Les Littéranautes-bis 179
Mathieu Arès, Richard Tremblay
Exclusif au Volet en ligne (Adobe Acrobat, 1.53Mo) de Solaris 179, été 2011
Caroline Lacroix
Flyona
Drummondville, Les Six Brumes (Nova), 2011, 54 p.
Dès qu’il y a mis les pieds, Niklas s’est pris à détester la planète. Son cycle diurne est compliqué, la végétation qui y pousse est envahissante et se régénère à une vitesse qui défie l’entendement, et sa couche atmosphérique est ravagée par des perturbations telles qu’elles rendent presque impossible le vol en aéronef. Il s’est engagé comme homme de main pour une compagnie forestière. Le boulot est infernal, mais la paie est bonne.
à la base, il rencontre Flyona. Engagée, tout comme lui, c’est une jeune femme au passé mystérieux qui semble curieusement capable d’arriver à une harmonie symbiotique avec cette jungle au cœur palpitant. Flyona sera le lien qui va permettre à Niklas d’apprivoiser la forêt et la planète.
Caroline Lacroix a concocté une très jolie fable naturaliste qui n’est pas sans un peu nous rappeler Knut Hamsun et Ursula Le Guin. Elle nous offre un texte riche en textures et en demi-teintes, où les deux protagonistes de l’histoire, Niklas et Flyona, explorent un monde totalement hostile à la présence humaine, une jungle oppressante dont la propriété régénératrice est tellement grande que les canons pulvérisateurs qui ouvrent la voie aux convois s’y frayant un chemin ne peuvent tomber en panne sans mettre en péril l’existence même desdits convois. Il suffit de s’arrêter au pied d’un arbre, dit-on, pour être enseveli en quelques minutes sous un entrelacs de racines nouvelles.
Une des forces de ce récit réside dans l’art très subtil grâce auquel l’auteure présente et assemble sans trop insister les éléments disparates du passé de Niklas et de Flyona, de la conquête des planètes qu’elle mêle à une réflexion sur l’état de la nature et du rôle que l’homme y joue. Tout ça n’est qu’esquissé, et pourtant cela fonctionne. à peine décrit, le monde derrière les person-nages prend vie. La planète devient elle-même un personnage muet de cette histoire. Comme nous sommes ici dans une écriture essentiellement atmosphérique, il faut accepter ces effets d’effleurement qui donnent au texte toute sa force d’évocation.
Je doute que ce texte eut pu mieux fonctionner encore sur une prémisse de SF plus explicite. L’auteure a réussi l’adéquation idéale entre son propos et la manière de l’amener.
Dans ce court roman, l’idée n’est pas de tout dire. Le lecteur est entouré d’un flou bruissant d’idées dont il ne voit pas nécessairement pas les tenants et les aboutissants, tout comme Niklas et Flyona dans la jungle dont ils ne voient ni la fin ni le commencement, dont ils savent seulement qu’elle est là, qu’elle les entoure et peut se révéler dangereuse.
Caroline Lacroix est une auteure qui se fait trop discrète.
Chaudement recommandé.
Richard Tremblay
Jean-Jacques Pelletier
L’Assassiné de l’intérieur
Lévis, Alire (Recueil 138), 2011, 211 p.
Chaque parution de Jean-Jacques Pelletier se révèle attendue. Dans le sens où l’on sait ce que l’on obtiendra, avec plaisir. Attendue, car il appartient à la catégorie des écrivains qui prennent leur temps pour écrire un texte. C’est peu dire que l’on piaffait d’impatience de tenir entre nos mains, depuis 2005, le dernier volume des Gestionnaires de l’apocalypse, véritable saga totalisant plus de quatre mille pages.
Pourtant, cette fois-ci, Pelletier nous surprend là où nous ne l’attendions pas: un recueil contenant une vingtaine de nouvelles. Avec L’Assassiné de l’intérieur, épuisé chez son éditeur d’origine L’instant même et récemment réédité chez Alire, l’auteur signe des textes courts de nature étrange, complètement différents de ceux auxquels il nous avait habitués. Il capture des instants, des souvenirs à l’intérieur de mots. Et de maux.
Le recueil se trouve donc scindé en cinq parties, chacune séparée par ce que l’auteur appelle des «Histoires d’outre-mère». à première vue, les nouvelles peuvent sembler disparates, ne possédant aucun pont entre elles permettant de les relier. Ç’aurait été le cas si l’auteur n’avait pas agrémenté son recueil du premier texte dans lequel un homme, un couteau planté dans la gorge, se promène dans la rue sans qu’il en ait cure. L’homme explique ainsi à une femme qu’il croise en marchant que tout le monde est semblable, que tous portent un couteau à la gorge. Mais ils ne s’en rendent tout simplement pas compte.
