Sci-Néma 153
par Hugues MORIN [HM] et Daniel SERNINE [DS]
Exclusif au Volet en ligne (Adobe Acrobat, 864Ko) de Solaris 153, Hiver 2005
Animation: petits mickeys et gros dollars
Il était une fois… le cinéma d’animation. Il s’agissait d’un genre spécifique, avec ses règles, son marché, ses studios, un genre sur lequel régnait depuis la nuit des temps un chef de file incontesté: Walt Disney Pictures. Les succès de Disney étaient variables, mais relativement assurés. Puis le cinéma évolua. La technologie permit de fusionner divers aspects du cinéma d’animation dans le cinéma majuscule, celui avec des vrais acteurs. De nouveaux studios se lancèrent aussi dans l’animation, avec d’autres équipes, d’autres vues, d’autres idées. Le cinéma d’animation avait changé à jamais.
Il n’est pas facile de déterminer avec précision la date de ce changement. Pour sûr, depuis le départ de Jeffrey Katzenburg de chez Disney, la célèbre compagnie d’animation n’est plus la même. D’autant plus que Katzenburg est parti pour fonder Dreamworks Pictures avec David Geffen et Steven Spielberg et que ce nouveau studio est devenu un joueur majeur dans l’industrie du film en général et dans l’animation en particulier. Une chose est certaine, l’année 2004 qui vient de s’écouler est une autre année charnière pour l’animation au cinéma. Le film qui a obtenu les plus grosses recettes au box office à la fin novembre est Shrek 2. Produit par Dreamworks pour environ 75 millions de dollars, il en a rapporté plus de 435 millions. Le cinéma d’animation n’est plus seulement un genre pour enfants: c’est l’un des marchés du cinéma les plus disputés entre les studios. On peut y gagner beaucoup d’argent. Ou en perdre beaucoup.
La partie se joue à cinq joueurs: Disney – évidemment –, Dreamworks, Warner, Fox et Pixar. Fox a presque abandonné l’idée d’entretenir son propre département d’animation, surtout après le flop financier de Titan A.E. Warner investit régulièrement dans l’animation depuis sa fondation, autant au cinéma qu’à la télévision, mais ne gruge jamais une grosse part du gâteau des recettes cinématographique. Son plus gros film récent est Ice Age. Pixar est le studio à surveiller… et convoité de tous. Aucun flop, ni critique ni financier. Depuis le lancement de leur premier long-métrage, Toy Story , en 1995, ils alignent les succès: A Bug’s life, Toy Story 2, Monsters Inc. et Finding Nemo. The Incredibles, le dernier en date, a récolté plus de 225 millions de dollars au box-office (et le film est toujours à l’affiche) pour un budget estimé à 92 millions.
Le département d’animation de Dreamworks connaît des hauts et des bas, mais est reconnu pour son audace et la liberté qu’il donne aux créateurs. Les succès fracassants de Shrek et Shrek 2, ainsi que le succès de Shark Tale (160 millions de recettes pour un budget estimé de 75 millions) font l’envie de plusieurs. Quant à Disney, ils traînent de la patte. Leur dernier véritable succès, Lilo and Stitch, a été suivi de trois énormes flops; Treasure Planet, Brother Bear et Home on the Range. En réalité, le dernier véritable méga-succès de la branche animation de Disney remonte à l’époque Katzenburg. Le studio rentabilise ses succès du passé avec des suites distribuées directement en DVD, transformant presque tous ses films cinéma en franchises vidéo. Il navigue encore sur la vague de Winnie the Pooh, Aladdin ou The Lion King.
