Sci-Néma 184
Christian Sauvé
Exclusif au Volet en ligne (Adobe Acrobat, 1.27Mo) de Solaris 184, Automne 2012
Chronicle
La science-fiction clame qu’elle est la littérature des idées. Mais s’il est vrai que les idées inventives et originales sont appréciées dans la bonne science-fiction, cela ne signifie pas que les créateurs peuvent s’affranchir de l’obligation de maîtriser les techniques du récit. La justesse des personnages, la clarté du style, le dynamisme de l’intrigue sont souvent plus importants que l’originalité du concept. C’est d’autant plus vrai au cinéma, qui a pour contrainte supplémentaire de chercher à rejoindre de larges foules.
Chronicle [Chronique] est un de ces films à la prémisse on ne peut plus familière. Lorsque trois adolescents sont transformés par l’action d’une météorite et se découvrent pourvus de super-pouvoirs, il est justifié de se dire que l’on a déjà vu ça ailleurs. C’est un des thèmes de base de la bande dessinée et du cinéma super-héroïques dont les X-Men et Spiderman ne semblent être que la pointe de l’iceberg. Or le poncif est cette fois revitalisé par l’audace de la réalisation. S’inscrivant dans la catégorie du pseudo-documentaire trouvé (found footage), Chronicle débute au moment où un ado, Alex, commence à filmer sa vie à l’aide d’une vieille caméra vidéo. Le lent début du film, en caméra subjective, montre la vie du protagoniste dans tout son désespoir : mère qui se meurt, père alcoolique violent, environnement scolaire hostile, isolement social… Les problèmes d’Alex se multiplient, et ce n’est pas l’aide de son cousin ou d’un camarade de classe populaire qui contribue à changer les choses. Lorsque le trio découvre un étrange objet aux conséquences insolites, Chronicle passe graduellement en deuxième vitesse. Le film documente comment trois adolescents typiques peuvent s’amuser à découvrir leurs pouvoirs : la caméra subjective rend ces expériences un peu plus crédibles, en particulier lorsque les ados s’amusent à créer le chaos dans un supermarché.
Hélas, les insécurités d’Alex n’en font pas nécessairement un personnage sympathique : ses actions deviennent de plus en plus répréhensibles. Le tout finit comme tous les films de super-héros, en combat entre bon et vilain… sauf qu’Alex n’est pas le héros, et qu’il est plus pitoyable que méchant.
Il y a beaucoup à admirer dans ce film, qu’il s’agisse de l’ingéniosité avec laquelle on a évité l’effet répétitif de la caméra subjective – initialement celle d’Alex, puis d’une meilleure caméra haute-résolution, puis du matériel tourné par une vidéo-bloggeuse, puis de caméras de sécurité et des médias au fur que l’histoire devient moins intimiste –, de l’approche résolument antihéroïque parfois à la limite de l’horreur, de la profondeur thématique, de l’attention portée à la psychologie de ses protagonistes adolescents ou des effets spéciaux sagement employés. L’histoire se solde par une bataille convaincante à travers Seattle, prouvant à nouveau qu’il est possible de combiner une approche réaliste à des séquences d’action tout à fait réussies, même dans un film à petit budget.
Le résultat réussit à plaire même à un moment où la prolifération des faux-documentaires s’approche du point de saturation. à l’instar de The Troll Hunter, Chronicle comprend les limites du sous-genre cinématographique dans lequel il s’inscrit, et réussit à livrer un résultat qui revigore le film de super-héros. C’est tout à fait le type de film de série B qui peut se permettre une approche un peu plus expérimentale que les grands blockbusters contraints d’être aussi ordinaires que possible pour ne pas effaroucher le grand public. D’ailleurs, le film a connu un bon succès au box-office, ce qui ne l’empêchera pas de demeurer une bien belle découverte pour ceux qui n’en ont jamais entendu parler. Même pour ceux qui sont allergiques au sous-genre found footage.
Real Steel
Un des passe-temps favoris de certains fans de science-fiction est de discuter (longuement) de la légitimité de certaines œuvres de SF. «C’est étiqueté SF, mais est-ce que c’est vraiment de la SF ?» Si ces discussions peuvent sombrer dans l’ergotage exaspérant, elles soulignent une question fondamentale au sujet de la définition des genres. Est-ce qu’une œuvre de science-fiction a le droit d’examiner les ramifications d’un seul changement à notre monde, ou doit-elle se sentir obligée de présenter une vision pleinement développée de toutes les conséquences d’un changement ?
C’est ce genre de question que le film familial Real Steel [Gants d’acier] peut soulever. à plusieurs égards, il s’agit d’un authentique film de science-fiction. Non seulement est-il adapté d’une nouvelle originalement parue dans l’éminent Magazine of Fantasy and Science Fiction («Steel» de Richard Matheson, 1956), mais il spécule sur l’existence en 2020 de robots humanoïdes boxeurs, et explore les conséquences économiques de leur existence. Tellement d’effets spéciaux sont requis pour présenter des combats de robots à l’écran qu’il serait ridicule de prétendre qu’il ne s’agit pas d’une sorte de film de science-fiction.
