Sci-Néma 159
par Hugues MORIN [HM], Daniel SERNINE [DS] et Christian SAUVé [CS]
Exclusif au Volet en ligne (Adobe Acrobat, 1 382Ko) de Solaris 159, été 2006
Un an après que la grenouille soit devenue plus grosse que le bœuf, ou La nouvelle carte des salles de cinéma au pays
Un peu avant la projection de The Da Vinci Code, au cinéma Paramount de Montréal, j’ai constaté avec surprise que l’annonce que l’on présente avant les bandes-annonces et le programme principal nous informait que nous étions dans un cinéma de Cineplex Divertissement.
Il y aura un an cet été qu’une des plus importantes transactions dans le milieu de la distribution des films au Canada a eu lieu. En effet, le 22 juillet 2005, la relativement jeune corporation Cineplex Galaxy a fait l’acquisition de la chaîne de cinéma concurrente, Famous Players, pour une somme d’environ 475 millions de dollars. Avant la transaction, Famous Players était le joueur numéro un de l’exploitation de salles de cinémas au Canada avec 77 complexes totalisant 768 écrans. Les Colisées, Colosseum, Colossus, Star Cité, Silver City et Paramount, c’était Famous Players.
Cineplex Galaxy possédait tout de même 86 cinémas totalisant 775 écrans au pays. Par contre, en 2004, ses recettes globales de 354 millions de dollars étaient encore loin des 520 millions réalisés par sa concurrente.
Ces deux grandes corporations contrôlaient à elles seules un peu plus de 75 % des écrans au pays. C’est dire que dans la réalité, ce sont leurs actions qui décidaient quels films les spectateurs canadiens allaient voir et quel prix ils payeraient pour ce faire.
Deux réflexions me sont venues à l’esprit lorsque les rumeurs de cette transaction se sont rendues à mes oreilles. La première était un questionnement sur la façon dont le marché allait s’ajuster au fait qu’une seule compagnie contrôlerait les trois quarts de ce marché, et quel serait l’impact pour le cinéphile. La seconde relevait plus de la réflexion ironique; en considérant l’origine modeste de Galaxy, j’avais un peu l’impression d’être devant la grenouille qui voulait être plus grosse que le bœuf.
Galaxy a ouvert sa première salle de cinéma en 2000, quelques mois à peine avant que Loews Cineplex, compagnie issue de la fusion de Loews cinémas et Cineplex Odéon, ne se place sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers. Après une période de gestion par syndic, les cinémas de Loews Cineplex furent rachetés par le groupe Onex en 2002. C’est avec ce dernier qu’en 2003 Galaxy négocie un regroupement des activités cinémas et crée Cineplex Galaxy.
En faisant l’acquisition de Famous Players – dont les propriétaires, Viacom (qui possèdent, entre autres, le studio Paramount Pictures et la maison d’édition Simon & Schuster), avaient décidé de se départir en août 2004 –, Galaxy sera donc devenue en cinq ans la plus importante société propriétaire de salles au pays.
Ce n’est pas la première fois que la carte de l’exploitation de salles au Canada subi une reconfiguration. Toutefois, la transaction de 2005 est de loin la plus importante de l’histoire de cette industrie, et elle a déjà eu plusieurs répercussions sur l’état de la distribution de films dans diverses villes et régions du Canada.
Cette restructuration découle en grande partie des exigences du Bureau de la concurrence du Canada, qui a examiné la transaction a priori, à la demande de Cineplex Galaxy. Après avoir analysé la situation dans les marchés concernés par la transaction, le bureau a fait une liste des villes et régions où la compagnie devrait se départir de certains cinémas, en spécifiant même le nombre de salles et l’importance de celles-ci. Cette décision du Bureau a été ardemment discutée par les dirigeants de Cineplex Galaxy, qui désiraient que le Bureau considère toute la concurrence en place, y compris les restaurants, théâtre, opéra, etc. Le Bureau de la concurrence a plutôt jugé que la présentation sur grand écran de films en primeur demeure un produit distinct de tous les autres.
Ainsi, en faisant l’acquisition des 77 cinémas de Famous Players, Galaxy s’engageait du même élan à céder par la suite 34 cinémas. Dans les faits, ils en ont vendu quelques-uns de plus, et c’est l’ensemble de toutes ces transactions qui a redéfini le partage du marché au pays.
