Sci-Néma 174
Christian SAUVé [CS]
Exclusif au Volet en ligne (Adobe Acrobat, 1.23Mo) de Solaris 174, Printemps 2010
The Book of Eli
De temps en temps arrive un film qui nous surprend, mais pas nécessairement dans le bon sens du terme. The Book of Eli ressemble tout d’abord à un clone de The Road, accélère en émule de Mad Max et se termine en apothéose spirituelle. Il est difficile d’examiner les failles de la fin du film sans révéler quelques rouages de l’intrigue, mais disons seulement ceci: certains éléments de la droite évangéliste seront très, très contents de cette œuvre.
Malgré ses aspects convenus, ce n’est pas un mauvais film. Les premières scènes nous installent dans un territoire post-apocalyptique familier. Une génération après un cataclysme sur lequel on ne s’étend pas, un homme seul (Denzel Washington) marche le long des routes du sud-ouest américain. Se défendant sans peine contre ceux qui l’attaquent, il marche dans l’espoir d’atteindre la côte ouest où, il en est convaincu, il saura à qui confier le livre dans son sac à dos. Disons qu’il s’agit de la section The Road du film. Aucune reconstruction de la société humaine n’a eu lieu depuis le cataclysme, et le monde dans lequel il progresse offre un mélange de barbarie et de petit totalitarisme. Lorsqu’il arrive dans une ville, on le regarde de travers jusqu’à ce qu’il puisse échanger des breloques précieuses contre un peu de courant électrique pour charger son iPod première génération. Que ceux qui ont fait une surdose de futurs post-apocalyptiques soient prévenus: l’avenir blafard présenté ici n’a rien de bien mémorable ni de bien inspirant.
L’action devient plus soutenue lorsque le chef de la communauté où est temporairement hébergé notre protagoniste devine la nature du livre qu’il transporte et fait tout pour s’en emparer. Le film s’engage dans une veine plus apparentée à Mad Max alors que le protagoniste et sa nouvelle jeune protégée doivent se défendre contre des adversaires équipés d’automobiles. (Ne demandez pas d’où vient l’essence…) Poursuites, destruction domestique, échanges de coups de feu et retournements abrupts, tout cela est assez divertissant.
Puis survient la conclusion du film, avec une intervention divine qui laisse une impression de tricherie narrative, voire d’inutilité. Les dernières scènes basculent dans l’invraisemblable jusqu’à ce que même les spectateurs les plus indulgents finissent par rouler des yeux…
La réalisation des frères Hugues est bien menée et suffisamment dynamique pour capter l’intérêt. Le jeu de Denzel Washington est prenant, et ce même s’il finit par exposer son complexe d’évangéliste à tous. (Puisqu’il est également producteur associé, n’allons pas croire qu’il n’est «qu’un acteur» sur ce projet.) Et la conclusion a de quoi être mémorable, peu importe si elle ne tient pas debout. L’impression laissée par The Book of Eli reste donc mitigée, comme un canular pris au sérieux. Le ton du film suggère qu’il est impoli de le prendre à la légère malgré le ridicule de la fin. Certaines répliques suggèrent que l’audience idéale du film est composée d’évangélistes avec un complexe de persécution, qui n’est peut-être pas le même public que celui des films d’action post-apocalyptiques. Le mélange est surprenant… mais les surprises ne sont pas toujours heureuses. [CS]
Repo Men
Les quelques personnes qui ont eu le plaisir de voir le nanar-kitch Repo! The Genetic Opera seront déjà familiers avec la prémisse de Repo Men: dans un monde futur où les transplantations d’organes synthétiques dispendieux sont monnaie courante, qu’arrive-t-il à ceux qui ne peuvent plus payer? Des récupérateurs tranchent la question, ainsi que la peau, les viscères et les ligaments de ceux qui sont en retard dans leurs paiements mensuels!
