Sci-Nema 150
par Joël CHAMPETIER, Christian SAUVé et Daniel SERNINE
Exclusif au Volet en ligne (Adobe Acrobat, 1 074Ko) de Solaris 150, été 2004
Van Helsing, ou «The League of Ordinary Monsters»
Si The Mummy, le premier grand succès du réalisateur de Van Helsing, Stephen Sommers, avait été un agréable divertissement, Return of the Mummy avait prouvé ce dont on se doutait: l’obsession première de Sommers est les effets spéciaux de tous ordres, et il semble persuadé qu’un bon scénario doit être essoufflant avant d’être intelligent. Par ailleurs, les bonzes d’Hollywood semblent avoir décidé pour de bon que tout film fantastique est destiné exclusivement aux jeunes spectateurs et, par conséquent, que sa piste sonore doit être assourdissante et sa trame musicale l’antithèse de la subtilité.
On pourrait en déduire immédiatement que je n’ai pas aimé Van Helsing. Il serait plus juste d’écrire que ce genre de film – Blade, Hellboy, League of Extraordinary Gentlemen et maintenant Van Helsing – vise une autre tranche démographique que la mienne. C’est la culture des comics, avec ses excès scénaristiques qui, transposés au cinéma, deviennent des excès sonores et kinétiques. C’est aussi le domaine du postmoderne et du transtextuel: on reprend des personnages séculaires (devenus des archétypes mais aussi de simples silhouettes coloriées) et on les fait interagir en multipliant les références superficielles. On obtient ainsi un Hugh Jackman qui passe sans effort et presque sans modification du rôle de Wolverine (des X-Men) à celui du célèbre chasseur de vampires, on obtient (encore!) un Mister Hyde au gabarit de Hulk, qui comme le Bossu de Notre-Dame escalade les clochers de la cathédrale parisienne, on obtient un «agent» Van Helsing qui visite le laboratoire secret de ses patrons pour se faire attribuer les dernières armes-gadgets disponibles, exactement comme James Bond se faisant équiper par «Q» au début de chaque mission, on obtient des protagonistes qui font du trapèze entre tours et beffrois à la manière de Spider-Man se balançant d’un gratte-ciel à l’autre –avec le même mépris des lois de la dynamique, de l’inertie et du simple bon sens.
Et si le jeu des acteurs se voit réduit à sa plus simple expression, les accessoires, eux, sont relégués au statut de jouets, le plus typique étant cette arbalète «à répétition», superficiellement basée sur les premières mitrailleuses Gatling, mais apparemment dotée d’une réserve inépuisable de carreaux et où la corde (a priori, ça reste une arbalète) ne joue plus aucun rôle. Beau joujou, à peu près inefficace contre les vampires ailés, issu de la même armurerie qui fournit à Van Helsing les scies rondes portatives qui jaillissent à point nommé de ses manches, où elles sont rangées en temps normal, apparemment immatérielles puisqu’elles ne l’encombrent jamais, pas plus que les vingt kilos d’accessoires métalliques qui se trouvent toujours à portée de main dans ses poches ou à sa ceinture… Je m’arrête ici: culture des comics disais-je, donc credo du «n’importe quoi», y compris les douze coups de minuit qui s’étalent sur vingt minutes.
Ce qui ne veut pas dire que je me suis ennuyé durant ce film – s’y endormir est d’ailleurs physiologiquement impossible. Mais disons que les aspects qui ont occupé mon attention n’étaient sans doute pas ceux espérés par le distributeur: comparer le jeu de David Wenham en Faramir et son rôle de moine ingénieux et peureux dans Van Helsing, ou encore recenser les acteurs qui ont interprété Dracula durant trois quarts de siècle de cinématographie et me demander s’il y en a un qui a livré une aussi piètre interprétation que ce Richard Roxburgh (la réponse est oui, il y a eu pire, mais enfin…).