Deux transactions d’importance ont été effectuées. La première a été de céder 28 cinémas représentant 202 salles à Empire Theatre. Empire était une compagnie quasi exclusivement installée dans les Maritimes et elle a profité de cette occasion pour doubler sa part de marché. Les cinémas touchés par cette transaction étant situés en Ontario, à Edmonton, Calgary, Vancouver et Victoria, Empire Theater devenait du même coup un joueur réellement pan-canadien.
Au Québec, c’est le groupe Fortune Cinéma qui a fait l’acquisition de sept cinémas comportant 50 salles situées à Montréal, Québec et Gatineau (dont les Star Cité de Sainte-Foy et de Hull, ainsi que le Parisien au centre-ville de Montréal). Fortune Cinéma est une nouvelle compagnie dans le marché québécois, et elle est contrôlée par les propriétaires d’une station de villégiature et d’un centre de ski (mont Sainte-Marie).
En bout de ligne, la nouvelle entité issue du regroupement de salles, Cineplex Divertissement, contrôle 129 cinémas totalisant 1269 écrans. De loin le joueur le plus important, certes, quoique Empire Theater se retrouve désormais avec 55 salles et 373 écrans, dont une bonne partie dans les centres importants où se trouve Cineplex Divertissement.
Mais ce qui risque de sauver la mise pour le spectateur des grands centres, c’est la présence des géants AMC (à Montréal, Toronto et Ottawa), et Cinemark (à Vancouver), ainsi que l’important indépendant Cinémas Guzzo à Montréal. Bien qu’AMC ne possède «que» 7 cinémas au pays, ils comptent tout de même 125 salles et la solidité de leur présence aux états-Unis leur donne tous les éléments pour faire face à la concurrence de Cineplex Divertissement. Le même raisonnement s’applique à Cinemark. Quand à Cinémas Guzzo, concentré au Québec (Montréal et ses environs), il contrôle tout de même 10 cinémas et un total de 100 salles, ce qui lui donne un poids certain sur le marché local. Les autres provinces peuvent à la fois compter sur Empire Theatre et Rainbow Theatre (18 cinémas, 80 écrans) pour conserver la balance du marché et du pouvoir sur les prix.
Pour le moment, près d’un an après le regroupement, il n’y a eu aucun impact significatif sur le portefeuille du spectateur. Dans les centres touchés, on observe ni guerre de prix à la baisse avec les nouveaux joueurs, ni hausse qui serait due au contrôle exercé par Cineplex Divertissement sur le marché.
Notez qu’il peut paraître paradoxal que, du point de vue du spectateur payeur, la santé de cette industrie dépende de grandes corporations américaines comme AMC, dont la venue à Montréal avait été controversée. On pourrait d’ailleurs trouver ironique qu’après avoir été accusée de mettre en danger les petits cinémas de répertoire et de quartier proposant des films de qualité, l’établissement du AMC de Montréal (le plus important au Québec avec ses 22 salles) soit parmi les cinémas de la métropole qui offre le plus souvent et sur la base la plus régulière des films étrangers et indépendants à sa clientèle.
Pour le moment, donc, difficile de prévoir l’impact que cette redistribution des salles au pays aura sur les spectateurs. Tout laisse croire que, malgré un pourcentage du marché plus élevé entre les mains d’une seule corporation, notre avenir de cinéphile ne soit pas si sombre. [HM]
Mémoires affectives: inoubliable!
Nous devons faire notre mea culpa; nous n’avions pas parlé de Mémoires Affectives de Francis Leclerc dans «Sci-néma» lors de sa sortie en salles. Bon, d’accord, nous ne parlons pas nécessairement de tous les films qui sortent, surtout quand l’argument fantastique (ou science-fictif) est utilisé en sourdine, comme c’est le cas ici. Mais tout de même, il fallait au moins mentionner ce film québécois dans notre chronique depuis qu’il est disponible en DVD, compte tenu de sa très grande qualité.
