Sci-Néma 183
Christian Sauvé
Exclusif au Volet en ligne (Adobe Acrobat, 1.13Mo) de Solaris 183, été 2012
The Hunger Games
Que Potter se pousse, que Twilight se tasse! La nouvelle référence en adaptation de littérature jeunesse au grand écran s’appelle Katniss, et elle est l’héroïne d’une trilogie dystopique annoncée par The Hunger Games [Hunger Games: Le film]. Au printemps 2012, il était impossible d’échapper au raz-de-marée médiatique hollywoodien visant à nous convaincre qu’il s’agissait du phénomène de l’heure. Les résultats exceptionnels du film au box-office étaient garantis d’avance, mais quel a été l’accueil critique du film?
Dans un futur post-post-apocalyptique où l’Amérique a été partitionnée en douze «Districts», une compétition annuelle oppose dans une gigantesque arène des représentants adolescents de chacun de ces districts. Le dernier survivant des vingt-quatre conscrits couvrira son district de gloire et de rations supplémentaires de nourriture. Une loterie désigne les participants, mais certains districts ont plus de ressources que d’autres, et Katniss vient justement du très pauvre District 12…
Si vous n’êtes pas convaincu par la vraisemblance de cette sanguinaire prémisse, ne vous en faites pas trop. Le véritable intérêt de The Hunger Games est de voir comment Katniss se démène contre une vingtaine d’adversaires prêts à lui trancher la gorge, et ce récit se développe avec suffisamment de vigueur pour qu’on ne se pose pas trop de questions.
La première section du film porte plus d’emphase sur les obligations familiales de Katniss que sur les Jeux. Située en plein District 12, elle est réalisée selon une esthétique naturaliste lassante à regarder. Heureusement, le réalisateur Gary Ross peut compter sur la performance fort crédible de Jennifer Lawrence dans la peau de Katniss. Incarnant un personnage presque calqué sur celui qu’elle tenait dans Winter’s Bone, elle s’impose comme une héroïne attachante, une qualité d’autant plus importante que le film ne s’éloigne jamais bien loin d’elle. Katniss se révèle rapidement comme un modèle positif pour les jeunes filles, ce qui n’est pas si courant. Elle est forte sans être infaillible, décidée tout en étant pourvue d’une vie affective complexe. Bien entendu, le scénario est agencé pour éviter d’en faire une tueuse de sang-froid.
Pour le reste, on parlera d’un film efficace. Après les premières minutes dans la grisaille des quartiers pauvres, The Hunger Games prend des couleurs quand l’action se transporte à Capitol, puis trouve sa voie une fois que commence le long affrontement entre les participants aux jeux de la faim. Les participants ont beau lutter chacun pour leur survie, des alliances émergent naturellement et les relations entre les personnages s’imposent comme des ressorts importants de l’intrigue. L’ambivalence de Katniss à jouer selon les règles du jeu apporte une certaine profondeur au film, et ce ne sont pas certaines scènes maladroites (en parties conçues pour compenser l’absence de la narration à la première personne du roman original) qui gâchent le plaisir de l’expérience.
Comme lecteur, il y a cependant lieu de se demander s’il s’agissait de la meilleure adaptation possible du livre de Collins. Si l’adaptation est généralement assez fidèle aux grandes lignes de l’intrigue, au niveau des détails les différences entre les deux œuvres sont nombreuses et ont tendance à avantager le roman.
La plus fondamentale de ces différences est la transposition d’une narration à la première personne en un film de nature plus objective. Parfois, la transposition est réussie et nécessaire: l’environnement qu’habite Katniss étant différent du nôtre, il faut donc bien en expliquer les détails. En revanche, certaines de ces scènes ajoutées semblent artificielles et platement explicatives. Le film est également beaucoup moins dérangeant que le livre. L’épopée de Katniss est beaucoup plus pénible sur la page qu’à l’écran, avec des sacrifices physiques que l’héroïne du film ne subit par contre jamais. Plusieurs détails du livre au sujet de l’oppression de Capitol sur les Districts n’apparaissent pas à l’écran: les Avox muets, l’origine des Loup-clébards et autres détails repoussants. Ces adoucissements se prolongeront-ils dans les deux prochains films, censés être beaucoup plus explicites au sujet de la rébellion des Districts? Et que dire du scepticisme romantique de Katniss, beaucoup plus étayé sur la page?