Hum… près de six cents mots, et je n’ai toujours pas tenté de résumer l’histoire. Voyons voir… Pour donner vie à sa descendance (qui a la forme d’innombrables grappes d’œufs, bonjour Alien) Dracula veut prendre à Victor Frankenstein la technologie galvanique que ce savant mal avisé a mise au point pour animer son célèbre monstre composite. En plus du personnage éponyme, Anna, la dernière représentante de la famille Valerious (dernière parce que son frère est devenu loup-garou – bonjour l’homme-loup!), veut elle aussi trucider le comte des vampires, ce qui permettrait à ses propres ancêtres de trouver enfin le repos éternel. Quant à Van Helsing, une bague le relie à cette histoire de rivalité historico-ancestrale, mais il ignore comment, n’ayant aucun souvenir de ses origines – rebonjour Wolverine!
Hum, ça manque de momies là-dedans, et où diable sont Sherlock Holmes et Jack l’éventreur quand on en a besoin? [DS]
Jours sombres à Hogwarts
à la veille de son départ désormais annuel pour le collège de magie de Hogwarts, le jeune Harry Potter, plus que jamais persécuté dans sa famille adoptive, apprend qu’un redoutable criminel, un dénommé Sirius Black, s’est échappé de la prison d’Azkaban, pourtant gardée par les terrifiants Dementors. L’apprenti sorcier à lunettes l’ignorait, mais ce Sirius s’était douze ans plus tôt rendu complice du meurtre de ses parents, en révélant leur cachette à Voldemort, celui dont on ne prononce pas le nom. Sirius Black aurait-il l’intention de pénétrer dans le collège de Hogwarts pour terminer la tâche assassine de son présumé maître? C’est ainsi que se met en place Harry Potter and the Prisoner of Azkaban, dont l’intrigue se déploie ensuite à un rythme soutenu, impliquant un nouveau professeur de Defense Against the Dark Arts au nom transparent de Lupin (excellent David Thewlis), un hippogriffe qui se laisse chevaucher par le jeune Potter, une professeure de voyance qui est myope comme une taupe (savoureuse Emma Thompson)… et bien des trucs magiques qui sont du bonbon pour les yeux.
Quelquefois, les réalisations antérieures d’un cinéaste peuvent éclairer son dernier film; quelquefois pas du tout. Dans le cas d’Alfonso Cuaròn, ni Y tu mamá también, ni Great Expectations (la version de 1998 avec Gwyneth Paltrow et Ethan Hawke) ne laissaient présager ce que le cinéaste mexicain ferait du relais que lui tendait Chris Columbus, réalisateur des deux premiers Harry Potter. Je ne sais pas ce qu’en ont pensé les parents qui sortaient à la fin du film avec des marmots abasourdis dans leurs bras, mais pour ma part j’en ai pensé le plus grand bien. Le changement d’atmosphère trouve sa manifestation la plus radicale dans la transformation du château-collège, Hogwarts; d’annexe de Disneyland, il est passé à un monument d’architecture pseudo-gothique dressé dans un décor beaucoup plus sauvage. Jamais les Pennines n’auront paru aussi escarpées – quasi alpines, en fait, comme le montre le nouvel emplacement de la maisonnette d’Hagrid. Dans ce troisième volet, le collège de sorcellerie acquiert une personnalité à part entière, avec son immense tour de l’horloge et son pont couvert romantique (au sens propre: il pourrait servir de fond de scène à un lieder de Schumann).
Les orthodoxes de l’évangile selon Rowling grognent déjà sur les forums de discussion: le troisième roman de la série aurait subi de graves amputations en passant au grand écran. Il faudra bien se faire une raison: madame Rowling ayant écrit un quatrième et un cinquième tomes aussi gros que des Larousse, les coupures n’en seront que plus sévères d’un film à l’autre. Pour ce lecteur-ci, qui a bien aimé les romans mais n’est pas entré en religion, il ne manque rien de crucial à Harry Potter and the Prisoner of Azkaban. Certes, les amateurs de quidditch seront déçus, tout comme les fans de Maggie Smith ou d’Allan Rickman, les professeurs McGonagall et Snape respectivement (mais peut-être les leçons de ces maîtres se retrouveront-elles sur le DVD?).
