Sci-Néma 169
par Daniel SERNINE [DS] et Christian SAUVé [CS]
Exclusif au Volet en ligne (Adobe Acrobat, 1 076Ko) de Solaris 169, Hiver 2009
Le talent n’a pas d’âge
The Curious Case of Benjamin Button était annoncé depuis si longtemps que je me suis décidé à aller le voir seulement parce que le film était signé David Fincher (Zodiac, The Fight Club, Seven), les retards de post-production ou de distribution étant rarement de bon augure. En l’occurrence, l’attente en aura valu la peine, tant était redoutable le défi de représenter un bébé de quatre-vingts ans, un enfant de soixante-dix ans. Car telle est la curieuse histoire de Benjamin Button.
Le scénario d’Eric Roth (Munich, Forrest Gump) est librement inspiré de la nouvelle que Francis Scott Fitzgerald a publiée en 1921. à la Nouvelle-Orléans en 1918, une jeune mère meurt en couches, donnant naissance à un bébé qui, hormis la taille, a toutes les apparences d’un vieillard. Horrifié, son père, M. Button, va le déposer à la porte arrière d’une grande maison, qui s’avère être une résidence pour personnes âgées, où une jeune employée noire, Queenie, le nommera Benjamin et le recueillera en le croyant destiné à survivre quelques jours seulement.
Les premières années, cet être extraordinaire (dont l’existence n’étonne toutefois personne autour de lui) souffrira des maux de la vieillesse (arthrite, surdité, etc.) tout en manifestant l’insatiable curiosité de l’enfance. Il traversa la vie «à l’envers», son corps rajeunissant tandis qu’il fait l’apprentissage de la vie: le sexe, le travail, l’amour, la guerre… Les gens qui lui sont chers, pour leur part, vieilliront sous ses yeux. Tilda Swinton, jouant sa première maîtresse, et Cate Blanchett, son premier amour, éventuellement son épouse, méritent autant que Brad Pitt des nominations pour les Oscars, tout autant que les responsables des maquillages.
Au soir de sa vie, Button retombera en enfance, plus littéralement que quiconque, et mourra poupon. The Curious Case of Benjamin Button est placé sous le signe de l’inéluctabilité: il est narré en flashbacks, à partir du (quasi-)présent où une vieille femme à l’agonie dans une chambre d’hôpital demande à sa fille de relire un journal intime qu’elle a en sa possession, celui de Button. L’hôpital se trouve à la Nouvelle-Orléans, et la tempête qui fait rage derrière la fenêtre s’appelle Katrina… Sous le signe du temps, aussi: Benjamin est né le jour où l’on inaugurait, à la gare centrale, une horloge monumentale dont l’aiguille des secondes tournait à contresens. Elle sera remplacée quatre-vingts ans plus tard; la dernière image du film est celle de l’eau inondant l’entrepôt où est remisée l’antique horloge.
On aurait pu espérer que Fincher et son monteur soient plus conscients du temps: avec ses 2 heures 40, le film aurait sans doute gagné à être abrégé d’une petite demi-heure.
Dernière remarque, sous forme de mise en garde: voilà un film à ne pas voir les jours de fragilité affective. [DS]
Le jour où la Terre s’endormit
On m’excusera cet emprunt au chroniqueur cinéma de l’hebdomadaire montréalais The Hour(si ma mémoire ne me trahit pas). Bien que je n’aie jamais compté au nombre des critiques acharnés de Keanu Reeves, j’avoue que cette fois il est difficile de se porter à sa défense, sauf en relevant que le reste du film The Day the Earth Stood Still [vf: Le jour où la Terre s’arrêta] est tout aussi navrant que le jeu de Reeves. Scénario, sous-intrigues, réalisation, effets visuels, Kathy Bates: tout s’avère d’une tiédeur lamentable.
Faut-il résumer l’histoire de ce classique de 1951, signé Robert Wise? Dans la version contemporaine, un extraterrestre (toujours baptisé Klaatu) débarque dans un parc de New York à bord d’une sphère volante (au lieu d’une soucoupe volante à Washington). Il se présente sous forme humaine (grâce à l’ADN d’un alpiniste prélevé soixante-quinze ans plus tôt), mais un militaire lui tire dessus dès ses premiers pas hors de sa nef lumineuse. Gort, un robot géant en forme de statuette d’Oscar (mais noir) neutralise armes et tanks, pendant qu’on s’empare de l’émissaire blessé. à son chevet s’active une équipe de scientifiques hâtivement assemblée, dont Helen Benson, une exobiologiste affligée d’un fils adoptif désagréable.
