Sci-Néma 140
Chapitre 8: Lisez le livre avant!
Par Hugues Morin
Exclusif au supplément Web (Adobe, 613Kb) de Solaris 140, hiver 2002
Les films qui sont adaptés de livres populaires sont souvent attendus, mais rares sont les adaptations qui ont été aussi attendues et médiatisées que celles d’Harry Potter and the Philosopher’s Stone et de The Fellowship of The Ring, distribués sur nos écrans en novembre et décembre respectivement.
Réglons tout de suite la question de Harry Potter, film distribué sous deux titres différents en anglais, les états-Unis adoptant «Sorcerer’s stone» plutôt que «Philosopher’s stone», afin de se conformer au titre du livre dans sa version états-unienne. Quoi qu’il en soit, j’avoue avoir été déçu par le film de Chris Colombus. Mes attentes étaient pourtant modestes. Je n’avais pas lu les livres, j’avais prévu le faire après puisqu’on dit toujours que le livre est meilleur. J’ai donc vu le film pour lui-même, sans préjugés. Techniquement, mon appréciation est mitigée. La réalisation est compétente sans être éblouissante, le jeu des comédiens est d’un bon niveau sans être génial ; mon seul bémol irait à la direction photo, absolument horrible, qui gâche un peu l’effet fantasy puisque les éclairages donnent un aspect terne à la majorité des scènes et l’impression que les décors… sont des décors ! De la même façon, le réalisateur surutilise les effets numériques, qui ont justement l’air d’effets numériques, ce qui élimine une bonne partie de leur pertinence. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi on n’a pas utilisé une bonne vieille marionnette pour le «choixpeau» ou un acteur réel pour jouer le centaure.
N’étant pas un fan convaincu d’avance, j’ai été surpris du peu d’originalité du scénario, un mélange correct d’éléments classiques des histoires de magiciens. Harry est un héros plutôt passif (j’avoue ici que je m’attendais à quelqu’un de plus actif, étant donné la popularité des livres), qui subit les événements plutôt que de les provoquer, qui reçoit les informations un peu trop au bon moment, si bien que lui et ses amis se sortent un peu trop facilement de certaines situations. Prenons par exemple la scène des clefs volantes. Laquelle est-ce ? Celle-là ? Allez hop ! Deux secondes plus tard, la porte verrouillée qui semblait impossible à franchir est ouverte avec facilité. Il nous faut aussi accepter que le petit Harry, élevé loin de la magie, sous un escalier, maltraité physiquement et surtout psychologiquement, chétif, à lunettes, devient tout à coup le champion d’un sport complexe dès son premier match. Ce qui pose un problème de vraisemblance, même dans un univers de magie. Il en est ainsi de presque tous les éléments de l’action.
Toutefois, le film n’est pas sans qualité. Pour un public relativement plus jeune, il peut avoir le même effet que Star Wars a eu sur nous, vieux croûtons. La différence étant selon moi que malgré la popularité de la série chez le lectorat adulte – Harry Potter and The Philosopher’s Stone s’adresse à un public jeune. Et de ce point de vue, il est plutôt long, ce film. Je conçois que, pour respecter le plus possible l’œuvre originale, on n’ait pas osé trop couper les aventures de Harry, mais on peut se demander si, comme expérience cinématographique, l’élimination du match de quidditch, par exemple, ou de quelques autres scènes accessoires, n’aurait pas été préférable.
Ce qu’on a dû éliminer, par contre, c’est l’histoire et les motivations du méchant (dont on entend en fait parler seulement au début et à la fin). La ressemblance avec d’autres œuvres est ici assez dérangeante : lorsque le maître du côté obscur de la magie offre à Harry de le rejoindre pour régner plutôt que de le combattre et mourir, on ne peut que penser à The Return of The Jedi. Notons que cette fois encore Harry se sort assez facilement de cet affrontement final – un peu comme il l’avait fait dès sa naissance, sans que l’on comprenne comment.
