Sci-Néma 182
Christian Sauvé
Exclusif au Volet en ligne (Adobe Acrobat, 1.34Mo) de Solaris 182, Printemps 2012
Invasions extraterrestres: Rapport trimestriel final
Comme mentionné dans les chroniques Sci-néma des numéros 177 et 178, le cinéma de science-fiction a misé fort sur les invasions extraterrestres en 2010-2011. Après Monsters, Skyline, Battle: Los Angeles, Super 8 et The Thing (entre autres), on pouvait craindre que le thème des ennemis extraterrestres venus vider la Terre de ses ressources, de ses humains ou de ses cerveaux provoque une surdose. Heureusement, la fin 2011 semble annoncer le retrait de cette vague, avec néanmoins deux films méritant notre attention.
Tout du moins, un peu d’attention pour The Darkest Hour [Crépuscule] qui, franchement, ne mérite pas qu’on s’y étende longuement. Film d’invasion extraterrestre conçu selon les vieilles recettes du sous-genre, c’est surtout le récit d’un groupe de jeunes adultes coincé à Moscou pendant une catastrophe à l’échelle du globe. Après s’être terrés pendant quelques jours, ils ressortent de leurs abris pour constater que la ville est pratiquement vide de présence humaine et que les vilains extraterrestres semblent avoir pris le contrôle absolu des lieux. Notons que Moscou offre un décor différent des New York ou Los Angeles qui servent généralement de panorama à ce genre de film. Or, voir une place du Kremlin désertée fait naître un frisson d’étrangeté approprié et bienvenu. Les extraterrestres possèdent aussi leur part de mystère. Pendant presque tout le film, ils sont quasi invisibles; des boules d’anti-énergie prêtes à déchiqueter toute forme de vie suffisamment téméraire pour s’en approcher. Nos jeunes et agaçants protagonistes passent progressivement de la terreur à la compréhension, puis à la lutte armée alors qu’ils s’allient avec une résistance de mieux en mieux organisée.
La réalisation est efficace, la progression dramatique est meilleure que The Thing, la conclusion est plus réjouissante que celle de Skyline, mais on reste bien loin des personnages vifs de Super 8 ou bien de la profondeur thématique de Monsters. Des dialogues ordinaires, des personnages déplaisants et une intrigue pas toujours bien soutenue viennent miner l’originalité visuelle de The Darkest Hour, qui s’achève mollement et se révèle finalement un film de série-B acceptable, mais sans plus. à voir seulement lorsque le reste des meilleurs choix disponibles aura été vu.
On préférera nettement Attack the Block [Ados vs extraterrestres], un film britannique qui renverse joyeusement toutes les prétentions dramatiques de films tels Battle : Los Angeles. Ici, pas de héros américains détournant le cours d’un conflit mondial contre des envahisseurs bien armés; comme le révèle le mauvais titre de la version francophone, ce sont plutôt de jeunes voyous des quartiers pauvres de Londres-Sud qui tentent de protéger leur quartier contre de bêtes extraterrestres apparus dans leur voisinage. Le réalisateur Joe Cornish ne perd pas une opportunité d’exploiter les possibilités subversives d’une telle mise en situation. Le film commence sur une note déplaisante, alors qu’une jeune infirmière se fait voler en pleine rue par de sinistres adolescents. Un pari risqué que de placer ses protagonistes du mauvais côté de la sympathie de l’audience, mais c’est voulu. Alors que les incidents mystérieux se multiplient autour d’eux, ces mêmes adolescents en viennent à prouver leur véritable détermination à affronter la menace extraterrestre. Leurs rencontres subséquentes avec l’infirmière les rachèteront… entièrement.
Ce qui permet à Attack the Block de se démarquer, c’est l’aisance avec laquelle, une fois passées les premières minutes, le film réussit à instiller ce plaisir de visionnement, si délicieux et pourtant si rare, qui donne envie d’en savoir plus. Les causes de ce plaisir sont multiples: des monstres sagement conçus pour ne briller que de leurs dents, des personnages qui se révèlent au final débrouillards et sympathiques, des péripéties variées. Alors que truands, voyous, infirmière, adolescentes écervelées, riche fils-à-papa, apprentis caïds et autres combinent leurs forces pour échapper aux crocs acérés des envahisseurs, Attack the Block n’oublie pas que l’humour, dosé avec mesure, se combine fort bien avec le suspense le plus soutenu. On pense à des mini-succès tels Tremors et Shawn of the Dead (ce dernier film partageant un producteur avec Attack the Block): un peu d’ingéniosité, beaucoup de charme et des performances impressionnantes d’acteurs adolescents font en sorte que ce film est voué à un bel avenir comme élément de conversation entre amateurs de SF. Si Attack the Block n’a jamais été diffusé en salles nord-américaines, il a remporté un vif succès en festival et a plu à bon nombre de critiques. Si la vague de films d’invasions extraterrestres de 2010-2011 a une belle réussite grand public, c’est bien celle-là. Sa parution sur DVD aura au moins l’avantage de donner accès à des sous-titres et une bande sonore francophone, car l’accent sud londonien et le patois de la classe criminelle auront de quoi torturer l’oreille de même les plus anglophiles.
