Sci-Néma 145
Chapitre 13: Quelques mots sur quelques films trop vite disparus
par Daniel SERNINE, Christian SAUVé et Hugues MORIN
Exclusif au Volet en ligne (Adobe Acrobat, 925Ko) de Solaris 145, Printemps 2003
Intacto
Ces deux ou trois dernières années nous ont donné à voir d’excellentes productions hispanophones, à commencer par Amores Perros et Y tu Mamá También (Mexique, 2000 et 2001), puis Espinoza del Diablo de Guillermo del Toro (Espagne, 2001), sans compter la remarquable coproduction hispano-franco-américaine The Others d’Alejandro Amenábar (2001). Les deux premiers n’avaient rien à voir avec nos genres de prédilection, mais L’échine du diable, sans être aussi saisissant que Les Autres, s’était avéré une bonne histoire de revenant, classique et touchante, sur décor de guerre civile espagnole.
C’est pourquoi je n’ai pas hésité à aller voir Intacto, du réalisateur Juan Carlos Fresnadillo, en me félicitant de vivre à Montréal et en veillant à ne pas trop tarder car ce n’est pas le genre de film qui remplit les salles. Le film est daté de 2001 et, si nous sommes souvent amenés à maudire distributeurs et exploitants de salles, cette fois-ci je ne puis que bénir les circonstances (inconnues de moi) qui ont amené ce petit film ici. On peut regarder le film comme un thriller, ou considérer qu’il relève du réalisme magique. Max Von Sydow, apparemment immortel, incarne Samuel, un rescapé des camps de concentration nazis, qui a la capacité de s’emparer de la chance d’autrui, soit par contact physique, soit en détenant leur photo. à l’époque où débute le film (de nos jours, selon toute évidence), il est propriétaire d’un casino où, en plus des jeux traditionnels (dont il fausse l’issue grâce à un complice de même nature que lui), il préside à des joutes de roulette russe où viennent l’affronter les joueurs les plus exaltés, et dont il sort invariablement gagnant. Son jeune complice Tomás veut partir et voler de ses propres ailes ; il sera déchu et expulsé. Durant tout le film on suivra Tomás dans une espèce de chasse aux chanceux, où il enrôlera l’unique survivant d’un écrasement d’avion et se livrera à des défis tous plus bizarres les uns que les autres contre d’autres joueurs extrêmes, dont un torero. Ils seront traqués par une policière, elle-même survivante d’un accident routier où elle a perdu fille et mari.
Le film a été tourné au moins en partie sous le ciel ensoleillé des îles Canaries (Fresnadillo est natif de Ténériffe) mais certaines ambiances, certaines scènes (en particulier dans le sous-sol du casino, où Samuel livre ses duels au revolver), rappellent immanquablement le David Lynch le plus glauque. Pour moi, la question du genre est clairement tranchée: l’absorption de la chance d’autrui, le prodigieux triomphe de certains hommes sur la loi des probabilités, classent Intacto du côté du fantastique. Tension, étrangeté… imaginez du Lynch dont le scénario aurait queue et tête (contrairement à ses derniers films) et surveillez la parution du DVD (qui sera peut-être cantonné, hélas, à des vidéoclubs de répertoire comme Phos, La Boîte Noire ou leurs équivalents locaux). [DS]
Final Destination 2
«Un agréable moment à passer pour les gens qui aiment voir des choses désagréables», voilà comment j’ai résumé ce film à mes collègues de Solaris. Soyons explicites, ce film s’adresse aux amateurs de sensations fortes et macabres. Dans ce registre-là, ma foi, c’est bien fait. Toutefois, il ne faut pas examiner trop longtemps le scénario. Le point de départ est le même que pour Final Destination. Cette fois c’est une jeune femme qui a la prémonition très claire d’un carambolage incendiaire sur l’autoroute, et comme le personnage de Devon Sawa dans le premier film de la série, elle y échappe en prenant sa vision au sérieux. Comme dans le premier film aussi, la mort voudra récupérer son dû, et tous les automobilistes que sa prémonition aura sauvés seront tués, par des méthodes aussi horribles que variées et (grâce à des astuces de suspense) parfois imprévues. «La diversité dans le décès» pourrait être la maxime de ce film: quelle que soit votre phobie, il y a des chances que le trépas de l’un de ces (jeunes) gens tombe dans le mille, ou pas loin. Les banlieusards qui repartent du cinéma en voiture doivent être un peu plus nerveux que de coutume.
Cœurs sensibles s’abstenir ; voilà, vous êtes prévenus.
