Sci-Néma 143
Chapitre 11: Fin d’un autre été: Minority Report, vingt ans après Blade Runner, une autre adaptation de Dick qui fera date. Puis, Shyamalan récidive avec Signs.
par Hugues Morin [HM] et Daniel Sernine [DS]
Exclusif au supplément Web (Adobe, 1546Kb) de Solaris 143, automne 2002
De Blade Runner à Minority Report en passant par Total Recall
Philip K. Dick n’est pas le plus connu des auteurs de SF. Il n’est pas le plus adapté au cinéma. Pire encore, ce ne sont pas nécessairement ses œuvres maîtresses qui ont fait l’objet d’adaptations. Pourtant, au fil des deux dernières décennies, son œuvre a servi de source d’inspiration à quelques grands films. Peu d’auteurs peuvent en dire autant.
Le cas de Minority Report est intéressant car, bien que fort différent, visuellement et philosophiquement, de Blade Runner, on ne peut s’empêcher de songer au chef-d’œuvre de Ridley Scott lorsque l’on voit certaines scènes du dernier film de Steven Spielberg.
Qu’est-ce qu’il y a chez Dick qui fournit la base de grands films? Car une chose étonne; il est exceptionnel que l’on termine la lecture d’un roman ou d’une nouvelle de Dick en s’exclamant: wow, ça ferait un bon film. On voit plutôt les difficultés que l’on aurait éventuellement à adapter l’histoire! J’ai relu la nouvelle dont Minority Report est tirée avant d’aller voir le film, question de rafraîchir ma mémoire et, ma foi, en sachant qu’on en avait fait un film, je me suis dit, oui, il y a des éléments intéressants, mais encore? Car dans la plupart des histoires de Dick, une bonne partie de l’action se passe dans la tête des personnages, et les questions philosophico-futuristes sont souvent très complexes, plus complexes que celles auxquelles l’amateur de cinéma moyen est habituellement confronté, surtout en SF.
La réponse à notre question est peut-être assez simple: bien que les œuvres dont ces films sont inspirés soient relativement peu importantes dans le corpus de Dick, et par conséquent dans celui de l’ensemble de la SF, on y trouve des idées et de «l’espace» pour s’amuser avec elles. Comparez Minority Report à la nouvelle dont il est issu; répétez l’exercice avec Blade Runner et Do Androïds Dreams of Electric Sheeps. Vous repérerez vite les libertés importantes prises par les cinéastes. La même constatation s’applique à Total Recall.
J’attribue justement la réussite de ces films à la liberté que laisse Dick au lecteur pour imaginer ce qu’il raconte. Dick n’est pas un très grand fournisseur de détails; il offre plutôt au lecteur une plate-forme pour imaginer le reste avec ses propres yeux. Une ambiance. Et le procédé doit fonctionner quelque part puisque l’auteur lui-même, en assistant à une projection spéciale de Blade Runner avant sa sortie en salle, avait demandé à Ridley Scott comment il avait fait pour recréer exactement ce qu’il avait en tête.
Comparons avec d’autres auteurs de fantastique et de science-fiction, qui ont un style plus visuel, dont les œuvres semblent plus faciles à adapter. Citons Stephen King, le plus populaire des auteurs auprès des cinéastes, dont l’œuvre, toute proportion gardée, n’aura fournie que quelques excellents films pour un nombre incroyable de films moyens bien inférieurs aux histoires dont ils se sont inspirés. Et même chez cet auteur célèbre, qui aurait prédit que les deux meilleurs films tirés de son œuvre seraient Stand By Me et The Shawshank Redemption?