Suites divergentes: Rec 2 et Quarantine 2
En 2007, les cinéphiles avec un goût pour l’horreur à l’accent européen ont découvert avec ravissement Rec, un film espagnol dans lequel une journaliste barcelonaise affronte des zombies prenant d’assaut un bloc appartement mis sous quarantaine. Astucieusement filmé en caméra subjective, Rec est un film d’horreur claustrophobe bien fait, court et efficace. Le pire était à craindre lorsque les Américains avaient annoncé leur intention d’en faire un remake, mais les sceptiques avaient dû ravaler leurs paroles car la version hollywoodienne, intitulée Quarantine, s’était avérée d’une qualité comparable à l’original. Fidèle par la forme et le propos au film espagnol, mais avec un peu plus de moyens judicieusement déployés pour en rehausser l’impact, Quarantine reste intéressant malgré le sentiment de déjà-vu. Le visionnement en rafale de l’original et du remake est instructif pour une soirée de cinéma.
L’équipe espagnole derrière Rec a récidivé avec Rec 2 [v.f.], mais voilà que les Américains ont aussi répété l’expérience avec Quarantine 2: Terminal [En Quarantaine 2]. Dès les premières minutes des deux films, il est évident que ceux-ci n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Rec 2 retourne carrément, caméra subjective à l’épaule, dans le bloc appartement qui avait servi de décor au premier film, alors que Quarantine 2 s’intéresse, en cinématographie traditionnelle, à un vol d’avion quittant Los Angeles.
Rec 2 demeure tellement près de Rec qu’en plus d’être situé au même endroit, on y fait même revenir quelques personnages et cadavres vus dans l’original. Cette fois, la caméra subjective est maniée par à un groupe de soldat chargé d’escorter un mystérieux inspecteur qui s’avère être bien autre chose. Arrivés dans le bloc appartement, ils découvrent non seulement le bain de sang qui y a eu lieu, mais de nouvelles horreurs dans l’appartement du haut où s’était terminé si mémorablement le premier film. Rec 2 déploie la même énergie cinématographique que son prédécesseur: les images étant tournées par plusieurs groupes, on multiplie les points de vue, on exploite la lumière visible et l’infrarouge en profitant aussi bien de ce qui est montré de ce qui ne l’est pas. Hélas, le film cafouille un peu en cédant la caméra à un groupe d’adolescents: ce retour en arrière avec des personnages un peu plus écervelés fait fléchir perceptiblement la tension.
Comme beaucoup de suites diffusées directement en vidéo, Quarantine 2: Terminal préfère réchauffer le thème du film original avec quelques liens ténus avec la première intrigue. C’est quand l’épidémie de zombiisme se répand à travers l’avion, puis que celui-ci est redirigé à Las Vegas et mis en quarantaine dans un terminal d’aéroport verrouillé, qu’on finit par comprendre le titre et apprécier quels aspects de Quarantine les cinéastes ont voulu revisiter. Tournée en caméra objective, cette suite américaine est beaucoup moins intéressée à explorer la grammaire cinématographique. Heureusement, un style plus traditionnel s’avère ici un réel atout. Les personnages sont présentés de manière efficace, les événements se succèdent à un bon rythme et l’intrigue se déroule de manière satisfaisante.
La différence la plus marquante entre les deux histoires concerne les causes premières menant au récit des deux premiers films. Ni Rec ni Quarantine ne s’étaient appesantis sur les raisons ayant mené à l’épidémie de zombiisme: tout au plus suggérait-on qu’il s’agissait d’expériences ayant mal tourné. Quarantine 2 ne se prive pas pour décrire un plan anti-malthusien machiavélique, avec un bon vieux scientifique fou comme amorce du feu d’artifice. Rec 2 prend une tournure moins prévisible, à grand renfort de mythologie catholique et de possession démoniaque. Audacieux, mais pas entièrement réussi. L’intrigue multiplie les frissons inexplicables: une créature marchant au plafond, un ver prenant possession des corps, du sang qui s’enflamme durant un exorcisme, sans oublier les zombies! On en garde un souvenir vivace, soit, mais qui ne survit pas longtemps à un examen critique.