On pourrait se demander pourquoi les studios se démènent autant pour s’approprier cette part de marché. Le cinéma avec des «vrais acteurs» est plus important, non? En fait, ce cinéma-là aussi est en période de changement depuis un bon moment et 2004 est une année importante à ce niveau. Le cinéma d’acteur et l’animation fusionnent sous nos yeux. Sky Captain and the World of Tomorrow est en fait un film d’animation, à l’exception des acteurs filmés en chair et en os. The Polar Express, présentement à l’affiche, est entièrement animé lui aussi, mais avec une technique différente: les acteurs n’ont pas simplement effectué les voix de manière traditionnelle, ils ont littéralement interprété les personnages animés avec des capteurs, qui ont communiqué leurs expressions faciales et leurs mouvements. Puisque l’on tourne de plus en plus en numérique plutôt que sur pellicule, cela rend l’animation encore plus attrayante, car elle se fait déjà sur support numérique. (Notons que le budget de Sky Captain – 40 millions de dollars – est très raisonnable en partie à cause de l’animation. Harry Potter and the Prisoner of Azkaban avait un budget de 130 millions et Troy de 185 millions, chacun de ces films dépendant beaucoup de techniques d’animation. Même chose pour les deux Spider-Man. Ça peut sembler beaucoup, mais par comparaison, un film sans gros effets spéciaux comme The Terminal a tout de même coûté 60 millions.)
Revenons à Pixar, le studio le plus convoité et dont l’avenir semble le plus rempli de promesses. Toujours mené par l’équipe fondatrice, à laquelle se sont ajoutés de nouveaux talents, Pixar continue à étonner non seulement à cause son génie technologique, mais aussi à cause de la qualité de ses scénarios, qui ne se dément pas d’un projet à l’autre. Pixar produit, mais n’a pas de compagnie de distribution; depuis sa création, elle a signé un contrat exclusif avec Disney pour la distribution de ses films. Disney ramasse donc une partie intéressante des recettes reliées aux succès de Pixar, tout en profitant de la réputation d’excellence du studio en matière d’animation. Or le projet de Pixar pour 2005, Cars, est le dernier film couvert par le contrat avec Disney.
Pixar est donc en pleine renégociation de contrat de distribution. Disney ne veut pas lâcher le morceau, mais Fox et Warner sont aussi des joueurs très intéressés à faire affaire avec ces prodiges de l’animation. Acquérir les droits de distribution des films de Pixar serait un ajout incroyable à leurs activités, sans réellement jouer dans leurs plates-bandes; alors que Dreamworks ne semble pas trop intéressé, puisque le studio a tout de même le meilleur département d’animation après Pixar et distribue lui-même ses films.
Le contrat original de Pixar avec Disney donnait des droits sur la commercialisation des produits dérivés et sur la promotion des films par d’autres voies que le cinéma. C’est Disney qui a exigé un second volet à Toy Story après l’immense succès du premier film. Les dirigeants de Disney auraient voulu faire des suites à tous les titres de Pixar, quitte à sortir ces produits en vidéo. Réticents, les gens de Pixar ont seulement accepté de faire un second Toy Story lorsqu’ils ont été convaincus qu’ils avaient une idée assez originale pour justifier une suite. Or aujourd’hui, puisqu’ils sont détenteurs des droits sur les personnages, Disney menacent de réaliser un troisième Toy Story sans l’équipe Pixar si le studio signe avec un autre distributeur. Pour Pixar, les enjeux relèvent autant de leur réputation artistique que de leurs intérêts financiers. Mais le département animation de Disney n’a produit qu’un grand succès en plus de dix ans: sa réputation et ses revenus sur ce marché dépendent de Pixar depuis ce temps!
Entre-temps, toujours distribué par Disney, The Incredibles démontre encore le talent scénaristique et technologique de Pixar. Ces derniers savent qu’ils ont les cartes maîtresses en main. Fini le temps où ils étaient des nouveaux venus brillants qui désiraient seulement voir leurs films distribués convenablement. Ils savent qu’ils sont des joueurs importants et respectés. Une histoire à suivre, donc… [HM]
The Incredibles: un des meilleurs films de 2004
The Incredibles est au film de super-héros ce que Monsters Inc était au film de monstres, c’est-à-dire qu’il en reprend les thèmes mais joue avec, les prends à revers, s’amuse tout en étant original et divertissant. C’est une qualité des gens de Pixar de livrer un produit qui est technologiquement impeccable, souvent même époustouflant, sans négliger le scénario.
