doublée en français – au mieux, des sous-titres feront l’affaire.
Qui dit petit budget dit limitations. Il ne faut pas espérer de mondes futuristes explorés en profondeur, de scènes d’action complexes ou bien d’acteurs connus. On finit souvent dans des huis clos aux effets spéciaux inégaux (bien que les possibilités dans ce domaine soient désormais stupéfiantes), avec une poignée d’acteurs méconnus et une intrigue étroitement concentrée sur sa prémisse. Ceci étant dit, les standards de production sont désormais fort acceptables même pour ces petits films. Mis à part une image de qualité parfois boueuse, les meilleurs films mentionnés ici n’ont pas besoin de faire appel à l’indulgence du spectateur pour permettre aux cinéastes d’aller au bout de leurs intentions. Rappelons que les films ici recensés sont tous (co)scénarisés par leur réalisateur, ce qui assure une cohésion artistique entre contenu et présentation.
Inévitablement, tout cela nous amène à relever certaines similarités. Sans trop en révéler, six des quatorze films tournent autour du poncif des voyages temporels (très SF et cependant très peu dispendieux). Sept se déroulent dans un bunker ou un vaisseau spatial (idem). Huit ont moins de dix acteurs au générique (ce qui limite les salaires). Bref, le huis clos temporel avec peu de personnage est le prototype de film étudié ici. Soyez averti.
Commencer par le bas : voyage spatial en folie
Avant de s’intéresser aux succès, discutons un peu des échecs, au moins pour identifier les problèmes des réalisateurs qui ne comprennent pas que faire avec la science-fiction. Car la SF est un outil puissant, et des mains malhabiles peuvent causer plus de tort que de bien en tentant de s’en servir.
Par exemple, si Approaching the Unknown tente de traiter le thème de l’isolement dans un contexte SF, il est un bien piètre compétiteur face à The Martian. Les boulons commencent à se détacher dès la prémisse : « Alors qu’un astronaute est seul à bord pour un très long voyage de la Terre à Mars… » Minute, vous dites un seul et unique homme en route vers Mars? Hé oui, les absurdités commencent dès les premiers mots du synopsis. Et le reste ne va pas mieux : rapidement, notre protagoniste scientifique-astronaute devient fou d’isolement. Quand tout ira mal à bord, ses flash-back et délires oniriques lui en feront voir de toutes les couleurs.
Approaching the Unknown n’est remarquable que pour deux aspects : provoquer un ennui profond, et commettre des bourdes scientifiques à faire hurler de rire ceux qui sont encore éveillés. De plus, ces deux problèmes semblent tout à fait intentionnels : le scénariste/ réalisateur Mark Elijah Rosenberg vise carrément à l’hermétisme prétentieux en martelant une idée unique. Une fois passée sa mise en situation, le film ne fait que répéter des pensées profondément ennuyeuses qui ne parviennent pas à masquer la minceur de l’intrigue. Pire encore : Rosenberg tente de livrer une métaphore sans s’assurer que sa fondation réaliste est en place, ce qui le fait s’échouer sur les mêmes écueils que tant d’autres créateurs sans aucune expérience de la SF. Quand l’unique astronaute envoyé en mission vers Mars sans soutien psychologique continue de perfectionner une invention pourtant essentielle à la mission, quand il voyage pendant quelques semaines avant de s’arrimer à une station spatiale (mais où pourrait-elle se trouver ?!?), quand l’arrivée sur Mars passe par des nébuleuses colorées, il est impossible pour le spectateur ayant la moindre connaissance scientifique de mettre son incrédulité de côté : entre The Martian et Approaching the Unknown, le score est clair : Hollywood 1 Cinéma indépendant 0. Le film échoue à tenir ses promesses.
Ce constat était déjà désolant, mais il était préférable à ceci : créer des attentes sans aucune intention de les remplir. Tel est le but enrageant de 400 Days, un film construit sur une pile de mystères qui s’interrompt au moment où s’annoncent les réponses.
C’est d’autant plus dommage qu’il y a des éléments intéressants dans cette pile de non-sens qu’est 400 Days. Sa prémisse aurait pu fonctionner : quatre astronautes, isolés dans un bunker pendant 400 jours pour valider les systèmes de survie d’une mission spatiale, et s’assurer que personne ne devient fou pendant la durée du voyage. La première moitié du film joue sur les poncifs attendus d’un petit groupe confiné qui perd peu à peu son lien avec le réel.