Mais bon; ces questions trouveront sans doute leurs réponses au moment de la sortie du reste de la trilogie en 2013-2014. Car le phénomène Katniss semble bel et bien parti pour durer, et la machine hollywoodienne va en profiter jusqu’à la fin… en attendant la prochaine œuvre qui suscitera l’enthousiasme des audiences adolescentes.
Découvertes câblées: Repeaters et Mr. Nobody
La chronique «Sci-néma 182» s’est longuement plainte de la qualité des films de science-fiction produits pour les câblodiffuseurs, mais un tel regard sur ce qui est disponible par le câble coaxial ou par satellite passait sous silence un tout autre rôle que les chaînes spécialisées peuvent jouer auprès des amateurs de film de genre. Leur existence permet la découverte d’œuvres qui, pour une raison ou pour une autre, n’ont pas fait long feu au grand écran.
C’est donc au fil du zapping aléatoire que l’on peut découvrir quelques surprises qui méritent d’être partagées. On pensera à Repeaters, par exemple, le modèle type d’un film de science-fiction à petit budget doté un scénario intriguant. Ou encore à Mr. Nobody, film de SF expérimental à grand budget, tourné à Montréal, diffusé en Europe et pourtant pratiquement inconnu en Amérique du Nord.
Repeaters [Otages du temps] (2010) semble avoir passé sous le radar d’une bonne partie des cinéphiles de genre. Il faut dire que le film est souvent présenté comme un «thriller» réaliste, et les premières minutes ne démentent pas cette étiquette. On y présente trois jeunes accrocs en clinique de réhabilitation qui profitent d’une journée de liberté à l’extérieur du centre pour chercher l’absolution de leurs proches. S’il y a lieu d’apprécier le jeu des trois jeunes acteurs qui campent les rôles principaux, la cinématographie terne ne fait vraiment pas bien paraître la région de la Colombie-Britannique où a été tourné le film. On ne blâmera personne de vouloir passer à autre chose après un départ aussi peu prometteur.
Mais c’est quelques minutes plus tard que la filiation avec les genres couverts par Solaris devient apparente, alors qu’un orage vient clore la journée et que les trois personnages se réveillent… le matin de la journée qui vient de se terminer. On pense tout de suite à Groundhog Day ou 12: 01, mais avec deux différences cruciales. Ce sont trois personnes plutôt qu’une qui revivent la même journée, et le ton du film est beaucoup plus proche de l’horreur que de la comédie. On se souvient que, dans Groundhog Day, le personnage joué par Bill Murray profitait de sa boucle temporelle pour s’épanouir et devenir une meilleure personne. Nos trois antihéros découvrent plutôt les possibilités hédonistes de la situation et, lorsque l’un d’eux va trop loin, ils découvrent aussi le risque de se torturer jour après jour après jour…
La filiation étroite entre Groundhog Day et Repeaters sera fascinante pour certains, mais exaspérante pour d’autres. Pour les lecteurs de genre, il y a un réel plaisir de voir au cinéma une discussion sur un thème établi: il n’est pas rare pour les auteurs de SF&F de s’inspirer d’œuvres précédentes, d’y apporter leurs propres idées et ainsi de faire évoluer le genre. Au cinéma, ces conversations sont plus rares (les grands studios sont soucieux d’éviter toute apparence de plagiat) mais le fait est que ce film est plus intéressant si l’on a vu Groundhog Day.
Il faudra cependant être indulgent envers un départ laborieux et une cinématographie handicapée par les limites du budget. La nature horrifique du film fait en sorte qu’il y a plusieurs moments déroutant à subir, mais on constatera que le film converge aussi vers une leçon spirituelle: nos erreurs nous emprisonnent, et ce n’est qu’en cherchant l’expiation que nous pouvons nous en sortir – un habile rappel thématique de l’enfer de la toxicomanie auquel tentent d’échapper nos protagonistes. (Pour ceux qui trouveront cette conclusion trop gentille, on recommandera de ne pas manquer la courte scène horrifique tapie un peu après le générique de fin.) On trouvera aussi amusant que, dans un film canadien, un moment crucial de la conclusion soit signalé par l’apparition de flocons de neige.
Repeaters n’avait aucune chance d’être populaire en salles: trop dérivatif, trop déprimant, trop petit budget. C’est au petit écran que le film trouvera une audience prête à donner une chance à un petit film d’apparence peu prometteuse.