Seront désappointés aussi les gens qui estiment qu’il faut de l’humour partout (sous la forme d’un marmouset sosie de Vladimir Poutine, par exemple). Pour ma part, je note surtout qu’on a bien peu tiré parti des talents de Garry Oldman, qui incarne Sirius Black et que ceux de Richard Harris nous manquent dans le rôle d’Albus Dumbledore. Tout est question d’équilibre: d’aucuns jugeaient les deux premiers films trop longs, à près de trois heures chacun. Celui-ci, tentant de rendre justice en deux heures à un roman plus substantiel, s’avère peut-être trop court. L’auditoire aurait bien supporté, j’en suis sûr, des scènes où l’on aurait mieux approfondi les enjeux: trahisons passées, conspirations présentes, antagonismes de classe.
Par ailleurs, les jeunes acteurs sont rendus un peu trop vieux pour leurs rôles (difficile de croire que Daniel Radcliffe et Ruppert Grint n’ont que treize ans) mais en revanche ils ont pris un peu de métier, à l’exception de Tom Felton, qui semble avoir régressé dans son rôle de Draco Malfoy (à la vérité, le scénario ne lui laisse que de brèves apparitions, où il est plus pathétique que redoutable – alors que, dans le roman, son père et lui sont vraiment sinistres). Malgré ces quelques réserves, mon jugement est positif: il y a Shrek pour rire à gorge déployée, et il y a Harry Potter and the Prisoner of Azkaban pour se laisser frôler par les doigts glacés de la crainte, au pied d’un château résolument sombre guetté par les épouvantables Dementors.
Pour ceux qui aiment leur magie noire, sans sucre. [DS]
Eternal Sunshine of the Spotless Mind
La science-fiction a toujours eu une relation discrète mais privilégiée avec la mémoire: qu’on pense à divers films qui se sont inspirés – avec plus ou moins de bonheur – de romans ou de nouvelles de Philip Dick: Blade Runner, Total Recall, Impostor, Minority Report, Paycheck, sans oublier Dark City, dont les origines sont tout autres mais qui part lui aussi d’un casse-tête mental. Le fait que bien des amateurs de littérature SF aient grandement apprécié le film Memento, qui ne relevait pas de la science-fiction, semblerait appuyer mon hypothèse. Les jeux sur la mémoire, comme ceux sur la perception de la réalité ou sur le paradoxe temporel, sont stimulants pour l’amateur éclairé de SF et de cinéma.
Eternal Sunshine of the Spotless Mind, de la science-fiction? pourraient se récrier certains tenants de la culture générale. Absolument, dans la mesure où la procédure du psychologue Howard Mierzwiak (incarné par Tom Wilkinson) se veut une extrapolation rationnelle sur ce que l’on sait déjà faire, c’est-à-dire identifier et cartographier en temps réel des points précis du cerveau sollicités par tel ou tel stimulus mental (idéation, phonation, compréhension, expérience spirituelle, effort de mémoire, calcul mental, etc.).
Dans le film, le bon docteur Howard offre à ses patients d’effacer les souvenirs liés à une tranche de vie ou à une personne, généralement après une rupture, une séparation ou un deuil. C’est ainsi que Joel Barish, incarné par Jim Carrey avec une retenue exemplaire, veut effacer de sa mémoire la colorée Clementine (Kate Winslet), après avoir appris qu’elle en avait fait autant. Leur relation de deux ans a suivi l’inévitable évolution de ces choses-là: fraîche et grisante dans les premiers mois, grâce à l’imprévisible, volubile et fantaisiste Clementine, la relation entre elle et Joel est devenue terne, routinière, hérissée d’irritants et criblée de silences boudeurs. Sauf que durant l’opération, qui a lieu durant une nuit de sommeil monitoré par deux adjoints, Joel, en revivant les souvenirs au moment de leur oblitération, sent renaître son amour et il regrette sa décision. Joel reste semi-conscient parce que les deux adjoints bâclent la procédure, ayant manifestement la tête ailleurs (l’un d’eux, incarné par un Elijah Wood grandeur nature, a des visées sur Clementine, qu’il veut séduire en reproduisant les meilleurs moments de sa relation avec Joel).
