Sci-Néma 167
par Christian SAUVé [CS] et Hugues MORIN [HM]
Exclusif au Volet en ligne (Adobe Acrobat, 898Ko) de Solaris 167, été 2008
Speed Racer
Commençons avec une évidence. Quand des cinéastes choisissent d’adapter une série d’animation japonaise pour enfants reconnue pour son rythme frénétique et sa palette éclatée de couleurs, il ne faut pas s’attendre à de la subtilité. Encore moins lorsque les scénaristes/réalisateurs sont les frères Wachowski qui font ici un premier retour au grand écran depuis The Matrix Revolutions (2003). Explicitement destiné au jeune public, Speed Racer offre une surdose d’énergie bariolée à l’esthétique pop-bonbon sans chercher à assagir le matériel d’origine. Aucune surprise, donc, si le film offre tous les éléments propices à diviser l’auditoire et exaspérer les critiques, mais aussi à susciter des applaudissements à l’occasion.
Tout le monde saura reconnaître l’audace qui préside à la conception visuelle du film. à l’instar de Sin City, Speed Racer adopte et embrasse les codes graphiques de l’œuvre qui a servi d’inspiration. Les Wachowskis, qui n’ont plus à démontrer leur flair pour les prouesses techniques, n’hésitent jamais à saturer la palette de leurs images, à surcharger l’écran de détails et à conférer au film la frénésie d’une série d’animation pour jeunes. Les mouvements des automobiles n’ont que faire des lois de l’inertie; l’architecture des bâtiments défie les lois de la gravité. Ça va plus loin: par moments l’image devient pure poésie cinétique, suscitant l’émotion du mouvement sans qu’il soit nécessaire de décoder par l’intellect ce qui est projeté sur l’écran.
L’intrigue est bien secondaire: le jeune Speed Racer (c’est son nom) est un brave pilote de course, mais réussira-t-il à triompher contre les corporations multinationales qui contrôlent le sport? Heureusement qu’il a des amis formidables, à commencer par une famille qui sait construire une automobile de toutes pièces en seulement quelques heures… Tout ceci n’est qu’un prétexte pour présenter de nombreuses scènes de course, pour donner au héros un antagoniste à vaincre et sans doute aussi pour lancer une petite bouée narrative aux mamans et aux papas médusés qui ont accompagné leur progéniture au cinéma.
Et pourtant sous cette surface clinquante se glissent des éléments plus sophistiqués qu’on aurait pu s’y attendre. Speed Racer est un mélange inattendu, et parfois choquant, d’éléments disparates. Entre deux simagrées, une scène particulièrement compliquée vient expliquer la collusion entre les magnats régnant sur le circuit des courses automobiles, reliant tout cela à des magouilles du stock boursier. Ce moment n’est pas pour les enfants… En ce sens, l’intrigue a beau être bête à en pleurer, la structure du film est d’une complexité stupéfiante (et fidèle à ses origines) qui saute à toute vitesse du passé au présent et parfois au futur, approfondissant les personnages entre deux scènes d’action, et démontrant les conséquences d’une décision au moment même où elle est annoncée. L’effet est saisissant, et sans doute un peu déboussolant pour ceux qui préfèrent se contenter d’une seule trame narrative par film. Suffit de dire qu’il y a des séquences admirables ici et là. Ajoutons les petits détails qui se cachent aussi en arrière-plan. Les amateurs de la série Matrix constateront avec plaisir qu’au-delà de l’ennuyeuse blancheur de la famille Racer, le casting du film est joyeusement multiculturel, avec des clins d’œil carrément taquins, comme un Viking de race noire!