Alexandre Tourneur se réveille après un long coma pendant lequel il a été déclaré cliniquement mort. Il a quarante et un ans, et ne se souvient de rien. Aucun souvenir de sa femme, de sa fille, de son associé ou de sa maîtresse. Il doit donc reprendre le cours d’une existence qui lui est étrangère, en tentant d’assembler des souvenirs à partir de conversations avec ses proches. Les choses ne sont pas aussi faciles à regrouper, par contre, surtout lorsque chacun semble lui mentionner des faits pour se contredire ensuite. Alexandre doit aussi collaborer avec la police qui tente de retrouver le chauffard qui l’a heurté et l’a précipité dans son coma. Sa progression le fera douter de lui-même, découvrir des choses troublantes à propos de sa mémoire et ramènera à la surface des souvenirs qu’il aurait peut-être espéré ne jamais ravoir.
Il est impossible de dévoiler l’élément fantastique du film sans nuire à l’appréciation de ce second long-métrage de Leclerc. Il s’agit de fantastique discret, donc, mais cet élément demeure l’un des moteurs importants de l’intrigue et donne en fait une bonne partie de sa profondeur au film. Car dès les premières scènes, le malaise s’installe. Alexandre tente de retrouver la mémoire, mais en même temps, sa relation avec la réalité subit une distorsion qui rend difficile sa recherche de vérité. Comme le film est narré et montré du point de vue d’Alexandre, il est d’autant plus difficile pour le spectateur de comprendre ce qui se passe ou de porter un jugement sur tel ou tel événement. On veut savoir qui a frappé Alexandre, on veut savoir qui l’a débranché, on veut savoir qui cache quoi, mais impossible de découvrir la vérité avant que le réalisateur n’en décide autrement. Cet aspect du film fonctionne à merveille. Et lorsque l’on comprend enfin de quoi il retourne, et que la finale se découvre lentement devant nous avec une logique implacable, on reste bouche bée.
Je ne saurais trop vous recommander Mémoires affectives. Il s’agit d’un film au scénario compétent, réalisé avec brio, avec une direction photo absolument splendide de Steve Asselin (Saints-Martyrs-des-Damnés) qui en fait aussi un des plus beaux films que j’ai pu voir ces dernières années. [HM]
An American haunting: convenu et insatisfaisant
L’histoire se déroule au Tennessee, en 1817-1818. John Bell, un père de famille, est jugé pour avoir exigé de sa voisine un taux d’intérêt usuraire. Celle-ci, insatisfaite de la sentence, lui jette un sort en lui promettant qu’il souffrira ainsi que Betsy, sa fille bien aimée. Quelque temps plus tard, la jeune fille commence à recevoir les visites nocturnes d’une entité qu’elle ne peut voir mais dont elle sent la présence. Le père, quant à lui, aperçoit un chien-loup féroce qui semble disparaître quelques secondes à peine après ses apparitions surprises.
Il ne se passe que peu de temps avant que toute la famille ne soit convaincue que leur domaine est hanté; l’entité ne tente plus de cacher sa présence; bien qu’elle demeure invisible, les tourments dont elle afflige Betsy sont si violents que toute la famille est témoin de ses manifestations. Un ami catholique et le professeur de la jeune Betsy finissent eux aussi par être témoins et acteurs des nuits étranges passés à tenter de comprendre ce qui arrive sur le domaine. Le jour, Betsy n’est pas plus épargnée puisqu’elle retrouve souvent sur son chemin une petite fille dont les apparitions et les disparitions soudaines ne laissent aucun doute sur sa nature surnaturelle.
L’amateur de fantastique comprend très rapidement qu’il a affaire à une histoire typique de l’esprit qui vient hanter quelqu’un pour lui faire comprendre ce qui lui est arrivé, pour pouvoir trouver la paix. Nous avons vu (ou lu) cette histoire cent fois. Ce n’est pas nécessairement un défaut puisque souvent, l’originalité peut venir du traitement ou du point de vue (The Sixth Sense est un exemple d’excellent film racontant pourtant une histoire de fantôme assez classique).