Puis, à mi-chemin, tout change quand quelqu’un s’introduit dans le bunker. Voulant en savoir plus, les personnages quittent leur refuge souterrain et découvrent une Terre dévastée par une catastrophe naturelle. Dans un village avoisinant, ils apprennent que la Lune a été anéantie par une collision avec un astéroïde, avec des conséquences désastreuses. Les incongruités s’accumulent. Les choses s’enveniment. Puis, les deux protagonistes principaux reviennent au bunker à temps pour la fin des 400 jours. Alors qu’un message les félicite d’avoir terminé l’épreuve et que l’écoutille de leur refuge s’ouvre en révélant de la lumière… le film prend fin. Sans explications.
C’est au spectateur de décider s’il a été mené en bateau ou si les cinéastes sont tout simplement cruels. Toute tentative d’éclaircir le mystère s’essouffle devant l’unique constatation : 400 Days n’est pas intéressant, et il est préférable de passer à autre chose.
« Sci-néma » ne recommande pas le visionnement de ces deux films, ni le souhaite à ses pires ennemis. Car même dans les films à petit budget, il y a mieux. Beaucoup mieux.
Bonnes idées, mal tournées
À un cran au-dessus des échecs se trouvent les demi-réussites. films ambitieux qui n’atteignent pas tout à fait leurs objectifs. exécutions compétentes de poncifs familiers. Des efforts honnêtes avec des résultats peu spectaculaires.
On commencera avec Listening, un exemple à peu près idéal de film à petit budget aux buts élevés mais pas entièrement maîtrisés. Ici, le film discute de télépathie : plus spécifiquement des efforts de deux jeunes scientifiques pour inventer une machine qui permet d’échanger des pensées. Alors qu’ils sont à la veille d’une percée révolutionnaire, l’un d’eux invite une jeune femme à se joindre à eux. Des questions de jalousie, de problèmes matrimoniaux et de sombres apartés au sujet d’un projet de recherche similaire mènent à un troisième acte nettement plus pessimiste quand la technologie est reprise par une agence gouvernementale qui cherche à contrôler les pensées.
La cinématographie fade et la qualité moyenne du jeu des acteurs reflètent le petit budget, tout comme certains effets visuels moins réussis. La vraisemblance des événements n’est pas toujours convaincante (surtout le cliché des projets gouvernementaux sadiques), les personnages ne sont pas très sympathiques et les nombreuses pirouettes scénaristiques trahissent un manque de discipline. Il reste au tout quelques bons moments, mais Listening donne surtout l’impression d’un film ayant échappé au contrôle de ses créateurs.
Une problématique semblable afflige Narcopolis : un film aux deux moitiés disparates, avec une confusion constante, des tangentes qu’il aurait été plus sage de contrôler et une obsession monomaniaque pour un thème précis. Le tout commence en 2044, alors qu’un raid sur des installations informatiques se solde par une disparition mystérieuse. Retour en arrière vers 2024, un futur où les drogues ont été légalisées. Notre protagoniste est un policier usé qui enquête sur le meurtre d’une victime inconnue. Très vite, les indices s’accumulent pour suggérer que quelque chose d’inhabituel se déroule… et que le lien entre les deux époques n’est pas à sens unique.
À plusieurs égards, Narcopolis est le film dont la vision du futur est la plus expansive et pourtant la plus restreinte des quatorze films. film ne se déroule pas dans un bunker, mais dans les maisons, taudis et rues du futur. En revanche, Narcopolis donne ironiquement l’impression de prendre place dans un avenir mono-thématique : pendant la première demi-heure du film, toutes les conversations portent sur les drogues et leur légalisation, au point où l’on souhaite que ça parle d’autre chose. Ce souhait est finalement accordé, mais le pont entre les deux obsessions disjointes du film semble bien arbitraire. (Certains lecteurs de Solaris verront un lien entre Narcopolis et Chronoreg, le roman de Daniel Sernine.) De plus, les éléments de la deuxième moitié du film semblent évidents et convenus, même si le film est généralement flou et peu prenant. Le résultat donne l’impression que le scénario a échappé à une réécriture pourtant nécessaire pour le rendre à la fois plus précis et plus accrocheur. Pour résumer : un traitement fade d’une prémisse prometteuse.
