Sci-néma 132
par Hugues Morin
Exclusif au supplément web de Solaris 132, hiver 2000
(Précédemment publié, sous une forme légèrement différente, dans l’APAQ, édition février 2000)
Chapitre 2.1 :
Automne, saison surnaturelle.
Disney charcute Le treizième guerrier
L’automne 1999 aura été fertile en films de fantastique, comme ce bref survol saura le démontrer. Au menu; beaucoup de fantastique contemporain, une fantasy bien urbaine, une aventure médiévale, du merveilleux carcéral et un seul pauvre film de science-fiction.
Parmi les meilleurs: Stir of Echoes, avec Kevin Bacon, adapté du roman de Richard Matheson. Excellente histoire, réalisation captivante, superbe interprétation de la part de Bacon, bref, un sans-faute qui aurait mérité dix fois la popularité qu’il a obtenu.
Le film qui y a jeté de l’ombre: The Sixth Sense. Excellent lui aussi, l’un des scénarios les plus fins que j’ai vu depuis The Usual Suspects. Réalisation habile et sobre. Une révélation: le scénariste/réalisateur: M. Night Shyamalan, qui a également signé le scénario d’un autre film bien fait sorti en décembre 1999: Stuart Little. Avec deux si bons scénarios dans deux genres si différents, ce n’est pas un hasard: le type a du talent. Son prochain film est à surveiller, d’autant plus qu’il le réalisera lui-même et contiendra un argument fantastique. Unbreakable sortira à l’automne 2000 (octobre ou novembre) avec Samuel Jackson, et bien sûr, Bruce Willis. D’ailleurs, Willis a par ce film prouvé à certains qu’il pouvait jouer sobrement un personnage intériorisé, ces certains-là n’ayant pas vu Pulp Fiction, évidemment.
Stigmata est une bonne surprise, fort bien fait, joliment filmé, même si parfois un peu trop vidéo-clip artistique avec les gros plans répétés des gouttes de pluie.
End of Days est un cas particulier. Pas aussi nul que prévu, en fait, ce qui est un très bon point. Je m’attendais à quelque chose de si mauvais, que j’ai été presque agréablement surpris. Au moins un bon tiers du film est excellent, même. L’autre tiers est correct, et le dernier tiers est nul, mais l’ensemble n’est pas si pire pour ce genre de film. Il était impossible avec le réalisateur et l’acteur principal de s’attendre à autre chose ou à un résultat profond et subtil, même si Arnold tente de jouer un personnage plus «sensible» à divers problèmes. Un peu trop carton-pâte, et ses 5 expressions faciales réduisent d’autant son registre, mais bon, je ne m’attendais tellement pas à grand-chose que j’ai été content.
Idem pour Supernova. Dans le genre navet de SF bas de gamme sous produit des sous produits d’Alien, c’est plutôt réussi (!). Quelques plans biens filmés, faute d’avoir une once de scénario qui n’ait pas été remâché cent ou même mille fois depuis Ridley Scott.
* * *
The Thirteenth Warrior est un cas assez particulier aussi sinon unique dans les anales modernes du cinéma. Tous les défauts sont dus à des pontes de studios et engueulades entre gros égos.
Tentons un résumé. Juillet 1996, Touchstone Pictures achète les droits d’adaptation d’un roman de Michael Crichton: Eaters of the Dead (prometteur comme titre), où il est question de vikings qui affrontent des cannibales mystérieux. Et cet achat est fait sous l’insistance du réalisateur John McTiernan chez Disney (propriétaires de Touchstone).
Décembre 1996: Annonce d’Antonio Banderas dans le rôle principal. Début 1997, McTiernan annonce que contrairement à l’habitude, il sélectionnera son casting de viking en Norvège, bref, en engageant des acteurs inconnus aux USA et aux noms imprononçables!
Graeme Revell est engagé pour composer la trame sonore (c’est lui qui a fait celle de The Crow). Le film doit sortir au printemps 1998 et une bande-annonce violente, plutôt mystérieuse et sans dialogue est lancée dans les salles début 1998. Le slogan: Priez pour les vivant. Horreur et barbarie sont déjà au menu.
Des projections tests ont lieu, et elles sont enthousiastes, d’après les rumeurs. Mais Disney repousse la sortie du film, sans raison apparente, au 12 juin. Puis, Disney annonce le changement de titre: exit Eaters of the Dead, et voici Le 13e guerrier. Repoussé en juillet. Curieusement, ce changement de titre (alors que Crichton et McTiernan préfèrent le premier) arrive après la sortie de Zorro avec Banderas. Disney veut tout simplement sortir un film ayant l’air de de cape et d’épée avec le même acteur.
Les projections tests se poursuivent avec succès (selon les témoignages sur le net de ceux y ayant assisté). En mai 1998, le studio envisage une sortie contre Godzilla. Le budget du film dépasse les 100 millions.