Si mon résumé vous paraît confus, c’est en partie parce que l’histoire n’est pas simple. Le scénariste Charlie Kaufman nous a habitués à cela avec Adaptation et le savoureux Being John Malkovitch. Eternal Sunshine of the Spotless Mind n’est décidément pas un film pour spectateurs paresseux, car tout le processus par lequel on revisite les souvenirs en vue de les effacer repose sur une variété d’effets: ambiances oniriques ou déjantées, points de vue très subjectifs, transitions vertigineuses, identités gommées, paradoxes visuels… On est loin de l’effet de flou accompagné d’un arpège de harpe qui servait jadis (entre autres à la télé) à signaler le basculement dans le songe ou dans l’imaginaire. Ajoutons à cela que la majeure partie du film est une enfilade de flashbacks, après un premier quart d’heure qui se déroule le lendemain de la procédure d’effacement.
Je devrais peut-être m’arrêter ici, avant de faire plus de tort à un film qui mérite absolument d’être vu, surtout si vous avez apprécié The Truman Show et Memento, ou si vous aimez les filles spontanées qui changent souvent la couleur de leurs cheveux et qui affichent une préférence marquée pour la couleur orange. [DS]
Shrek 2: un plaisir monstre
J’ai lu des critiques à l’effet que la deuxième mouture de Shrek était encore meilleure que la première. Sans aller jusque là (le film de 2001 avait quand même l’attrait de la nouveauté et l’effet de surprise de son humour irrévérencieux), je dirais que Shrek 2 se hisse à égalité de son prédécesseur.
L’histoire enchaîne dès la fin «heureuse» du premier film: Shrek a épousé la princesse Fiona, qui s’est avérée aussi verte et corpulente que lui. Il faut maintenant aller présenter l’époux aux parents, le roi et la reine du royaume Far Far Away, une transposition pseudo-médiévale d’Hollywood. Si la reine semble assez prête à s’accommoder d’un gendre vert et vulgaire (on verra pourquoi à la fin), le roi s’y objecte fermement. C’est qu’il est redevable à la fée marraine (sorte de Martha Stewart bien en chair, avec des ailes), qui pour sa part était responsable de l’état hybride de Fiona: princesse diurne ravissante, ogresse nocturne. Le prince Charmant (Charming, c’est son nom), propre fils de la fée marraine, devait aller déposer un baiser sur les lèvres d’une Fiona endormie, pour briser ce sort, mais Shrek l’a devancé dans les circonstances qu’on connaît si l’on a vu le premier film. Industrieuse (et industrielle), la fée marraine compte bien voir son fils devenir l’héritier par alliance du royaume, aussi pousse-t-elle le roi à mettre un mercenaire (le redoutable Chat botté!) aux trousses de Shrek. La menace sera de courte durée et le Chat botté (aux accents de Zorro, interprété par Antonio Banderas) deviendra un allié de Shrek, au grand agacement de l’âne à qui Eddy Murphy donne voix: «the position of the annoying talking animal is already taken ».
Les retournements de situation abondent, les allusions à d’autres films (dont Le Seigneur des Anneaux) fourmillent, de même que les références socio-culturelles variées, susceptibles d’amuser les spectateurs de toutes les générations, y compris ceux qui, comme moi, ont l’âge d’avoir connu ces «peintures», populaires dans les années 70, représentant des chats aux immenses yeux tristes.
Tout y passe, de l’émission Entertainment Tonight aux fantaisies sous-vestimentaires présumées de Michael Jackson, sans oublier le tapis rouge de la cérémonie des Oscars, l’omniprésente chaîne de cafés Starbuck’s et les clins d’œil à divers personnages des frères Grimm ou d’autres conteurs célèbres.
Le premier film était basé sur un livre de l’illustrateur et écrivain pour jeunes William Steig (mort l’an dernier à l’âge vénérable de 96 ans). Le deuxième est un scénario original rédigé à plusieurs mains. Il faudra voir si les producteurs auront la main aussi heureuse avec le troisième Shrek, déjà évoqué. [DS]
Les premiers frissons du réchauffement planétaire
Le soir où j’écris ces lignes, un vent froid secoue mes fenêtres et l’on annonce un risque de gel au sol durant la nuit, dans les Laurentides.
Un 29 mai.