Si vous désirez un petit frisson ici et là et quelques bonnes scènes de hantise, ce film n’est pas sans qualités. La musique et les effets sonores sont bien utilisés, même s’ils ne se démarquent pas non plus de ce qui s’est fait auparavant dans le genre. Je note avec plaisir que l’efficacité des scènes tient à la manière conventionnelle de raconter l’histoire de fantôme, en suggérant plus qu’en ne montrant, et que l’économie de moyens utilisés ainsi que l’absence d’effets sanglants sont d’excellent choix. L’interprétation des Donald Sutherland, Sissy Spacek et Rachel Hurd-Wood (que l’on avait pu voir dans Peter Pan) ajoute définitivement de la crédibilité aux personnages et à l’histoire que raconte le film. Toute l’entrée en matière est intrigante, les premières scènes de hantise sont efficaces et effrayantes, le spectateur a alors l’impression que le cinéaste sait où il s’en va avec son histoire. Mais, petit à petit, certaines scènes se répètent, les manifestations de l’entité tantôt invisible, tantôt chien-loup, tantôt jeune fille, deviennent prévisibles. Pire, le montage favorise l’effet de surprise à outrance et néglige certaines transitions entre les fins de scènes spectaculaires et le retour à la normale. Lorsque Betsy est littéralement traînée dans les escaliers vers l’étage (une scène qui rappelle d’ailleurs un plan similaire dans The Exorcist), la mère hurle d’impuissance, un ami la retient, tous semblent dévastés, puis la porte de la chambre de la jeune fille se ferme avec fracas. Une seconde plus tard, nous sommes le lendemain, tout est redevenu calme et nous n’avons aucune idée de comment les choses se sont terminées la nuit précédente, ni pourquoi personne n’est monté à l’étage pour secourir Betsy, par exemple. Même chose lorsque l’on tente d’éloigner Betsy du domaine familial et que le chien-loup attaque le cheval, qui s’écroule. Nous reprenons l’histoire un peu plus tard, dans la maison, sans savoir comment ils sont revenus au domaine, ni comment s’est terminée l’attaque du chien-loup.
La conclusion déçoit. Le cinéaste a voulu surprendre avec une finale que personne n’avait vu venir, mais ce faisant, il a laissé trop de questions sans réponses. Pourquoi l’entité prend-elle la forme du chien-loup? Pourquoi tout ceci se passe juste après la colère de la voisine? Pourquoi l’entité refusait-elle à John la possibilité de s’enlever la vie? La réponse à ces questions ne semble tenir qu’à la volonté d’un scénariste de manipuler son auditoire plutôt que de découler d’une cohérence interne de l’histoire elle-même.
Un dernier irritant. Le film se dit basé sur une histoire vraie. En réalité, il est adapté d’un livre qui prétend raconter une histoire vraie. Mais qu’est-ce qui est vrai, au juste? Le manuscrit que l’on a découvert? Certains personnages ont existé dans la réalité? La voisine? Où débute la fiction, à quel moment tombe-t-on dans le ridicule en mentionnant que les fictions sont basées sur des histoires vraies? Le Tennessee existait en 1818, ça se passe au Tennessee, donc c’est basé sur des faits? Veut-on nous faire croire (ou pire, le réalisateur croit-il) que toute l’histoire est réelle? Si oui, alors ce film devient tout autre chose que du fantastique, mais j’ose croire que cette affirmation n’est qu’un outil promotionnel ridicule, comme c’est souvent le cas. Il n’est pas surprenant après ça qu’un film comme The Da Vinci Code soit pris pour argent comptant par certains spectateurs et cause une telle controverse.
An Americain haunting n’est définitivement pas un mauvais film, ou un de ces films d’horreur mal foutu ou totalement incohérent. Il a juste assez de faiblesses sur le plan de l’intrigue pour demeurer insatisfaisant pour l’amateur de genre. [HM]
Silent Hill: l’horreur comme on l’a rarement vue
Je suis sorti du premier visionnement de ce film, incapable de me rappeler à quand remontait le dernier film qui m’avait procuré un si intense sentiment d’horreur. Je me suis dit que les cauchemars de Clive Barker ou de Thomas Ligotti devaient ressembler à cela.
Rose Da Silva emmène sa fille adoptive Sharon vers la petite ville-fantôme de Silent Hill, en Virginie occidentale. C’est que la jeune Sharon a de périlleuses crises de somnambulisme au terme desquelles elle crie «Silent Hill». Malgré le désaccord de son mari Christopher, Rose espère qu’une visite dans ce qui pourrait être la ville natale de Sharon élucidera les frayeurs nocturnes de la fillette.