L’autre surprise du trimestre, c’est Mr. Nobody [v.f.]: un authentique film de science-fiction présentant réalités parallèles, colonisation martienne, réalité quantique et vision du futur. Les premières cinq minutes, brillantes et denses conceptuellement, exposent une bonne partie des mérites du film alors qu’en 2092 un vieil homme se remémore une vie aux détails contradictoires. Ce que le spectateur comprend, c’est que la vie du protagoniste est explorée en arborescence, selon les choix qu’il aurait pu faire à divers moments de sa vie. Le scénariste/réalisateur Jaco Van Dormael se sert évidemment des outils de la SF pour explorer des questions de choix, de hasard et de responsabilité personnelle.
L’essentiel du film se déroule dans un Montréal contemporain. S’y croisent des acteurs de renom tels Jared Leto, Diane Kruger et Sarah Polley. Plusieurs effets spéciaux bien employés nous donnent des visions du monde de 2092, d’un vaisseau en route vers Mars ou bien d’un univers altéré sans la présence du protagoniste.
Ce n’est pas un film facile à regarder. Les techniques de réalisation s’approchent de l’expérimentation, la cohérence narrative n’est pas toujours au rendez-vous et les nombreuses métaphores technico-scientifiques en déboussoleront plusieurs. Narrativement, le film a des faiblesses. Plusieurs détails techniques sont ridicules (fabriquer des bicyclettes sur Mars pour les réimporter sur Terre?), de nombreuses longueurs sont agaçantes et le film nous inflige quelques dérives artistiques prétentieuses. Ceux qui préfèrent une intrigue racontée clairement du début à la fin préféreront peut-être passer à autre chose.
Mais c’est un film ambitieux qui aborde des thèmes grandioses et le fait en se servant des techniques narratives propres à la SF, les seules qui permettent vraiment d’explorer ces enjeux de façon aussi convaincante. Mr. Nobody a beau avoir été ignoré par une bonne partie des commentateurs des genres de l’imaginaire, il s’impose comme un des bons films de pure SF de mémoire récente. Ce n’est ni un film catastrophe, ni un film de monstre ou une adaptation de comic book. Si le film traîne un peu en longueur au cours de son troisième quart, il se rachète par une conclusion qui a de quoi émouvoir. Heureusement que les canaux spécialisés existent pour amener de tels films à notre attention. L’insatiable soif des chaînes câblées ne fait pas toujours de distinctions entre les bons et les mauvais films, ce qui peut tout autant fonctionner au bénéfice de l’audience.
Game of Thrones, Saison 2
La première saison de la minisérie Game of Thrones diffusée sur la chaîne HBO avait fait marque en réussissant l’adaptation du roman de fantasy épique de George R. R. Martin en dix épisodes d’une heure. Ce roman étant seulement le premier d’une vaste saga (A Song of Ice and Fire; cinq volumes existant sur sept promis), il était permis d’espérer le mieux d’une deuxième saison basée sur le deuxième livre A Clash of Kings, un roman touffu, rempli de nouveaux personnages, couronné par une séquence de combat longue et complexe. Comment s’assurer de maintenir l’intérêt de l’audience étant donné une progression dramatique parfois insatisfaisante pour certains personnages? Comment structurer une intrigue en l’absence d’un protagoniste sympathique, surtout quand plusieurs autres personnages cruciaux n’apparaissent que brièvement dans le roman?
Les créateurs/scénaristes David Benioff et D. B. Weiss se sont attaqués à la tâche avec astuce et brio. Le résultat final prend plus de liberté avec le matériel d’origine que la première saison, mais demeure globalement d’une fidélité exceptionnelle à l’œuvre de Martin. Choisissant à nouveau de distiller un seul roman en dix épisodes d’une heure, la saison 2012 de Game of Thrones capitalise sur les succès de son prédécesseur. à une seule exception mineure, les acteurs de la première saison sont de retour dans leurs rôles (important dans le cas de Peter Dinklage, qui avait remporté un Emmy pour sa prestation), et les fabuleux décors de Malte, d’Irlande et d’Islande sont à nouveau bien exploités à l’écran. La qualité de l’écriture demeure constante, avec Martin lui-même de retour au clavier pour «Blackwater», le neuvième épisode de la série.
Cet épisode est notable pour plus d’une raison. Abandonnant la multiplicité des sous-intrigues de la série pour se fixer sur une seule nuit près de la ville-reine de King’s Landing, l’épisode décrit minutieusement un affrontement militaire aux multiples composantes (sur mer et sur terre) entre plusieurs armées. Pour les cinéphiles, la présence du réalisateur de long-métrage bien connu Neil Marshall (Dog Soldiers, The Descent, Doomsday) apporte un intérêt supplémentaire. Doté d’un budget de production relativement élevé pour un seul épisode de série télévisée, «Blackwater» réussit à livrer une expérience de visionnement exceptionnelle, d’autant plus que les amateurs de la série avaient appris au fil des événements à ne pas espérer trop de séquences de combat coûteux à produire.