Outre la couleur du jeune orphelin (afro-américain), la principale différence de la version 2008 est le message du film. Dans l’original, tourné en pleine Guerre froide, Klaatu portait l’avertissement des planètes évoluées: abandonnez vos attitudes guerrières ou nous réduirons la Terre en cendres. Dans la refaçon, c’est moins la paix que la planète que Klaatu veut préserver. Toutefois, sa conviction vacille (dans une succursale de McDonald!) et il s’avère prêt à laisser à l’humanité une dernière chance de changer ses habitudes de gaspillage et de pollution. Ce, sur la foi de deux ou trois scènes touchantes avec un orphelin, une femme de bonne volonté et un Prix Nobel de mathématiques.
Klaatu neutralise la vague de nano-robots que Gort avait lâchée sur la Côte Est, et se contente de repartir en «tirant la plogue» de la civilisation technologique, à l’échelle planétaire. Bref, comme dans la plupart des films (ou téléséries) étatsuniens, c’est «notre» humanité qui nous sauve aux yeux des civilisations extraterrestres prêtes à statuer sur notre sort. On suppose que les nouvelles d’Abou Ghraib, du Zimbabwe ou de Wall Street ne leur sont pas parvenues… [DS]
Fin de saison animée
En théorie, rien ne devrait différencier les long-métrages d’animation numérique des autres formes cinématographiques. En pratique, le succès commercial et artistique de Toy Story (Pixar, 1995) a fixé une forme qui privilégie l’action trépidante et comique, avec des héros animaux anthropomorphisés, le tout s’adressant à un public familial. Mais les choses ont évoluées depuis treize ans et Pixar n’est plus la seule référence en la matière. Percées technologiques aidant, le nombre de films d’animation numérique s’est multiplié (on en recense au moins une dizaine rien qu’en 2008) avec les conséquences que l’on peut imaginer sur les recettes jadis assurées au box-office. Si Pixar, Disney et Dreamworks (via Pacific Data Images) continuent de trôner au sommet de la pyramide, d’autres joueurs tentent de percer le marché.
Le résultat, hélas, n’est pas toujours probant. Un film comme Igor, au lieu de provoquer l’admiration, nous fait plutôt réaliser qu’il existe maintenant des films d’animation numérique de série B. Ce qui est dommage ici, du moins pour les amateurs de fantastique, c’est qu’Igor est plus franchement un film de genre que bien des histoires où s’agitent des animaux parlants. Le film se déroule dans un univers créé de toutes pièces pour mettre en vedette des scientifiques fous rivalisant d’inventions maléfiques. Mais un «Igor» a plus d’ambition, et rêve de devenir lui-même un inventeur plutôt que de se contenter de son rôle d’assistant. à la suite de la mort soudaine de mon maître incompétent, voilà qu’il a sa chance…
Comme hommage à une tradition du cinéma SF et fantastique inaugurée par Frankenstein, c’est une idée ingénieuse. Mais une bonne prémisse ne suffit pas. Igor rate son coup avec une intrigue platement linéaire, truffée d’évidences et de blagues usées. Les personnages ne sont ni complexes ni attachants. Et c’est sans compter la laideur visuelle du film. Si le propre de l’esthétique gothique est de trouver la beauté dans le grotesque, le design visuel d’Igor va tout droit au grotesque sans chercher la beauté. N’est pas Tim Burton qui veut…
Les choses s’améliorent un peu avec Madagascar: Escape 2 Africa [vf: Madagascar 2: La Grande évasion], dans lequel on retrouve les personnages du premier film, ceux-ci s’échouant dans leur Afrique ancestrale pendant leur voyage de retour raté au zoo de New York. Cette production de Dreamworks montre bien pourquoi le studio reste bon deuxième derrière Pixar. L’humour n’est pas toujours subtil, les sentiments sont beurrés épais et on sent que l’ambition des créateurs ne dépasse pas celle d’un film «pour jeunes» – par opposition à un film ambitieux comme Wall-E.