Bref, en un mot comme en cent, avec une meilleure direction photo, un scénario plus serré, des effets spéciaux plus habiles, Harry Potter aurait été un film vraiment bon, alors que tel qu’il nous est présenté, il est correct et divertissant, sans plus. Je ferai mes devoirs la prochaine fois : je lirai tous les livres de la série en attendant «Harry Potter and The Chamber of Secrets», le second film de la série présentement en tournage – car les personnages vieillissent d’un an par livre, une contrainte assez particulière si l’on considère que la moitié des protagonistes sont incarnés par des enfants. Même réalisateur, même scénariste, mais peu de temps, ce qui m’inquiète toujours. Sortie prévue pour le 15 novembre 2002. Warner Brothers, qui a les droits des quatre livres parus à ce jour et des options sur les trois suivants, prévoyait à l’origine sortir un film par an, mais on parle déjà de repousser le troisième en 2004 plutôt que 2003. Steven Spielberg a été approché pour réaliser ce troisième opus mais, d’une part, il a déjà refusé la réalisation du premier film (Spielberg aurait voulu faire un film avec les trois premiers livres, ce qui ne plaisait pas à l’auteure J. K. Rowling) et d’autre part, la Warner changera-t-elle une recette gagnante si le second film réalisé par Columbus fait autant de recettes que le premier ?
Passons maintenant à la pièce de résistance de cette fin d’année, The Fellowship of the Ring, premier volet de l’adaptation par Peter Jackson de la célèbre trilogie The Lord of The Rings. Question d’enrichir cette rubrique pour une telle occasion, je vous propose une critique en trois volets. Je vous offrirai personnellement la vision du cinéphile qui n’a pas lu le livre ; mon collaborateur occasionnel Christian Sauvé a lu la trilogie, mais n’en est pas un fan ; tandis que Daniel Sernine vous fera partager l’impression d’un admirateur de l’œuvre de Tolkien.
Le film et juste le film, par Hugues Morin
Reconnaissons dès le départ que le film de Peter Jackson est techniquement impeccable. Excellent jeu des acteurs, réalisation inspirée, décors magnifiques, effets spéciaux particulièrement habiles et convaincants, chorégraphies de combat impressionnantes, musique appropriée dans le registre voulu, etc. Visuellement, c’est un film splendide et qui nous en donne pour notre argent. Un must! Ici, comme pour Harry Potter, les scénaristes ont voulu être très fidèles au livre, ce qui résulte en un film assez long. S’il y a eu des coupures dans l’histoire de Frodo et ses compagnons, on ne les sent pas.
Pour le néophyte qui ne connaît rien ou presque de Tolkien, de la Middle-Earth et de ses divers mythes et créatures, la principale faiblesse du film est la superficialité des personnages, qui ne sont jamais assez développés pour qu’on s’y attache réellement et entièrement. Quelques-uns, comme Frodo, Sam et Gandalf, sont un peu (mais à peine) plus développés, mais pour le reste, chaque nouveau personnage semble sortir de nulle part. Certains prennent part à l’aventure, d’autres disparaissent trois secondes plus tard.
C’est particulièrement vrai pour quelques membres de la confrérie, par exemple. Lors de la formation de celle-ci, Gimli, Boromir et Legolas sont à peine présentés au spectateur, si bien que lors de leur premier affrontement avec les forces du mal, on a de la difficulté à s’inquiéter de leur sort. Le reste du film ne fournit aucune autre information à leur sujet. Je ne suis jamais arrivé à saisir, ne connaissant rien de leur race ou de leur histoire, pourquoi diable chacun d’eux décide de faire sienne la quête de Frodo.
On pourrait aussi mentionner Saruman qui, dès la première apparition, affronte Gandalf et révèle sa trahison, alors qu’on ne savait rien des liens qui les unissaient auparavant. Même chose pour Galadriel, ou Arwen, qui disparaissent pratiquement aussi vite qu’elles apparaissent. La scène d’amour dont les médias ont fait tout un plat entre Arwen et Aragorn sort de nulle part puisque le spectateur ignore tout de leur passé.