En ce qui concerne The Call Up, les problèmes sont inversés : c’est un film bien fait au sujet de quelque chose de (presque totalement) ennuyeux. Une fois dépassé le dynamique générique d’ouverture, la lassitude arrive au galop : sept étrangers sont recrutés via Internet et enfermés dans un gratte-ciel désert, où ils reçoivent des combinaisons leur permettant de vivre un jeu virtuel plus que réel. Évidemment, on aura prévu que le jeu est dangereux, qu’ils ne peuvent le quitter et que (tous en chœur) « Mourir dans le jeu veut dire MOURIR RÉELLEMENT ». (Bâillements.)
Cela dit, le film est plutôt bien mené. Les séquences d’action trahissent à peine le budget de misère, il y a des ponts efficaces entre réalité et monde virtuel, certains personnages brillent temporairement (habituellement avant d’être tués), les effets spéciaux sont inégaux mais nombreux, et le tout maintient un bon rythme. Il est malheureux que la finale soit aussi ordinaire, parce que jusqu’alors, le film parvenait presque à faire oublier la minceur de sa prémisse. D’un vif intérêt pour les passionnés de jeux vidéo – mais nettement moins fascinant pour les autres – The Call Up laisse sur sa faim, tout en parvenant tout de même à surnager brièvement malgré certains éléments moins prenants. Ici aussi, ça aurait pu être pire. Ou mieux.
C’est aussi le sentiment que l’on a avec Synchronicity, un franc thriller de boucle temporelle dans lequel un scientifique sur le point de faire une percée en physique de pointe commence à constater des événements étranges. Est-ce le fait de la jolie femme qui vise à le séduire, de ses collègues excentriques, ou bien du riche homme d’affaires qui tente de lui voler son invention ? Évidemment, on comprend vite que, puisque les voyages dans le temps sont impliqués, ce n’est nul autre que lui-même qui interfère dans les coulisses. Entre les paysages sombres et dystopiques et les motivations suspectes des personnages, Synchronicity ne réussit pas tout à fait à échapper aux poncifs les plus ennuyeux des intrigues de voyages temporels, y compris la répétition de scènes vécues d’un autre point de vue. Le mélange entre SF et atmosphère noire a un certain intérêt, mais le film reste prisonnier d’un sentiment de déjà-vu qui dure jusqu’à la toute fin. Recommandation marginale, surtout comme point de comparaison avec la flopée des films de voyage temporel que la prochaine section abordera.
Bunkers et boucles temporelles
L’introduction de cette chronique avait promis l’examen d’un sous-genre entier tournant autour des bunkers et des voyages temporels, et il est temps de livrer la marchandise. Voici donc quatre films se déroulant plus ou moins en huis clos, avec pour thème des voyages plus ou moins temporels.
Notre premier exemple est le film post-apocalyptique Air où, à la suite d’une catastrophe ayant rendu l’atmosphère de la Terre toxique, des centaines de personnes ont été préservées cryogéniquement dans des bunkers isolés. Périodiquement, deux ouvriers de maintenance se font réveiller pour vérifier que tout va bien. Composant avec une technologie désuète et une situation extérieure qui ne s’améliore pas, les deux ouvriers se créent des problèmes en bousillant une de leurs capsules et en sombrant de plus en plus dans la paranoïa. Même s’ils parviennent à régler leurs problèmes immédiats, qu’est-ce qui s’annonce pour eux alors que le temps s’écoule entre chacun de leurs réveils ?
Comme les quatorze autres films examinés, les limitations du budget d’Air sont incorporées à même le scénario : une poignée de personnages, des lieux restreints, une durée d’à peine plus de 90 minutes et l’évocation d’un plus grand contexte par les dialogues plutôt que par les effets spéciaux. Certains moments fonctionnent plutôt bien: la mise en situation est efficace, la conclusion est prenante et, entre les deux, il y a quelques idées plutôt bien brassées. Avec si peu de personnages, le film se paye le luxe de deux têtes d’affiche marquantes, Djimon Hounsou et Norman Reedus. Il est donc dommage qu’Air ait recours à des poncifs aussi familiers que la fièvre d’enfermement… Un grand soupir d’ennui accompagne les séquences où les deux personnages se pourchassent en brandissant des fusils. Mais bon… malgré quelques dérapages et moments longs, Air n’est pas sans efficacité occasionnelle.