Bref, Speed Racer file à une vitesse qui laisse loin dans la poussière les films comme The Fast And The Furious – ce qui n’est pas nécessairement au goût de tous. Houspillé par la critique et flop monumental aux états-Unis (40 millions de recettes pour un budget de 120 millions!), ce retour à l’écran des frères Wachowski a déjà été consacré comme un des échecs hollywoodiens les plus retentissants de 2008. Mais il n’est pas dit que le film ne pourra pas revenir de l’arrière en format DVD. Speed Racer bénéficiera de documentaires au sujet des effets spéciaux, ainsi que d’un écran plus petit sur lequel son public cible pourra revoir à loisir les scènes qui bougent rapidement. Peut-être qu’on y découvrira d’autres qualités sous la tornade de ses images couleur bonbon. [CS]
The Chronicles Of Narnia: Prince Caspian
N’ayant jamais lu la série Narnia, je laisserai aux amateurs du roman d’origine tirer leurs propres conclusions sur la fidélité de ce film par rapport à l’œuvre de C. S. Lewis. Je me contenterai de m’excuser si je ne suis pas le chroniqueur le plus approprié pour témoigner du succès de cette deuxième adaptation cinématographique. En effet, aucun sentiment nostalgique, aucun attendrissement, aucun émerveillement métaphysique ne sont venus compenser ma relative déception au moment où le générique final a commencé à défiler.
S’il est difficile de cibler un défaut particulier à The Chronicles of Narnia: Prince Caspian [Les Chroniques de Narnia: Le prince Caspian], il est tout aussi ardu d’en faire l’éloge. La fantasy est devenue un genre hollywoodien tellement bien codifié que l’on a maintenant droit à des productions moyennes parfaitement prévisibles – un peu comme sur les étagères de la section fantasy des grandes librairies où s’empilent les «deuxième tome de trilogie» qui ne servent qu’à étancher la soif de l’amateur ordinaire de genre.
Pour les lecteurs qui ne connaissent pas les romans, l’intrigue de Prince Caspian se résume à peu de chose. à peine revenus dans leur Angleterre des années 40 après les aventures de The Lion, The Witch And The Wardrobe, voilà que les «princes et princesses de Narnia» sont rappelés par un sortilège au royaume enchanté. Découvrant avec stupéfaction que mille ans se sont écoulés depuis leur première visite à Narnia, les jeunes héros découvrent également qu’ils sont des pions dans une intrigue de rois et d’héritiers. Leurs efforts pour aider le Prince Caspian à retrouver son trône mènent inévitablement à de vastes batailles entre armées médiévales, ce qui est de toute façon ce que la plupart des amateurs sont venus voir. En chemin, il y aura d’autres batailles, d’autres animaux parlants (dont des souris meurtrières), d’autres sortilèges et d’autres histoires de capes et d’épées. Les spectateurs plus exigeants au sujet de leur fantasy cinématographique trouveront le tout bien ficelé, mais convenu. Non pas qu’il soit pénible de suivre l’histoire jusqu’à la fin, mais on restera sur sa faim. L’apparition d’une romance entre deux adolescents d’âges assez différents est trop hésitante pour convaincre quiconque. Même la victoire finale ressemble à un exercice de patience en attendant qu’arrive le deus ex leo qui saura tout résoudre.
Heureusement, les acteurs s’en tirent bien et quelques touches amusantes ici et là savent alléger l’atmosphère. Même la facture décidément classique et édulcorée du résultat s’avérera peut-être un avantage, alors que le film survivra au passage des années sans une ride. Ajoutons aussi que le film est présentable à presque toute la famille (pas de sang dans ces combats à l’épée!) et que les amateurs du premier film seront sans doute assez contents du résultat.
Parions que l’auteur n’avait pas utilisé autant d’encre à décrire les combats… [CS]
Indiana Jones and the Kingdom of the Crystal Skull
Les attentes étaient élevées pour ce quatrième volet de la célèbre série. Dix-neuf ans après Indiana Jones and the Last Crusade, le personnage est maintenant un archétype, et personne n’avait intérêt à ternir la réputation du personnage avec une aventure manquée, d’autant plus que Harrison Ford est maintenant arrivé à l’âge de la retraite. Est-ce que Spielberg et Lucas réussiraient à recréer la magie des films précédents?
Il serait un peu généreux de parler de magie, mais Indiana Jones and the Kingdom of the Crystal Skull [Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal] a au moins le mérite de ne pas faire terminer la série en queue de poisson.
