Sci-Néma 164
par Christian SAUVé [CS] et Daniel SERNINE [DS]
Exclusif au Volet en ligne (Adobe Acrobat, 1 022Ko) de Solaris 164, Automne 2007
The Invasion
«Vous vous endormirez et vous réveillerez comme si de rien n’était», promettent souvent les envahisseurs extraterrestres de The Invasion à une Nicole Kidman terrifiée. Ces extraterrestres tendent une perche fort imprudente à tous les critiques atterrés, car c’est hélas le sort qui attend les spectateurs au visionnement de cette quatrième adaptation du roman de Jack Finney, Invasion of the Body Snatchers.
Faut-il souligner ici que ce n’est pas le premier film d’invasion extraterrestre à paraître au grand ou petit écran? Cette évidence semble pourtant avoir échappé aux scénaristes et réalisateurs, qui se sont donné beaucoup de mal pour réinventer la roue. The Invasion prend donc beaucoup de temps à revisiter des lieux connus, infligeant aux spectateurs de lentes et longues digressions avec la subtilité d’une brique, tel un interminable souper qu’un meilleur scénariste aurait expédié en quelques échanges de dialogues.
Ce n’est que lorsque l’invasion est révélée au grand jour que le film prend finalement de l’intérêt. Des rumeurs ont couru sur le fait que The Invasion a souffert d’une production laborieuse, avec le tournage de nouvelles scènes pour tenter de sauver les meubles. Ceci explique peut-être la présence d’une poignée de scènes beaucoup plus efficaces insérées ici et là. (Dont quelques séquences chocs de régurgitation qui mettent un peu de couleur dans le film.) à quelques reprises, le montage devient plus efficace, nous montrant les conséquences d’une action que les personnages s’éternisent à discuter. Et finalement, le troisième acte vire carrément en film d’action, le tout revenant rapidement à l’ordre dans un épilogue banal mais qui offre une des répliques les plus signifiantes du film: «For better or for worse, we’re all humans again.»
«Pour le meilleur et pour le pire, nous revoici tous humains», voilà le véritable intérêt de cette version 2007 d’un classique de la science-fiction. Sous l’emprise de l’invasion, le monde devient un endroit beaucoup plus calme. Une scène télévisée y montre comment la plupart des conflits globaux s’éteignent faute de passion humaine, et le film s’attarde un peu trop longtemps sur cette notion pour n’y voir qu’un reflet de l’horreur extraterrestre. Post-11-Septembre, post-Irak, post-Katrina, The Invasion conserve une attitude ambivalente face à la perspective d’être conquis par des extraterrestres sans émotion. C’est horrible de perdre son individualité, semble suggérer le scénario, mais considérez les avantages.
Cela n’en fait pas un film plus agréable pour les malchanceux spectateurs qui y pataugent du début jusqu’à la fin, mais ça le rend plus intéressant à la réflexion. On en vient à regretter que les créateurs n’aient pas choisi de le rendre plus étrange, plus pessimiste ou bien plus bizarre encore. Ça leur aurait peut-être évité la faillite présente. [CS]
Transformers
Comme une bonne partie des garçons et des filles de ma génération, je conserve une profonde affection pour les jouets Transformers. Bien plus que de simples robots pouvant se transformer en objets familiers, la franchise Transformers était soutenue par une mythologie constituée de bandes dessinées, d’une série télévisée et un long-métrage d’animation. Il fallait lire les profils psychologiques à l’endos des boîtes des figurines pour comprendre qu’il ne s’agissait pas simplement de jouets, mais de personnages. En matière de figurines high-tech, on a rarement fait mieux.
J’anticipais donc la sortie de l’adaptation au grand écran de Transformers avec un mélange d’appréhension et d’espoir. Il allait de soi que mes souvenirs d’enfance allaient être trahis par des gens qui n’avaient aucun respect pour la mythologie: c’est le destin qui attend tout souvenir nostalgique lorsqu’il est exploité par Hollywood. D’un autre côté, avec Michael Bay aux commandes, je me sentais en droit d’espérer au moins de bonnes scènes d’action mettant en vedette de gigantesques robots.
Sur tous les plans, le film a correspondu à mes attentes: c’est une réalisation à la fois spectaculaire et bâclée, qui aurait été décevante si j’en avais attendu plus.