Cela dit, d’autres films de bunker parviennent à être plus intéressants. On prendra comme exemple ARQ, premier film de franche science-fiction à être diffusé en exclusivité par Netflix, qui a acheté les droits de la production canadienne aux enchères comme n’importe quel autre studio. Ici, tout commence avec un scientifique qui tente de comprendre son invention : une génératrice d’énergie illimitée dans un monde dystopique qui en a franchement besoin. Alors qu’il se réveille aux côtés de sa petite amie, des criminels masqués font irruption dans sa chambre et le malmènent. Quand les choses tournent mal et qu’il meurt, le voilà qui se réveille à nouveau dans sa chambre avec sa petite amie quelques moments avant l’irruption des criminels. Hé oui : boucle temporelle ! Il se souvient de ce qui s’est passé, et au fil des prochaines boucles, il parvient à développer un plan de plus en plus raffiné pour contrecarrer les truands. Mais que se passe-t-il quand son amie, puis les criminels se rendent également compte qu’ils sont en pleine boucle temporelle ?
Variante thriller-SF de Groundhog Day, ARQ parvient à compliquer une prémisse connue et à la rafraîchir, et à bien doser ses révélations pour maintenir l’intérêt jusqu’à la fin. La qualité des images est réussie, le jeu des acteurs n’est pas mauvais et le tout s’accélère de manière satisfaisante jusqu’à une sombre conclusion… tout en conservant un rayon d’espoir pour la toute dernière seconde. Bref, un film bien maîtrisé, malgré ses limites. On n’insistera pas trop sur un trou béant dans l’intrigue, en préférant plutôt se concentrer sur les atouts du film.
Évidemment, la différence entre un film sympathique et un qui ne l’est pas peut peser bien lourd dans l’évaluation finale du résultat. cet égard, on présentera Paradox comme un bien étrange… paradoxe. Car des quatorze films mentionnés ici, c’est sans doute le plus décousu au niveau de l’exécution : les effets spéciaux sont décevants, les acteurs sont parfois horribles, et les dialogues font grincer des dents. Pourtant, c’est aussi l’intrigue la mieux ficelée : le scénariste a clairement fait beaucoup d’efforts pour parfaire les composantes de sa boucle temporelle jusqu’à ce que chaque détail soit en place.
Il s’agit, vous l’aurez deviné, d’un autre thriller de bunker aux éléments chrono-spéculatifs. Ici, un jeune scientifique devient le protagoniste quand son équipe perfectionne le voyage temporel dans le futur. Cobaye pour le premier essai, il arrive une heure plus tard dans le même laboratoire pour constater qu’un horrible carnage a eu lieu. À son retour dans le passé, preuve vidéo à l’appui, il tente d’avertir ses collègues de ce qui va de se dérouler… sans savoir que le tout est inévitable.
Bien intentionné malgré des moments beaucoup trop violents et conclusion impitoyable, Paradox réussit improbablement à osciller entre l’humour bâclé (y compris une conversation explicative très amusante), le fatalisme d’une catastrophe en mouvance, et le plaisir trop rare d’un scénario réfléchi. Il est dommage que le film ne soit pas mieux ficelé : les dialogues n’arrivent pas à la hauteur de l’intrigue ; certains acteurs auraient carrément dû être remplacés ; et le thème de la dégénérescence morale du protagoniste n’est pas pleinement développé. On souhaite un remake. Mais en termes de pur plaisir de visionnement, Paradox parvient, malgré des défauts évidents, à happer le spectateur et lui en faire voir de toutes les couleurs. Que demander de mieux d’un film à petit budget ?