The Incredibles, ce sont des héros possédant divers pouvoirs. Monsieur Incredible est fort, sa femme, Elastic Girl, a le pouvoir de s’étirer à volonté, son fils a hérité d’un pouvoir de super-rapidité, etc. Ils combattent le crime, sont populaires et font ce qu’ils aiment dans la vie, être un super-héros. Mais le monde autour d’eux change, la société évolue et, bientôt, on commence à s’interroger sur les dégâts causés par leurs actions. Un beau jour, ils se voient exclus de la société et obligés de vivre une vie «normale», autrement dit avec l’interdiction d’utiliser leurs pouvoirs à l’extérieur de leur demeure.
Des années plus tard, M. Incredible travaille pour une compagnie d’assurance et sa femme s’occupe des enfants. Le soir, parfois, le super-héros retrouve un copain, Frozone (qui a un pouvoir de congélation), et ensemble, ils écoutent les fréquences policières pour intervenir en cas de besoin. M. Incredible est finalement invité à aider un mystérieux personnage qui a besoin de lui. C’est évidemment un piège qui vise tous les super-héros: toute la famille doit donc s’unir et utiliser leurs pouvoirs à nouveau pour se sortir de ses griffes et, éventuellement, sauver le monde encore une fois.
On pourrait longuement s’étendre sur la qualité du divertissement qu’offre The Incredibles à tous les niveaux, mais le point qui m’a le plus frappé, après coup, c’est que le film ne repose pas seulement sur l’humour, et pas du tout sur l’humour référentiel. Contrairement à des films comme Shrek 2 et Shark Tale, l’humour dans The Incredibles ne fonctionne pas grâce à des allusions à la culture populaire. Le film vieillira probablement mieux et a ainsi toutes les qualités pour devenir un classique du genre.
Je ne sais pas s’il s’agit de la production cinématographique de cette année ou si ma vision de cinéphile est différente, mais bien qu’ayant apprécié plusieurs films, je n’ai pas eu l’impression d’une grande année. Mais The Incredibles est certainement l’un des meilleurs films que j’ai vu, l’un de ceux qui m’a laissé avec le sentiment le plus enthousiaste après son visionnement. [HM]
Secret Window: Fenêtre Secrète de Stephen King.
Petit film tranquille et presque passé inaperçu lors de sa sortie en salle, Secret Window est adapté d’une novella de Stephen King. J’ai souvent dit que les novellas de King représentaient les meilleures sources pour le cinéaste qui veut adapter l’œuvre de cet auteur: ce sont des textes plus brefs, mais qui demeurent complexes et profonds. Rappelons les excellents Stand By Me et The Shawshank Redemption , tous deux adaptés de novellas de King.
Secret Window met en vedette Johnny Depp, la raison principale pour laquelle le film m’a intéressé à l’origine. (On pourrait croire qu’en amateur de King, je suis intéressé par tous les films adaptés de ses œuvres. C’est loin d’être le cas, croyez-moi, quand on constate la qualité moyenne de ces adaptations.) Johnny Depp joue, avec brio, Mort Rainey, un auteur à succès qui vit isolé dans un chalet de la campagne du Maine. Un beau jour, un inconnu originaire du sud, du nom de John Shooter, vient le harceler à propos d’une histoire que Mort lui aurait volée. Si le reproche semble d’abord ridicule – Mort aurait publié une version de son histoire en magazine avant la date du manuscrit de l’histoire de Shooter –, la dispute prend des proportions effrayantes très rapidement.
Le rythme du film est assez lent, mais la progression de la tension est constante. La manière dont l’histoire est racontée et filmée par David Kœpp est particulièrement efficace. On crée la tension par des petits incidents, on mélange effets de surprises classiques avec ambiance trouble. L’isolation du personnage et son environnement sont très bien utilisés pour faire monter le suspense, sans tomber dans le cliché habituel aux semi-huis-clos de ce genre.
Dire que le film repose sur l’interprétation de Johny Depp est presque un euphémisme. Depp incarne Mort Rainey avec l’intensité qu’il fallait à cette histoire pour que le film tienne la route sans problème. John Turturro est pour sa part tout à fait glaçant dans le rôle de Shooter, une autre performance un cran au-dessus de la moyenne du genre, surtout la moyenne des adaptations de King!