Quelle meilleure ambiance pour rédiger un commentaire sur le dernier film de Roland Emmerich, The Day After Tomorrow? Des critiques enthousiastes ont écrit que ce film aiderait à faire battre George W. Bush aux élections présidentielles, en montrant les conséquences de l’irresponsabilité égoïste des puissances industrialisées, en particulier celle de la société nord-américaine, coupable à elle seule du quart des émissions de gaz à effet de serre. Bien qu’il s’agisse d’une responsabilité partagée, il reste que Bush est le principal acteur à avoir dit clairement, en refusant d’entériner les accords de Tokyo: «nous ne changerons pas un iota à notre mode de vie». Comprendre: «c’est un droit sacré que d’aller au Wal-Mart en véhicule utilitaire sport gobeur d’essence». Tels sont, en filigrane et au premier degré, le propos et le message de The Day After Tomorrow.
Cela vu et cela fait, il reste de la place pour un film d’anticipation-catastrophe où l’on montrerait un véritable réchauffement planétaire, avec des incendies à la grandeur d’un état ou d’une province, avec des canicules dont le bilan meurtrier se chiffrerait en centaines de milliers (au lieu des 15 000 victimes durant la canicule européenne de 2003), avec des marées hautes dévastatrices et, oui, des tornades monstres comme dans The Day After Tomorrow. On pourrait utiliser le même scénario, et recourir à la même… compression du temps, dirons-nous. Car s’il est un point où Emmerich sollicite lourdement notre «suspension d’incrédulité», c’est celui-là: la fonte massive des glaces polaires, le changement radical de salinité et de température, causent un brusque dérèglement des courants océaniques qui jusqu’ici emmenaient vers l’hémisphère nord les eaux chaudes de l’équateur… tout cela en quelques jours. Les perturbations atmosphériques qui s’ensuivent sont si gigantesques qu’elles pompent un air glacé en provenance de la troposphère. Résultat: une ère glaciaire instantanée s’abat sur l’hémisphère nord, symbolisé dans le film par une New York inondée puis couverte de neige.
Au cœur de la tourmente (et de l’action), le jeune Sam Hall (incarné par Jake Gyllenhaal, un bon choix physionomique), fils du paléoclimatologue Jack Hall (personnifié par Dennis Quaid, correct mais sans plus). Comme dans tout film catastrophe, diverses destinées individuelles sont proposées à l’attention du spectateur, entre autres celles d’un météorologue britannique (Ian Holm) et son équipe. L’idylle naissante et le mariage en faillite sont au rendez-vous; je ne crois pas trop vendre la mèche en disant que l’une fleurira et l’autre sera restauré par l’épreuve. Ce n’est pas vraiment cela qui rive l’amateur à son siège, pas plus que le sort du petit cancéreux ou du policier noir.
Non, ce sont plutôt, comme vous l’avez sûrement entendu depuis la sortie du film, les effets spéciaux et les scènes de catastrophe à échelle métropolitaine. On excusera la banalité du commentaire mais, à elles seules, les scènes de tornades (Los Angeles) et de raz-de-marée (New York) valent le prix d’une sortie au cinéma. Puis (autre cliché, désolé), les images de synthèse atteignent ici de nouveaux sommets de raffinement dans le réalisme. Les états-Uniens adorent voir des voitures lancées comme des jouets, et adorent voir New York victime de cataclysmes (depuis l’engloutissement sous les sables dans Planet of the Apes jusqu’à l’engloutissement sous les glaces dans Artificial Intelligence, en passant par l’engloutissement sous les vagues de crimes dans Escape from New York).
Soulignons aussi l’inventivité du scénariste (Emmerich, encore) dans les ramifications des conséquences du cataclysme. Oui, ces loups qui se sont échappés du zoo, ils reviendront. Oui, ce cargo qui s’avance au cœur de Manhattan inondée, il servira lui aussi à quelque chose. Même l’équipée en raquettes et en traîneau, entre Washington et New York, rencontrera des embûches originales.
En prime, des vues de la Station spatiale internationale complétée… ça, c’est vraiment de la science-fiction!