Que conclure de tout cela? Eh bien, qu’à l’instar de leurs prédécesseurs, c’est sans doute une bonne idée de visionner Rec 2 et Quarantine 2 l’un à la suite de l’autre. Rec 2 réussit ses effets malgré quelques dérapages incongrus, tandis que Quarantine 2 tient bien la route pour un film horreur directement publié sur format vidéo. Personne ne s’ennuiera, et la divergence des intrigues fascinera ceux qui s’intéressent aux branchements de la créativité.
Rec 3 venant de paraître en salles espagnoles; peut-on s’attendre à un Quarantine 3?
Game of Thrones, première saison
Sci-néma commente rarement les séries télévisées, d’une part parce qu’elles n’ont pas toujours une grande cohérence narrative, d’autre part parce qu’elles demandent un investissement de temps de visionnement égal à plusieurs longs-métrages. En fait, il est généralement nécessaire de les voir jusqu’à la toute fin avant de porter un jugement. Par exemple, les critiques de la première saison de Lost n’avaient rien à voir avec celles qui ont suivi la conclusion de la série.
Il est nécessaire de faire exception dans le cas de la première saison de la série Game of Thrones [Le Trône de fer]. De un, parce que c’est l’adaptation du premier livre de la série de George R. R. Martin, une des grandes réussites des quinze dernières années de la littérature de fantasy. De deux, parce que c’est une minisérie conçue d’une pièce et produite par la chaîne spécialisée HBO, ce qui assure à la fois une cohérence narrative, un budget convenable, ainsi qu’une liberté de présentation qui accepte la violence et la sexualité de sa source d’inspiration. De trois, parce que le résultat est à la hauteur des attentes des amateurs du livre d’origine. Alors qu’il aurait jadis été impensable de voir à l’écran une adaptation même à moitié fidèle d’un épais tome de fantasy, voici que Game of Thrones a transformé un livre de sept cents pages en presque dix heures de péripéties épiques.
Ne minimisons pas l’ampleur de la réussite. Le livre comprend des douzaines de personnages appartenant à presque autant de dynasties, un monde imaginaire doté d’une mythologie complexe s’étalant sur des milliers d’années, de vastes complots, une narration qui se déplace à travers tout un continent, quelques batailles épiques et des motivations tellement enchevêtrées que même les héros ne prennent pas toujours les bonnes décisions pour les bonnes raisons. Martin ne lésine ni sur la violence, ni sur le langage cru, ni sur la sexualité de ses personnages. Les héros ne sont pas sûrs d’avoir la vie sauve malgré d’énormes sacrifices.
Qui aurait cru qu’une fraction du contenu d’un tel livre aurait même pu être adaptée de manière fidèle? Et pourtant, c’est le cas. La structure est fidèlement transposée, les détails des relations complexes entre les blocs d’influence de ce monde sont bien expliqués, les personnages sont presque parfaitement incarnés par des acteurs talentueux (on remarquera les performances de Sean Bean, Emilia Clarke et Peter Dinklage – ce dernier récompensé d’un Emmy et d’un Golden Globe), la nudité et la violence y sont, et la série parvient à satisfaire à la fois les amateurs du livre et ceux qui ne l’ont pas lu. C’est une des premières fois où un long livre appartenant clairement au genre est adapté aussi fidèlement au petit écran. Les amateurs de séries de fantasy profitent d’une expérience de lecture fondamentalement différente de ceux qui préfèrent des romans courts: Martin, avec cette série, a choisi de privilégier la profondeur de son univers inventé, le rythme hypnotique d’une histoire se déroulant sur des milliers de pages. Il est d’autant plus remarquable que cette première saison de Game of Thrones a résisté à l’envie de trop boucler à la fin, et est resté fidèle à l’intention du livre d’agir comme introduction à une longue saga. Les différences entre les deux œuvres – l’âge des jeunes personnages augmenté de quelques années, quelques scènes ajoutées pour expliquer le contexte, quelques raffinements à des moments clés de l’intrigue – sont amplement justifiées et produisent même des effets un peu plus satisfaisants que le livre. évidemment, Martin n’est pas resté un simple spectateur de cette série: ce vétéran hollywoodien (voir Solaris 82 pour une entrevue du temps de sa série La Belle et la Bête) est impliqué comme producteur et a également écrit un des dix épisodes.