Quitte à paraître blasphématoire envers l’œuvre, j’aurais préféré un film avec un affrontement de moins, ce qui aurait laissé un peu de temps pour développer les personnages.
Je me doute que cette faiblesse l’est seulement pour ceux qui n’ont pas lu le livre, et on lira les réflexions de Daniel Sernine à ce propos. Je dois aussi mentionner que j’ai lu The Hobbit il y a quelques années. Je connaissais donc déjà un peu Gandalf, Bilbo et Gollum. On ne sera pas étonné d’apprendre que ce sont les trois personnages que j’ai le plus appréciés dans le film, même si deux d’entre eux sont secondaires. Pour moi, ils avaient déjà une certaine existence. J’aurais voulu moi aussi avoir les yeux plein d’eau en voyant les autres personnages, comme plusieurs de mes amis lecteurs de Tolkien, mais ça n’a pas marché.
Enfonçons le clou un peu plus (au point où j’en suis) en ajoutant que pour le non-initié, la seconde moitié du film, celle qui suit la création de la confrérie, n’est constituée que d’une suite d’affrontements entre la compagnie de Frodo et diverses créatures au service du mal. On fait une longue route, on se repose un brin, on affronte des créatures, on se repose un brin, on fait une longue route, on affronte d’autres créatures, etc. Je dois avouer avoir trouvé le tout répétitif. Je me suis lassé une bataille avant la fin, j’avais hâte de voir où allaient nous mener tous ces affrontements… pour découvrir qu’il me faudra attendre le prochain film, mais bon. Un de mes amis, néophyte comme moi, m’a dit avoir apprécié le film comme un bon divertissement, une sorte de mélange entre Star Wars et Braveheart… comme quoi même lorsqu’on se base sur un livre dont l’influence a été marquante, l’adaptation sera à son tour jugée par rapport aux œuvres cinématographiques qui l’ont précédée.
Mais assez dit de mauvaises choses sur un film qui n’en mérite pas autant. Je ne vois pas comment Jackson aurait pu faire un meilleur film autrement qu’en sabrant dans certaines scènes importantes du livre, ce qui aurait probablement été bien pire aux yeux des fans de Tolkien. Les scénaristes de The Fellowship of the Ring faisaient face à l’éternel dilemme de toute adaptation : doit-on écrire le meilleur scénario possible ou le scénario le plus fidèle ? Il n’y a pas de réponse idéale à cette question.
Tolkien versus Jackson, par Christian Sauvé
The Lord of The Rings demeure une œuvre littéraire avant toute chose, et malgré tout le bien que l’on peut en dire, il y avait gros à risquer que sa traduction à l’écran résulte en une œuvre diminuée. Le défi de Jackson était donc de produire un film divertissant et accessible au grand public (on parle quand même d’un investissement de 270 $ millions) sans pour autant compromettre l’atmosphère du livre.
Le défaut principal du livre, c’est bien entendu sa longueur. Avouons qu’il faut attendre très très longtemps avant qu’il ne s’y passe quelque chose de vraiment intéressant. On parle, on chante, on se raconte des histoires, mais ce qui est hypnotiquement lisible sur une page ne passe pas nécessairement bien à l’écran. Jackson devait apporter des changements, couper des passages inutiles et resserrer l’intrigue. S’il faut que quelques fanatiques du livre soient déçus par des changements mineurs, eh bien tant pis ! On sent déjà que le réalisateur saura donner à l’auditoire des images et des scènes que Tolkien a préféré ne pas inclure, qu’il va corriger les divisions arbitraires qu’un éditeur avait imposées à une œuvre conçue comme un tout.
Le changement le plus controversé est l’ajout d’un prologue expliquant l’origine et le pouvoir de l’anneau. Alors que le roman éparpillait ces explications au fil des conversations entre les personnages, Jackson préfère rendre l’enjeu de la trilogie très clair dès le début. C’est une décision sensée et intelligente, d’autant plus que ce prologue offre un aperçu de scènes épiques maintenant possibles grâce aux effets spéciaux modernes.