Pour en revenir à Dick, on pourrait aussi suggérer que la longueur de ses œuvres y est pour beaucoup. Il ne fait pas dans l’éléphantesque, les scénaristes n’ont donc pas à se débarrasser des trois quarts de l’histoire pour la transposer à l’écran. Quoi qu’il en soit, Philip K. Dick est certainement un cas à part dans l’histoire de la SF au cinéma, puisque les grands films de SF sont très rarement des adaptations de romans ou nouvelles. C’est arrivé, mais moins souvent que l’on serait porté à le croire. Et l’aspect positif de cette situation, c’est que l’œuvre de Dick est encore très riche en idées non-exploitées au cinéma et je ne doute pas que certains producteurs de Hollywood s’en rendent maintenant compte – mais est-ce réellement une bonne nouvelle? [HM]
Minority Report : Commentaire majoritaire
On aura compris à mon introduction que j’ai beaucoup aimé le dernier film de Steven Spielberg. Le scénario, adapté d’une courte nouvelle de Philip K. Dick, est relativement fidèle à l’œuvre d’origine, bien que différent sous plusieurs angles, avec l’ajout d’une finale qui se déroule après la fin de la nouvelle. Dans l’ensemble, le lecteur de Dick n’est pas déçu, les idées dont l’auteur voulait traiter dans son histoire sont présentes à l’écran et, ma foi, c’est le principal.
C’est l’histoire de John Anderton, le détective en chef de l’unité Pré-Crime de Washington. L’unité représente une sorte de projet pilote, qui pourrait éventuellement être reproduit un peu partout dans les grandes villes américaines. Le fonctionnement de Pré-Crime pivote autour de trois précogs, des mutants qui peuvent apercevoir l’avenir, de manière bien incomplète d’ailleurs, mais les spécialistes de Pré-Crime ont appris à décoder ses visions pour prévoir certains crimes – exclusivement des meurtres. Pré-Crime fonctionne bien, aucun meurtre n’a eu lieu depuis son implantation, chaque meurtrier potentiel ayant été arrêté ayant que son crime ne soit commis.
Les choses se compliquent pour Anderton lorsque c’est lui qui est identifié comme le meurtrier potentiel d’un homme qu’il n’a jamais vu de sa vie. Il s’enfuit, poursuivi par les membres de l’unité qu’il dirigeait. Convaincu de son innocence, Anderton devra tenter de demeurer en liberté pour prouver que Pré-Crime a fait une erreur. Il réalisera du même coup que s’il a raison, le système est loin d’être aussi parfait qu’il croyait, à moins bien sûr qu’il ne fasse l’objet d’une conspiration. Les réponses à ses questions se retrouvent peut-être dans la tête des précogs, puisque ceux-ci ne sont pas toujours d’accord sur une «vision». Il arrive que la prédiction d’un des précogs diffère de celui des deux autres, qu’il voit un futur différent; il s’agit alors d’un rapport minoritaire.
Ce résumé démontre bien la force des idées de Dick. Le film ne fait que commencer et déjà on a plus d’idées originales que dans l’ensemble des autres films de SF produits en un an. Pour le lecteur aguerri de SF, rien jusqu’ici n’évoque quelque chose de profondément nouveau, mais pour l’amateur qui obtient sa dose SF au cinéma, il y a une richesse dans ce film qui est exceptionnelle et qu’il est important de reconnaître.
Le réalisateur est bien servi par ses expériences passées. On reconnaît notamment le sérieux avec lequel les recherches ont été effectuées pour la création visuelle d’un futur pas trop éloigné; visiblement, l’exercice kubrickien de A.I. aura été profitable. à la direction photo, Janusz Kaminski (collaborateur régulier de Spielberg, mentionnons Schindler’s List) fait un travail remarquable; la texture et les couleurs donnent un caractère visuel unique au film.
Comme dans Blade Runner, auquel on ne peut pas éviter de penser lors de certaines scènes, Minority Report offre un habile mélange d’idées et d’action, le tout servi par un look futuriste crédible, avec des éléments de film noir et de western brillamment dosés. Autrement dit, Minority Report partage avec Blade Runner le fait d’être un sacré bon film de SF et un sacré bon film de pur divertissement, et il est extrêmement rare que les deux se combinent aussi bien au cinéma. Par contre, fait aussi désolant qu’intéressant, les deux films n’ont pas réussi à se hisser très haut au box office, malgré des réalisateurs et acteurs populaires. Le temps nous dira si Minority Report gagnera en réputation autant que Blade Runner.