Daniel SERNINE
Equilibrium
Equilibrium est le meilleur film de SF que vous n’avez pas vu au cinéma en 2002. écrit et réalisé par Kurt Wimmer, cet effort à petit budget réussit malgré tout à combiner une distribution intéressante – Christian Bale, Tayes Diggs, Emily Watson, William Fichtner, Sean Bean – à des scènes d’action spectaculaires dans le cadre d’une intrigue qui n’est pas sans rappeler les romans SF anti-totalitaristes de l’âge d’or.
Pourquoi ne l’avez-vous pas vu au cinéma, donc ?
Parce qu’il ne s’y est jamais rendu. Alliance Atlantis, après en avoir pourtant annoncé la sortie pour le 6 décembre 2002, s’est ravisé et n’a pas distribué le film au Canada. La situation n’a guère été plus reluisante aux états-Unis, où le distributeur – Dimension – l’a offert dans moins de 400 salles, alors que la norme est plus près de 1 500 salles, pour le laisser mourir à petit feu au box-office.
Reconnaissons qu’au cinéma ce sort n’est pas particulièrement rare. Distribuer un film à l’échelle nationale coûte cher: chaque copie du film peut coûter des milliers de dollars à produire et expédier, sans compter les frais de marketing. Pour chaque film projeté à votre cinéma local, une demie douzaine se rend directement au marché de la vidéo. C’est dommage pour les lecteurs de Solaris, car il s’agit d’un bon film de science-fiction.
Le propos d’Equilibrium sera familier aux lecteurs de Zamyatin, Orwell et Huxley. Après une troisième guerre mondiale catastrophique, l’humanité a réussi à se débarrasser de la violence. Le prix à payer est la suppression des émotions: chaque citoyen doit prendre des doses régulières de Prozium, un produit qui les transforme en automates impassibles. L’ordre est maintenu par un corps d’agents spéciaux entraînés au gun-kata (un art martial dédié à l’arme à feu), chargés d’éliminer les opposants au système. Christian Bale interprète un agent de haut niveau qui a la confiance du système. Mais suite à un accident, il ne peut prendre sa dose de Prozium et commence à percevoir la réalité qui l’entoure d’une façon très différente. éventuellement, ses découvertes l’amèneront à rencontrer une rebelle (Emily Watson) et à lutter contre son coéquipier arriviste (Taye Diggs).
Ce résumé vous a probablement laissé une forte impression de déjà-vu. On dirait, n’est-ce pas, un scénario construit en assemblant des éléments empruntés à quantité d’autres histoires de SF anti-totalitariste.
Sauf qu’il faut préciser deux choses.
Equilibrium est réalisé avec soin, si bien que l’on embarque dans l’intrigue malgré son côté convenu.
Deuxièmement, les scènes d’action sont exceptionnelles.
Pour qui ne verrait que la première moitié d’Equilibrium, la décision de ne pas distribuer le film à grande échelle serait plus compréhensible. Après tout, comment vendre un film de SF plutôt intelligent mais un peu lent ? Mais la finale d’Equilibrium a de quoi emballer tout amateur de film d’action. Le personnage joué par Bale devient un sacré dur à cuire, l’intrigue s’accélère, ponctuée par certaines des meilleures scènes de combat stylisé depuis The Matrix.
Affrontement en corps à corps avec des pistolets, duels à l’épée, assaut contre des douzaines de gardes armés et révolution à grande échelle: Equilibrium se transforme en Gattaca sur amphétamines, avec une succession de scènes tellement dynamiques que la seule réaction possible pour l’audience est une exhalation époustouflée. Peu importent les moyens réduits à sa disposition, le réalisateur Kurt Wimmer sait manier sa caméra et mène ses scènes d’action avec une assurance déconcertante. Le montage hyper rapide (mais cohérent) et le poli visuel impeccable donnent au film un air distinctif qui l’aide à se distinguer de ses sources d’inspiration évidentes.
Bref, on peut certainement pinailler sur la structure et le rythme inégal du film, mais si vous aimez les films d’action SF, Equilibrium est pour vous. Ou si vous préférez plutôt les drames de type THX-1138, Equilibrium est aussi pour vous. C’est l’archétype du film culte, qu’on ne vous a pas permis de voir au cinéma… mais il ne faudrait surtout pas le rater sur vidéo.
Christian SAUVé
L’Odyssée d’Alice Tremblay
Comme nous n’avions pas parlé de L’Odyssée d’Alice Tremblay lors de sa sortie en salles, la distribution en vidéo est une bonne occasion de se reprendre. Car le film, réalisé par Denise Filiatrault, raconte l’aventure d’Alice, joué par Sophie Lorrain, travailleuse ordinaire, mère monoparentale, qui se retrouve prise dans un univers qui n’est pas le sien ; le monde des contes de fées, peuplé de princes charmants, de nains, de grands méchants loups et de sorcières, sans oublier Blanche Neige et autre personnages aussi célèbres.