Un constat similaire accompagne l’expérience de visionnement de Prisoner X, film de SF canadien obscur mais lui aussi situé dans un bunker et mettant en vedette un voyageur temporel. Solidement fondé sur la nouvelle « Truth » de Robert Reed (nominée pour un Prix Hugo en 2009), Prisoner X aborde la problématique de la boucle temporelle de l’autre côté : quand un terroriste arrivé du futur est capturé et interrogé, il révèle une vision d’un avenir dominé par les actions d’un maître d’œuvre maléfique envoyant ses agents dans le passé pour tout bousiller. À l’extérieur du bunker, un monde terrifié s’approche de plus en plus de la catastrophe, alors que les attentats se multiplient et que les réponses du gouvernement deviennent plus excessives. Le suicide d’un interrogateur amène alors une nouvelle agente au bunker… parviendra-t-elle à percer le secret du prisonnier X ?
Prenant place dans des lieux restreints mais abordant de vastes enjeux géopolitiques, voire socioculturels, Prisoner X est un casse-tête logique bien mené, avec un duel d’acteurs prenant et une façon d’aborder de grands enjeux à petit prix. L’aspect thriller est bien mené, avec une conclusion époustouflante dont la portée dépasse largement les moyens employés pour l’accomplir. « Sci-néma » n’a pas toujours été tendre avec les films de SF canadienne à petit budget, mais Prisoner X est autre chose : un film bien conçu, thématiquement ambitieux et pas du tout ridicule. Il n’est pas facile à trouver, mais il en vaut le visionnement… surtout à un moment où le présent (le vrai, le nôtre) s’emballe.
D’autres surprises
Nous n’en avons pas tout à fait fini avec les huis clos et les voyages temporels, mais notre recension se termine avec quelques petits films qui échappent au moule forgé dans la section précédente.
Parler de Spectral comme film indépendant à petit budget n’a pas de sens, puisqu’il s’agit d’une production financée par le studio Universal, destinée au multiplex mais inexplicablement retirée de l’horaire quelques mois avant sa parution. Le film aurait sans doute échoué en vidéo sur demande si ce n’avait été de Netflix, qui a racheté ses droits pour diffusion exclusive. Et pourquoi pas ? Le film, après tout, est une aventure guerrière à saveur SF alors que des soldats doivent affronter des fantômes meurtriers dans une ville dévastée de l’Europe de l’Est. Des gros fusils, des soldats à gueule carrée, des tactiques musclées et une structure repiquée d’Aliens identifient sans équivoque Spectral au genre de la SF militaire, sous-genre inspiré d’un jeu vidéo. Des effets spéciaux généreusement employés, des acteurs semi-connus et une réalisation assez mouvementée suggèrent que son budget est probablement égal au double de la somme des autres films présentés dans cette chronique.
En ce qui concerne l’excellence du film… cela reste matière à débat. Les férus de jeux vidéo et d’effets spéciaux apprécieront les scènes d’action guerrière bien menées, ainsi que le côté plutôt linéaire de l’intrigue. Les amateurs de SF auront un peu plus de difficulté à croire les justifications pseudo-scientifiques des fantômes tueurs (on ne peut pas tout expliquer par « Condensat de Bose-Einstein ») et auront sans doute l’impression d’avoir déjà vu ce film au visionnement combiné d’Aliens, Black Hawk Down et Battle : Los Angeles. Heureusement, le poli de production du film est satisfaisant : tel que le suggère la première partie de cette chronique, il y a de moins bons films disponibles sur Netflix.
Dans un ordre d’idée similaire, Spectral solidifie le rôle de diffuseur que Netflix jouera de plus en plus dans l’écosystème des films de SF. Le meilleur reste sans doute à venir : en plus de iBoy et Pandora, parus au début 2017, on a annoncé l’arrivée prochaine de Mute, un film de franche SF du talentueux scénariste/écrivain Duncan Jones (Moon, Source Code), ainsi que la mégaproduction Bright du réalisateur David Ayers, mettant en vedette Will Smith comme policier dans un univers où orques et humains coexistent.
En attendant, on pourra se divertir en utilisant Netflix pour regarder Circle, un thriller SF en huis clos qui abandonne les voyages temporels au profit de manigances extraterrestres. Le tout se déroule dans une pièce sombre, avec comme seul décor des spots de lumière sur et sous lesquels se tiennent cinquante personnes. Après quelques moments affolants marqués par des morts soudaines, les règles du jeu s’éclaircissent : toutes les deux minutes, ils doivent voter pour un sacrifié… sans quoi l’un d’entre eux sera aléatoirement tué. Le reste du film devient un psycho-thriller dans lequel un nombre sans cesse plus limité de survivants tente de déterminer lequel d’entre eux sera le dernier.