Bien sûr, si on veut absolument trouver des failles, on peut évoquer certains point légèrement plus faibles du scénario. L’exercice est d’autant plus facile qu’il s’agit d’une histoire de paradoxe temporel. Mais ce serait, pour ce cinéphile-ci, jouer au pisse-vinaigre et bouder son plaisir. Certes, le scénario de Minority Report ne gagnera pas d’Oscars, et il est plus simple que la nouvelle dont il est tiré, mais simple ne signifie pas simpliste et la cohérence interne du film ne souffre d’aucune brèche majeure. [HM]
Quelques lectures intéressantes
Comme Solaris est avant tout une revue littéraire, je ne saurais trop recommander quelques lectures à l’amateur qui a apprécié le film de Spielberg. La nouvelle de Dick, d’abord, quoique difficile à trouver en français, a fait l’objet de deux rééditions récentes dans sa version originale: l’une dans le recueil intitulé Minority Report and Other Stories, et l’autre qui comporte seulement la nouvelle, 162 sous forme de carnet à couverture rigide, qui reproduit la forme d’un rapport d’enquête futuriste. On peut aussi lire l’excellent documentaire Future Noir: The Making of Blade Runner, si on est intéressé de près ou de loin à cette œuvre majeure. Pour les amateurs de Spielberg et d’adaptations d’œuvres littéraires, le recueil de Brian Aldiss, Supertoys Last All Summer Long and Other Stories ne présente pas seulement la nouvelle dont A.I. est tiré, mais aussi deux suites («Supertoys When Winter Comes» et «Supertoys in Other Seasons») qui donnent la vision de l’auteur sur le développement de cette idée; vision fort différente de celle adoptée par Kubrick et Spielberg et d’où la Fée bleue est absente… Notons au passage que Aldiss a écrit ses deux suites 30 ans après l’originale. Si vous êtes un fan de Blade Runner, le film et le roman dont il est tiré, vous aimerez peut-être les deux suites écrites par K.W. Jeter: Blade Runner 2: The Edge of Human et Blade Runer: Replicant Night. C’est loin de la Sci-fi médiatique, c’est très bavard, mais pas du tout inintéressant, pour ceux qui s’intéressent à unifier les divergences entre l’œuvre d’origine et le film. [HM]
Minority Report : Commentaire minoritaire
Comme mon collègue Hugues, j’ai bien aimé Minority Report.
Certains films de Spielberg portent à réfléchir. Minority Report est de ceux-là. Hélas, l’une des réflexions qu’il m’inspire n’est guère à l’honneur du réalisateur. Dans certaines œuvres, Spielberg a poussé le réalisme à l’extrême. On songe par exemple à la scène du débarquement dans Saving Private Ryan. Mais tout réalistes que fussent les bruits d’impact de balles dans la chair des soldats, Spielberg avait laissé de côté un fait majeur, primordial même: ce sont des bataillons de Noirs que l’armée étatsunienne a envoyé au massacre (tout comme l’armée britanno-canadienne envoyait des bataillons de Canadiens-français), car on savait que la première vague d’assaut finirait en viande hachée. Vous souvenez-vous avoir vu beaucoup de fantassins noirs dans Saving Private Ryan ? Moi non plus.