Il ne faut donc pas laisser le nom d’Emmerich vous dissuader de voir The Day After Tomorrow. Oui, ce réalisateur est coupable de Godzilla, oui il peut se montrer exaspérant quand on lui laisse un drapeau étatsunien entre les mains (The Patriot), mais il nous a aussi donné Stargate et, avouons-le, Independance Day était diantrement divertissant. Je vous propose de voir The Day After Tomorrow pour le suspense et l’action; vous ne devriez pas être déçus. [DS]
Hellboy
Après quelques faux départs (Cronos, Mimic), le réalisateur Guillermo del Toro s’est récemment établi comme auteur fantastique avec deux bons films qui se complètent bien: Blade II, bourré de scène d’actions et d’effets spéciaux, prouvant sa compétence technique, et El Espinazo Del Diablo, un bon petit thriller surnaturel qui démontrait sa capacité à présenter un film avec du cœur, de l’intrigue et de véritables personnages.
Avec Hellboy, del Toro semble avoir eu le champ libre pour fusionner ces deux types de cinéma. Adapté de la bande dessinée de Mike Mignola, le film met en vedette un demi-démon à peine domestiqué (Hellboy, magnifiquement interprété par Ron Perlman), mis au service du gouvernement américain pour lutter contre les forces du mal, qui ont tendance à prendre des formes tentaculaires cauchemardesques.
Mais il y a un peu plus au personnage de Hellboy qu’un simple héros surnaturel. Ce n’est pas un intellectuel. Il ne se complique pas la vie avec des considérations d’ordre philosophique et possède un suprême dédain pour l’autorité, fût-elle parentale ou gouvernementale. Sa vie se résume à manger (beaucoup), combattre ce qui doit être éliminé et tenter de courtiser la jolie Liz Sherman (Selma Blair), une autre mutante au service du gouvernement. Superhéros de catégorie col-bleu, volontiers persifleur, Hellboy accomplit le travail avec compétence, mais préférerait nettement mieux rester chez lui à regarder la télévision.
Mais c’est sans compter sur les plans diaboliques de Raspoutine et des Nazis (!), qui veulent faciliter la conquête de la Terre par des forces occultes grâce à un portail dimensionnel. Ou quelque chose comme ça: comme il arrive souvent dans ce genre de film, l’action prime sur la cohérence et Hellboy devient souvent une succession d’images numériques avec notre demi-démon qui tire sur tout ce qui agite des tentacules. C’est bien fait, mais un peu répétitif, voire même un peu dommage car, entre deux scènes d’action, del Toro prend soin d’esquisser des personnages crédibles. Quand a-t-on pu voir un démon manger des biscuits en racontant ses problèmes sentimentaux à un gamin, tout en bouillant de jalousie à la vue de sa bien-aimée en compagnie d’un autre homme? On aurait préféré moins d’imagerie numérique et plus de scènes de ce genre.
En attendant une suite peut-être plus satisfaisante, on notera tout de même qu’il s’agit là d’un film fantastique bien fait, avec un traitement spectaculaire de créatures d’inspiration lovecraftienne. Le succès commercial du film augure bien pour la carrière de del Toro, qui semble bien placé pour devenir un réalisateur essentiel du genre. Des rumeurs planent au sujet de ses prochains projets, mais peu importe: ses fans sans cesse plus nombreux sont déjà assurés d’être au rendez-vous. [CS]
Dans un cinéma québécois près de chez vous
Nous sommes en 2035. La couche d’ozone a été détruite par le gaz carbonique des voitures, l’industrie chimique et le «pouchpouch en ca-cane». La Terre cuit sous les rayons du soleil. Le capitaine Charles Patenaude et sa valeureuse équipe s’embarquent sur le vaisseau spatial Romano Fafard dans un voyage aux confins de l’univers afin de trouver une nouvelle planète pour les habitants de la Terre. Il leur arrivera bien des aventures en chemin…
Avant même tout commentaire proprement cinématographique, il faut d’abord et avant tout saluer Dans une galaxie près de chez vous comme un indiscutable succès populaire du cinéma québécois. Avec plus de deux millions de dollars d’entrée au moment où j’écris ces lignes, il va sans dire que ce film a pulvérisé le record de recette pour un film de science-fiction réalisé en français au Québec. On me dira que ce n’était pas un exploit, considérant la quasi-absence de film de science-fiction dans notre cinéma national, mais le succès du film réalisé par Claude Desrosiers a dépassé même les prédictions les plus optimistes de ces concepteurs en recueillant aussi la faveur des critiques et en faisant preuve d’une surprenante longévité en salle. Presque deux mois après sa sortie, dans la semaine du vendredi 28 mai au jeudi 3 juin, il était toujours au troisième rang au boxoffice francophone, ne cédant la place qu’à la mégaproduction The Day After Tomorrow et la comédie d’animation Shrek 2.