Après la lecture de cette nouvelle, les textes suivants se révèlent des situations, des moments de vie capturés par l’auteur, avec une verve poétique jusqu’ici inconnue des lecteurs de Pelletier. Le style haché qu’il emploie invite à une gigantesque métaphore représentant le mal de vivre de l’époque. Le vide omniprésent que peut ressentir chaque personne qui se met à réfléchir sur sa condition.
Parfois, le recueil fait penser à L’écume des jours de Boris Vian par son côté métaphorique des choses, par l’absurdité des situations et par la justesse du ton. Par cette idée de nénuphar à l’intérieur du poumon de cette femme en écho aux autres maux des personnages de Pelletier.
Pour certains, ce recueil n’en deviendra qu’un parmi tant d’autres. De ceux que nous devons lire avec parcimonie, nouvelle par nouvelle. Petit à petit. Pourtant, ce recueil s’avère construit tel un roman que l’on doit lire du début à la fin, comme l’indique l’auteur dans sa postface. Il possède une structure linéaire des événements et un climax final que l’on trouve dans tout bon roman de divertissement. Pourtant, il s’agit là non seulement d’un livre divertissant, mais aussi d’un livre qui porte à réflexion. Le fantastique renferme cela d’intéressant: il permet de raconter autrement ce que nous affirmons sans saveur.
Un enfant sur lequel pousse de l’argent, un homme muet qui ne peut que cracher du papier sur lequel des mots sont inscrits, une femme qui craque comme une fenêtre se craquelle lorsque frappée par un caillou, tout cela n’existe pas littéralement. Littérairement, oui! Il s’agit simplement de faire abstraction de toutes ces impossibilités, de laisser son âme de poète entrer en soi et d’écouter ces sentiments couchés sur papier. Des sentiments trop longtemps tus. Et tués.
Mathieu Arès
Sylvie Gaydos
Impasse
Boucherville, Mortagne (Sixième sens), 2011, 393 p.
Mort accidentellement alors que sa filleule Sarah avait quatre ans et lui vingt, Philippe choisit de continuer à la protéger à partir de l’au-delà et de devenir (littéralement) son ange gardien pour la vie. Sa mission est simple (en apparence!), car les limbes sont un lieu fourmillant «d’anges noirs» qui ne supportent pas le bonheur des humains et tentent de le réduire. Philippe doit donc apprendre dans ce monde nouveau à doser ses interventions, afin d’éveiller le moins possible leur attention et ainsi sauvegarder le mieux possible la vie et le bonheur de Sarah. Mais parfois, les difficultés semblent impossibles à enrayer.
Ce roman appartient à la catégorie «Mélo surnaturel», dans la foulée des romans de Marc Lévy (première cuvée) et de Guillaume Musso, qui ne sont pas une vilaine compagnie, loin de là. Parce qu’il faut admettre que la romance, ou le mélo contemporain, jouit d’un public considérable et a ses auteurs vedettes. Avec son premier roman, Sylvie Gaydos apporte sa petite pierre à un genre littéraire qui trouve le moyen de survivre à toutes les modes sans jamais vraiment se renouveler (il résiste aussi aux railleries des bien-pensants, dont je). Il suffit de lire des œuvres similaires des années soixante et soixante-dix pour se rendre compte que, pour l’essentiel, c’est la même recette que les auteurs appliquent sans cesse. Il n’y a que les décors et la psychologie des personnages qui s’accordent à l’air du temps.
L’histoire est simple à souhait. Pour lui donner du ressort, l’auteure n’hésite pas à utiliser quelques-uns des poncifs du genre; ainsi, le lecteur ne sera pas déboussolé d’apprendre que la vive animosité ressentie par Sarah vis-à-vis d’Alexander, dès leur première rencontre, va déboucher assez rapidement sur une histoire d’amour grand style qui constitue en réalité le cœur d’Impasse. Il ne sera pas plus surpris par la maladie qui vient, en fin de roman, à la fois bouleverser et menacer la vie de la protagoniste et exacerber les glandes lacrymales du lectorat.