Enfin, la finale vient boucler le suspense de belle manière sans prendre le spectateur pour un idiot. On pourra reprocher au film un petit manque d’originalité à ce niveau toutefois, mais rappelons aussi que cette finale, qui respecte le texte de la novella, a été écrite il y a plusieurs années, avant que ce ressort ne soit utilisé plusieurs fois au cinéma. Disponible en location, le film est un excellent choix si vous voulez épicer votre soirée d’un bon suspense, bien réalisé. [HM]
Resident Evil: Apocalypse: Alice au pays des zombies.
Je me souviens avoir passé un très bon et très surprenant moment de cinéma avec le premier film de ce qui devient la série Resident Evil. Rarement un film adapté d’un jeu vidéo m’avait paru tenir aussi bien la route en tant qu’objet cinématographique. Apocalypse reprend où le premier film s’était terminé. Alice se réveille après son traitement et réalise que les zombies ont envahi Racoon City. Elle tentera une fois de plus de les combattre en s’associant à divers autres personnages. Les autorités ont entre-temps décidé d’isoler la ville pour contenir le mal, et, éventuellement, de la rayer de la carte, les vilains!
Sans prétendre être autre chose que de la série B, Resident Evil fonctionnait à plusieurs niveaux, et c’est probablement ce qui manque le plus au second opus de la série. Réalisé par Alexander Witt, habituellement directeur photo, mais scénarisé par Paul Anderson, le film porte la marque visuelle de son réalisateur, mais est affublé des défauts typiques de son scénariste. Certes, Anderson avait aussi scénarisé le premier film, son meilleur, mais il s’est par contre rendu «coupable» des scénarios de Alien vs Predator et Event Horizon. Là où ce second volet des aventures d’Alice au pays des Zombies diffère du premier film, c’est dans l’accumulation des incohérences de scénario tellement exaspérantes des séries B. C’est dommage, car Apocalypse contenait assez de bons éléments pour tenir la route. L’action ne manque pas, son actrice principale (Milla Jovovich) est assez jolie et dans le ton pour être intéressante et typique des héroïnes de jeux vidéo. Pourquoi tout gâcher avec des scènes qui font hurler d’impatience envers le scénariste? Un exemple parmi d’autres: la scène du cimetière (évidemment), où nos héros se retrouvent pour parler stratégie. Soudainement, après que notre groupe ait pris le temps de discuter et de s’engueuler, les morts sortent de la terre, une scène classique de zombies au cinéma d’horreur, vue cent fois ailleurs, non seulement banale, mais surtout absolument incohérente avec l’idée du virus zombifiant, puisqu’il faudrait alors assumer que tous ces morts avaient été atteints avant d’être enterrés et qu’ils aient tous été enterrés environ à la même période… enfin, vous voyez le genre de coins ronds que Anderson tourne malheureusement trop souvent.
Mais je m’en voudrais de laisser croire que Resident Evil: Apocalypse est un très mauvais film. Décevant par rapport au premier, oui, mais pas du tout mal réalisé ou inintéressant. J’ai regretté de ne pas retrouver les bizarreries sonores de Marilyn Manson, parfaite pour l’ambiance du premier film. Enfin, si c’est votre tasse de thé, on annonce déjà le troisième volet, Afterlife, pour 2006. [HM]
Capitaine Ciel et le demain d’hier
Comment peut-on parler de la «Première Guerre mondiale» si on ne sait pas qu’il y en aura une deuxième? Comment peut-on, en talons hauts, arpenter des hangars démolis, des cavernes himalayennes (si une telle chose existe), des jungles, des troncs d’arbres jetés en travers de précipices? Comment peut-on rester fraîche comme une rose, et admirablement coiffée, après trente heures de vol en biplace? Comment un avion peut-il plonger en piqué dans l’océan et ne pas en subir le moindre dommage? Pourquoi les journalistes dans les films noirs gardaient- ils leurs paletots et leurs chapeaux dans leurs propres bureaux? Bienvenue dans un monde où deux hommes peuvent retenir avec leurs mains seules les amarres d’un zeppelin pendant que les passagers en descendent, ceci au sommet de l’Empire State Building!
Si ces mystères vous intéressent, si vous aimez l’esthétique de la SF des années trente – tant celle des pulps que celle des films –, courez voir Sky Captain and the World of Tomorrow. Vous êtes prévenu: il s’agit d’un plaisir pour les sens davantage que pour l’intellect. Dans ce film, les sottises s’empilent plus vite qu’une fuséearche ne peut décoller… et on aime ça!