Pour le reste, l’atmosphère de la série se complexifie tout en restant fidèle à ses intentions de base. Toute la saison décrit essentiellement une guerre entre cinq rois, cinq armées, cinq visions différentes pour le royaume de Westeros – et ce, en se déplaçant d’un continent à l’autre, avec certains périples forts complexes en chemin. La série étant reconnue pour le nombre de ses personnages, la multiplication de ses intrigues et la profondeur des références à sa propre mythologie, il demeure étonnant de voir combien le tout reste compréhensible et abordable.
Les férus d’adaptations auront fait la liste des modifications aux événements par rapport au livre d’origine. Les moments les plus répétitifs ou ennuyeux de l’intrigue ont été éliminés et combinés à d’autres éléments. Les lecteurs seront particulièrement surpris par les modifications faites aux périples d’Arya, ou bien de Daenerys et ses compagnons. Le souci de ne pas perdre de vue certains personnages importants a motivé d’autres ajustements. à l’écran, Robb Stark se voit confier une sous-intrigue romantique qui s’était déroulée en sourdine pendant un roman où il apparaissait à peine. Ailleurs, ce sont des personnages mineurs promus au rang de personnages secondaires (le mercenaire Bronn, la prostituée Roz) qui ont la charge de faire comprendre quelques détails de l’intrigue. On notera également le bon travail d’Alfie Allen qui, dans la peau de Theon, auréole d’une aura tragique un personnage qui n’était que détestable sur la page.
Bref, la série continue de satisfaire le public général, tout en glissant suffisamment de changements pour garder le lecteur des œuvres d’origine sur ses gardes. Le succès de Games of Thrones ne sera véritablement confirmé qu’à la fin de la série, ce qui n’aura vraisemblablement pas lieu avant 2018 ou 2019, et cela en présumant que G. R. R. Martin complétera les livres. En espérant que le parti pris de fidélité restera à l’avant-plan des créateurs. On a vu, de Dexter à True Blood, ce qui arrive lorsque d’une série décide de trop s’éloigner du matériel d’origine. Ainsi, les concepteurs ont décidé de scinder le troisième roman de la série, A Storm of Swords, pour le répartir sur deux saisons…
Mais pour l’instant, Games of Thrones continue d’exceller.
The Avengers
Pour Marvel, le chemin qui menait vers The Avengers [Les Avengers: Le film] n’aurait pu être plus semé d’embûches. Après des années d’échecs monumentaux à tenter de réincarner leurs super-héros au grand écran (quels souvenirs gardent-on de The Punisher? Daredevil? Elektra? Fantastic Four? The Hulk?), le studio a annoncé en 2005 le plan de concevoir non seulement un film qui réunirait une demi-douzaine de super-héros, mais aussi d’introduire auparavant ces super-héros au sein de films indépendants. The Avengers serait donc précédé d’introductions à des personnages tels Iron Man, Thor, Captain America et The Hulk (à nouveau).
à une époque où mener un seul film à terme tient de l’exploit, l’ampleur de l’ambition de Marvel tenait presque de la folie. Pourtant, c’était sans compter sur quelques facteurs – certains accidentels, d’autres bien prémédités.
Il faut savoir qu’après s’être contenté de vendre les droits de ses personnages à des studios hollywoodiens, Marvel a décidé en 2005 de prendre le contrôle de la production de ses propres films, s’assurant d’un degré d’indépendance créatrice inédit. Cette liberté d’action s’est immédiatement traduite par des scénarios respectant beaucoup mieux les personnages. Le plan consistant à présenter les personnages dans des films indépendants avant leur réunion dans The Avengers était réfléchi: c’est ce qui explique dès 2008 la présence d’acteurs tels Samuel L. Jackson comme fil conducteur dans les films d’Iron Man.
Le succès de ces films d’introduction a été généralement positif. Les bonnes critiques se sont accumulées, surtout pour le premier Iron Man. Difficile de dire si Marvel a eu de la chance ou du flair en convaincant Robert Downey Jr d’incarner Tony Stark. Le charismatique acteur compose un personnage irrésistible qui plaît même aux spectateurs qui ignorent tout de la mythologie Marvel. Résultat: tous ces films se sont avérés des succès au box-office, donnant à aux studios Marvel la liberté financière d’agir à sa guise en assemblant The Avengers.