Et pourtant : à l’exception de l’existence de ces robots boxeurs, rien dans le monde de Real Steel ne vient suggérer que ce futur de 2020 est différent de la réalité de 2012. Un futur peu cohérent avec le développement de la robotique tel que nous le connaissons, de toute façon. Il y a eu plusieurs générations de robots (dont certains se trouvent dans des dépotoirs), et la ligue de combats organisés semble exister depuis plus longtemps que les huit ans qui nous séparent de 2020. L’autre problème du film est encore plus gênant : les robots humanoïdes semblent exclusivement confinés au monde de la boxe. Nulle part ne voit-on un monde transformé par la disponibilité de robots aussi sophistiqués : les œillères du récit empêchent de voir au-delà.
Ce refus délibéré d’extrapoler est renforcé par l’atmosphère vieux jeu plutôt charmante du film, qui passe beaucoup de temps dans les contrées rurales du Midwest américain, et qui s’engage sans cynisme dans la promotion des bonnes vieilles valeurs de la classe moyenne américaine : ténacité, égalité, amour filial. Real Steel semble conçu pour ne pas surprendre ni choquer personne par une vision menaçante du futur. L’intrigue, après tout, porte autour d’un propriétaire de robot boxeurs (Hugh Jackman, charmant) qui tente de renouer ses liens avec son fils longtemps abandonné. Les combats entre robots ne sont que les étapes vers la réconciliation familiale et le type de victoire qui n’est possible que dans les films sportifs mettant en vedette un protagoniste sérieusement désavantagé.
Le reste du film, aussi conventionnel soit-il, n’est pas moins compétent. Même à un moment où l’on pense avoir tout vu à l’écran, Real Steel propose des effets spéciaux phénoménaux. Les robots sont parfaitement crédibles, visuellement et audiblement, le bruit du métal contre le métal étant saisissant. Real Steel ne se conforme certes pas à toutes les exigences d’une science-fiction de premier plan, mais n’en demeure pas moins un film réussi. Qui a vraiment besoin de SF rigoureuse lorsqu’il est possible de voir un père se réconcilier avec son fils… tout en cassant la gueule à des robots ?
Battleship
Un des aspects les plus divertissants à observer dans la machine hollywoodienne est sans doute la fière bravade mercantile qui compense ses lacunes créatives. L’appât du gain conduit les studios à développer des projets de plus en plus ridicules, en autant que le public s’y intéresse. Les suites et antépisodes en rafales ne surprennent plus, tout comme les remakes inutiles et les remoutures piquées du domaine public. Mais là où les génies hollywoodiens se surpassent maintenant, c’est au niveau des adaptations. Quoi de plus vieux jeu que d’adapter des romans à l’écran, quand il est maintenant légitime de concevoir des films à partir de jouets (Transformers), de livres de psychologie populaire (He’s Not That Into You) ou de tomes encyclopédiques (What to Expect when Expecting). Ceci dit, même les commentateurs les plus indulgents ont sourcillé à l’annonce de Battleship [Bataille navale], un film basé sur… le jeu de société du même titre. Quelle histoire tirer d’une récitation monotone de coordonnées, interrompue par un «Tu as coulé mon cuirassé !» ?
Il suffisait évidemment de faire intervenir des extraterrestres. La marine américaine étant la plus puissante au monde, un scénariste tentant de la mettre en valeur aurait eu des problèmes à trouver un ennemi contemporain. Heureusement, les invasions extraterrestres sont à la mode, et après avoir vu l’infanterie américaine se mesurer à une telle menace dans Battle : Los Angeles, voici que sa marine a elle aussi la chance de se mettre à l’œuvre.
La mise en situation occupe les trente premières minutes du film. Alors que la marine américaine est occupée à tenir des exercices loin de la base navale d’Honolulu, voici qu’une expédition de reconnaissance extraterrestre enferme l’archipel d’Hawaï dans un bocal impénétrable… sauf pour trois vaillants destroyers, menés par un héros générique et ses compagnons de bord. à quelques détails près, le reste de ce film de recrutement pour la marine se scénarise de lui-même, empilant des séquences de destruction massive, quelques mièvreries sentimentales et autant d’invraisemblances qu’il est possible d’inclure dans un film d’action sans que ce dernier ne se dissolve dans le ridicule.
Les spectateurs trop critiques seront terrassés par les failles du film. En tant qu’œuvre de science-fiction, Battleship arrive pratiquement en dernière place au rang de la récente vague de films d’invasion extraterrestre. Les justifications scientifiques n’ont aucun sens, les erreurs sont nombreuses, les motivations des extraterrestres demeurent une énigme (une séquence télépathique transmet des flashs mentaux menaçants au protagoniste, mais on n’y revient jamais durant le reste du film), et on a de la difficulté à imaginer une race capable de voyage intersidéral être autant prise au dépourvu par les pièges élémentaires des humains.