Résumer l’histoire requiert d’évoquer au départ l’uchronie mise en place par le scénariste-réalisateur Kerry Conran: nous sommes à la fin des années trente, ou peut-être un peu plus tard, et il n’est pas question de l’imminence d’une seconde Guerre mondiale – le film s’ouvre même sur l’arrivée du Hindenberg 3 à New York. Néanmoins, le complot menaçant la Terre est encore le fait d’Allemands, plus particulièrement d’un savant fou nommé Tête de Mort (Totenkopf) qui, ayant kidnappé les scientifiques de l’ancienne «Unité Onze», construit secrètement une arche spatiale dans laquelle il rassemble des échantillons de toutes les espèces vivantes connues, et quelques autres.
Totenkopf dispose d’une armée de robots géants (vraiment géants) avec lesquels, depuis quelques années, il pille les ressources énergétiques de la planète entière. (On peut se demander pourquoi il est préférable de construire des centaines de robots volants pour s’emparer des génératrices usagées des centrales électriques métropolitaines, plutôt que de construire ses propres génératrices neuves – surtout si on a manifestement la technologie pour en construire de plus avancées! Et ne parlons pas des éprouvettes contenant les futurs Adam et ève…) On nous présente la journaliste Polly Perkins (superbe Gwyneth Paltrow) et le pilote mercenaire Joseph Sullivan (Jude Law, faisant des clins d’œil à son personnage androïde dans A.I.). Ce Sullivan, surnommé Sky Captain, dispose d’une base au milieu d’un lac, lui-même situé dans les hautes montagnes en banlieue de New York (!). Ses trois dirigeables, tout un escadron de monomoteurs et quelques Lancaster en prime ne lui serviront à rien puisqu’ils seront détruits au sol dès la première demi-heure.
Qu’à cela ne tienne, le périple continue, de film en film plutôt que de continent en continent. War of the Worlds (pour les effets sonores et certains robots), The Lost World, Lost Horizon, les séries britanniques de marionnettes et de maquettes, Star Wars… Nommez-les, les références y sont toutes. L’image hyperléchée, souvent sombre, en «noir et blanc couleurs», si je puis dire, est un délice pour l’œil. Les scènes d’invasion robotique sont fort réussies, les poursuites aériennes entre les édifices sont d’une délicieuse sottise, le film sera sûrement en nomination pour l’Oscar des effets sonores et le serait pour celui des images de synthèse s’il y avait un Oscar pour ça.
Appelons ça un plaisir coupable et ne nous en privons pas. [DS]
Shaun of the Dead: mort de rire
Pour ma plus grande joie, j’ai vu dans la même année les deux seules formes de films de zombies que j’étais susceptible d’apprécier: 28 Days Later, qui refusait la plupart des clichés et poncifs du genre, et cet automne Shaun of the Dead, qui prend le parti de rire des zombies, de leur allure et de leur gestuelle hypercodifiée.
Incarné par l’acteur et coscénariste Simon Pegg, Shaun, un modeste employé de commerce et colocataire d’un gros paresseux, voit finir son idylle avec Liz pour cause de routine (il lui infligeait d’interminables soirées au pub local, le Winchester). D’ailleurs, la routine gouverne tellement sa vie que Shaun ne s’aperçoit pas des débuts de l’épidémie de zombiisme dans son quartier. Il faudra que le mal frappe dans son propre logement pour qu’il réagisse et rassemble (fortuitement) un groupe d’amis afin de chercher refuge… au pub Winchester.