Et il le fallait, être libre, car l’idée d’assembler toutes ces personnalités plus grandes que nature dans un seul et même film était risquée. Nombreux sont les films de super-héros (Batman Returns, Batman Forever, Spider-Man 3) où la surenchère de tête d’affiches avait fini par gâcher la sauce. The Avengers ne risquait-il pas de succomber au même problème? On dirait bien que non, puisque The Avengers a dépassé les attentes en termes de critiques. Les commentateurs ont salué de façon quasi unanime la qualité du film, le jeu des acteurs, la qualité des dialogues, ainsi que l’équilibre entre l’attention donnée aux personnages et les moments plus spectaculaires qui sont de rigueur dans un film de super-héros. «Blockbuster estival par excellence dosant action, humour, spectacle et personnages distinctifs.» Que demander de plus? Ce succès est d’autant plus remarquable que The Avengers ne tente pas du tout d’aborder (tel The Dark Knight) des enjeux thématiques plus profond. C’est un film de super-héros tout à fait classique, qui respecte des conventions narratives parfois ridicules, une adaptation fidèle de ce que l’industrie des superhero comics produits depuis des décennies. Que le film récolte autant d’éloges ne fait que valider les décisions de Marvel Studios.
Voyant les recettes faramineuses au box-office (1,4 milliard de dollars à l’échelle planétaire à l’écriture de ces lignes), il est clair que le public a réagi tout aussi favorablement au film. Il est d’autant plus clair que les prochaines années verront encore plus de films de super-héros construits selon cette formule. On a déjà commencé le travail sur Iron Man 3, Thor 2 et Captain America 2. The Avengers 2 a évidemment déjà été annoncé.
Pour le lecteur de Solaris, qu’est-ce que cela veut dire? Faut-il s’inquiéter de la contamination des blockbusters hollywoodiens par les pires poncifs des superhero comics? Est-ce que l’emphase sur les films de super-héros empêchera le financement d’œuvres de genre plus originales? Sans nier la tendance vers le nivellement vers le bas qui accompagne chaque vague de popularité cinématographique, on se rappellera tout de même que c’est The Dark Knight qui a permis à Christopher Nolan de réaliser Inception… et on constatera que le film de SF original se porte plutôt bien depuis la minivague amorcée par District 9. à Hollywood, la réussite commerciale ouvre bien des portes. étant donné la carte de visite que représente The Avengers, on peut supposer que le réalisateur Joss Whedon aura les coudées franches pour réaliser une œuvre plus personnelle, perspective qui n’est pas du tout déplaisante à contempler.
On peut craindre que les films de super-héros deviennent d’interminables sagas truffées d’allusions à d’autres films que seuls les fans risquent de comprendre. Mais d’autres voies sont possibles. Depuis une quinzaine d’années, le genre cinématographique SF&F a commencé à prendre des formes que les fans des décennies précédentes n’auraient pu espérer. Voilà que des formes narratives traditionnellement réservées au papier apparaissent à l’écran: la série Harry Potter a livré huit films cohérents et respectueux de l’œuvre. Games of Thrones est en voie d’adapter de la fantasy épique au petit écran à coup de saisons de dix heures. Et maintenant, nous voyons l’univers partagé des comics transposé au grand écran, film par film.
Bref, restons optimistes. The Avengers est un succès: il y aura des imitateurs moins compétents, certainement, mais peut-être aussi que son succès mènera à des merveilles qui n’auraient pas eu lieu autrement. Après tout, les sceptiques étaient nombreux à l’annonce initiale du film en 2005, et ils ont été confondus.
Prometheus
Prometheus [v.f.], lorsqu’on y réfléchit bien, n’est ni plus ni moins qu’un film-de-monstres. Le vaisseau spatial atterrit sur une nouvelle planète, les scientifiques explorent, les menaces se multiplient et les gens commencent à mourir. Le tout a de moins en moins de sens le plus longtemps on y pense. Mais attention: c’est un film-de-monstres avec des ambitions thématiques inusitées, un film-de-monstres exceptionnellement bien réalisé. Des effets spéciaux à la fine pointe de la technologie, des performances d’acteurs de haut calibre, une réalisation efficace qui sait exactement quels effets employer pour obtenir la réaction souhaitée… Prometheus plane loin au-dessus du sous-genre des films-de-monstres inspirés d’Alien, ce qui est tout à fait approprié étant donné qu’il s’agit d’un film de SF franche de la main du réalisateur Ridley Scott, et qu’il se déroule clairement dans le même univers que la série amorcée en 1979.