Mauvaise idée. Silent Hill est désertée depuis trente ans, prétendument depuis qu’un terrible incendie a ravagé la mine de charbon au-dessus de laquelle la ville est bâtie, incendie qui aurait fait de très nombreuses victimes et qui couverait toujours sous terre, libérant des gaz nocifs.
Lorsque Rose se réveille à la suite d’un accident de la route, le brouillard règne et une pluie de cendres tombe sur la ville silencieuse. Sharon, pour sa part, a disparu. Sa recherche, durant laquelle une officière de police nommée Cybil Bennett l’accompagnera, mènera Rose d’horreur en horreur: dans l’école, dans l’hôtel, dans l’hôpital, tous désertés, des créatures infernales se manifestent lorsque la noirceur se répand sur Silent Hill, précédée d’une lugubre sirène d’alarme.
La petite ville existe sur deux plans superposés – l’un étant un au-delà relié à l’enfer par des puits de mine et séparé du monde réel par des gouffres qui interrompent rues et routes, comme si tout le périmètre avait été arraché au réel. Dans le monde réel, où Christopher (Sean Bean) arpente quelquefois les lieux mêmes où Rose fuit des horreurs (mais sur l’autre plan), un officier de police nommé Gucci en sait manifestement plus qu’il n’en dit sur les secrets passés de la ville, et tente de nuire aux recherches du mari éperdu.
Il faut que je vous en laisse pour votre visionnement, toutefois j’évoquerai l’existence d’un culte de chasseurs de sorcières mené par une pasteure fanatique, Christabella, et d’une tragique histoire d’écolière persécutée.
Silent Hill est basé sur un jeu vidéo, mais je l’ignorais lors de mon premier visionnement et le réalisateur français Christophe Gans (Le Pacte des loups) a si bien fait son travail qu’on s’en rend à peine compte. La vraie vedette du film, ce sont les montées de l’épouvante, chaque épisode mettant en scène des créatures différentes (ce qui a permis de les confier à des studios différents, mais avec une belle unité de ton). Que ce soient des enfants informes au corps en ignition, des silhouettes humaines sans face et sans bras, saignant l’acide, des essaims d’insectes géants répugnants à souhait, dotés de petits visages diaboliques, des infirmières zombies aveugles et sans figure elles aussi, ou encore ce terrible «Fiend», colosse dont la tête est un coin métallique géant et l’arme une épée encore plus gigantesque, toutes ces apparitions très charnelles et fort tangibles nous préparent à l’avènement d’une horreur finale, montée de l’enfer, sorte de monstre-victime aux mille tentacules – ces appendices étant en l’occurrence des fils-de-fer barbelés, fort tranchants et dotés d’une vie propre, car le métal est à l’honneur dans Silent Hill.
Le tout est admirablement intégré, par le biais de transitions où le monde réel se défait littéralement comme une peinture qui pèle (en accéléré), révélant un arrière-monde et un sous-monde cauchemardesques, tenant du labyrinthe et du puits de mine. D’autres transitions mettent fin aux épisodes obscurs, et là ce sont les horreurs qui se désintègrent et s’envolent en flocons de suie tandis que revient la lumière blafarde du jour. Ajoutez-y chair brûlée, horreurs organiques et diverses mutilations sanglantes – mais jamais dans le registre du Massacre à la tronçonneuse et autres Saw.
Cœurs sensibles et nerfs fragiles, s’abstenir; amateurs d’images nouvelles et fortes, ne pas attendre le DVD. [DS]
X-Men III: The Last Stand
Dans ce monde uniquement constitué de l’Amérique, le président états-unien n’est pas hostile aux mutants, il a même un secrétaire d’état aux affaires mutantes, Henry McCoy, hirsute colosse bleu surnommé The Beast. Il accepte néanmoins la mise en œuvre d’un traitement élaboré par un chercheur, Worthington, lui-même père d’un jeune mutant ailé baptisé Angel. «The Cure», comme on l’appelle, supprime définitivement le gène mutant X, ramenant instantanément le sujet à «la normale».
