Sci-Néma 154
par Hugues MORIN [HM], Christian SAUVé [CS] et Daniel SERNINE [DS]
Exclusif au Volet en ligne (Adobe Acrobat, 736Ko) de Solaris 154, Printemps 2005
Constantine
L’archange Gabriel (une Tilda Swinton guère convaincante) est jaloux des humains et de la facilité avec laquelle ils obtiennent le pardon divin. Gabriel décide de leur compliquer la vie en laissant l’enfer envahir le monde. Il s’y prend en rompant l’équilibre, la trêve en vertu de laquelle ni les anges ni les démons ne peuvent intervenir directement auprès des mortels, et il obtient pour ce faire la complicité de Mammon, le fils de Satan, un autre insatisfait qui veut bousculer le statu quo.
Constantine (Keanu Reeves dans le rôle de Keanu Reeves), jeune exorciste fumeur, cancéreux et mal élevé, se rend compte que les démons sont plus nombreux, ces temps-ci, à essayer de «traverser» dans notre monde. Il fait par hasard la connaissance d’une policière dont la soeur s’est suicidée dans un hôpital psychiatrique – suicide auquel sa jumelle refuse de croire. Pendant ce temps, un Mexicain paumé a trouvé la «lance du Destin» – un fer de lance, en fait –, celle qui jadis tua le Christ sur sa croix, et il l’apporte à Los Angeles. (On ne saura jamais, à moins sans doute de lire les comics , pourquoi cet artefact se trouve enterré, emballé dans un drapeau nazi, près de Tijuana.)
Une flopée de personnages secondaires, dont un Satan plutôt cool, viennent compliquer l’intrigue, assez confusément extraite de divers épisodes de la bande dessinée Hellblazer, située à l’origine dans Londres de l’ère Thatcher. Mais sachez tout de même que l’enfer, c’est Los Angeles après une attaque nucléaire, que l’on peut y accéder en se trempant les pieds dans l’eau (ou en s’immergeant tout habillé dans une baignoire) et que les diables n’ont que la moitié d’une tête.
Francis Lawrence, qui signait jusqu’ici des vidéos de musique, réalise avec Constantine son premier film. Nul doute qu’il ira grossir les rangs des réalisateurs anonymes et interchangeables qui nous livrent, année après année, le genre de films de série B dont cet hiver a été si riche. Certes, dans Constantine , on a à peine le temps de s’ennuyer. Le film commence en coup-de-poing et nous sert assez régulièrement des petits régals visuels qui nous distraient, le temps d’un exorcisme ou d’une manifestation démoniaque, de la grande question principale qui est: «Mais qu’est-ce qui se passe, au juste?». Parions que ce tandem de scénaristes – inutile de les nommer – ne sera pas en lice aux Oscars.
Mais bon, si vous êtes du genre à louer souvent des DVD parce que vous n’avez rien de mieux à faire de vos soirées, ce choix-là en vaut bien d’autres. [DS]
Cursed: Craven et Williamson sur le pilote automatique
Cursed est un fil qui plaira probablement à quelques amateurs du genre, alors qu’il fera grincer des dents tous les autres cinéphiles. Le genre en question, c’est l’horreur, de série B, tendance «ados». Jamais Cursed n’a la prétention de faire plus que ce qui a été fait cent fois auparavant, ce qui a au moins le mérite d’être honnête.
C’est l’histoire de deux jeunes qui ont récemment perdu leurs parents. Ellie est une jeune professionnelle de la télévision et son jeune frère Jimmy est étudiant de niveau secondaire. Un beau soir, ils sont impliqués dans un accident de voiture à la suite duquel la conductrice de l’autre véhicule est attaquée puis tuée par une créature féroce et immense qui ressemble à un loup. Dès lors, leur comportement change graduellement; goût pour la viande crue, odorat soudainement développé, etc.
Cette mise en situation donne le ton, vous aurez tout compris. Le scénario est signé Kevin Williamson, devenu célèbre pour avoir écrit Scream et I Know What You Did Last Summer , entre autres. On a parfois l’impression qu’il a écrit ce scénario sur le pilote automatique. Il ne faut pas en déduire que l’histoire est complètement idiote, mais qu’il s’agit d’une série B, le genre de films où les personnages se rendent dans des sous-sols mal éclairés, marchent seuls dans des stationnements la nuit, où les lampes clignotent sans raison, etc. Il y a tout de même quelques retournements, vers la finale, qui empêchent le film de tomber dans le n’importe-quoi. La grande faiblesse de Cursed , c’est que le spectateur comprend beaucoup plus vite que les protagonistes de quoi il retourne, comme si nos deux jeunes contaminés n’avaient jamais entendu parler de loups-garous. De plus, paradoxalement, Jimmy saute trop vite aux conclusions pour que la chose soit crédible. Cet aspect, ainsi que la répétition du titre à toutes les dix minutes, finit par agacer.