Tous ces changements et raffinements ont permis la réalisation d’un excellent film, qui se distingue tout de même passablement, dans son esprit, à ce qu’a écrit Tolkien. Cette histoire-ci est beaucoup plus excitante, plus directe, plus rythmée, plus orientée vers l’action que la contemplation. Bref, plus accessible. Sans trahir l’œuvre originale, les chansons et les longueurs bucoliques, les détails parfois étouffants de l’œuvre écrite sont simplifiés et écourtés. Une des forces du film est de suggérer le monde imaginé par Tolkien à l’aide de détails, de ruines et de références rapides, mais ceux qui liront la trilogie en s’attendant au même débit rapide d’événements risquent d’être déçus !
Ceci dit, Jackson traite l’œuvre originale avec beaucoup de respect. Le style visuel du film est directement inspiré des artistes ayant popularisé Tolkien (Alan Lee, les frères Hildebrandt, John Howe, etc.) et c’est une des raisons qui explique que les amateurs du livre auront l’impression de retrouver à l’écran ce qu’ils imaginaient depuis longtemps. Une des meilleures choses que l’on peut dire sur ce premier volet, c’est qu’il rassure pour la suite. La vigilance de certains fanatiques de Tolkien est légendaire, et il ne faut pas s’étonner d’en voir quelques-uns s’écrier devant la «boucherie» que l’on a fait de leur bible. Cependant, force est d’avouer que, pour le reste d’entre nous, le film est amplement satisfaisant, voir exceptionnel. Serait-il même hérétique de soutenir que Jackson sait mieux raconter une histoire que Tolkien ?
Adaptation d’un chef-d’œuvre, par Daniel Sernine
à la différence des scénarios originaux, les films qui sont des adaptations de romans ont en réalité deux publics distincts, celui qui a lu le livre, et celui qui ne l’a point lu. Et si dans certains cas cela ne fait guère de différence (un roman qui n’a eu qu’un nombre restreint de lecteurs, par exemple, ou un best-seller destiné à une carrière éphémère), il y a d’autres œuvres pour lesquelles ce constat est capital. C’est évidemment le cas de The Fellowship of The Ring, et le phénomène est accentué par une différence de générations. Au départ, les 1050 pages de la trilogie n’ont pas été lues de la même façon par la génération Dragonlance que par la mienne.
Pour moi (et pour quelques millions de mes congénères), le roman de J. R. R. Tolkien était un chef-d’œuvre, malgré les réserves qu’on peut entretenir sur certains détails (je «saute» effectivement par-dessus les fameuses chansons et sonnets dans la relecture que je suis en train de faire). Pour bien des jeunes gens de vingt, ou même trente ans, le roman The Lord of The Rings a paru lourd et empesé. (Je ne parlerai même pas de la version française du livre : il est surprenant que Tolkien ait des fans francophones compte tenu de l’exécrable traduction dont ils ont dû se contenter, traduction dont les noms propres ont hélas refait surface dans la version française du film.) C’est égal : ma tentative de lecture de livres Dragonlance a été encore plus déplaisante, j’ai déjà vu du papier d’emballage qui était mieux écrit que ça.
La question n’est donc pas de savoir si Jackson est meilleur conteur que Tolkien le fut. Tolkien fut excellent conteur, dans la forme romanesque épique – le meilleur au vingtième siècle, toutes littératures confondues, pour bien des gens (aux yeux de qui, faut-il le préciser, il n’existe pas de «passages inutiles» dans The Lord of The Rings, et ce sont justement ses «longueurs bucoliques» qui ont rendu l’œuvre attachante et fascinante pour toute une génération de lecteurs ayant grandi sous les nuages gris de la Guerre Froide). Jackson est excellent conteur dans la forme cinématographique, et sa réussite à relever un tel défi le hisse encore plus haut dans mon palmarès des cinéastes, où Heavenly Creatures l’avait déjà bien placé.