Les premières images se chargent de nous rappeler combien les choses ont évolué. L’action se déroule en 1957, ce qui veut dire que le docteur Jones est presque aussi vieux que l’acteur qui l’incarne. Alors que des soldats soviétiques envahissent un entrepôt du gouvernement américain, le film révèle sans tarder son appartenance à la science-fiction: les Soviétiques sont venus voler le corps d’un extra-terrestre sous la supervision d’une étrange officière aux talents psychiques. Une évasion et une explosion nucléaire plus tard, Jones est de nouveau plongé dans une invraisemblable aventure qui l’amènera dans les jungles les plus profondes de l’Amérique du Sud, en compagnie d’un jeune homme, d’une ex-fiancée et d’un collègue rendu fou par l’objet de leur quête, un mystérieux crâne de cristal extraterrestre. Notre héros aura souvent l’occasion de rappeler qu’il n’est pas qu’un professeur «à temps partiel» en survivant à des attaques d’indigènes, à des poursuites automobiles en pleine jungle, à des marées d’insectes, à des trappes millénaires et à la fourberie de ses adversaires. Heureusement, famille et amis sont là pour l’aider!
La série Indiana Jones n’est pas reconnue pour son adhérence stricte à la réalité, et ce volet ne fait pas exception à la règle. Fidèle au rythme endiablé des serials d’antan, Kingdom of the Crystal Skull privilégie l’action et ne porte pas beaucoup d’attention à la vraisemblance. Le plaisir que l’on en retire est nostalgique à plus d’un égard, pas seulement par rapport aux premiers films de la série, mais aussi pour les amateurs des films d’aventure des années 30-50. De nombreux clins d’œil amuseront ceux qui connaissent le cinéma de cette époque, et la réalisation de Spielberg est toujours aussi impressionnante même lorsque ses astuces passent inaperçues. Comme il s’agit d’une production supervisée par deux des cinéastes les plus aguerris d’Hollywood, il va sans dire que le montage, les effets spéciaux et la cinématographie sont impeccables. On se surprendra tout de même à regretter les longs dialogues inutiles, les péripéties les plus ridicules, l’intrusion parfois d’un mysticisme mal étayé, ou bien la conclusion où les protagonistes se contentent de regarder ce qui se passe, pour ensuite s’enfuir à toute vitesse vers la sortie. En passant, avait-on vraiment besoin de marmottes synthétiques?
Mais bon: personne n’ira voir ce film pour son réalisme. Reconnaissons qu’il y avait une forme de courage à proposer un Indiana Jones à l’âge de la retraite, avec un jeune compagnon sarcastique, tout cela dans une intrigue de science-fiction. Kingdom of the Crystal Skull est une œuvre qui est toujours consciente de ce que sait ou espère l’audience venue voir le film. Si certains gags ne fonctionnent pas très bien, l’erreur est atténuée par un sourire ou un clin d’œil de connivence. Spielberg s’amuse, et le spectateur aussi.
On laissera aux fanatiques de la série le soin de déterminer où se classe cette quatrième édition par rapport à Last Crusade ou Temple of Doom. Qu’on se rassure: la place de Raiders of the Lost Ark en tête de liste ne saurait être remise en question. Ce quatrième volet est un bon divertissement, rien de plus et, heureusement, rien de moins. [CS]
Iron Man: un film en béton
Dans le domaine du cinéma de divertissement, l’été hollywoodien est la saison où l’on nous offre parfois le meilleur. Ainsi, le réalisateur Jon Favreau entame cet été 2008 en nous proposant un des meilleurs films de ce genre à sortir sur nos écrans depuis longtemps. Iron Man est une adaptation de la BD de super-héros créée par Stan Lee et Jack Kirby. On y raconte l’histoire de Tony Stark, milliardaire à la tête d’une entreprise d’armements, qui se fait prendre en otage lors d’une tournée de promotion en Afghanistan. Sous la menace, il accepte de fabriquer un missile pour une cellule terroriste, mais à l’insu de ses ravisseurs travaille plutôt à se forger une armure pour s’évader. à son retour en Amérique, il réalise que l’expérience l’a changé. Il tente de modifier l’attitude de sa compagnie envers le monde, tout en créant une version améliorée de son armure, devenant ainsi Iron Man.