Il y a, évidemment, quelques lacunes parfois compréhensibles. Les limites du budget n’ont pas permis la tenue d’un tournoi aussi magnifique que celui décrit sur papier. La bonne volonté que la chaîne HBO démontre à mâtiner ses productions de scènes racoleuses est parfois abusive — ainsi, deux nouvelles scènes visant à expliquer les motivations de certains personnages se déroulent alors que des femmes nues se trémoussent à l’écran…
Disponible depuis peu en coffret vidéo, Game of Thrones offre maintenant sa meilleure expérience de visionnement possible. Reste à voir si le reste de la série parviendra à soutenir le rythme… et ce jusqu’à la toute fin anticipée de la série. Alors que s’amorce la deuxième saison, profitez de ce qui est à l’écran, et retenez votre souffle.
Saveurs étrangères
Les films étrangers qui ne profitent pas de la chaîne de distribution du cinéma hollywoodien, et qui par conséquent bénéficient rarement d’une campagne de publicité lors de leur diffusion en Amérique francophone, offrent parfois de bien belles découvertes. Sci-néma se permet d’en souligner trois qui méritent le détour.
The Troll Hunter [v.f.] est une réalisation norvégienne de 2010 qui est finalement parue en Amérique du Nord à la fin 2011. Présenté sous la forme d’un film trouvé (« found footage», pour reprendre l’argot cinématographique anglo-saxon), l’histoire met en scène des étudiants qui, enquêtant sur des mutilations animales mystérieuses, finissent par rencontrer un authentique chasseur de trolls, puis à se joindre à lui dans sa sale besogne. Or, les trolls norvégiens n’ont rien à voir avec les vandales de forums Internet ou les créatures trapues souvent trouvées en littérature de fantasy. Non, il s’agit de monstres énormes, capable de bouffer des moutons en quelques croquées. Pour en venir à bout, le chasseur de trolls profite d’explosifs et d’armes lumineuses. Alors que le film avance, les monstres deviennent de plus en plus grands, et le paysage norvégien devient de plus en plus neigeux. Des forêts humides, on termine en pleine toundra… et comme l’annoncent les premiers instants du film, il n’est pas garanti qu’il y a des survivants.
L’aspect le plus agaçant de The Troll Hunter est sans doute cette adhésion aux poncifs du «film trouvé» popularisés par Blair Witch Project, Cloverfield et autres Rec/Quarantine. Il s’agit donc toujours d’œuvres à-peu-près posthumes qui se dirigent vers une finale prédéterminée d’avance. Ceux qui sont allergiques aux autres caractéristiques de tels films – caméra chaotique, invraisemblance de tournage, montage fragmenté, impression de claustrophobie – ne seront pas plus convaincus par cette variation sur une formule maintenant familière. Mais pour ceux qui aiment ce genre, The Troll Hunter atteint ses objectifs. Les étudiants qui tiennent lieu de protagonistes sont bien campés, la performance d’Otto Jespersen comme chasseur de trolls est assurée et le déroulement de l’action est astucieusement mené. Entre les magnifiques décors norvégiens et la majesté de certains trolls gigantesques, le film a amplement à offrir à l’amateur de fantasy contemporaine. Et lorsqu’on considère les décors hivernaux et l’intégration d’un vaste réseau de transmission hydroélectrique à l’intrigue, on se laisse même à rêver à un remake québécois.
Si The Troll Hunter se présente sous déguisement réaliste, ce n’est vraiment pas le cas pour Les Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec, adaptation d’une série de bande dessinée française de la plume de Tardi, par nul autre que le scénariste-réalisateur Luc Besson. Ce dernier n’est pas un étranger aux lecteurs de Solaris, mais depuis l’an 2000 il a semblé se spécialiser dans les films d’action. Ses quelques incursions dans nos genres (une fantaisie romantique en 2005, Angel-A, et sa trilogie pour enfants Arthur et les Minimoys [2006-2010]) n’ont rien à voir avec l’ambition et le ton exubérant d’un film comme Le Cinquième élément (1997) encore parfaitement recommandable quinze ans plus tard.