Comme d’autres passionnés de The Lord of The Rings, j’avais depuis un bon moment pris le parti d’aller voir le film avec bienveillance, rassuré que j’étais par le talent du cinéaste, le sérieux de son entreprise tel que le laissaient entrevoir le site web et les bandes annonces. (Ma plus grande crainte depuis vingt ans était de voir un Spielberg ou un Lucas s’emparer de l’œuvre.) L’autre option était bien sûr d’aller voir le film de Jackson en pisse-vinaigre, prêt à râler au sujet de la moindre coupure, du moindre raccourci – position malhonnête s’il en était, puisque 350 ou 400 pages ne pouvaient, à l’évidence, être rendues intégralement en trois heures de film.
Pour moi, le pari de Peter Jackson est brillamment réussi : le film est fidèle, non seulement à la matière du roman, mais aussi et surtout à son esprit. Certes, il y a des ellipses, dont certaines me paraissent moins justifiées (dans le roman il se passe dix-sept ans entre le départ de Bilbo et celui de Frodo : ça aurait pu être établi en moins de dix-sept secondes, sans rien sacrifier au rythme du film). Il y a bien des choix narratifs avec lesquels je suis d’accord. Le prologue informatif, par exemple (le même qu’avait fait Ralph Bakshi, d’ailleurs, et qu’il avait réussi avec des moyens fort limités).
Le départ de la Comté et le voyage vers Bree sont considérablement abrégés, Tom Bombadil est omis comme prévu, à la grande déception de personne ; hélas, l’épisode des Barrow Downs disparaît lui aussi. Mais bon, comme le souligne Hugues Morin, ce ne sont pas les adversaires qui manquent dans le reste du film. Parmi les autres remaniements narratifs figure celui de nous livrer en montage alterné l’affrontement entre Gandalf et Saruman, au moment même où il se passe, et non comme flashback, et cela nous donne droit à des images et des mouvements de caméra (virtuelle) parmi les plus époustouflants du film. Le rôle de Saruman était aussi important dans le roman, mais on ne l’apprenait que lors du conseil d’Elrond, et tout l’affrontement était raconté (quasi brièvement) par Gandalf. Cette remise dans l’ordre nous donne d’ailleurs droit à un aperçu (digne de Tantale) de la fabuleuse cité de Minas Tirith. Le remplacement de Glorfindel par Arwen est un choix plus audacieux et, ma foi, fort habile. Exception faite de Galadriel et d’éowyn, monsieur Tolkien avait tendance à laisser les femmes à la maison. L’acquisition d’un rôle plus actif, par celle qui est après tout la fiancée du futur roi et l’une des deux seules elfes dans l’histoire du Monde à avoir renoncé à l’immortalité pour lier son destin à celui d’un mortel, s’avère pour moi un heureux événement. Mais bon, trêve de juxtapositions comptables ; Peter Jackson a effectivement eu à faire plusieurs «choix», y compris au montage (certaines scènes tournées figureront sûrement sur le DVD). Le test ultime est celui de l’émotion ; c’est là, je crois, que les deux publics évoqués au départ se séparent. Les gens qui ont connu The Lord of the Rings adolescents, dans les années soixante et soixante-dix, ont eu trente ou quarante ans pour rêver à ce que le cinéma (inévitablement) en ferait. Trente ou quarante ans à nourrir leur imagination de leurs (re)lectures, des images publiées sous forme de calendriers ou d’albums, éventuellement de celle proposées par Ralph Bakshi. Je ne suis pas sûr qu’une attente «culturelle» équivalente puisse exister pour la génération Dragonlance, sauf peut-être envers la deuxième trilogie Star Wars, et encore noterat-on qu’elle fut beaucoup plus courte.