Les créateurs de Repo! The Genetic Opera avaient choisi de traiter un sujet aussi particulier avec un mélange décalé d’opéra mélodramatique et de comédie noire susceptible de plaire aux amateurs d’expériences insolites. Repo Men, en revanche, se présente comme un film d’action sardonique. C’est un bien mauvais choix, car il est évident dès le départ, à voir notre protagoniste Remy (Jude Law) découper un organe synthétique à même un corps étendu sur la moquette d’un appartement, que le concept qui sous-tend ce film est fondamentalement ridicule. D’où le risque que même les amateurs de comédie noire aient de la difficulté à embarquer dans un film aussi sanglant et violent, avec un protagoniste aussi déplaisant. Car Remy est le pire de tous les récupérateurs d’organes, mais ses scrupules ne se développent qu’après avoir été lui-même rafistolé avec un cœur synthétique. Entre-temps, il faut être prêt à voir des récupérateurs s’électrocuter pour le plaisir, menacer des gens sur la rue, découper un rein à même la banquette arrière d’un taxi, en se demandant tout ce temps pourquoi ils sont si détestés. La chair est maltraitée comme dans les films de la série Saw, et un sentiment de dégoût progresse à mesure qu’avance l’histoire: en bout de ligne, ce sont essentiellement des tueurs en série mus par un système capitaliste hors de contrôle. Les rires suscités par Repo Men sont donc rares et n’ont souvent rien à voir avec le scénario du film ou sa réalisation. Par exemple, les spectateurs qui connaissent Toronto reconnaîtront son métro (avec logo inversé), son centre d’achat Eaton, ses tramways ou bien même ses rues de banlieue.
La grande ironie, c’est que le roman d’éric Garcia sur lequel est «basé» le film (il s’agit plutôt d’un cas étrange de développement parallèle, explique l’auteur dans un appendice du livre) traite des mêmes sujets et paraît pourtant bien plus acceptable. évidemment, il y a une différence entre lire «je pris son pancréas» et assister à toutes les étapes dégoulinantes de la procédure. De plus, le troisième acte de plus en plus loufoque du film est tout à fait différent dans le roman.
Dommage. Les comédies aussi noires que Repo Men marchent toujours sur des œufs. Les acteurs font un bon travail et la réalisation est compétente; de temps en temps, le film fait preuve d’un peu d’imagination, comme cette scène où des amoureux se palpent l’intérieur de leur corps, ou encore cet épilogue impitoyable qui explique le côté de plus en plus déjanté d’un troisième acte interminable. Mais il n’atteint jamais une profondeur capable de faire pardonner ses excès. [CS]
Legion
Parfois seul le ridicule assumé peut sauver un film du complet désintérêt. C’est le cas avec Legion, qui réussit à surnager dans notre mémoire malgré une panoplie d’éléments a priori peu prometteurs.
La prémisse n’est pas compliquée. Un Dieu soudainement vengeur a décidé d’en finir avec l’humanité. Il cause des catastrophes diverses et dépêche ses anges pour terminer la besogne. Les détails de ce plan restent flous, d’autant plus que l’action est circonscrite à un petit café au milieu du désert dans le sud-ouest des états-Unis. C’est là qu’une jeune femme enceinte se retrouve au milieu d’un combat entre un ange renégat venu sauvegarder l’humanité en protégeant l’enfant qu’elle porte, et les serviteurs de Dieu qui veulent le contraire.
Tout cela se révèle rapidement n’être qu’un prétexte pour enfermer une douzaine de personnages dans un café avec des armes automatiques, prêts à se défendre contre des hordes de monstres que l’on pourrait tout aussi bien appeler zombis. Entre Paul Bettany en ange protecteur et Dennis Quaid comme propriétaire endurci dudit café assiégé, il est impossible de prendre au sérieux une seule seconde de Legion, ce qui nous épargne la nécessité de réfléchir sur l’omnipotence de Dieu, ou bien de sa capacité à mener ses objectifs à l’aide de plans aussi invraisemblables.
Il n’est pas déplaisant de constater que le film passe un peu plus de temps que l’on pourrait espérer à introduire ses personnages et leur permettre de respirer. Entre l’affrontement avec une mémé aux crocs acérés qui rampe au plafond, ou celui avec un vendeur de crème glacé transformé en mutant aux longs membres, ils auront besoin de tout le temps et toute l’artillerie lourde à leur disposition. La trop longue finale comporte un combat entre deux anges, dont un doté d’authentiques ailes de tôle acérée.