Minority Report place son action à Washington, l’une des villes les plus violentes (sinon la plus violente) des états-Unis. Mais sont-ce les crimes passionnels qui gonflent les statistiques? Les professionnels ou fonctionnaires blancs dans les quartiers cossus, égarés de jalousie, poignardant l’amant de leur épouse? Non, encore là ce sont des Noirs qui s’entretuent dans les quartiers pauvres, en rapport avec les trafics ou la consommation de drogue, les guerres de gangs, la criminalité générée par la misère. Nos trois précogs flottants avaient-ils un bon score pour prédire les engueulades de ruelles qui virent aux fusillades? Le nom de quelque «brutha» apparaissait-il à l’occasion sur les boules de billard vernies du système Pré-Crime? Spielberg aura donc accompli l’exploit de traiter de criminalité à Washington sans qu’on voie un seul Noir (si peut-être, un seul, dans la réclame publicitaire projetée par Pré-Crime sur un pan de décor urbain pendant que le personnage de Cruise va acheter sa dose).
D’autre part.
Pré-Crime, c’est le procès d’intention érigé en système. On présume qu’un crime sera commis, ou on redoute qu’un crime pourrait être commis, et on incarcère le suspect avant.
Sommet de Québec, quelqu’un? Mouvement anti-mondialisation? Kananaskis? Au moment même où le film Minority Report faisait ses débuts sur nos écrans, des journalistes de médias alternatifs canadiens se voyaient refuser leur accréditation pour assister au Sommet du G8, à Kananaskis dans les Rocheuses. Motif officiel: risques de sécurité. En quoi ces individus posaient-ils des risques? La loi permettait à la GRC de refuser la divulgation des motifs de soupçon. On pouvait faire appel, mais le Sommet allait être terminé bien avant que l’appel soit entendu.
Là-dessus, Spielberg a bien senti les tendances de la société nord-américaine. Le film était en cours de tournage (plus probablement, le tournage était complété) lorsque les événements du 11 septembre ont fourni aux gouvernements l’occasion rêvée d’adopter des lois abolissant certaines libertés fondamentales – avec une telle diligence qu’on pouvait se demander si les projets de loi n’étaient pas déjà tout prêts, n’attendant que les détails des circonstances pour recevoir leur formulation ultime.
La pertinence, c’est souvent ce qui fait une bonne SF. C’est pourquoi, au-delà de mes réserves sur le caractère propret de Minority Report et sa fin doucereuse, j’estime que cette œuvre joue admirablement son rôle de mise en garde – l’une des missions les plus nobles de la science-fiction. [DS]
Signs : Le hasard n’existe pas.
Signs est un excellent suspense de science-fiction. Le mot-clé est ici suspense, et la science-fiction est jouée en mode mineur, avec la plus grande discrétion. Disons que c’est l’anti-Independance Day. On ne voit pas les vaisseaux de l’invasion, hormis des lumières dans le ciel à l’intérieur d’un reportage télévisé. On ne voit, non plus… Mais attendez, je vous ai parlé d’un suspense, je ne vais quand même pas le déflorer davantage.
Si vous avez vu la bande-annonce, ou même la page d’accueil du site Web, vous savez que le dernier film de M. Night Shyamalan («monsieur Sixth Sense») porte sur les agroglyphes, ces alignements de symboles souvent circulaires mystérieusement tracés de nuit dans des champs en divers endroits de la planète. Ce phénomène du dernier quart du vingtième siècle est authentique, les explications officielles insuffisantes; l’une des plus populaires chez ceux qui «veulent croire», était que ces signes balisaient une future invasion extraterrestre. C’est celle qu’a choisie Shyamalan.
Mel Gibson, incarnant un pasteur ayant perdu la foi après la mort tragique de sa femme, vit avec son frère cadet (Joaquim Phoenix), sa fille et son fils incarné par un Culkin, Rory celui-là (qui n’est pas tout à fait l’excellent Kieran Culkin qu’on a vu dans The Dangerous Lives of Altar Boys, The Cider House Rules et The Mighty). Une nuit, des cercles apparaissent dans le champ de maïs du pasteur défroqué, ainsi qu’en des dizaines d’autres lieux sur la planète. Le doute ne dure guère: des vidéos amateurs montrés lors de reportages télévisés (astuce très bien exploitée) annoncent une invasion à l’échelle mondiale. Mais on n’en verra rien: pas de technologie, pas de gadgets, pas de contre-offensive militaire. Le doute, l’anxiété, puis le siège, sont vécus de l’intérieur, à petite échelle, dans une maison de campagne pennsylvanienne.