Et ce test, celui de l’émotion, Jackson l’a passé haut la main. Durant une bonne partie du film j’avais les yeux mouillés, et à Rivendell j’ai eu des sanglots dans la gorge. Car pour quelqu’un qui a lu et relu la trilogie, ce n’est pas une question d’apprécier si les personnages sont suffisamment ou pas assez développés dans le film : nous, nous les retrouvons, comme de vieux amis qu’on n’espérait plus revoir, et je puis assurer nos lecteurs (s’il en reste qui n’ont pas encore vu le film), que ce sont eux, ce sont bien eux : Frodo, Sam, Bilbo, Legolas, Aragorn, la splendide Galadriel, le bienveillant Gandalf, le sournois Saruman, l’épouvantable Balrog. Dans plusieurs cas, la distribution des rôles mériterait à elle seule un Oscar, tout comme l’usage fort habile de diverses techniques (dont les plus simples) pour montrer la différence de taille entre les Hobbits et les autres races.
Et ce sont bien les lieux que nous avions entrevus en rêve : la Comté verdoyante, Lothlorien et surtout Rivendell (vision magique s’il en est), la redoutable Moria, la formidable Tour Noire, les sinistres ouvrages autour d’Isengard, le solennel passage sous les statues de l’Argonath…
Bref, l’enthousiasme total. Le réalisateur néo-zélandais aura su éveiller, chez cet amateur-ci du moins, une nouvelle attente : celle des deuxième et troisième volets de la trilogie.
Et le reste…
Hugues Morin de retour…
Je serai un peu plus bref à propos des autres films du trimestre, surtout ceux qui sont à oublier. 13 Ghosts fait partie de cette catégorie. Même si sa première demi-heure n’est pas si pire que ça et que l’ensemble se laisse regarder sans trop d’exaspération, il souffre de plusieurs défauts, le plus important étant l’emploi répété d’un des pires artifices de mise en scène des réalisateurs de films d’horreur des dernières années : mettre en scène des personnages dont le champ de vision ne déborde pas celui de la caméra, ce qui cause des invraisemblances incroyables. Une scène de 13 Ghosts peut servir d’exemple : le père est assis sur le sol, sa fille à demi-morte couchée la tête sur ses genoux. Le père parle avec un autre personnage. La scène passe donc d’un plan moyen (les trois personnages dans le couloir) à un gros plan (visages du père et de l’autre personnage). Au plan suivant, un travelling arrière nous fait découvrir avec horreur que la fille a disparu ! Le fantôme a donc profité du gros plan pour approcher dans le couloir, se saisir de la fille gémissante, la traîner avec lui. On nous demande de croire que parce que nous, spectateur, on ne voyait rien, les deux autres personnages n’ont rien vu ni rien entendu non plus ? Aargh !
Le chorégraphe de Crouching Tiger Hidden Dragon et The Matrix a aussi chorégraphié les combats d’arts martiaux de Iron Monkey. Bon pour lui, puisqu’il devient très populaire et que Iron Monkey a été distribuée en Amérique juste à cause de ça. Le film illustre toutefois à quel point ces chorégraphies sont stupides et ennuyantes lorsqu’elles ne sont pas intégrées dans une réalisation solide et inspirée. Et si les chorégraphies font nécessairement de Iron Monkey un film de SF, le résultat est d’un ennui mortel, et d’un comique involontaire.
K-Pax est un film gentil dans lequel le toujours excellent Kevin Spacey joue un patient qui prétend venir de la planète K-Pax. Son psy, joué par Jeff Bridges, entreprend une étrange relation avec ce patient, hésitant entre le diagnostic de la folie et les arguments et «preuves» que son patient apporte. Le film est honnêtement réalisé, comporte son lot de scènes fortes et vous fait passer un très agréable moment, mais il se trouve un cran en dessous des attentes que son duo d’acteur avait créées en moi.