Suite à ces projections tests, dont une avec un public plus jeune, c’est la débandade. Certains spectateurs ne comprennent pas le sens de certaines scènes et sortent pendant la projection. Disney panique et demande au réalisateur de retourner des scènes. Mais Banderas, occupé à la pré-production de Crazy in Alabama (qu’il réalise) n’est pas libre avant le 6 juillet… McTiernan est fatigué d’attendre et quitte le film temporairement pour aller réaliser The Thomas Crown Affair. C’est Crichton qui prend les commandes, lui qui agissait déjà comme scénariste et producteur, coinçant en sandwich le réalisateur. Il décide de changer de compositeur (la trame sonore est finie, pourtant; il s’en débarrasse et engage Jerry Goldsmith pour quelque chose de plus standard). Disney annonce la sortie du film pour novembre 1998.
En août 1998, les effets spéciaux ne sont pas terminés et la sortie du film est repoussé au printemps 1999. à ce moment, Disney ne sait plus trop quoi faire et chaque directeur apporte sa touche personnelle à l’imbroligo. 4 versions du film sont présentés en projections tests, ce qui commence à tenir plus du référendum que de création artistique.
Finalement, fin janvier 1999, alors que la date ultime de retournage de nouvelles scènes par Crichton est encore dépassée, les projections tests sont catastrophiques; tout le monde trouve le film confus.
La nouvelle bande annonce du film est diffusée. D’un ridicule incroyable, elle insiste sur l’aspect glamour du personnage de Banderas. Presque la moitié de cette bande annonce parle de sa vie et de son exil pour des raisons amoureuses… alors que dans le film, toute cette section ne dure qu’une seule minute!
La date de sortie est repoussée pas moins de quatre fois pendant l’année 1999 et le film sort enfin à la fin d’août. Avec un accueil mitigé. McTiernan note que c’est la version Crichton qui est présenté, pas la sienne. Le film a été amputé d’un bon nombre de scènes et ni McTiernan ni Banderas n’assure sa promotion.
Au visionnement du film, il apparaît évident que ces coupures n’étaient pas prévues lors du tournage; à certains moments, à la fin d’une scène, un personnage regarde quelque part, éberlué, et hop, coupé et on passe à autre chose sans trop savoir ce qui devait suivre. Quelques malhabiles fondus enchaînés viennent aussi gâcher la sauce. Et puis l’intro bâclé, en deux coup de cuiller à pot et l’exil et tout ça en quelques minutes, ce n’est pas sérieux.
Par contre, certaines scènes sont admirablement bien tournées (on remarque là le talent de McTiernan). La finale est navrante, mais comment imaginer autre chose que ce que l’on nous a servi?
En réalité, c’était impossible d’imaginer quelque chose de bien après toute cette saga. Lorsque deux ou trois réalisateurs travaillent l’un contre l’autre et que le studio panique et demande des coupures… (Disney ne voulait sous aucune considération sortir un film coté 16+ ou 18+; ça devait passer à l’interdit aux moins de 13 ans non accompagnés, sinon, on allait couper le montage jusqu’à ce que ça passe!)
Le film n’est pas inintéressant. Il surnage plutôt bien compte-tenu de ses défauts. Mais je ne cesse d’imaginer ce qu’aurait été cette histoire de mangeurs de morts si on avait laissé les coudées franches a McTiernan.
McTiernan a depuis annoncé sa volonté de préparer un director’s cut, mais Disney refuse. Et Graeme Revell voudrait bien lancer un CD de sa trame sonore non retenue parce qu’il considère qu’il y a là certaines de ses meilleurs compositions. Mais bien sûr… refus de la Souris. Ah, le monde merveilleux de Disney!
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Being John Malkovich. Voilà un film étonnant par son originalité et sa bizarrerie! Résumé: un marionnettiste découvre dans son bureau une porte sur un tunnel menant dans l’esprit de l’acteur John Malkovich pendant 15 minutes, après quoi vous êtes expulsés sur le bord de l’autoroute dans le New Jersey! Sa femme devient accroc à Malkovich, sa collègue monte une affaire pour louer des trips Malkovich… jusqu’à ce que Malkovich lui-même découvre le passage!
Délirant, il n’y a pas d’autres mots. Pas complètement génial, pas sans faute, mais tellement original et rafraîchissant dans le paysage hollywoodien habituel! Malkovich dans son propre rôle (ou presque) est toujours aussi brillant que de coutume et Cameron Diaz et Catherine Keener sont parfaite dans deux rôles éloignés de leurs habitudes. Si vous voyez le film, vous serez d’accord que la scène où le chimpanzé de la famille se débarrasse d’un traumatisme de petite enfance est absolument géniale!
The Green Mile, évidemment. Vous en avez entendu parler? Oui? Non? L’avez-vous vu? Un seul mot: c’est la meilleures adaptation d’une oeuvre de King à ce jour au cinéma. Voilà. A classer avec les rares excellentes adaptations de l’auteur de Bangor: The Shawshank Redemption, Carrie, etc…
Enfin, Toy Story 2: non seulement amusant et tout plein de références (ah, cette scène ou le dinosaure cours après la Jeep!) et avec en bonus des faux bloopers complètement délirants pendant le générique! Tordant.
En attendant le prochain numéro, qui traitera des films de l’hiver 2000, Mission to Mars, Scream 3, Final Destination, The Ninth Gate et le premier film de ce début d’été: Gladiator, de Ridley Scott… Bon cinéma!
Hugues MORIN
Mise à jour: Août 2000 –