à cet égard, sans être un retour triomphal, Les Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec est un pas dans la bonne direction. Mélange d’aventure, de fantastique, d’humour et d’effets spéciaux, c’est un film où les momies reviennent à la vie et où un ptérodactyle terrorise le Paris de 1911. La recréation de l’époque est plaisante, l’œil de Besson est toujours aussi sûr, et on ne dira pas suffisamment de bien de la performance de Louise Bourgoin dans le rôle-titre, où elle doit combiner humour, prouesses physiques et un peu de vulnérabilité pour incarner un personnage un peu plus complexe et faillible que la plupart des héroïnes d’action.
Malheureusement, il faut plus qu’une bonne performance et un hommage au Paris d’antan pour détourner l’attention sur les inégalités du scénario. Tel que hurlé haut et fort par certains critiques, Luc Besson est nettement moins compétent comme scénariste que comme réalisateur et ses nombreux tics d’écriture viennent entacher Les Aventures Extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec. Après un départ bien rythmé à la Fabuleux Destin d’Amélie Poulain (notons la similitude de titres) et une séquence d’aventure en égypte, le film s’enlise dans des séquences d’un humour de plus en plus douteux. Comme presque toujours chez Besson, politiciens et policiers sont des imbéciles, les dialogues dérapent souvent en idioties et le film dégringole de registre, passant de l’action palpitante à la farce niaise en un clin d’œil.
Si bien que, peu importe le plaisir éprouvé à certains moments, on reste frustré de voir tant de potentiel gaspillé. Gaspillage de la performance d’une actrice doué et des possibilités fantastiques de l’œuvre, bien sûr, mais aussi gaspillage du temps et des énergies d’un réalisateur qui a déjà prouvé qu’il était en mesure de faire beaucoup mieux… lorsque proprement encadré par un scénario solide. Qui osera dire à Besson d’arrêter de scénariser ses propres films?
Heureusement, on trouvera sur les tablettes des films d’imaginaire qui maîtrisent mieux l’art de livrer un résultat cohérent. C’est le cas par exemple de Bunraku [Bunraku: Les Vengeurs], un film de fantasy opératique qui présente une réalité complètement stylisée, avec un humour pince-sans-rire.
Le film prétend se dérouler dans un futur éloigné où les armes à feu ont été remplacées par les épées. Une métropole souffre alors sous le joug d’un impitoyable dictateur, mais voilà qu’arrivent en ville deux guerriers forts différents l’un de l’autre, qui cherchent à changer les choses, chacun pour ses propres raisons. Qu’importe un résumé de l’intrigue: le film se laisse mieux apprécier comme un mélange d’influence combinant le western et le film d’arts martiaux, le tout servi par un langage cinématographique varié et une atmosphère qui n’est pas étrangère aux grands opéras. Bunraku arrive comme un vent d’air frais au milieu de tant d’autres films visuellement convenus. Il y a au moins une surprise à chaque cinq minutes, en commençant par un générique d’ouverture mélangeant sculptures de papier à l’art des marionnettistes. Une série d’acteurs relativement bien connus (Woody Harrelson, Josh Hartnett, Ron Perlman, Demi Moore) se succèdent à l’écran, suscitant de plus en plus de questions au sujet du silence presque complet ayant accompagné la sortie vidéo du film.
Certes, le scénario est ordinaire, mais n’est-ce pas le cas de la majorité des films diffusés en salles? Sans doute que l’excentricité et le poli visuel particulier de Bunraku sont des qualités qui plairont à une frange restreinte du public. Mais si les rayons de vos étagères contiennent des films comme The Fall, 300, Sin City et autres films fortement stylisés, vous faites probablement partie du public cible de Bunraku et il serait dommage de le manquer sous prétexte d’en avoir jamais entendu parler.
L’attaque des films faits-pour-la-télévision
Pour le cinéphile qui préfère rester chez lui, l’an de grâce 2012 est un âge d’or. Après des années de progrès, d’innovations et d’améliorations de services existants, il est maintenant possible d’avoir accès à une vidéothèque entière de films sans quitter le confort de sa demeure. Le rêve de générations de cinéphiles, maintenant disponible pour le prix d’un abonnement à son câblodistributeur!
Malheureusement, cette accumulation de richesse a un côté moins reluisant: le catalogue est truffé de films de catégorie Z qui ne valent guère mieux qu’un roulement d’yeux. Les heureux abonnés canadiens à Super écran, The Movie Network ou Movie Central subissent depuis quelques années une succession de films de science-fiction à petit budget dont la plus grande ambition artistique semble être de meubler les cases horaires de ces chaînes. Aucune de ces productions n’a joué en salles. S’ils sont disponibles au magasin, c’est habituellement dans le bac des DVD à rabais.