Les questions que l’on se pose pendant et après l’écoute de Prometheus sont nombreuses, et elles commencent par les liens du film à la série Alien. à une époque où les antépisodes se succèdent au cinéma, reconnaissons qu’ils sont rarement satisfaisants. C’est un exercice périlleux de surprendre et développer un suspense quand le spectateur sait ce qui va se passer plus tard. à moins de changer la mythologie originale, le danger dans ce cas est que le spectateur ait l’impression qu’on se moque de lui. Bref, rien n’obligeait Scott à lier ce film à la mythologie Alien si ce n’était la peur de se faire accuser d’auto-plagiat. Mais lorsque le film doit se tortiller pour insérer ses thèmes, idées et éléments de design dans l’univers existant de la série, la déception ne peut qu’être au rendez-vous. à voir les incohérences, on en vient même à comprendre que le flou rhétorique de Ridley Scott sur la place de Prometheus dans l’univers d’Alien camoufle un manque d’intérêt à assurer un lien entre les deux. On pourrait se contenter d’examiner et apprécier le film comme pièce indépendante… si ce n’était que les problèmes du scénario sont beaucoup plus profonds qu’un simple manque de cohérence avec le mythe préexistant.
Comme dans la plupart des films-de-monstres de bas étage, les personnages prennent des décisions inexplicables, se transformant en pantins au service d’un scénario prévisible plutôt qu’en êtres réels aux émotions et motivations crédibles. Ici, des personnages s’embarquent dans des missions d’une demi-décennie sans se poser de questions, vont voir là où il y a du danger, prennent des risques inutiles (et tentent de caresser des créatures inconnues), et ne s’inquiètent pas lorsqu’une femme couverte de sang fait irruption dans la pièce. Certains personnages sont inutiles alors que d’autres ne restent que des visages anonymes. Le troisième acte, en particulier, est truffé de mystères qui ne peuvent s’expliquer que par de la mauvaise scénarisation. Un peu comme Moon, Prometheus se donne l’air d’un film de hard SF, sans nécessairement être soutenu par des fondements logiques. Mentionnons comme exemple une conception de la médecine qui permet à un personnage de faire des acrobaties quelques minutes après une intervention abdominale majeure.
Ce n’est guère mieux lorsque Prometheus tente d’aborder des questions philosophiques plus ambitieuses. Si le scénario s’intéresse à la place de l’humain dans l’univers, les considérations qu’on y expose ne semblent pas beaucoup plus sophistiquées que ce que la SF écrite abordait il y a un demi-siècle. La panspermie étant à la fondation des thèmes du film, une tentative de demander comment elle se réconcilie avec ce que nous savons de l’évolution darwinienne est balayée du revers de la main. On chuchote que l’inévitable version longue du film contiendra des allusions plus judicieuses à la mythologie chrétienne, mais on chuchote maintenant toujours ce genre de chose lorsque sort un film de SF&F au scénario déficient. (Curieusement, on n’explique jamais pourquoi ce n’est pas la meilleure version du film qui a été diffusée en salles.)
On dira donc que le scénario est pauvre, prétentieux, confus et ridicule… et, malgré tout, il ne faut pas sous-estimer le plaisir de visionnement considérable du film. Prometheus est tout de même un film à voir, et ce sur le plus grand écran disponible. Nous sommes à la pointe du raffinement cinématographique, et cela sur tous les plans de la production, du design des bruits ambiants jusqu’à la profondeur 3D des effets visuels. Il sera peut-être décevant de revoir Alien tant les standards visuels de la SF de premier plan ont évolué depuis 1979… Ridley Scott fait des choix intéressants en matière de 3D, et le film reflète ce que nous attendons d’un futur maintenant que des tablettes tactiles sont omniprésentes.
Comme réalisateur, Scott est toujours capable de construire des séquences remarquables et Prometheus livre quelques moments mémorables d’émerveillement ou d’horreur. Une séquence époustouflante aux deux tiers du film, où l’héroïne est forcée de pratiquer une intervention médicale sur elle-même en des circonstances très particulières, aura de quoi soulever l’estomac des spectateurs les plus endurcis. Ceci reste décidément un film de la série Alien…
à lire les discussions autour du film depuis sa sortie, Prometheus accumule déjà amis et ennemis, mais une chose est certaine: on en parlera encore pendant un bon moment.
Mise à jour: Juillet 2012 –