Terriblement efficace, malgré une assez grosse faille, côté vraisemblance (vous la verrez sans doute vous aussi).
La mise en scène est mesurée, les effets retenus, les périls suggérés. La noirceur est d’autant plus habilement exploitée que certaines scènes angoissantes sont filmées en plein jour, au grand soleil. Comme quoi un bon cinéaste n’a pas besoin de nuits brumeuses ou orageuses pour créer une tension.
L’amie avec qui j’ai vu le film a évoqué Hitchcock (sans doute pensait-elle à The Birds), tandis que War of the Worlds est mentionné par l’un des personnages. Mais le cinéma et son public ont beaucoup évolué en cinquante ans, et c’est une des richesses de cet art de pouvoir construire sur ce qui a déjà été fait, remanier ce matériau, proposer le reflet inversé, le négatif ou l’antithèse d’autres œuvres abordant le même sujet. Par-dessus tout, Signs n’est pas un film sur l’invasion extra-terrestre. C’est un film sur le hasard (ou son inexistence), la surdétermination, la destinée. [DS]
MIB II: Le remake
Si vous aimez rire et vous détendre pour un peu moins de deux heures, Men In Black II est pour vous. Si vous avez aimé le premier film (bien que vous ne vous souveniez plus beaucoup du scénario), Men In Black II est pour vous. Si vous aimez votre SF plus sérieuse ou vos scénarios plus recherchés, oubliez ça.
Men In Black II voit l’agent J (joué par Will Smith) aux prises avec le retour d’un méchant organisme extra-terrestre qui menace la planète – évidemment – et dont la première visite remonte au temps de l’agent K, malheureusement à la retraite (voir la fin du premier film). On devra donc recruter K de nouveau pour que l’équipe puisse faire face à cette menace.
Bon, on aura compris que de toute manière, le scénario n’est qu’un prétexte à ramener le personnage interprété par Tommy Lee Jones et pour faire encore des farces et poursuites contre les ETs, dans ce qui ressemble plus à un remake qu’à une suite. On prend les mêmes et on recommence. C’est une comédie, et c’est drôle, et c’est tout.
Tommy Lee Jones demeure le plus intéressant des deux acteurs, et si on voulait déplorer quelque chose, c’est qu’avec le premier on avait l’impression qu’il y avait des idées, farfelues certes, mais le début était intriguant. Alors que dans celui-ci, on ne peut s’empêcher de trouver dommage qu’avec un concept qui offre des possibilités presque infinies, les créateurs de MIB II ont, en fin de compte, fait preuve de bien peu d’imagination. [HM]
Lilo and Stitch : Le mouton noir
Est-ce moi ou les films d’animation font-ils de plus en plus appel à des idées de fantastique et de science-fiction depuis deux ou trois ans? Toujours est-il qu’après le succès de comédies comme Shrek et Monsters Inc., le studio d’animation de Disney s’est lancé dans un projet moins cute que ce à quoi ils nous ont habitués. Les premières bandes-annonces de Lilo and Stitch étaient savoureuses, les secondes un peu moins, mais le film demeure à la hauteur des attentes.
Stitch, c’est le mouton noir de la famille Disney, et au-delà de l’argument publicitaire, ça fonctionne; à certains moments pendant le film, on a peine à croire que c’est Disney qui a produit ce film! Car il s’agit d’une créature conçue par un savant fou dans une galaxie lointaine, créature baptisée Experiment 626. Fort, intelligent, hyperagressif et presque indestructible, Experiment 626 est condamné, de même que son créateur. Mais Experiment 626 s’évade et trouve refuge sur Terre, dans les îles d’Hawaii pour être plus précis, où il se fait adopter par la petite Lilo, qui voulait un chien, et dont il bouleversera la vie, bien entendu, mais bien plus encore, puisque ses poursuivants sont sur ses traces.