Néanmoins, ces films ont un certain intérêt, et ce pour plusieurs raisons. Produits à rabais pour des raisons bassement mercantiles, ils sont rarement l’œuvre de gens passionnés par la science-fiction et ne reflètent pratiquement jamais une vision artistique personnelle. Par exemple, à quoi ressemble un film situé à l’extrémité opposé du spectre thématique d’une œuvre comme Inception? Le perfectionnement des techniques de production numérique a considérablement abaissé les coûts de certains aspects du tournage des films, surtout en matière d’effets spéciaux – il est instructif de constater quelles sont les conséquences de telles percées sur ce que l’on voit à l’écran. Finalement, le cinéma à petit budget peut maintenant sortir d’Hollywood pour profiter d’expertise et d’avantages fiscaux offerts ailleurs, et cet «ailleurs» est souvent… le Canada – peut-on considérer ces films comme représentant «la vague canadienne» de la SF cinématographique ?
Ne risquant rien sinon sa santé mentale, Sci-néma a décidé d’examiner un assortiment désolant de ces sous-produits de l’ère de la câblodistribution numérique. Au menu: Metal Tornado, Collision Earth, Behemoth et Ice Quake – des coproductions Super écran / Movie Network / Movie Central en association avec l’infâme canal américain SyFy.
Quelques recherches élémentaires confirment que ces films ont été produits avec des budgets risibles, aucun ne dépassant deux millions de dollars. Sans doute pensez-vous, toujours émus par les exemples déjà vieillissants de Cube et Primer, qu’il est possible d’utiliser un petit budget pour raconter une histoire de science-fiction originale? Hélas, les responsables de l’approbation de ces projets ont d’autres intérêts. Tous ces titres sont des variations sur le thème du film-catastrophe. La structure type de notre échantillonnage se développe comme suit: a) quelques personnages sont présentés à l’écran alors que des événements aussi mystérieux que dangereux se produisent; b) alors que les protagonistes (dont au moins un scientifique) sont confrontés à ces événements, ils réalisent qu’il y a pire à venir et tentent d’avertir les autorités; c) avec la sévérité accrue des événements catastrophiques – au point qu’ils menacent maintenant nos personnages –, nos protagonistes se voient obligés de prendre action, de se tirer de situations périlleuses et d’éliminer la menace. Le générique défile quelques moments après la fin du péril.
Notons que la même structure sert aussi pour les films de monstres, ce que prouverait un examen de l’exécrable Iron Invaders, que nous nous abstiendrons de faire par respect pour le temps précieux de nos lecteurs.
Chaque film s’articule autour d’un désastre délirant. Metal Tornado postule une tornade de métal éponyme rugissant vers Philadelphie après avoir dévasté quelques comtés ruraux de la Pennsylvanie. Behemoth imagine une créature gigantesque enfouie sous la terre, et plus particulièrement sous une montagne du nord-ouest américain. Ice Quake s’intéresse à l’éruption de geysers cryogéniques en Alaska. Collision Earth atteint le plein délire vélikovskien en proposant une collision imminente entre la Terre et une planète Mercure déboussolée.
Il serait vain de tenter de confronter ces concepts à la science telle que nous la connaissons. Quand un film tel Collision Earth débute, en plein cadre contemporain, avec une navette spatiale dotée d’anti-gravité en orbite autour de Mercure, il est évident qu’il faut abandonner son bon sens dès le générique d’ouverture. On en vient à soupçonner que l’étiquette «science-fiction» a été collée sur ces films faute de mieux, aucun genre existant ne tolérant ce genre de sornettes.
Admettons que ce sont des concepts frappants, ce qui expliquera sans doute leur attrait sur papier pour ceux qui approuvent les budgets de production. Après tout, les films catastrophe voient grand, et quand il est possible de combiner des effets spéciaux à un scénario astucieusement conçu pour limiter les lieux de tournage, il est possible de maximiser l’intérêt grand public d’un film tout en gardant les cordons de la bourse le plus serré possible. Occasionnellement, le résultat s’élève à la hauteur des attentes: Ice Quake ne lésine pas sur la quantité d’effets numériques et parvient à livrer un film aux qualités de production surprenantes. Metal Tornado justifie sa prémisse d’une manière assez astucieuse (avec jargon technoscientifique relativement plausible) qui pardonne quelques excès subséquents. Quelques scènes de Behemoth et Collision Earth présentent des images intéressantes, qu’il s’agisse de montrer un monstre émergeant d’une montagne ou bien une multitude d’automobiles s’élevant en plein ciel pendant une tempête magnétique.
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