Prédire avec certitude un succès en salle est hasardeux; heureusement pour le critique, il est beaucoup plus aisé d’analyser les causes d’un succès a posteriori.
D’une certaine façon, les producteurs et scénaristes ont su transposer au grand écran la stratégie qui avait déjà connu du succès à la télévision. On pardonnera cette lapalissade, mais plus une œuvre réussit à plaire à un large éventail du public, plus elle a de chance de devenir populaire. Or, c’est ce qui s’est passé avec la série télévisée. Originellement conçue pour jeunes et diffusée sur un canal spécialisé – VRAK TV – Dans une galaxie près de chez vous est assez rapidement devenue une série culte appréciée par les enfants, certes, mais aussi par quelques adultes et surtout par les adolescents. Je dis «surtout par les adolescents», car on sait que ce segment de l’auditoire est particulièrement difficile à fidéliser. Il est clair que les personnages sympathiques et l’humour débridé de l’émission a su leur plaire. Et c’est aussi ce qui s’est produit au cinéma, si on se fie aux commentaires sur l’Internet. Ainsi, sur le site de canoe.com, 90 % des centaines de commentaires enthousiastes sont le fait d’enfants de moins de 12 ans et d’adolescents de 12 à 17 ans, un de ces derniers affirmant qu’il avait vu le film 19 fois et se promettant de le revoir! Encore un signe qui permet de penser que le film ne partira pas de sitôt des grandes salles. Ce qui n’empêche pas les adultes aussi de professer leur enthousiasme; citons ce père de famille qui explique qu’il a fait le voyage de Toronto à Montréal pour que sa fille de 9 ans puisse assister au film!
Si on se réjouit d’un pareil succès, il faut par contre reconnaître que, à l’instar de la série télévisée, le contenu SF de ce film laisse peu d’emprise à la réflexion et au commentaire, du moins dans les pages d’une revue spécialisée comme Solaris. Une fois passée l’introduction, qui illustre avec un peu plus de gravité les conséquences de l’effet de serre sur cette Terre du futur proche, le reste du film est ludique et ne prétend évidemment pas offrir une réinterprétation ou une critique la moindrement sérieuse sur le genre. En réalité, les meilleurs gags du film sont poétiques, comme celui de la galaxie des chaussettes perdues. Autrement dit, sous cette surface de film de science-fiction, Dans une galaxie près de chez vous est d’abord et avant tout une comédie de situation qui renvoie à des émissions populaires comme La Petite vie, comme l’illustrent l’abondant dialogue truffé de running gags, la mise en scène statique, et le cabotinage des interprètes, tous très à l’aise dans un registre comique qui rappelle les sketchs de la Ligne nationale d’improvisation – ce qui n’est pas surprenant lorsqu’on sait que plusieurs de ces comédiens ont fait leurs classes dans la LNI.
Je terminerai donc avec une mise en garde destinée aux lecteurs adultes qui ne connaissent rien de l’univers de Dans une galaxie près de chez vous : sans doute serait-il préférable qu’ils jettent d’abord un coup d’œil à un épisode de la série télévisée à VRAK TV. Si cela ne vous amuse pas, répétons que le film est très fidèle à la série, les améliorations se situant plutôt au niveau de la direction artistique car, même s’il s’agit d’un petit budget, les producteurs ont quand même pu se permettre une cinématographie et des décors qui font un peu moins «télévision».
à la lueur de tout ce qui vient d’être dit, on ne s’étonnera pas qu’une suite soit déjà annoncée, et ce n’est pas faire un prodige de prospective que de supposer que ce second film bénéficiera d’un budget plus conséquent. Qui sait, peut-être assistons-nous à la naissance d’une franchise à la Star Trek dans le petit monde du cinéma québécois? [JC]
Mise à jour: Juin 2004 –