L’Odyssée d’Alice Tremblay est un film qui a plusieurs qualités, pour peu qu’on l’accepte pour ce qu’il est: une comédie de situation. Ce qui n’est pas surprenant lorsque l’on sait que les deux scénaristes – Pierre Poirier et Sylvie Lussier – ont animé l’émission télévisée Bêtes pas bêtes pour ensuite signer les dialogues des téléromans Quatre et demi et L’Auberge du Chien Noir. Ce premier scénario de film de leur part offre les mêmes qualités que leurs collaborations précédentes ; c’est-à-dire des personnages sympathiques bien que caricaturaux, une ambiance bon enfant, une légèreté des propos et une absence de prétention.
Toutefois, ces qualités ne sont pas suffisantes pour faire de L’Odyssée d’Alice Tremblay une réussite d’un bout à l’autre. Le film souffre de longueurs et l’enchaînement entre les scènes est plutôt décousu. La structure est simpliste: pour revenir dans notre monde, Alice doit trouver une porte sur une carte dont le chemin apparaît à mesure qu’elle se rend d’un point à l’autre. Cette structure fait du film une suite de sketchs inévitablement inégaux. Certains passages sont décidément efficaces, alors que certains autres tombent à plat.
Les personnages qui apparaissent lors d’une scène ne reviennent plus par la suite. C’est classique dans le motif de la quête, mais ça ne favorise pas le développement de personnages. Deux exceptions à cette règle: un apprenti prince charmant (Martin Drainville, responsable à lui seul de la plupart des rires du film) accompagne Alice tout au long de sa quête, et une méchante sorcière (Pierrette Robitaille dans son registre habituel) poursuit Alice car elle désire pénétrer dans notre monde une fois la porte ouverte.
Le tout est accompagné de numéros musicaux – ce qui étonne de prime abord et nuit peut-être à l’appréciation des premières scènes. Je n’arrive pas encore à décider si cette décision était bonne. La moitié des numéros sont plutôt réussis (je pense à celui à la cour du prince charmant le plus populaire, qui fait partie des meilleures scènes du film) alors que d’autres ne lèvent pas. J’ai eu l’impression que les premiers numéros musicaux étaient les plus étranges, les plus décalés. Par exemple, celui avec Marc Labrèche en méchant loup et Mitsou en petit chaperon rouge m’a laissé perplexe. Peut-être qu’il fallait s’habituer à ce choix de mise en scène. (Parenthèse: je n’ai pu m’empêcher de noter qu’avec Chicago et 8 Femmes, c’est le troisième film en un an qui intègre des éléments de musical depuis Moulin Rouge de Baz Luhrmann, qui a peut-être ressuscité le genre. Dans le cas de Lussier et Poirier, par contre, le procédé n’est pas sans rappeler un spécial de Quatre et demi où les auteurs faisaient chanter les personnages à l’extérieur du cadre habituel du téléroman.)
Même perplexité face aux clins d’œil (de la réalisatrice Denise Filiatreault ou des auteurs). L’apparition de Denise Bombardier tombe à plat, et les références diverses (comme celle au Déclin de l’empire américain) paraissent gratuites.
En tant que comédie légère, même s’il ne vous fera pas tordre de rire, le film vaut son prix de location – je n’aurais probablement pas été aussi conciliant après avoir payé le plein prix d’un billet en salles. Mais en terme de fantasy… Accordons aux auteurs quelques idées amusantes – Charles Perrault est connu dans ce monde, Blanche Neige vieillissante revenue avec les nains… – tout en reconnaissant qu’il est difficile de considérer cette plaisanterie comme un véritable film de genre. Ce qui n’est pas nécessairement condamnable en soi: des films mainstream qui se sont essayés à effleurer l’imaginaire ont fait pire. Au moins, L’Odyssée ne présente aucune incohérence majeure et aucun concept risible.
En terminant, il faut mentionner qu’avec Le Marais et La Turbulence des fluides, il s’agit du troisième film québécois de 2002 à intégrer des éléments fantastiques. Espérons qu’il s’agit bien d’une tendance à l’ouverture des organismes subventionneurs et non pas d’une aberration temporaire. Reconnaissons que l’arrivée prochaine de Sur le seuil et, un peu plus tard, de La Peau blanche, contribue à nous rassurer à ce sujet.
Hugues MORIN
Mise à jour: Mars 2003 –