Lilo and Stitch est un pur régal. Pas seulement à cause de son scénario amusant et plein de trouvailles et de références, mais aussi grâce à la qualité du dessin, avec beaucoup de travail à l’aquarelle. Les premières photos m’avaient un peu inquiété, tout ça avait l’air définitivement trop pastel à mon goût, mais non, le résultat est superbe, les personnages attachants, bref, c’est le meilleur Disney que j’ai vu depuis des années.
Bien entendu, les amateurs de SF plus sérieuse préféreront encore se tourner vers Atlantis, puisqu’ici la SF est le prétexte pour la comédie, mais en y regardant de plus près, il y a tout de même un peu plus dans Lilo and Stitch qu’il n’y paraît. Ce qui en fait un film d’autant plus intéressant. [HM]
Reign of Fire: Fumeurs s’abstenir
Reign of Fire est une curieuse bête, sortie de nulle part. Plus curieux encore, ce film de dragons au XXIe siècle a été réalisé par Rob Bowman, qui a fait le film des X-Files (Fight the Future) et réalisé plusieurs épisodes des X-Files, puis des Lone Gunmen.
Les travaux de forage pour une nouvelle ligne de métro sous Londres mettent à jour une caverne où les dragons s’étaient réfugiés depuis des siècles. Oui oui, les dragons, ceux qui ont exterminé les dinosaures voilà très très longtemps. Un garçon, fils de l’ingénieure responsable du forage, est le premier à les voir et à échapper (de peu) à leurs flammes.
Bond vers le futur. On se retrouve trente ou quarante ans plus tard, sur une Terre dévastée par la guerre-éclair entre les hommes et cette vermine géante au taux de reproduction formidable (et d’autant plus surprenant que, nous dira-t-on, un seul mâle – sur toute la planète – a pour fonction d’ensemencer tous les œufs de dragons). C’est commode pour focaliser la lutte des héros. Car héros il y a, entre autres une communauté vivant à la Mad Max dans les caves d’un château-fort anglais, sous la bienveillante autorité d’un dénommé Quinn dont on apprendra qu’il est le gamin du début. Arrive un Matthew McConaughey méconnaissable, rasé et gonflé aux stéroïdes, un militaire étatsunien arrogant (excusez le pléonasme) qui a eu quelque succès en Amérique avec ses hélicoptères. Son groupe est bien organisé et téméraire, mais lorsque sa première chasse en territoire anglais échoue, c’est papa Dragon en personne qui se fâche (il est pas mal plus gros que ses dragonnes), qui extermine l’escouade et détruit le château. La seule solution restante: faire équipe et aller régler son compte à la (vraiment) grosse bête à Londres.
Malgré le ton ironique de mon résumé (car il est difficile de prendre au sérieux un scénario percé de trous assez grands pour laisser passer des milliers de dragons femelles), Reign of Fire s’avère un film raisonnablement bon. Bien fait, bonne ambiance, très beaux dragons, et de nombreuses scènes d’action fort bien menées (la technique d’attaque de l’escouade héliportée est spectaculaire et vertigineuse, même dans son absurdité). Un film dont il vaut mieux ne pas trop gratter le vernis de vraisemblance, et qu’il vaut mieux voir en version française, à moins que vous ayez passé les cinq dernières années dans un quartier populaire d’une ville britannique. [DS]
Eight Legged Freaks: Film de série D
J’espère que personne n’allait voir Eight Legged Freaks autrement que pour se marrer. On se marre, en effet, comme devant un bon film d’Ed Wood, mais pour ma part je trouvais que ça revenait cher, au prix où se vendent les billets de cinéma dans les grands complexes. Des araignées, devenues géantes après avoir été nourries de criquets dopés aux déchets chimiques, envahissent un patelin du sud-ouest étatsunien. Les clichés habituels sont au rendez-vous: le politicien local ambitieux et lâche, l’ado libidineux, l’héroïne chaste et le petit génie à lunettes, sans compter le fils prodigue (ce brave David Arquette, surtout connu pour son rôle de l’agent Dewey dans Scream et ses suites) revenant justement ce jour-là dans sa petite ville natale.