Pousser le résumé plus loin serait d’autant plus vain que le film savoureux du Britannique Edgar Wright (jusque-là réalisateur de téléséries) est surtout un enchaînement de farces visuelles et de gags de situation. Le scénario débridé fait le tour de toutes les tribulations attendues dans un film de zombies (poursuites, déplacements furtifs, siège, contamination des protagonistes un à un…). Mais il le fait avec un humour tel que rares sont les spectateurs qui restent cois. Et cela va du plus subtil et spirituel commentaire social (par exemple sur le sens figuré du mont «zombie», en contexte urbain) jusqu’au comique le plus gras et le plus gore. Du reste, le gore abonde, comme dans tout film de zombie qui se respecte: voyez comment on peut venir à bout d’un zombie avec des 33-tours en vinyle et une batte de cricket… [DS]
Immortel (Ad Vitam)
Il est de ces films dont on voudrait pouvoir dire le plus grand bien car ils nous ont procuré des moments de pur ravissement (visuel, dans ce cas-ci). Mais les défauts pèsent lourd sur ce troisième film écrit et réalisé par l’artiste polyvalent Enki Bilal.
Le fait est que Bilal aurait dû se trouver un réalisateur compétent pour la direction d’acteurs, un scénariste qui ait le souci de boucler les divers fils de son récit, et un dialoguiste qui ait, ma foi… le sens du dialogue. Reste la direction artistique, qui est à la hauteur de ce qu’on attendait du bédéiste de La Foire aux immortels, de La Femme-piège , et du cinéaste qui nous donna naguère Bunker Palace Hotel (1989). Son premier film était bien servi par un ensemble d’acteurs de premier plan. Cette fois-ci, seuls trois personnages sont interprétés par des comédiens en chair et en os (dont Thomas Kretschman et Charlotte Rampling). En fait, les autres personnages aussi, mais leurs interprètes ont joué vêtus de combinaisons conçues pour le «motion tracking » et ont été remplacés par des images de synthèse. Cela ne s’imposait que pour le dieu-faucon Horus. Pourquoi trois protagonistes «réels» et les autres rabaissés au niveau de personnages de jeux vidéo? Sûrement pas pour économiser leurs cachets car, de toute manière, on a recruté en presque totalité des acteurs peu ou pas connus.
Voici l’histoire: dans leur pyramide flottant au-dessus d’une New York future (2095), les dieux égyptiens condamnent à mort leur congénère Horus, ne lui accordant que sept jours de sursis pour qu’il répande sa semence dans les entrailles d’une femme élue, qui s’avère être Jill Bioskop, une marginale venant d’être arrêtée. élue en vertu de quoi, on l’ignore, peut-être sa chevelure (et ses larmes) bleues, mais plus sûrement le fait qu’elle semble avoir été entièrement refaite, sorte de femme bionique paumée. New York (et le monde?) est dominée par Eugenic Corp, genre de dictature médicale pour qui la population semble être un immense réservoir d’organes, de gènes et de cobayes.
Horus s’incarne dans un prisonnier politique qu’il libère, un leader rebelle du nom de Nikopol à qui il fournit une jambe d’acier. C’est lui qui servira de véhicule à sa semence, tout en faisant l’objet d’une chasse à l’homme, entre autres par le biais de créatures sanglantes se déplaçant le long des conduits de la ville. Ajoutons que Central Park est devenue une enclave glaciale sous occupation extraterrestre, mais que ce fil de l’intrigue ne mène nulle part.
Le tout est joué dans des décors de synthèse, comme Sky Captain and the World of Tomorrow. Si vous aimez les poursuites, si vous avez aimé l’esthétique du Cinquième élément mais trouviez qu’il y avait trop de couleur, si vous aimez votre SF sinistre et pas très encourageante, si vous avez un faible pour les personnages factices qui récitent Baudelaire dans le texte, si vous appréciez les délires visuels du bédéiste Bilal, Immortel vous est destiné et, dans ce cas, vous feriez mieux de le voir sur écran géant, les panoramas urbains et les véhicules futuristes à eux seuls valent le coup. [DS]
Innocence: Ghost in the Shell 2
à quelques reprises durant mon visionnement de Ghost in the Shell 2 , je me suis dit que notre langue – sinon toutes les langues – manquait de superlatifs adéquats pour qualifier certaines scènes du dernier film de Mamoru Oshii. Si vous n’êtes pas trop jeune pour ce faire, pensez à l’effet que vous firent – l’année de leur parution – les survols urbains de Blade Runner ou l’apparition du vaisseau-mère de Close Encounters. Les décors, surtout lorsqu’il n’y a pas de personnage pour briser l’illusion, feraient honneur à n’importe quel film de science-fiction ne relevant pas du dessin animé. Je pense en particulier à l’attention portée aux reflets sur les surfaces vitrées ou métalliques; elles sont d’un réalisme photographique. Plus que jamais la frontière entre images de synthèse et animation conventionnelle est brouillée. (à cet effet, voir coup sur coup Immortel et Innocence s’avère une expérience captivante.)