Mais une fois que l’on a compris ce qu’on va voir, Madagascar: Escape 2 Africa est loin d’être mauvais, réussissant même à combler quelques défaillances du premier volet tout en accentuant ses qualités. L’humour semble un peu plus vif, les émotions moins convenues, et les pingouins-ingénieurs qui avaient marqués le premier film sont de retour. Thématiquement, on s’intéresse à des questions d’identité, d’amitié et de famille. C’est parfois indulgent, parfois paresseux, souvent trop sentimental mais généralement convenable pour, effectivement, toute la famille, car les adultes rigoleront devant des négociations syndicales corsées entre pingouins et chimpanzés, ou bien un requin vraiment déterminé à poursuivre un lémur agaçant. Techniquement, le film offre quelques scènes époustouflantes de grande envergure.
En matière d’imaginaire, cependant, il y a bien peu à se mettre sous la dent. à strictement parler, c’est un film de fantasy, comme tout film où les personnages sont des animaux qui se comportent comme des humains, mais sans qu’on y retrouve un argument pour le relier à une tradition fantastique: c’est avant tout une comédie.
Sur ce plan, Bolt [vf: Volt] a une relation un peu plus intéressante avec les genres qui intéressent les lecteurs de Solaris, la science-fiction en l’occurrence. Durant les premières minutes du film, on nous demande de croire en un chien génétiquement modifié qui protège une jeune fille menacée par des vilains qui ont kidnappé son père. Une scène d’action intense illustre les pouvoirs du chien en question: endurance à toute épreuve, bonds prodigieux, intelligence exceptionnelle et aboiement supersonique. Mais attention, la supercherie est dévoilée dix minutes plus tard: Bolt s’avère être un chien ordinaire, acteur-vedette d’une série télévisée où des techniciens lui font croire qu’il détient d’authentiques superpouvoirs afin d’améliorer son jeu. Quelques mésaventures plus tard, le voici échoué à New York, forcé de parcourir les états-Unis pour aller rejoindre sa jeune maîtresse hollywoodienne.
En chemin, il aura la chance de rencontrer des amis (dont un chat cynique et un hamster qui n’a raté aucun épisode de sa série) et faire l’apprentissage de son état de chien domestique. L’odyssée donne à Bolt un aspect sentimental qui le rapproche des œuvres du studio Pixar. La ressemblance n’est pas accidentelle: troisième production des studios d’animation numérique Disney après Chicken Little et Meet The Robinsons, Bolt a bénéficié de la supervision de John Lasseter, passé de Pixar à Disney à la suite d’une entente entre les deux compagnies. L’influence de Pixar est un peu plus évidente dans Bolt que dans les films précédents: les interrogations du chien héros face à ses identités fictives et réelles démontrent un peu de profondeur thématique, et les scènes d’action exploitent avec imagination les possibilités de l’animation par ordinateur. Les personnages dépassent la caricature même si les sentiments sont d’une simplicité parfois agaçante.
Mais si Bolt est un film satisfaisant, il ne s’élève pas plus haut que ça. Contrairement aux films de Pixar, il n’a pas assez de profondeur pour donner le goût d’un second visionnement. La finale est sentimentale et convenue: on se surprend à vouloir voir un peu plus de «Bolt» comme héros d’action des premières minutes du film. Ceci dit, réussir un film «satisfaisant» ne devrait pas être pris pour acquis: Igor serait l’exemple d’un film qui ne réussira pas à se démarquer dans l’univers nettement plus compétitif du cinéma numérique d’aujourd’hui. L’effet de nouveauté de l’animation infographique ne peut plus assurer un succès. Le génie de Pixar a toujours été d’offrir des scénarios originaux et solides susceptibles de plaire au grand public; jamais ne se sont-ils contentés d’intrigues prétextes à faire des films animés «par ordinateur». C’est la démarche qu’ont dû emprunter Dreamworks et Disney – qui s’approchent rapidement de Pixar au niveau de la qualité – et ce sera désormais la voie que devront suivre les nouveaux producteurs de l’animation numérique. [CS]
Twilight
Il ne suffit pas de constater que les genres de l’imaginaire rejoignent un public de plus en plus diversifié, il faut aussi noter la popularité grandissante d’œuvres de genre qui ne s’adressent pas aux amateurs avoués de ces genres. à l’instar des amateurs de «véritable» science-fiction qui grognent devant le détournement de «leur» genre dans des films tonitruants et des jeux vidéo sans profondeur, certains amateurs de fantastique froncent les sourcils en voyant les rayons des librairies envahies par un sous-genre employant les thèmes du fantastique et de l’horreur, mais dans des visées plus romantiques qu’horrifiques. C’est la paranormal romance, un des grands succès de l’industrie de l’édition américaine depuis une décennie.