Cette romance a de quoi faire rêver les midinettes les plus endurcies. Sarah est une jeune femme plutôt in-trovertie; Alexander est un séduisant anglophone québécois, indépendant de fortune, sans autre souci que plaire à cette dulcinée si longtemps attendue, qu’un seul regard lui a permis de repérer dans la foule (on parle de Sarah, ici). C’est du Harlequin, là. (N’ayant jamais lu un seul roman Harlequin, je m’avance un peu. Par contre, j’ai lu Lévy et Musso et mon âme de midinette y a pris du plaisir.) On ne se sauvera pas des déboires habituels des couples et de la crise conjugale quasi fatidique alors que Sarah est convaincue (sur un seul coup de téléphone!) que son chum la trompe avec une de ses ex qu’on retrouve (commodément) encore dans le paysage. On ne se sauvera pas non plus de la réconciliation consécutive, de la bonne entente qui règne mur à mur et du bon sentiment. Si vous aimez les films de Meg Ryan (première époque), vous risquez d’aimer ce roman.
Les hommes, dans Impasse, sont faibles ou inexistants (dans le sens qu’ils n’ont pas de présence dans le couple face à leur femme) et, s’ils sont aimants, c’est dans la discrétion, en cachette. En comparaison, Denise et Jacqueline, la mère et la grand-mère de Sarah, sont des femmes dominantes qui exercent un pouvoir sans partage sur la famille, leurs hommes baissant les bras sans demander leur reste. Même Philippe, bâti sur le même moule, est un garçon qui préfère abdiquer que confronter, même pour cette petite nièce qu’il adore par-dessus tout.
Ce n’est qu’après sa mort que, éloigné de l’influence néfaste des femmes de sa famille, il trouvera le courage nécessaire pour rester dans les limbes et veiller sur Sarah. Il aura pour mentor un ange, Nathan, et c’est ici, pour le lecteur, que le bât commence à blesser sérieusement.
Si les hommes de ce roman se révèlent faibles dans leur enveloppe charnelle, ils ne se montrent pas tellement plus dégourdis une fois dans leur forme évanescente: comme mentor, Nathan est totalement et définitivement inadéquat. En effet, chaque fois que Philippe intervient de l’au-delà dans la vie de Sarah, il éveille l’attention des «anges noirs», des entités malveillantes qui ne cherchent qu’à faire du tort, éveiller la souffrance et créer le mal.
Pourtant Nathan, qui a pourtant eu vingt ans bien sonnés pour lui expliquer les choses de la vie après la mort, trouve toujours le moyen d’arriver trop tard: il répare les pots cassés, morigène Philippe de ne pas avoir attendu ses explications, puis disparaît jusqu’à la prochaine crise. Ridicule. En vingt ans, il n’aurait pas pu prendre quelques minutes de son temps pour expliquer à son ouaille ce qu’il est permis de faire et de ne pas faire dans les limbes? Allons donc. Nathan est là uniquement pour fournir des explications a posteriori. Pas fort le mentor.
On ne croit pas une seule seconde à ce personnage: on pourrait même dire qu’il vient affaiblir l’architecture romanesque. Avec lui, c’est toujours: «Ah j’avais oublié de te dire que si tu fais ceci, il va en résulter cela.» Il est constamment en retard sur son protégé – qui, en plus, n’est pas particulièrement actif. Il faut dire que le gros du roman porte sur les complications ménagères entre Sarah et Alexander et que la part du surnaturel exprimée par Philippe disparaît presque complètement du roman à partir de la moitié, pour revenir en force à la fin. Elle tient d’ailleurs difficilement la route (et les interventions de Philippe sont généralement mineures, sauf à deux occasions – la tornade et l’accouchement.)
Soulignons un aspect du récit qui aurait pu se révéler fort intéressant mais que l’auteure a choisi de ne pas exploiter: l’Administration de la vie après la mort semble bureaucratisée à souhait et, si j’ose dire, hiérarchisée en diable. Par exemple, pour réparer l’erreur constituée par la mort inopinée de Philippe à l’aube de l’âge adulte (elle n’était pas du tout prévue à l’agenda), il faudra à Nathan vingt ans de tractations administratives. Après ça, comment se plaindre si on attend un an pour une opération à la hanche!
Mais au bout du compte, il y a peu à reprocher à ce roman construit selon les règles acceptées du mélo. C’est joliment écrit d’une plume fluide, agréable, sans effets gratuits. La psychologie des personnages est particulièrement fouillée (surtout au début) et crédible, et constitue à mes yeux le meilleur de ce livre. Ce lecteur-ci aurait souhaité que Sylvie Gaydos poursuive son roman dans le sens d’une saga familiale, genre pour lequel son talent semble indéniable.
L’ambition de l’auteure n’est probablement pas de renouveler le genre, ni la structure ni les poncifs, mais tout simplement de donner aux amateurs un agréable divertissement sous forme de quelques heures de plaisir.
à cet effet, en dépit des bémols évoqués plus haut, c’est mission (presque) réussie.
Richard Tremblay
Mise à jour: Juillet 2011 –