Si le jeu des attentes joue contre certains films, le contraire est aussi vrai. C’est le cas de From Hell, où je n’avais aucun autre désir que celui d’aller voir un bon film… Et le résultat s’est révélé un cran au-dessus de ce que j’attendais. Il s’agit de l’adaptation d’une bande dessinée dont l’intrigue générale raconte l’histoire de l’enquêteur qui traque Jack L’éventreur. From Hell n’est pas le film le plus original qui soit, mais scénario et réalisation évitent habilement les clichés du genre. La direction photographique contribue beaucoup à l’ambiance inquiétante qui entoure l’histoire, qui se déroule dans le Londres d’il y a plus de cent ans.
Shallow Hal est une comédie à propos d’un homme qui arrive à percevoir les gens tels qu’ils sont réellement à l’intérieur d’eux-mêmes. L’idée est fantaisiste et le film fonctionne plutôt bien, mais comme c’est la mode depuis quelques années avec les films mainstream, l’élément fantastique n’est qu’accessoire, un simple élément dans ce qui reste avant tout une comédie.
Les gens de Pixar nous ont habitués à des films pour enfants d’une très grande qualité, avec des scénarios qui offrent un registre de lecture adulte. On se souvient évidemment avec plaisir des deux Toy Story. Monsters Inc., leur dernier film d’animation, est apparenté aux deux premiers, mais cette fois-ci les héros sont les monstres qui hantent les placards de tous les petits enfants. Ce qu’on découvre, c’est que ces monstres travaillent pour une compagnie (la Monsters Inc. du titre) et qu’ils effraient les enfants pour recueillir l’énergie dégagée par la peur, principale source d’énergie de leur civilisation. Un jour, l’impossible se produit. Une petite fille passe de l’autre côté et se retrouve dans le monde des monstres, qui sont terrorisés par l’événement. L’arrivée de l’enfant coïncide avec la découverte d’une conspiration à l’intérieur même de la compagnie. Nous suivons donc les aventures de deux copains (James p. Sullivan et Mike Wazowski) et de leur nouvelle protégée (qu’ils appellent Boo) dans leur lutte contre les manipulateurs de Monsters inc.
Je me souviens d’avoir beaucoup ri aux autres films de Pixar, mais jamais autant qu’avec celui-ci. Le film fourmille de centaines de petits détails amusants et intelligents. La réalisation, inventive, se permet quelques clins d’œil (sans exagérer) et le niveau d’humour est définitivement plus adulte que pour les films précédents de ces as de l’animation. Je les qualifie d’as, car au lieu de ralentir ou de s’essouffler dans un domaine qui évolue très rapidement, ils nous fournissent encore une fois un produit techniquement impeccable et plein d’idées originales. Monsters Inc. est un des meilleurs films de 2001. L’Academy of Motion Picture of America a créé une catégorie «Meilleur film d’animation» qu’elle peut ou non activer d’une année à l’autre. Pour 2001, elle est active et la compétition semble rude entre Monsters Inc et Shrek, deux excellents films qui jouent pourtant sur deux types d’humour différents.
Vanilla Sky est un cas à part, ce trimestre. Sa présence dans cette rubrique pourra surprendre puisqu’il est présenté comme un thriller et non un film de F&SF. Je ne veux pas trop en révéler – le scénario est brillant -, mais je me permets d’en parler car pour ce cinéphile-ci, Vanilla Sky est un film d’horreur, et un bon. Ce n’est pas un slasher movie, loin de là. L’horreur naît de l’incompréhension totale qu’on peut ressentir lorsqu’on ne peut ni contrôler, ni même rationaliser une situation. C’est l’histoire de David Aames, riche, jeune et populaire, qui rencontre Sofia, une jeune femme dont il tombe amoureux. Une de ses copines occasionnelles, Julianna, le prend très mal et lance sa voiture dans le vide alors que David est avec elle à bord. à partir de cet instant, tout bascule dans la vie de David Aames… Le scénario joue sur deux tableaux; chaque scène est inattendue, chaque développement nous emmène dans une direction différente, la seule faiblesse étant peut-être l’explication un peu trop claire à la fin. Vanilla Sky est un excellent film, glaçant, original et imprévisible. L’interprétation est dans le ton. Tom Cruise fait preuve d’un courage que je lui croyais passé depuis longtemps, Penelope Cruz est absolument irrésistible dans le rôle de Sofia, et Cameron Diaz est effrayante dans celui de Julianna. Et rendons à César ce qui lui appartient : Vanilla Sky est le remake du film Abre Los Ojos, du réalisateur chilien Alejandro Amenábar, qui nous a offert plus tôt en 2001 l’excellent The Others.