Legion n’est pas un bon film, mais on retrouve dans cette production de série B un peu plus de matériel amusant à se mettre sous la dent que d’habitude. Le dérapage de la mythologie chrétienne fait sourire par son côté iconoclaste et lorsque l’intrigue menace de s’écrouler sous le poids des invraisemblances, il y a toujours quelque chose pour nous rappeler que tout cela est profondément ridicule et, de par le fait même, ne mérite pas d’être examiné de trop près. Contrairement à The Book of Eli, tellement sérieux qu’il finit par craquer sous le poids de ses propres absurdités, Legion garde un sourire en coin et sait se fait pardonner. [CS]
The Lovely Bones
On pourrait s’attendre à ce qu’un film narré par une jeune adolescente assassinée et présentant de nombreuses scènes de sa vie au purgatoire appartienne au genre fantastique, et donc mérite d’être mentionné dans les pages de Solaris. Or s’il est vrai que The Lovely Bones utilise certains outils du fantastique et du polar, l’enjeu dramatique est résolument mainstream.
Le roman du même titre d’Alice Sebold avait fait fureur lors de sa parution en 2002. Il raconte les conséquences du meurtre de Suzie Salmon par un pédophile tueur en série: conséquences sur la famille et les amis de la victime, mais aussi sur toute la communauté. Il est narré par la jeune victime elle-même, qui bénéficie d’un point de vue omniscient facilité par sa présence dans un purgatoire de sa propre création. Elle parle directement au lecteur en expliquant l’enquête policière, les troubles familiaux et l’oubli inévitable des gens affectés par sa disparition. Mais alors que progresse l’enquête et que Suzie tente de communiquer avec le monde des vivants, l’intérêt d’Alice Sebold s’éloigne du meurtrier pour s’intéresser aux conséquences du crime, sur la façon dont tous ont été affectés et sur les moyens qu’ils prennent pour accepter ce qui s’est passé.
Pour les amateurs de polar, quelle déception! Le crime n’est pas entièrement résolu, le criminel court toujours, les enquêtes de la famille et des policiers ne mènent à rien de concret.
Pour les amateurs de fantastique, quelle déception! Suzie ne revient pas à la vie, ne révèle pas l’identité de son tueur à sa sœur, ne peut réconforter son père paralysé par le deuil.
Et pourtant, Sebold réussit son pari: le livre est profondément satisfaisant d’une tout autre manière, discutant de manière éloquente et subtile des mécanismes par lesquels les gens peuvent apprendre à accepter même les pires cauchemars.
Aux commandes de l’adaptation cinématographique, le premier aspect dont Peter Jackson s’est débarrassé est la subtilité. Malgré sa part de bons moments (certaines images sont spectaculaires; certains passages suscitent la réflexion) il a mis l’emphase sur les séquences d’horreur ou de suspense, maintenant interminables au point de sembler ridicules, comme dans King Kong. C’est ainsi qu’un livre délicat, subtil et prenant s’est transformé en un film maladroit, excessif et exaspérant, qui finit par détruire une bonne partie de la richesse d’une œuvre d’origine. La couronne post-Lord of the Rings de Peter Jackson commence à se ternir, comme quoi même un réalisateur avec Heavenly Creatures sur sa feuille de route peut commettre des erreurs spectaculaires. [CS]
Percy Jackson & The Olympians 1: The Lightning Thief
Que ceux qui s’ennuyaient du premier film des séries Harry Potter ou Narnia se réjouissent: ce premier opus adapté d’une série de livres de Rick Riordan leur ressemble tellement qu’on a l’impression que le film a été réalisé en mode autopilot. Les mauvaises langues susurreront qu’avec Chris Colombus aux commandes, c’est du pareil au même… surtout lorsqu’on se rappelle que Colombus a également réalisé des deux premiers Harry Potter.