Côté réalisation, c’est aussi fait avec efficacité mais, sur ce plan aussi, on demeure avec l’impression que Wes Craven, un vieux routier du genre ( Nightmare on Elm Street, Scream ), travaille sans grande inspiration. (Une remarque en passant: la meilleure scène de la bande-annonce, celle de la créature qui marche rapidement au plafond, est absente de la version finale présentée en salle.)
Cursed bénéficie d’une distribution de luxe pour une série B. Christina Ricci, Jesse Eisenberg et Joshua Jackson offrent une qualité d’interprétation au-dessus de la moyenne du genre. Et comme si le film ne s’intégrait pas assez clairement dans ce genre, on nous sert Shannon Elizabeth dans le rôle de la fille qui meurt de manière horrible dans les cinq premières minutes. Terminons avec un avertissement: l’imagerie est très gore . On ne recule ni devant les corps démembrés (qui vivent et bougent encore, même sciés en deux), les décapitations et autres effets sanglants. Vous vous amuserez si c’est votre tasse de thé. Sinon, vous voilà prévenus. [HM]
Primer
Il est de bon ton de dire que la science-fiction, la vraie, peut très bien se passer d’effets spéciaux. Que l’essentiel de la SF repose sur les idées et leur impact sur des êtres humains, peu importe le budget nécessaire pour porter une telle intrigue à l’écran.
Un exemple à l’appui de cette thèse serait Primer , un film de science-fiction réalisé pour presque rien ($7 000 US, dit-on), en 16 mm, avec une équipe restreinte au minimum. On ne s’étonnera pas si le résultat a l’air d’un exercice d’étudiant ou si le dialogue est à la limite de l’audibilité. Il n’y a aucun effet spécial dans tout le film, tout n’est que pure écriture, agrémenté de quelques trucs de caméra, ce qui n’est pas sans rappeler Pi ou El Mariachi , deux premiers films peu dispendieux mais fort impressionnants pour des réalisateurs comme Darren Aronofsky et Robert Rodriguez, maintenant en voie de se tailler une réputation enviable.
Ceux que le cinéma à microbudget n’effraie pas trouveront quelque chose de fascinant dans Primer . Thriller strictement intellectuel si l’en est un, le film examine ce qui arrive à deux amis ingénieurs lorsqu’ils inventent une machine aux effets inespérés. Ironiquement, les moyens dérisoires avec lesquels le film a été réalisé contribuent au propos: le style ressemble tellement à celui d’un documentaire que l’on accepte la prémisse centrale du film sans trop sourciller.
Conçu, écrit, réalisé et monté par un ex-ingénieur du nom de Shane Carruth, Primer a été dévoilé en grande primeur au festival Sundance de 2004, où il a récolté le Grand Prix du Jury, ainsi que le «Alfred p. Sloan Prize ( for a film dealing with science and technology )». Diffusé au cinéma à très petite échelle, le film sera disponible sur DVD peu après la parution de ces lignes. Les vidéophiles profiteront d’un avantage sur ceux qui auront vu le film en salle: les sous-titres. Presque essentiels, car la bande sonore est non seulement primitive, mais le dialogue est parsemé de jargon qui constitue un obstacle supplémentaire à ceux qui veulent tout comprendre d’un coup.
Car à moins de porter attention, il est impossible que Primer soit compréhensible en une seule écoute. La première demi-heure ne fait pas de concession au spectateur; il faut travailler pour suivre le déroulement de l’intrigue. Les lecteurs de Solaris qui réclament depuis longtemps une pièce de cinéma SF substantielle seront à la fois comblés et frustrés. Heureusement, Primer a un objectif bien précis et bien tordu en tête. Mais ce n’est pas le rôle de cette chronique de gâcher le plaisir de la découverte du film: ajoutons donc seulement que l’intrigue comporte plusieurs boucles, et ne soyez pas surpris de finir avec plus de questions que de réponses. Il est même possible que la logique de l’intrigue souffre de deux ou trois trous. Le réalisateur prétend le contraire, mais certains aspects restent un peu flous, tel l’apparition soudaine d’un troisième… voyageur.
Mais peu importe; il est rare de voir un film aussi confiant en ses idées. Primer est une surprise tout à fait inattendue et même, sans aucun doute, un des meilleurs films de SF de 2004. Le dernier film de science-fiction à solliciter autant nos neurones a été le remake 2002 de… Solaris. Si cette chronique réussit à vous faire découvrir un seul film, que ce soit celui-là. [CS]
Mise à jour: Mars 2005 –