Cette nouvelle est diversement reçue: certains mutants y voient la chance d’échapper désormais à la marginalité et à l’opprobre, d’autres (tel le professeur Xavier) en appréhendent les complexes implications éthiques, d’autres enfin (comme Magneto) y voient une tentative d’extermination des mutants, que Magneto considère comme la prochaine étape dans l’évolution humaine. Il n’a pas entièrement tort car l’armée a tôt fait d’adapter le vaccin en arme, des mitraillettes de plastique lançant de multiples seringues fléchettes. La source du traitement est un jeune mutant, surnommé Leech (Sangsue), dont la simple présence siphonne les pouvoirs ou les caractéristiques des mutants qui s’approchent de lui. (Le jeune acteur canadien qui l’incarne, Cameron Bright, jouait exactement le même rôle, avec une apparence identique, dans Ultraviolet: c’était son ADN qui était mortel pour les «hémophages», les vampires. Il avait aussi l’étonnante capacité de loger dans une mallette – mais ça, c’est une autre histoire…)
Un affrontement «final» se prépare entre le gouvernement, la Fraternité de marginaux rassemblée par Magneto, et les X-Men de Charles Xavier. Et ce à travers diverses intrigues croisées, dont la principale concerne le retour de la redoutable Jean Grey, fort justement surnommée Phœnix, qui renaît de ses cendres (ou, plus exactement, de ses eaux) et qu’un inconsolable Scott (Cyclops) ira retrouver au bord de son lac boréal. Logan/Wolverine est lui aussi amoureux de la semi-déesse, mais celle-ci se laissera plutôt attirer vers le clan de Magneto car elle n’a plus de contrôle sur ses pulsions destructrices. Le fil de quelques destinées individuelles – ou de quelques choix, puisque c’est de cela qu’il est question – sera entre-tissé dans cette tapisserie, comme celui d’Angel qui refusera la «Cure» de son propre père, et celui de Rogue, amoureuse d’Iceman mais incapable de le toucher car son simple contact tue les gens.
Réalisé par Brett Ratner en relève de Bryan Singer, le troisième film de la série a relancé les débats sur les forums spécialisés. Profane en matière de super-héros et de X-Men, je ne relèverai pas les entorses faites aux diverses généalogies, chronologies, réseau de sympathies ou d’antipathies entre les personnages. Le film m’a plu (moins que le deuxième, mais quand même) parce qu’il explore la thématique de la marginalité en posant la question essentielle: et si on pouvait guérir la «différence»? à ce titre – et bien que la communauté entourant Xavier comporte son lot de dilemmes – c’est la «Fraternité» réunie par Magneto qui évoque le mieux la marginalité, avec ses punks, ses transgenres et délinquants de tout acabit (la population de mutants dans cette Amérique fictive est vraiment abondante). Voudriez-vous être «guéri» de votre différence? Accepteriez-vous qu’on vous «guérisse» de force? Vous aurez l’occasion d’y songer, entre deux séances de lancer-de-l’auto. Les deux principaux protagonistes, soit par magnétisme soit par antigravité, se spécialisent dans le déplacement d’objets massifs, le plus impressionnant étant le pont Golden Gate.
Un conseil en finissant: restez assis jusqu’à la toute fin du générique: un segment de vingt secondes, en lien avec quelque chose qui a été montré vers le début du film, laisse entendre que cet épisode «ultime» n’est pas si final que ça. [DS]
V pour «Voyez ce film!»
Les adaptations de bandes dessinées ou de graphic novels au cinéma ne trouvent pas en moi un public conquis d’avance. J’ai failli dormir aux deux séances de Spider Man, j’ai été fort critique face à Constantine et The League of Extraordinary Gentlemen, et je ne me suis tout simplement pas dérangé pour Fantastic Four et autres hulkeries. V for Vendetta a cependant fait vibrer mes cordes sensibles, et avec quelle force!