Lorsqu’un jeune homme troublé découvre que son père absent n’est nul autre que le dieu grec Poseidon, il est amené à un camp où s’entraînent les rejetons divins comme lui, et finit par mériter l’affection de son père en déjouant un complot mettant en danger le monde au complet. On a donc compris qu’au niveau de l’intrigue, il n’y a rien dans ce premier volet de série qui frappe par sa nouveauté. Au contraire, on reste étonné du manque de subtilité de la structure narrative, de type «collectionnez les coupons», alors que les trois comparses parcourent les états-Unis pour obtenir les trois perles et le portail nécessaire à leurs quêtes. Ceux qui se demandaient jusqu’à quel degré on pouvait schématiser le cinéma fantastique pour jeunes auront leur réponse.
Il reste tout de même un certain intérêt à voir la manière dont auteur et scénariste parviennent à intégrer la mythologie grecque à un environnement contemporain. On déjoue la méduse en utilisant le dos réfléchissant d’un iPod. L’Olympe est accessible à partir du sommet de l’Empire State Building. Un casino de Las Vegas s’avère le repaire des lotophages. Mercure vole à l’aide d’espadrilles ailées. Et Hades, bien sûr, vit à Hollywood. De plus, une panoplie d’acteurs familiers entoure les trois héros adolescents: Uma Thurman joue Méduse, alors que Rosario Dawson incarne une Persephone ennuyée; Steve Coogan est Hades alors que Pierce Brosnan est transformé en centaure. Bref, même si la structure du film est grossière à en pleurer, les détails amusent et font de ce premier Percy Jackson un visionnement acceptable si, malgré vos meilleurs efforts, c’est ce film qui a été choisi par le reste de la famille lors de votre visite au club vidéo. [CS]
The Crazies
Avertissement : le gouvernement n’hésitera pas à vous tuer pour se sauver de l’embarras. Imprégnez ce message de l’atmosphère glauque et nihiliste de film d’invasions de zombies, et vous aurez une bonne idée du concept derrière The Crazies, un remake d’un film de 1973 de Romero qui n’est pas passé à l’histoire. On pourrait même arguer, une fois n’est pas coutume, que ce remake est meilleur que l’original.
Le tout commence de manière bien sage. Dans une petite ville ordinaire du Midwest, le shérif (Timothy Oliphant) est bien connu et apprécié de ses citoyens, qui n’hésitent pas à lui offrir un verre. Mais alors qu’un de ses concitoyens fait irruption en pleine partie de base-ball en brandissant une carabine, il se voit forcé de l’abattre au vu de tous. Sa réputation en prend un coup, mais la question essentielle demeure: qu’est-ce qui a fait disjoncter l’homme? est-ce que ça risque de se reproduire ?
Nous savons dès le prologue que la ville sera en feu quarante-huit heures plus tard. Ce que nous apprenons lors de très courtes conversations entre les personnages et les représentants de l’ordre, c’est qu’un virus a accidentellement été déversé dans le plan d’eau de la ville, et que celui-ci transforme les citoyens en maniaques homicidaires. Personne ne sera surpris d’apprendre que c’est un projet de l’armée pour produire des super-soldats.
C’est tout à l’honneur du réalisateur Breck Eisner d’avoir réussi à transformer un concept convenu et un scénario généralement ordinaire en un film sensiblement plus intéressant que la moyenne des films d’horreur que l’on voit apparaître et disparaître en salles. The Crazies se démarque par ses scènes d’action, lorsque ses personnages principaux sont en danger. Scie rotative galopante, fourche, lave-auto, moissonneuse-batteuse et explosion nucléaire ne sont que quelques-uns des périls déployés dans ce film, et la vigueur de la réalisation permet de pardonner certaines indulgences cinématographiques, telle une station-service complètement vide qui s’avère grouillante de zombies quelques instants plus tard.
Il est à espérer que Breck Eisner aie des projets plus intéressants à se mettre sous la dent afin de démontrer s’il est capable de réaliser autre chose que cet exercice de style, qui incidemment a été produit par Participant Media, une compagnie de production engagée qui a aussi financé des projets plus sérieux tels An Inconvenient Truth, Syriana et Fast Food Nation. On ne peut s’empêcher de leur souhaiter d’avoir fait beaucoup d’argent avec cette production. [CS]
Mise à jour: Avril 2010 –