à venir et palmarès de 2001
La bande annonce de Queen of the Damned n’est pas encore distribuée au moment où je termine ceci, mais l’affiche est arrivée dans les cinémas. Incongru de voir un film basé sur le troisième livre des vampires d’Anne Rice, sans Brad Pitt, ni Antonio Banderas, ni Tom Cruise. Un sentiment d’étrangeté se dégage de ce film et de son titre, un peu comme lors de la sortie de The Crow.
Quatre autres bandes annonces ont retenu mon attention. La première est celle de Star Wars Episode II : Attack of the Clones. Excellente bande annonce puisqu’elle ne révèle rien de l’histoire elle-même. Je ne suis pas certain de réellement vouloir en savoir plus avant de voir le film lui-même, mais avec l’approche de mai 2002, je serai bombardé d’information de toute manière. Quelques rumeurs farfelues se répandent au sujet de ce film. Celle voulant que Céline Dion interprète une chanson thème s’est avérée fausse, de même que celle annonçant que Van Halen avait composé une pièce instrumentale. Par contre, Lucasfilm vient de confirmer que les membres du groupe pop ‘N Sync feront un caméo. Les réactions fusent depuis, mais il semble qu’ils n’apparaîtront qu’en arrière-plan dans une bataille mettant en scène plusieurs chevaliers Jedis.
La bande annonce de The Time Machine m’a laissé un goût étrange dans la bouche : un arrière-goût de vieux film du début des années soixante-dix revampé avec des effets spéciaux numériques. The Time Machine a l’air cliché dès le visionnement de sa bande-annonce, ce qui n’augure rien de bon.
Je n’ai vu qu’une seule fois la bande-annonce d’un film appelé Eight legged freaks, qui semble raconter les horreurs infligées à certains humains par des araignées géantes. On se demande sérieusement qui va payer pour aller voir ça en salle.
Signs, de M. Night Shyamalan, offre une superbe bande annonce, qui place les attentes à un niveau élevé. Le réalisateur de The Sixth Sense a cette fois dirigé Mel Gibson plutôt que Bruce Willis. Espérons que le film sera plus satisfaisant qu’Unbreakable, qui bénéficiait lui aussi d’une bande-annonce exceptionnellement bien faite, ce qui devient une marque de commerce de ce réalisateur, mais qui constitue également une arme à deux tranchants.
En voulant préparer une liste des meilleurs films de l’année 2001, j’ai eu le plaisir de constater que, contrairement à 2000, année faible il est vrai, plusieurs films se bousculaient pour une place sur le podium. Allons-y donc, avec The Others, Hannibal, A. I. (avec un bémol sur la finale, mais quand même), Vanilla Sky, Monsters Inc., et Shrek. The Fellowship of The Ring est dans une classe totalement à part. Jeepers Creepers remporte facilement la palme du pire film de l’année, mais j’ai su éviter d’aller voir Ghosts of Mars et Valentine et ne peux donc comparer.
En résumé, donc, une bonne année pour la SF et le fantastique au cinéma.
Hugues MORIN
Avec la collaboration de Christian Sauvé et Daniel Sernine
Nouvelliste, rédacteur, micro-éditeur et ancien coordonnateur de la revue Solaris, Hugues Morin œuvre principalement dans le milieu du cinéma depuis 1998. Il habite présentement Vancouver, en Colombie-Britannique.
Mise à jour: Février 2002 –