Au générique, le nom des frères Wachowski, surtout comme scénaristes, n’était pas à mes yeux une garantie de qualité, après le gâchis confus des deux derniers Matrix (au point de vue scénario, s’entend). Quant au réalisateur, James McTeigue, il en était au premier film à porter son nom en tête d’affiche (l’Australien avait servi d’assistant aux frères Wachowski – certes une bonne école pour ce qui est des films d’action). Tout en étant un film d’action, V for Vendetta n’est cependant pas que ça. Presque entièrement nocturne et souterrain, il parvient à rendre intense et poignante l’histoire d’un homme qu’on ne verra jamais autrement que masqué (le polyvalent Hugo Weaving, qui a dû apprécier échapper aux séances de maquillage…). Son personnage, en effet, a jadis été défiguré lors d’un incendie, à la faveur duquel il s’est échappé d’une prison-laboratoire où des cobayes humains servaient à des recherches sur un virus et son antidote. Ces recherches s’avéreront avoir été au centre d’un complot de l’extrême droite pour prendre et garder le pouvoir, dans une Angleterre fasciste post-thatcherienne. C’est contre ce gouvernement, et son chancelier Sutler (John Hurt, très 1984), que «V» cherche vengeance, se réclamant du personnage historique de Guy Fawkes pour appeler à l’insurrection populaire et au renversement de l’état oppresseur. «V» recueillera sous son aile une jeune employée de la télévision, Evey, dont la famille figure au nombre des victimes de la dictature. D’abord réticente, Evey (Natalie Portman) subira un bouleversant baptême du feu (ou du fer), se fera raser le coco et finira alliée de «V». Quiconque n’aurait vu la jeune madame Portman que dans le rôle de la princesse Amygdale des récents Star Wars, découvrira avec ravissement qu’elle est excellente actrice, ce que savaient déjà les cinéphiles qui l’avaient appréciée dans Closer.
Duplicité du pouvoir, hypocrisie de l’extrême droite, intérêts occultes, exploitation de la peur, mensonge érigé en base de gouvernement, tout est là pour évoquer les états-Unis de Bush et compagnie, même si la bande dessinée d’origine d’Alan Moore s’en prenait plutôt au régime Thatcher. à travers cette oppression (et le film est oppressant), l’enquête d’un inspecteur intègre (incarné par Stephen Rea) et la résistance frivole mais brave d’un animateur de la télé (Stephen Fry, de Wilde mémoire) laissent passer la lueur d’un peu d’espoir dans cet univers concentrationnaire où toute dissidence, toute différence, tout raffinement culturel, sont voués à l’extermination.
Si j’étais plus versé en BD anglo-saxonne, je pourrais commenter le fait que l’auteur de l’histoire originelle, Alan Moore, a désavoué le film. à 132 minutes, avec la qualité cinématographique, les personnages intenses et l’acuité dramatique qui le caractérisent, V for Vendetta est peut-être un compromis, mais il ne fait certes pas bon marché de l’œuvre d’origine. [DS]
Scary Movie 4
à première vue, il n’y a pas grand-chose à dire au sujet de Scary Movie 4. Un autre volume dans la série parodique destinée aux adolescents, avec des gags un peu faibles basés sur War of the Worlds, The Grudge, The Village et Saw. Après avoir vu la bande-annonce, vous savez déjà sans doute si vous allez aimer ou pas.
Pourtant, l’existence même de ce type de parodie peut s’avérer une source de réflexion. La première est que le cinéma de science-fiction et de fantastique est assurément devenu un élément incontournable de la culture occidentale pour justifier l’existence d’une série de films parasites. Le public friand des Scary Movies les considère-t-il comme une récompense pour avoir vu les films parodiés?
L’atmosphère et l’intention de la série ont changé en cours de route. Les deux premiers Scary Movies (2000 et 2001) étaient des produits de l’époque post There’s Something About Mary, où il ne pouvait simplement pas exister d’humour trop grossier, le résultat oscillant entre des gags d’une drôlerie hystérique et des pitreries dégoûtantes. Les choses se sont améliorées avec un Scary Movie 3 beaucoup plus slapstick, plus convenu, mais aussi moins choquant. Scary Movie 4 emprunte aussi cette nouvelle voie aimablement amusante, olé-olé sans être trop répugnant. Anna Farris et Regina Hall restent les deux constantes de la série, et si le charme innocent de Farris commence à s’émousser, l’exubérance insatiable de Hall continue d’être un des points forts de la série. Puisque Scary Movie 4 parodie abondamment War Of The Worlds, il en revient à Craig Bierko de tenir de rôle de Tom Cruise, et ce, avec un certain succès.
Comme d’habitude, la production semble disposer d’un bon budget, et la qualité de l’imitation des scènes originales est tout bonnement ahurissante, ce qui n’est pas rien lorsqu’on se souvient qu’à l’o