Ghost in the Shell 2 présente la même structure que son célèbre homonyme de 1995: pendant le générique, gestation/assemblage d’une androïde en milieu aqueux, intrigue complexe liant le monde réel de 2032 et le cyberespace, interlude méditatif vers le milieu du film avec des images belles à faire pleurer, dénouement avec révélations quasi ontologiques et bande sonore traversée de chants envoûtants.
Le héros, Batou, est ce flic blond et baraqué qui servait d’acolyte à la major Kusanagi dans le premier film (où il s’appelait Bateau, allez comprendre). Avec toutes les améliorations dont il bénéficie, tant physiques que cérébrales, on peut considérer Batou comme un cyborg. Il a pour animal familier un basset, et pour partenaire un policier humain coiffé d’une «coupe Longueuil». La Section 9, dont ils font partie, est appelée à enquêter sur des gynoïdes (des androïdes femelles vouées au plaisir sexuel) qui ont assassiné leurs propriétaires respectifs dans le but apparent d’être tuées elles-mêmes par les policiers qui viendraient les arrêter. L’enquête mènera nos flics lourdement armés (et conduisant des voitures des années 1950) chez les Yakuzas, puis du côté de la Corus, qui fabrique les gynoïdes, et de là dans une cité industrielle dominée par une espèce de cathédrale et traversée par des canaux où défilent les bateaux allégoriques d’un carnaval semi-profane, semi-religieux. On se retrouve ensuite chez un hacker de génie, qui habite un manoir dont j’hésite à affirmer s’il est réel ou virtuel – j’y retournerai voir car, à ce point dans mon résumé, l’aspect esthétique a pris depuis un quart d’heure un virage que je qualifierais d’hallucinatoire (quant à l’intensité du plaisir visuel qu’il procure).
Je vous l’avais dit, que les mots allaient me manquer.
Les mots ne manquent pas aux personnages, toutefois. Si j’avais une réserve à exprimer, outre la complexité de certains embranchements de l’intrigue, ce serait envers les dialogues encore plus verbeux que dans le premier Ghost in the Shell, à la limite prétentieux par moments. On y cite Descartes, Milton, Confucius, la Kabbale et l’Ancien Testament. L’histoire étant basée sur de profondes questions existentielles (comme bien des films sur les androïdes, qu’on songe à Blade Runner), on s’étonne que Malraux ne figure pas à la bibliographie des dialogues.
Mais ne boudons pas notre plaisir: on se plaint assez souvent des films étatsuniens qui reposent exclusivement sur l’humour facile, les fusillades et les poursuites automobiles, ne nous privons pas d’aller voir un film brillant, aux dialogues intelligents et qui propose (ai-je oublié de le dire?) une véritable fête pour les yeux. [DS]
The Forgotten
Au moment de boucler ma contribution à la présente chronique, j’étais turlupiné par le sentiment d’oublier quelque chose. N’y avait-il pas un autre film que je m’étais engagé à commenter? Il a fallu Christian Sauvé et sa banque de données portable (non, pas sa tête, son ordinateur) pour que cela me revienne, ironiquement révélateur: The Forgotten. Certains ne s’en étonneraient pas, arguant que le film de Joseph Ruben était éminemment oubliable.
La critique a été très mitigée mais, pour ma part, j’ai trouvé fort honnête ce film mettant en vedette Julianne Moore et le toujours excellent Garry Sinise. Comparons-le à un bon épisode de la série X-Files.
Telly, dont le fils de neuf ans est mort dixhuit mois plus tôt dans une tragédie aérienne, ne parvient pas à faire son deuil; elle résiste à son psychologue et à son mari qui lui conseillent de «laisser aller». Mais les choses dérapent sérieusement lorsque les souvenirs mêmes du gamin disparaissent: photos, vidéos, articles de journaux… Puis une amie, le mari et