On laisse son cerveau à la porte, on ne s’ennuie pas, mais je vous recommande plutôt de louer Eight Legged Freaks pour une soirée entre copains, avec une bonne caisse de 24.
Oh, et les araignées? Ma foi, c’est très bien fait, et il y a de l’écrapou en masse (vert, l’écrapou). [DS]
Uzumaki: C’est «concept», et c’est japonais
Les passionnés savaient déjà depuis quelques mois que le festival Fant-Asia n’aurait pas lieu cet été. Ils ont été nombreux à se ruer sur les deux films japonais que le Cinéma du Parc avait mis au programme en juillet, histoire de leur procurer une dose minimale de bizarreries.
Car Uzumaki est une bizarrerie (déjà le réalisateur, Higuchinsky, est un Japonais d’origine ukrainienne!). Uzumaki veut dire spirale, apparemment; si on ne le savait pas, l’omniprésence du motif devrait nous mettre la puce à l’oreille. Basé sur le manga de Junji Ito, le scénario raconte l’invasion d’une petite ville japonaise par… oui, des spirales. Ou, plus exactement, par l’obsession de la spirale chez quelques malheureux citoyens, qui finiront par se suicider de manière plutôt… tordue (vous comprendrez), soit se transformeront en limaces géantes (à coquille spiralée, concept), soit finiront en fumée (qui emplira le ciel de nuées spiralées). C’est joué à la japonaise, avec les excès auxquels on s’attend dans cette culture cinématographique très particulière. Il y a une jeune héroïne pure et serviable, Kirie, un héros taciturne et tragique, Shuichi, et des scènes macabres à souhait, pour ceux qui aiment leur rire sanglant (ou leur sang rigolo).
Pourquoi ne pas le louer avec Eight Legged Freaks, (si vous le trouvez)? [DS]
Donnie Darko : Mauvais titre pour un excellent film
Avez-vous entendu parler de Donnie Darko? Non? Normal. C’est un film avec un budget relativement petit selon la norme américaine, conçu par un petite compagnie de production et dont le budget de promotion ne lui aura pas permis de distribuer le film en salles comme prévu. J’avais vu une bande-annonce quelques mois avant sa sortie. Ça avait l’air intéressant et prometteur, puis plus rien. 170 L’affaire avait en quelque sorte disparu de ma mémoire. J’ai récemment aperçu le DVD à mon club vidéo et après la suggestion appuyée d’un ami qui m’a téléphoné au moins quatre fois pour me demander si je l’avais loué (la première fois, c’était à minuit, juste après avoir terminé de l’écouter lui-même), j’ai loué Donnie Darko.
Son titre ne le laisse en rien prévoir, mais il s’agit d’un excellent petit film de science-fiction, et représente une des meilleurs surprises de l’année. Nous y suivons un jeune homme appelé Donnie Darko, dont la vie bascule lorsqu’il rêve (en somnambule) qu’il fait la rencontre d’un lapin géant qui lui prédit la fin du monde à une date précise et rapprochée. Il se réveille pour réaliser qu’un moteur d’avion s’est écrasé sur la maison familiale. Miraculeusement, tout le monde survit, bien que pour Donnie, le miracle soit dû à son somnambulisme qui l’a amené à sortir de la maison pendant son sommeil. étrangement, personne ne comprend d’où provient le moteur d’avion à réaction, puisqu’aucun accident n’est reporté par aucune compagnie d’aviation. Lors des semaines suivantes, Donnie reverra souvent son lapin géant, vivra des expériences troublantes, et sera soupçonné de vandalisme par son collège. Il tentera de trouver des réponses, notamment auprès d’une étrange vieille femme qui a écrit un livre sur le voyage dans le temps, il y a de nombreuses années.