Même jugé à l’aune du divertissement estival hollywoodien, Battleship est faible. Les dialogues sont parfaitement ordinaires, les personnages sont fades, les apartés humoristiques s’intègrent souvent mal et les clins d’œil au jeu de société sont tellement torturés qu’ils provoquent le rire plus que la nostalgie. Le réalisateur Peter Berg a tellement calqué ce film sur la série Transformers qu’il est possible de dire que Battleship est le meilleur film de Michael Bay à ne pas avoir été tourné par lui. On reconnaîtra au passage des échos d’Independance Day, Titanic, Pearl Harbor, et autres…
Au fond, la question-clé ici n’est pas Est-ce un bon film ?, mais plutôt, Est-ce que ça explose beaucoup ? Est-ce que la bande sonore a de l’énergie ? Est-ce que ça finit bien pour les héros ? Est-ce que l’on y voit des choses intéressantes ? Car alors là : oui, oui, oui et oui. Battleship a souvent beau être stupide, il s’agit d’une stupidité énergique, empreinte d’un certain charme niais. Les aspects techniques du film sont impeccables, en particulier au plan de l’image et du son. Car le scénario n’est qu’une excuse pour voguer d’une séquence d’action à une autre, et la puissance de feu des extraterrestres a de quoi faire suer les compagnies d’effets spéciaux ayant travaillé sur le film. Des navires et vaisseaux spatiaux se font détruire dans un carnage graphique admirable, et la bande sonore souligne chaque explosion sans compromis. Battleship n’est donc pas pour tout le monde, mais il y a définitivement un public pour ses vertus.
Immortals
Le péplum à saveur fantastique est un art difficile. En 2007, 300 a réussi à renouveler le genre, un exploit moins évident que peuvent le penser les détracteurs de l’œuvre. Depuis ce temps, il y a lieu de se demander si l’on avait vraiment besoin du duo Clash of the Titans/Wrath of the Titans, ou bien d’Immortals [Les Immortels] de Tarsem Singh, ces trois derniers films se servant les éléments les plus fantastiques de la mythologie grecque pour fournir des films d’action grandioses. Le public contemporain a-t-il donc un tel appétit pour ces mythologies pour justifier autant de productions sur un sujet essentiellement identique ?
Au visionnement d’Immortals, il y a au moins de quoi se rassurer que le réalisateur Tarsem Singh sait présenter des images d’une beauté rare. Avec un style calqué sur des peintures de la Renaissance, Immortals demeure un plaisir visuel constant, et un rappel que Tarsem (entre The Cell, The Fall et le subséquent Mirror, Mirror) s’est taillé une bonne feuille de route comme réalisateur qui peut livrer des images uniques à l’écran.
La question à élucider, évidemment, est de savoir si une cinématographie époustouflante peut parvenir à compenser les scories d’un scénario assez ordinaire. Après un départ opaque, Immortals devient rapidement un film prévisible. Le héros endeuillé (Thésée, joué avec stoïcisme par Henry Cavill) se dresse contre les ambitions sanguinaires d’un tyran (Mickey Rourke en roi Hypérion, grondant de menace) avec l’aide d’une prêtresse exaspérée par ses talents d’oracle (Freida Pinto). Les dieux ont beau intervenir comme des tornades au milieu des affaires humaines, c’est une bonne vieille histoire de vengeance que l’on nous sert, et ceux dont les souvenirs de Titanomachie et Thésée sont vagues peuvent se rassurer : Immortals ne requiert pas trop de connaissances classiques.
Si les souvenirs de 300 seront vifs au visionnement d’Immortals (les deux films partagent deux producteurs, et, tournage commun à Montréal aidant, plusieurs techniciens-clés), l’approche choisie par Tarsem montre les progrès accomplis en matière de traitement de l’image depuis 2007. Entre autres moments forts, on remarquera les boucheries sanguinaires durant lesquelles les dieux pulvérisent des adversaires humains en ultra-ralenti, le contraste entre les sombres paysages et les costumes rouge-vif des prêtresses, ou bien la vision finale d’un combat aérien sans fin. Si la conception visuelle du film a tendance à se répéter (est-ce que toute la Grèce antique se trouve près d’une falaise à côté de l’océan ?), on ne se lasse pas vraiment de tant d’ingéniosité. Le côté hyper-violent des combats, où le sang explose au ralenti, semble moins offensant lorsque les images sont d’une telle qualité. Ceci dit, les estomacs les plus sensibles préféreront être avertis.
Côté fantasy, le film exploite avec profit des éléments les plus fantastiques de la mythologie grecque : l’image des titans emprisonnés, le redoutable «Arc d’épirus» conjurant des flèches autoguidées, l’intervention des dieux dans les affaires des humains… Immortals a beau souffrir d’un scénario décousu, vague et incohérent, il parvient tout de même à livrer une vision qui ne répète pas tout à fait celle de 300. Ce n’est certainement pas du «déjà-vu». C’est un spectacle, et cela justifie amplement son existence en tant que tel.
Christian SAUVé
Mise à jour: Octobre 2012 –