La réussite d’un film de super-héros repose beaucoup sur le super-héros. La différence de traitement entre Daredevil et Spider-Man est subtile, celle entre le Batman (begins) de Christopher Nolan et celui (forever) de Joel Schumacher est plus évidente, mais un examen de ces films démontre à quel point le personnage du héros influence la nature même des films. Dans ce sens, ce qui me plait dans l’histoire d’Iron Man, c’est le fait que Tony Stark n’a aucun pouvoir surnaturel, issu d’une morsure radioactive ou d’une mutation. Il a son cerveau, et sa force provient de cette armure qu’il a créée. Le fait que nous parlions ici d’un personnage mature est un autre aspect qui se démarque des Spider-Man, Fantastic Four et autres films de super-héros plus adolescents dans leur approche. Moins sombre qu’un Bruce Wayne (auquel il est plus difficile de s’attacher) et mieux développé que le plus récent Clark Kent (un peu trop vertueux et plat), Stark est le héros parfait, quasi invincible, mais humain par-dessus tout. Il en résulte que Iron Man s’adresse à une tranche d’âge plus large et à un public plus diversifié que celui des amateurs de super-héros.
On ne soulignera jamais assez à quel point l’interprétation de Robert Downey Jr est excellente. Loin de certains personnages bidimensionnels du cinéma de divertissement, Stark est un personnage intéressant en lui-même; c’est un homme dans le début de la quarantaine, imbu de lui-même, arrogant et égoïste, bref, quelqu’un qui est loin d’être dépourvu de défauts! Son cheminement qui le transforme d’égocentrique à super-héros est relativement bien amené, compte tenu des limites imposées par le format de quelques heures disponibles au cinéma.
Il n’y a pas de recettes assurées pour faire un bon film, mais on peut dire que parmi les éléments qui aident à la réussite, Iron Man en regroupe un grand nombre. Les scénaristes ont su moderniser le matériau d’origine pour l’inscrire dans le monde contemporain; un aspect qui fait défaut dans d’autres films du genre. Ce scénario est bien construit, les dialogues ne font pas passer les personnages pour des idiots, avec une pointe d’humour qui reste agréable sans détonner.
Enfin, techniquement et visuellement, le film est un pur délice. On y admire des effets visuels parmi les plus exceptionnels que j’ai vu ces dernières années. Favreau, qui réalise certainement ici son film le plus ambitieux, accomplit un travail remarquable derrière la caméra. Non seulement l’ensemble est fluide et bien rythmé, mais ses scènes de combat sont intéressantes à suivre. On nous épargne la mode agaçante des combats en succession de gros plan confus où on ne distingue plus rien. D’ailleurs, il y a en relativement peu, des scènes d’action; c’est tout à l’honneur des créateurs d’avoir su résister à la surenchère pour se contenter de nous montrer les scènes d’action pertinentes, celles qui étaient nécessaires pour faire progresser l’intrigue.
Je note aussi que le film est exempt d’un super-vilain dont la seule présence prendrait toute la place. Contrairement à certains amateurs de films de super-héros qui trouvent que c’est une faiblesse, je trouve au contraire que c’est une des forces du film, en évitant ici aussi de tomber dans la surenchère à la Spider-Man 3. J’espère qu’Iron Man fera comprendre à certains créateurs que la réussite de ce genre de film dépend plus du héros que du vilain.
J’ai entendu quelques critiques reprocher au film d’avoir un discours politique ambigu, dénonçant d’un côté le conservatisme des opinions de droite pro-armement-pour-défendre-le-monde, mais en succombant au même conservatisme lorsque le héros part combattre une cellule terroriste afghane à lui seul. Cette dualité ne m’apparaît pas un défaut. Je dirais, au contraire, qu’elle s’inscrit dans l’évolution du personnage, en démontrant par ailleurs que le monde n’est pas unidimensionnel – les pouvoirs de l’armure entre les mauvaises mains sont d’ailleurs l’autre thématique de l’histoire.
Vous aurez donc compris qu’à mon sens Iron Man n’est pas qu’un bon film de super-héros, c’est un film de grande qualité, parfaitement équilibré sur tous les plans. [HM]
Mise à jour: Juin 2008 –