Je ne m’attendais pas du tout à une telle qualité de scénario et déplore encore que le film n’ait pas été distribué en salles. Il ne s’agit pas d’un film ambitieux, mais le tout est bien ficelé (on voit venir certaines choses, mais on est surpris par d’autres) et présenté avec une ambiance trouble parfaitement exploitée par son réalisateur. à louer sans hésiter, malgré son titre ordinaire. [HM]
Une page d’histoire : Du fantastique québécois, enfin!
C’est maintenant officiel, deux films de fantastique québécois seront bientôt tournés et distribués en salles. Mieux encore, il s’agit de deux scénarios adaptés de romans d’auteurs bien connus des lecteurs de Solaris : Joël Champetier et Patrick Senécal!
En effet, le tournage de Sur le seuil a débuté le 26 août dernier, sur un scénario cosigné Patrick Senécal et éric Tessier, ce dernier assurant également la réalisation du film. Le film, produit par Go Films et dont la distribution sera assurée par Alliance Atlantis Viva- film, mettra en vedette Michel Côté, dans le rôle de Paul Lacasse, Catherine Florent, dans le rôle de sa collègue Jeanne, et Patrick Huard, dans le rôle de l’écrivain Thomas Roy. Sortie prévue pour l’automne 2003. Le budget de tournage est majeur pour un film québécois; trois millions deux cent mille dollars. Le tournage prendra fin le 4 octobre prochain.
Le tournage de La Peau blanche, adapté du roman de Joël Champetier et co-scénarisé par l’auteur et le réalisateur Daniel Roby, devrait débuter en février 2003, pour une sortie prévue pour l’automne ou la fin de la même année. Certains détails demeurent à confirmer, mais nous savons que Michel Poulette et Stéphane Bourguignon ont servi de conseiller au scénario et que la maison de productions, Zone Films, dispose d’un budget de près de un million de dollars. Aucun nom de comédien n’a été avancé sur ce projet pour le moment; on doit s’attendre surtout à de nouveaux visages.
Deux films dont les lecteurs de Solaris entendront parler dans les prochaines semaines et les prochains mois, donc. Jamais le fantastique québécois n’aura été représenté de la sorte à l’écran. On trouve bien, ici et là, des productions québécoises en fantastique et en science-fiction au fil des ans, mais les seules connues et largement distribuées ont toujours relevés de la farce (Karmina, par exemple), alors que La Peau blanche et Sur le seuil sont annoncés comme des suspenses fantastiques sérieux, adaptés d’œuvres reconnues de la littérature de SFFQ. Chers lecteurs, c’est une grande page de l’histoire de la SFFQ qui est en train de s’écrire, et on verra des résultats partiels d’ici la fin de l’année prochaine. Pour les effets à long terme, nous verrons bien: vos spéculations sont aussi valables que les miennes ou que celles d’un auteur de SF! Je m’en régale d’avance. [HM]
Hugues MORIN et Daniel SERNINE
Nouvelliste, rédacteur, micro-éditeur et ancien coordonnateur de la revue Solaris, Hugues Morin œuvre principalement dans le milieu du cinéma depuis 1998. Il habite présentement Vancouver, en Colombie-Britannique.
Romancier et nouvelliste, directeur de la revue Lurelu et directeur littéraire de la collection Jeunesse-Pop (Médiaspaul), Daniel Sernine est aussi un des plus fidèles collaborateurs de Solaris, revue à laquelle il participe depuis 1975.
Mise à jour: Septembre 2002 –