Au niveau du scénario, élément bien secondaire dans ce genre de film, l’intrigue veut jouer sur les registres combinés de la comédie, de la romance adolescente, du techno-thriller militaire, de la science-fiction de conspiration, tout cela menant à un dernier acte constitué murs à murs de combats entre robots. Certains passages sont beaucoup plus réussis que d’autres. On notera une séquence de combat dans le désert tout à fait fascinante, mettant en vedette d’authentiques éléments des forces armées américaines (un gunship AC-130, un drone Predator, un avion d’attaque Warthog A-10…), le tout serti dans de magnifiques images. Ah! si tout le film avait pu être égal à cette séquence…
… mais non. Le scénario butine d’un groupe de personnages à un autre, s’attardant beaucoup trop longtemps sur les plus ternes. Une sous-intrigue au sujet d’analystes américains ne fonctionne jamais, allongeant inutilement le film. Heureusement, les scènes mettant en vedette Shia LaBeouf comme adolescent ayant «adopté» un Transformer déguisé en Mustang sont généralement plus intéressantes. Certes, il faut souffrir devant des scènes «comiques» avec des robots au bas quotient intellectuel, mais on finit par être récompensé par une délicieuse performance de John Turturro comme agent secret névrosé. Ah! si tout le film avait pu être interprété par des acteurs aussi bizarres et allumés que Turturro…
… mais non. Le film conduit finalement là où il devait conduire: à la démolition en règle du centre-ville de Los Angeles à coup de combats entre robots. Or les failles de Michael Bay comme réalisateur finissent par saper aussi cette partie du film. Les robots se tapent dessus, certes, mais la caméra les suit de tellement près qu’on assiste plutôt à un brouillard impressionniste de pièces de métal en mouvement, sans jamais avoir le recul pour situer l’action. C’est tonitruant, c’est rapide, c’est coloré… mais ça laisse tout de même insatisfait.
Vous remarquerez que je n’ai pas discuté de Transformers comme film de science-fiction, et ceci pour une bonne raison: la SF est ici aussi ridicule qu’on peut l’imaginer. était-ce inévitable, considérant la difficulté de justifier avec un minimum de sérieux l’existence de robots capables de se reconfigurer en machines? Peut-être, mais chose certaine, personne ne s’est donné le moindre mal pour polir les incohérences du scénario.
Succès commercial accueilli plutôt favorablement par la critique, Transformers a tout l’air du premier volet d’une série. Le jeune amateur de Transformers en moi est satisfait d’avoir vu de telles images au grand écran. Le critique adulte grincheux hausse des épaules en se disant que Michael Bay est égal à lui-même et Hollywood ruine à nouveau l’enfance de toute une génération. C’est à prendre et à laisser. Ceux qui le verront à la maison auront au moins l’avantage de l’avance rapide pour aller directement aux combats entre robots. [CS]
Poussière d’étoile
Dans le roman de Neil Gaiman, le héros s’appelle Tristran Thorn. Tristran avec deux «r». Dans le film, il s’appelle Tristan, prénom plus convenu et plus simple à prononcer. Ceci me semble bien résumer l’adaptation cinématographique de l’œuvre: Stardust s’avère un bon film tout de même, mais convenu, émondé de beaucoup de ce qui faisait le charme et l’originalité du roman (qui fut aussi un graphic novel illustré par Charles Vess). Certes, on est habitué à ce que les adaptations suppriment des personnages, des épisodes, des subtilités. On est habitué aussi à ce que le temps y soit comprimé, même si généralement ça ne coûterait rien d’évoquer en trente secondes (et un subterfuge de montage) le passage de trente semaines.
Tristan, le fils de Dunstan Thorn, est né au pays des fées, bien qu’il ne le sache pas, et a été élevé à Wall, village anglais près duquel se dresse le Mur séparant le pays des fées du monde réel. Par amour pour la jolie Victoria Forester, il promet de lui rapporter une étoile qui vient de tomber dans la forêt, au-delà du Mur. L’étoile tombée nous est visible sous les traits d’une belle jeune femme, Claire Danes, d’autant plus fâchée de sa chute qu’elle s’est cassé la jambe. Du reste, Yvaine (c’est son nom) n’est pas tombée du firmament sans raison: une gemme, enjeu et symbole du trône de Stormhold, a été lancée dans le ciel par le roi mourant (Peter O’Toole) et a heurté Yvaine. L’un des fils doit retrouver la gemme pour succéder à son père. Qui plus est, un trio de sorcières (dont Michelle Pfeiffer), convoite aussi l’étoile pour lui prendre son cœur et ainsi retrouver la jeunesse.
Ce qu’il y a de plus dans le film, c’est de l’action, des effets spéciaux à la ILM, des duels et un pirate travesti incarné par Robert de Niro (le rôle de cet Alberic était beaucoup plus secondaire dans le roman, et n’avait pas subi l’influence de Jack Sparrow). Ce qu’il y a de moins dans le film, c’est le pittoresque, le charme, la touche de nostalgie, le mystère de la captivité de Dame Una (la mère de Tristan, asservie à une sorcière bohémienne dont elle ne sera affranchie que «le jour où la Lune perdra sa fille, si cela se produit une semaine où deux Lundis vont se rencontrer», prophétie dont le film ne fait aucune mention). Le roman, que j’avais relu en entier dès la dernière page finie, le roman était gentil, encore que je préfère ici l’adjectif anglais «sweet», qui n’a pas la connotation péjorative, ou du moins condescendante, de l’épithète en français.
Quoi qu’il en soit, ne laissez pas ma déception (relative) vous dissuader de voir ce très bon film. Mais surtout, lisez le roman; surtout si vous aimez votre fantasy magique plutôt que sanglante. [DS]
Mise à jour: Septembre 2007 –