Il y a de quoi être impressionné par l’audace de la prémisse et la façon dont elle est étirée sur près de 90 minutes assez intenses sans perdre trop d’énergie. Les premières morts, arbitraires, donnent au film une urgence prenante et, alors que le film avance et que les personnages sont mieux définis, les retournements du scénario deviennent plus retors. Sans être un grand film, Circle s’avère ingénieux, saisissant, divertissant, et somme toute assez mémorable. De quoi faire beaucoup avec peu.
Comme dernière offrande au sous-genre de la boucle temporelle, on se permettra un regard sur Time Lapse, un petit film qui donne l’impression d’une nouvelle de SF classique adaptée à l’écran. La prémisse est plutôt simple, alors que trois colocataires découvrent une bien étrange caméra chez leur voisin abruptement décédé : celle-ci semble prendre une photo de leur salon chaque jour. Mais, constatent-ils avec un certain frisson, c’est une photo de la journée suivante. Convaincus qu’ils ne doivent pas briser la prédestination présentée par les photos (le voisin est mort de manière mystérieuse et horrible, après tout), les protagonistes exploitent la situation en se donnant des conseils sur les paris de chevaux, ont maille à partir avec des membres de la pègre qui remarquent leur série de paris réussis… et ainsi de suite, leurs problèmes s’envenimant sans cesse.
Intimiste, avec un visuel parfois brouillon et des dialogues parfois naïfs, Time Lapse comporte tout de même sa part de petits plaisirs, y compris quelques retournements en fin de film qui apportent beaucoup au résultat. De nouveau, on ne parlera pas d’un grand film, mais d’un film réussi selon ses moyens, au scénario plutôt astucieux et à l’exécution convenable.
Finalement, et sur un registre de qualité un peu plus élevé, parlons du film apocalyptique australien These Final Hours. Si cette chronique a généralement évité d’aborder des films post-apocalyptiques, c’est que ceux-ci ont souvent tendance à se ressembler. Mais These Final Hours fait des choix différents. Tout commence moins d’une demi-journée avant la fin du monde, alors qu’un astéroïde doit percuter la Terre en plein océan Atlantique Nord. En Australie, les annonceurs radio toujours en poste sont formels : il reste à peine dix heures avant qu’un vaste mur de feu ne dévaste Perth. Faites vos prières, car c’est la fin. Notre protagoniste n’a qu’une idée en tête : quitter sa petite amie pour aller rejoindre une fête de fin du monde débridée, et passer ses derniers moments avec son autre petite amie. Évidemment, ça ne se passera pas ainsi. Secourant malgré lui une jeune fille qui est elle aussi à la recherche de sa famille, alors que les gens autour d’eux ont des comportements de plus en plus fous, notre héros se développe une conscience, finit par faire des choix et arrivera peut-être à une certaine quiétude d’esprit quelques moments avant la fin du monde.
Le résultat a un avantage sur les autres films dont on a discuté jusqu’ici dans cette chronique : une intensité émotionnelle qui dépasse de loin les exercices logiques des boucles temporelles bien ficelées. À voir les réactions des personnages devant la fin du monde imminente, on en vient à réfléchir à ce que pourraient être nos réactions. Ceux qui ont conjoint et enfants seront particulièrement piqués au vif devant la façon dont These Final Hours traite la notion de famille, les adieux déchirant entre amis, et la nécessité de bien choisir avec qui on connaîtra ses derniers moments. La dernière réplique du film, étonnamment, est « It’s beautiful », et c’est avec le même ton ébahi que l’on reconnaît l’efficacité dévastatrice d’un film de SF apocalyptique australien trouvé sur les étagères du Dollarama local.
Bientôt à l’affiche
Pour « Sci-néma » 203, retour à Hollywood – après tout, il sera impossible de ne pas parler d’Arrival, de Star Trek Beyond ou de Rogue One : A Star Wars Story. Sans compter quelques autres surprises aperçues en chemin. En attendant le retour des grands budgets, bon cinéma !
Christian SAUVÉ