La catégorie existe depuis un moment. Susan Krinard et Laurell K. Hamilton, pour n’en nommer que deux, en écrivent depuis le début des années 1990. Mais le genre connaît un tel essor que même la revue spécialisée Locus se voit forcée d’en faire une catégorie différente du fantastique ou de la fantasy traditionnelle, en dépit du fait que cette catégorie a souvent été ignorée – ou même sciemment rejetée – par les amateurs d’imaginaire pur et dur.
Ce qui nous amène à la série Twilight de Stephenie Meyer, une série de romances paranormales pour adolescentes immensément populaire et pourtant pratiquement inconnue du public adulte de genre. Ou du moins était-ce le cas avant le succès monstre de l’adaptation cinématographique du premier livre de la série en novembre 2008. Et il est possible en effet que l’amateur de fantastique qui se présente en salles pour voir ce «film de vampire» risque d’être déboussolé.
L’intrigue nécessite peu d’explication. Bella, une adolescente nouvellement déménagée dans le nord-ouest des états-Unis, découvre que le garçon qui la fascine, Edward, est un vampire. Faisant connaissance avec la famille de celui-ci (tous vampires, mais des «végétariens» ayant renoncé au sang humain), elle finit par attirer l’attention d’une autre bande de vampires nettement moins sympathiques.
C’est aussi mince que cela… et le début d’un malentendu possible chez l’amateur d’imaginaire déterminé à aborder Twilight comme film fantastique ordinaire. La première demi-heure donne l’impression d’une production aux mains liées, contrainte par un matériau d’origine bien mince. Le film surutilise la voix off de Bella pour nous livrer des informations parfaitement inutiles, ne manque jamais une occasion pour souligner comment Bella est spéciale et s’interrompt pour permettre à Edward s’apparaître pour la première fois au ralenti. De quoi faire couiner d’extase les fanatiques du livre, et mystifier ceux pour qui c’est une première rencontre avec l’œuvre. Car en fait Twilight fonctionne selon des règles qui n’appartiennent pas au fantastique classique, et s’adresse à une tout autre audience.
Dire que le film est fréquemment inepte, drôle, long, avec des effets spéciaux peu convaincants, une réalisation saccadée, un manque de rigueur de la mise en situation (un vampire de 100 ans se comporterait-il toujours comme ado de 17 ans?), c’est passer à côté du sujet. C’est ignorer que l’emphase du film est sur l’héroïne et ses interrogations devant le garçon qui la fascine, qu’il s’agit d’un film conçu pour les millions d’adolescentes pour qui les romans de Meyer sont devenus une passion. L’intérêt strictement fantastique du film se limitera à quelques scènes inusitées au deuxième acte, telle une hilarante séquence où Edward amène Bella rencontrer sa famille pour souper, et où elle se rend compte que sans leurs vœux de végétarisme, elle pourrait être le souper.
Mais attention. Le film demeure curieusement intéressant. Jugé selon ses propres critères, ceux de la romance, Twilight s’avère être une exploration assez fine des enjeux sentimentaux confrontant les jeunes filles à cette époque de leur vie. Meyer a su utiliser les éléments paranormaux comme révélateurs des inquiétudes de cette tranche d’âge. Dans la tornade d’émotions à entourer les premiers amours, le vampire tueur s’avère une métaphore presque trop réelle. Lorsqu’Edward renonce à prendre Bella de peur de la transformer irrémédiablement en quelque chose d’autre, texte et sous-texte s’entremêlent pour ne former qu’un et exploitent un symbolisme qui puise dans toute une tradition fantastique.
Ce n’est peut-être pas un film de fantastique qui s’adresse au lecteur de Solaris, mais il conserve tout de même des parcelles d’intérêt pour les non-adolescentes, ne serait qu’en permettant de se mettre au courant d’un phénomène culturel aussi important, à sa manière, qu’Harry Potter l’était il y a quelques années. Sans atteindre l’universalité de l’œuvre de J. K. Rowling, l’œuvre de Meyer s’inscrit dans une tendance, celle de l’imaginaire qui inonde la culture populaire, bien au-delà des frontières des amateurs purs et durs d’un genre. Parions que ça ne sera pas la dernière fois. [CS]
Mise à jour: Janvier 2009 –